Crise politique, économique et agitation sociale
Une nouvelle période dans une vieille crise
16/10/2002
- Opinión
Une crise économique prolongée qui dure depuis près de 20
ans, l'application de mesures néolibérales, la crise d'un
régime politique au pouvoir depuis plus de 50 ans et
l'absence de consensus entre les principales forces
politiques de la classe dominante, tout cela s'est conjugé
avec l'effondrement de l'économie argentine pour pousser le
gouvernement de Luis Gonzalez Macchi (Parti Colorado) au
bord de l'abîme et avec peu de marges de manoeuvres pour
affronter les revendications populaires alors que l'Etat se
retrouve sans ressources face à la croissance des nécessités
de base telles que l'éducation et la santé publiques.
La démission du vice-président Julio César Franco (du parti
d'opposition libéral), avec comme but de se présenter comme
candidat à la présidence de la République pour les élections
de 2003, ouvre une autre phase dans la crise politique qui
fait partie intégrante de la vie quotidienne du pays. De
plus, l'économie connaîtra cette année une croissance
négative de -3%.
En même temps s'est constitué un vaste bloc d'organisations
sociales frappées de plein fouet par les plans d'ajustement
structurels et les recettes du FMI. Un bloc qui, à chaque
mobilisation, déséquilibre et fait trembler chaque fois un
peu plus les bases fragiles du gouvernement.
En effet, le mouvement populaire organisé a connu une
importante régénérescence au cours des dernières années, en
contraste avec la longue décadence des centrales syndicales
qui, tout au long des années '90, ont été affaiblies par la
corruption, l'orientation bureaucratique de ses dirigeants
et la crise économique qui a jeté annuellement des milliers
de travailleurs à la rue (le secteur industriel ne dépasse
ainsi plus les 14% de l'économie).
L'événement récent le plus important a été la mobilisation
populaire des mois de mai et juin qui s'est soldée par le
gel de la vente de l'entreprise de téléphone publique
Copaco. Cette victoire a été possible grâce à l'articulation
d'un bloc d'organisations comme on n'en avait plus vu depuis
longtemps et qui a pris le nom de Congrès démocratique du
peuple (CDP). Bien que beaucoup de ses organisations
intégrantes se sont, au cours de ces derniers mois,
reconcentrés sur leur "terrains" particuliers, l'expérience
victorieuse a démontré que l'unité dans la mobilisation
était possible pour des objectifs communs. Il est fort
probable que cette expérience se répétera à l'avenir au vu
du développement de la situation économique, politique et
sociale du pays.
En septembre dernier ce sont les paysans, les camioneurs et
les chauffeurs de taxi qui se sont mobilisé pour la
réduction des prix de l'essence et de l'eau potable ainsi
que pour la modification d'un projet de loi appelé "de
transition économique". Ce projet, soumis au Congrès par le
gouvernement, vise à augmenter les revenus de l'Etat via la
hausse de impôts et des tarifications publiques. Après deux
journées de grève, un accord a été obtenu au cours de
négociations afin de réduire les niveaux de ces hausses
programmées.
Ensuite, ce sont les syndicats des conducteurs de transports
publics qui ont initié une grève les 10 et 11 octobre pour
la libération de leurs dirigeants emprisonnés, la
réintégration de plusieurs camarades licenciés et le respect
des lois du travail dans leurs entreprises - en particulier
le respect de la journée des 8 heures et la paiement des
cotisations patronales pour la sécurité sociale. Après un
peu de plus de 12 heures de grève totale des services de
transports publics dans la capitale et dans la zone
métropolitaine, les syndicats ont obtenu un accord afin que
chacune des demandes soit traitée par les ministères de la
Justice et du Travail.
L'année 2002 va s'achever avec encore plus de luttes
revendicatives, notamment en faveur de la modification du
Budget national afin d'augmenter dans ce dernier les
dépenses sociales et de réduire les coûts inutiles. Il y a
aura également des mobilisations contre un projet de réforme
de la sécurité sociale qui vise à augmenter les cotisations
des travailleurs de 9,5 à 18% alors qu'il n'est rien demandé
d'équivalent aux patrons. Un projet qui cadre en réalité
dans un nouveau processus de privatisation de la sécurité
sociale.
Cependant, il faudra voir si les deux principales
organisations qui composent le CDP (le Front pour la défense
des Biens publics et la Plénière populaire contre le
terrorisme d'Etat), réaliseront de nouveau des actions
unitaires comme en mai et juin derniers ou bien iront à la
lutte séparément pour affronter l'offensive néolibérale, qui
vient à peine de récupérer ses forces suite aux derniers
coups reçus.
A la mesure où la situation économique s'approche
dangereusement d'une banqueroute similaire à l'Argentine, la
crise politique est quant à elle loin de se résoudre et ce
au moment où les revendications populaires augmentent sans
cesse : l'issue est donc incertaine et l'on s'approche
rapidement d'une période de plus fortes turbulences encore.
Un autre élément supplémentaire pour compléter le panorama
actuel : depuis le début d'octobre, le Brésil et l'Argentine
ont tous deux fermé leurs marchés à la viande paraguayenne
(le troisième secteur de production) suite à des rumeurs
d'apparition de fièvre aphteuse dans le bétail. Une
situation qui met au bord de la paralyse les secteurs
frigorifiques et un vaste secteur de producteurs. Le Chili,
l'un des principaux clients, ne peut plus recevoir ses
fournitures car les camions ne peuvent plus transiter par le
territoire argentin.
Calendrier électoral et alternatives
Le parti au gouvernement, l'Association Nationale République
(Parti Colorado) est au pouvoir depuis 1947, atteignant
presque le record de longévité détenu par le PRI mexicain.
