Un secret bien gardé…

10/06/2011
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Au moins trois propositions concurrentes existent en ce qui concerne la reconstruction de Port-au-Prince, suite au terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010.
 
Il est peut être normal qu'un client – comme le gouvernement haïtien – paie plusieurs firmes pour avoir diverses propositions et options. Mais 17 mois après le séisme on est à se demander s'il est normal qu'aucune décision n'ait été prise. Cela parait, pour le moins, assez inefficace.
 
Entretemps, la firme canadienne de développement urbain, Daniel Arbour et Associés (DAA), est l'un des secrets mieux gardés dans le processus de reconstruction.
 
Selon de multiples sources, DAA travaille actuellement sur une série de projets pour le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe, même si les projets et les contrats ont jusqu'ici été bien dissimulés.
 
Contacté par AKJ, une personne de haut niveau du personnel du Ministère de la planification et qui a demandé de ne pas être cité – étant donné qu'aucun fonctionnaire haïtien n'est censé parler aux medias sans approbation du ministère compétent – a confirmé que DAA travaille en effet sur un document de « stratégie nationale » de planification urbaine et sur une étude d'une « nouvelle orientation spatiale dans le contexte du relèvement ».
 
Selon l'officiel haïtien, le travail de DAA n'est pas une duplication de celui réalisé par la Fondation Prince Charles. « Vous parlez de deux choses différentes », a-t-il dit.
 
Mais n'ayant pas accès à plus de détails et sans informations concrètes, il nous est impossible de vérifier ces renseignements.
 
Comme la Fondation Prince Charles, DAA est payé par le gouvernement haïtien. Le fonctionnaire ne sait pas si DAA a été sélectionné par un appel d'offre et il n'est pas au courant du montant exact du contrat.
 
Sollicité pour confirmer la rumeur, circulant dans le milieu des firmes concurrentes, selon laquelle, le contrat aurait couté $ 2 million de dollars, il a seulement déclaré : « le coût peut être de plus ou moins $2 millions ».
 
Questionné sur la communication et la coordination entre les ministères et la mairie de Port-au-Prince, le fonctionnaire a admis qu'il y avait des problèmes de communication, en ajoutant « que ce type de problème existe aussi à l'intérieur même du ministère. »
 
En dépit des nombreux appels téléphoniques et des messages électroniques, le Ministre des finances, Ronald Baudin, n'a pas répondu aux demandes d'éclaircissements. Il n'a ainsi pas affirmé si oui ou non il y a avait eu appel d'offre et si la stratégie de planification et d' « orientation spatiale » de la DAA représentait une duplication du travail précédemment fait par la Fondation Prince Charles.
 
Le bureau québécois de DAA a transféré toutes les demandes à un représentant en Haïti au moment où cet article est rédigé – René Hubert. Mais Hubert n'a pas daigné répondre aux nombreux messages électroniques d'Ayiti Kale Je.
 
Le maire de Port-au-Prince, Jean Yves Jason, a dit qu'il était au courant du projet de la DAA mais « personne de la direction de la compagnie n'avait contacté la municipalité ».
 
« Je suis ouvert à toute discussion », a poursuivi Jason, « mais il y a un jeu pour affaiblir le bureau du maire qui veut assumer le rôle principal qui est le sien dans la ville ».
 
Il y a certainement d'autres raisons à la définition de tous ces plans concurrents et cette bataille pour le contrôle, particulièrement, la question des contrats éventuels.
 
« Qu'on ne se le cache point, la reconstruction est d'abord et avant tout une affaire d'argent et d'investissements. Beaucoup d'argent, » admet Jason.
 
Reconstruction de quoi ? Port-au-Prince pour qui ?
 
Pendant que les ministres et les maires discutent et promeuvent différents plans, Port-au-Prince continue sa spirale descendante. Chaque après-midi les pluies amènent leur lot de bouteilles en plastique, les carcasses d'animaux, des alluvions, des branches d'arbres, du charbon, des matières fécales, des débris et à peu près tout ce que l'on peut imaginer dans les rues défoncées et les ravines qui se déversent dans la baie.
 
Un magasin sur deux est fermé ou peut-être davantage. Certains ont été remis en état par leur propriétaire. D'autre ont été rasés. Mais, il y a très peu de reconstruction, car personne ne sait quel plan suivre. Et même pas les planificateurs eux-mêmes.
 