C'est un parti fortement lié aux Forces armées et aux
principaux groupes économiques qui ont été favorisés au
cours de ces dernières 50 années (agro-exportateurs,
éleveurs de bétail, commerçants-importateurs, à peu près
tous liés aux mafias en tout genre). Il a toujours mené une
politique populiste de prébende à travers l'appareil d'Etat
ainsi qu'une politique parallèle de répression et de
cooptation politique à tous les niveaux.
La chute de la dictature de Stroessner (1954-1989), qui a
toujours bénéficié de son soutien, a constitué l'une de ses
principales crises et avec elle celle du régime traditionnel
de domination politique. Cependant, il est parvenu jusqu'ici
à se maintenir au pouvoir du fait de l'extrême faiblesse des
partis d'opposition traditionnels (également touchés par la
corruption et le discrédit généralisé face à la population)
ainsi que par l'absence d'une gauche unitaire qui puisse
représenter une alternative politique à court terme.
Avec les élections présidentielles de 2003, le Parti
Colorado cherchera à réaccomoder en sa faveur l'espace du
pouvoir afin de lui permettre de gouverner pour une nouvelle
période de cinq années tout en maintenant son ancien régime
(un appareil d'Etat corrompu et source d'accumulation pour
acheter les caudillos locaux) et la même structure
économique.
Mais le contexte régional et international sera différent
que par la passé avec les difficultés économiques de
l'Argentine et du Brésil, l'exigence de nouveaux plans
d'ajustement et de privatisations du FMI, l'absence de
ressources importantes, la croissance des luttes et la
faible carrure des dirigeants politiques des partis
traditionnels conservateurs.
Dans le contexte d'une opposition qui s'est affaiblie dans
la période de transition à partir de 1989 et l'absence d'un
mouvement politique dans le camp populaire, la dissidence du
Parti Colorado dénomée "oviédismo" (du nom de l'ex-général
Oviedo, auteur d'un coup d'Etat manqué, accusé d'être
l'auteur intellectuel de l'assassinat du Vice-président
Argana en 1999 et du massacre de jeunes sur la place en face
du Congrès la même année) apparaît comme la seule force
importante d'opposition au gouvernement de Macchi.
Ce secteur oppositionnel représente la ligne dure d'un
retour à un pouvoir militaire et autoritaire de droite avec
un discours populiste et démagogique. Son leader est
actuellement exilé au Brésil pour échapper à une
condamnation de 10 ans de prison pour tentative de coup
d'Etat.
L'absence d'un processus d'articulation forte dans la gauche
socialiste fait que sa force d'attraction continue à être
faible, malgré quelques avancées (avec pas mal de hauts et
de bas) au cours des années '90. Pendant la dictature de
Stroessner, elle a souffert d'une répression implacable
menée à coups d'assassinats, d'arrêstations et d'exils
massifs. Sa récupération est lente et s'il existe une
possibilité d'obtenir de bons résultats aux cours des
prochaines échéances électorales du fait de la perte de
prestige des partis traditionnels, elle risque d'être
compromise de par la dispersion des forces même si ses
dirigeants bénéficient d'une bonne légitimité du fait de
leur engagement reconnu en faveurs de la cause des
dépossédés.
La campagne commune menée par des organisations
progressistes et de gauche en janvier dernier en réaction au
kidnapping par des groupes parapoliciers et paramilitaires
des activistes du Mouvement Patria Libre (MPL) Juan Arrom et
Annuncio Marti a été une énorme victoire puisque ces
militants ont été retrouvé en vie et qu'elle avait permi
d'articuler un vaste mouvement de solidarité. Mais cette
campagne réussie n'a pas débouché sur un travail politique
plus permanent. Le défi historique reste donc entier pour
des organisations telles que Convergence populaire
socialiste (CPS) ; le vieux Parti Communiste ; Paraguaya
Pyahurä ou le Parti des Travailleurs et d'autres encore.
Comme c'est le cas dans d'autres pays, il est fort probable
qu'il n'y aura pas d'avancée sur base d'un processus d'auto-
construction et d'auto-affirmation de chacun de ces groupes
en rejetant (de fait et non en paroles) la possibilité d'une
construction unitaire sur base d'une discussion
programmatique et d'un plan d'action. Un débouché des luttes
des masses pour leurs revendicaitons urgentes face à la
misère croissante a peu de chances de réussir en l'absence
d'une direction politique articulée avec un agenda vers le
pouvoir.
Approfondissement des luttes
La situation nationale et internationale augurent une
période prolongée de luttes et de difficultés à tous les
niveaux entre un régime qui maintien des éléments du "vieil
Etat de bien-être", paternaliste et autoritaire et un bloc
d'organisations sociales affectées par le néolibéralisme qui
entraîne dans la pauvreté des milliers de personnes chaque
année.
Le triomphe de Lula au Brésil aura un impact sur le scénario
politique paraguayen bien qu'il est difficile de mesurer
quels seront ses effets. Les résultats électoraux de l'année
à venir ne représenterons donc pas la polarisation
croissante qui englobe l'ensemble de la société, il est donc
fort possible que le taux d'abstention électoral en signe de
protestation sera énorme.
Une victoire du Partido Colorado n'annulera évidemment pas
ce qui n'a pas été résolu depuis des années : les plans
d'ajustement structurels, les privatisations, la dette
externe, les droits humain, le budget national, la situation
précaire de la santé et de l'éducation, l'absence de
développement économique, l'ALCA et qui continurons à mettre
le gouvernement sous pression comme un incurable cauchemard.
Traduction de l'espagnol : Ataulfo Riera, pour RISAL.
Article original : "Paraguay : nuevo periodo de una vieja
crisis" (ALAI, América Latina en Movimiento).
© COPYLEFT RISAL 2002.
https://www.alainet.org/es/node/109640
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