UN-HABITAT a écrit du document « Strategic City-Wide Spatial Plan » pour l'agrandissement spatial de Port-au-Prince en 2009 :
 
« Port-au-Prince est à bien des égards une ville qui fonctionne mal, est mal dirigée et qui a une capacité insuffisante pour offrir à ses résidents les services urbains les plus élémentaires….
 
L'Etat haïtien et les autorités municipales sont incapables de planifier et de gérer la métropole de Port-au-Prince. En plus d'un manque de ressources financières… les 8 municipalités partagent la responsabilité de la gestion de la ville avec de nombreuses entités du gouvernement qui ont des responsabilités et des mandats flous qui se chevauchent sans système de coordination. »
 
Les résultats de 2009 sont plus que pertinents en 2011.
 
UN-HABITAT est impliqué aujourd'hui dans la planification stratégique également. Selon le directeur national pour Haïti, Adrian Jean-Christophe, UN-Habitat va assister la DAA et le Ministère de la Planification dans leur plan stratégique.
 
« Nous sommes en train de préparer un grand forum », a-t-il déclaré.
 
Interrogé sur les autres plans, Adrian a déclaré : « ils font tous parti de la discussion ».
 
« L'idée est d'avoir le leadership nécessaire pour mettre tout cela ensemble », a-t-il ajouté. « Nous essayons de créer un espace de dialogue ».
 
La Fondation Prince Charles et l'équipe Groupe Trame / Centre Haïtien de Recherche en Aménagement et Développement (CHRAD), prétendent, les deux, avoir déjà favorisé le dialogue.
 
Les activités de la Fondation Prince Charles ont été tenues à l'hôtel de luxe du Montana, sur la colline au-dessus de Port-au-Prince. La rencontre du magistrat et Trame/CHRAD du 19 mai – au sixième étage de l'immeuble Digicel – a été « invitation-only » (« sur invitation seulement »). Pa étonnant qu'elle a été un « who's who » de l'élite haïtienne. Une première réunion du Trame/CHRAD – d'à peu près 50 personnes – a eu lieu encore plus haut sur la colline de Pétion-ville, au Karibe Convention Center. (Quoique, Ligondé est prompt à souligner deux sans abris dans la photo de groupe.)
 
La plupart des résidents, propriétaires de petites entreprises, refugiés, et vendeurs de rue n'ont pas été invités aux sessions sur les plans concurrents qui se tiennent le plus souvent à porte fermée.
 
Maggy Duchatelier Gaston vit et travaille à la Rue de la Réunion depuis plus de 25 ans. La boulangère a déjà mis de ses propres fonds $5,000 dollars US dans la réparation de la boulangerie / bar / école de cuisine « Princesse ».
 
« Aucune autorité n'est jamais venue ici. Personne », déclare Gaston, même si la boulangerie est située dans une zone d' « intérêt public ».
 
Maggy Duchatelier Gaston met quelques pâtisseries dans une boite à livrer. Une des rares ventes de la journée. La vitrine géante est presque vide, avec seulement un gâteau coupé en tranches. Elle a rouvert il y a trois mois, mais les affaires vont mal. Les grandes entreprises, le bureau de la Direction General des Impôts en face, n'ont pas été reconstruits, il y a donc très peu de piétons.
 
La boulangère n'a jamais entendu parler de « SOS Centre-ville », le groupe de puissants propriétaires et commençants, et n'a été invité à aucune rencontre.
 
« Je n'ai jamais rien entendu de ce qui était planifié. Nous mourrons probablement avant que rien ne soit fait », dit-elle.
 
Pourtant, elle n'a pas perdu espoir. Le gâteau solitaire en témoigne. Mais un gâteau ne fait pas une boulangerie. Et quelques lots de décombres enlevés, ce n'est pas la reconstruction. [akj apr 19/06/2011 12:00]
 
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* « Ayiti Kale Je » (http://www.ayitikaleje.org/) est une initiative de partenariat médiatique en vue d'assurer des investigations journalistiques sur la reconstruction d'Haïti suite au séisme dévastateur qui a frappé le pays et fait 300.000 morts et autant de blessés.
 
Le Groupe Médialternatif est un des partenaires de cette initiative, à travers son agence multimédia AlterPresse (http://www.alterpresse.org/), avec la Société pour l'Animation de la Communication Sociale (SAKS - http://www.saks-haiti.org/). Deux réseaux participent également : le Réseau des Femmes Animatrices des Radios Communautaires Haïtiennes (REFRAKA) et l'Association des Médias Communautaires Haïtiens (AMEKA), qui est composé de stations de radios communautaires à travers le pays.
 
 
https://www.alainet.org/fr/active/47523
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