Éducation 2011 : La langue, la formation des maîtres et les inégalités d’un système à repenser…
17/05/2011
- Opinión
Pour arriver à la scolarisation effective, gratuite et obligatoire annoncée, les responsables pourraient buter sur un vieux fantôme qui hante la société haïtienne : la langue et les inégalités d’un système éducatif à repenser, relève l’agence en ligne AlterPresse.
La Constitution du 29 mars 1987 reconnaît deux langues : le Créole (haïtien) et le Français, ce dernier souvent avancé comme « notre butin de guerre ».
Le Français reste aussi la langue de l’enseignement.
« Un impair », juge cependant Antonal Mortimé, secrétaire exécutif de la plateforme des organisations haïtiennes (de défense) de droits humains (Pohdh).
« Tous les haïtiens parlent le Créole, alors que l’éducation est dispensée en langue française. Et la majorité ne comprend pas cette langue » relève t-il, ajoutant qu’ « on comprendra que l’Etat veut prioriser l’éducation quand le Créole jouera un rôle fondamental. Quand les manuels seront en Créole ».
Mais, outre le problème de langue, nombre de défis se profilent.
Il s’agit non seulement de garantir la scolarisation, mais surtout un droit humain fondamental longtemps bafoué.
« Jusqu’à présent, dans certains endroits, les enfants doivent marcher quatre (4) heures de temps avant d’arriver à l’école. Imaginez un enfant…qui passe plus de temps à marcher qu’à apprendre. Sans oublier les conditions d’apprentissage, les conditions objectives. Quelqu’un qui ne peut pas manger, qui ne possède pas un toit, n’est pas en condition de se former », explique Mortimé.
Reposer les bases
La gratuité d’une école de qualité est la principale demande de la population en ce qui a trait à l’éducation, rappelle Norbert Stimphil, membre du comité exécutif du groupe de travail sur l’éducation et la formation (Gtef).
« Le système éducatif haïtien est un système à plusieurs vitesses…chaque école se présente comme un système éducatif à part entière. Il y a des écoles nationales, congréganistes, presbytérales, communales », énumère t-il.
« Chacun de ces sous-groupes se présente comme un système éducatif formant des Haïtiens différents, avec des qualités différentes, des objectifs différents, et quasiment incapables de cohabiter », ajoute t-il.
Le système éducatif actuel n’a pas les moyens de sa politique : ni les moyens pédagogiques, ni les ressources humaines, pour garantir son bon fonctionnement, déplore Stimphil.
L’identification des enfants est une autre difficulté, car les problèmes d’Etat civil handicapent l’accès à l’éducation.
« Aucun enfant ne peut entrer dans un établissement scolaire sans une pièce d’identité. Seulement, les enfants naissent sans avoir été identifiés. Et les récentes catastrophes, qui ont frappé le pays ont rendu cela encore plus compliqué », remarque Norbert Stimphil.
Les estimations officielles font état de 500 mille enfants, en âge d’aller à l’école mais n’ayant jamais été scolarisés.
Un autre défi pourrait être de pouvoir identifier ces enfants et les intégrer dans le système éducatif.
Une éducation « obligatoire » passe inévitablement par là.
Mais, une fois dans le système, ces enfants risquent de se heurter à ce qui semble être son principal problème : la déperdition scolaire, dont le taux atteint 67%, d’après Stimphil, et qui est liée à des causes très variées, notamment économiques.
De plus, l’éducation en Haïti a un caractère « élitiste », juge t-il.
« C’est un système qui sélectionne les meilleurs et qui rejettent les mauvais. Ceux qui méritent un accompagnement, du temps et du travail, sont rejetés. Or, ils représentent la majorité, dans tout système éducatif ».
Soulager les parents des coûts de l’éducation, mettre à disposition des matériels didactiques de qualité, des accompagnements en termes de manuels scolaires, des (sessions de) formations pour les professeurs, font partie, entre autres, d’ « une chaine d’actions », capables de garantir l’accès et de réduire le taux de déperdition scolaire, assure Stimphil.
Il existe plus de 20 mille établissements scolaires, ce qui représente plus que la demande qui se situe autour de 6 à 8 mille établissements, selon Stimphil.
Une bonne partie de ces écoles ne sont pas publiques. Le tremblement de terre du 12 janvier 2010 a révélé l’anarchie du système dans ce domaine.
Près de 5 000 établissements ont été victimes des secousses. La plupart ne respectaient ni les normes, ni les conditions requises pour l’apprentissage.
« Aujourd’hui, sur chaque 100 écoles, 85 appartiennent au secteur privé, à l’Église, aux ONGs. Donc, comme ça, l’Etat n’aucun contrôle, aucune capacité de contrôler la qualité de l’enseignement fourni par ces écoles », estime Antonal Mortimé, secrétaire exécutif de la Pohdh.
Les enseignants
« Je suis très mal à l’aise pour parler d’enseignants non formés. La question, c’est de savoir qui les a embauchés, qui les a mis dans une salle de classe ? Qui a pour rôle de mettre des écoles, ou des instituts pour former les maîtres ? », signale Lourdes Edith Delouis, responsable de la confédération nationale des éducatrices et éducateurs d’Haïti (Cneh).
Il s’agit, toutefois, d’une des plus grandes faiblesses du système.
85% des 70 mille enseignants en exercice n’auraient pas la formation requise, selon le ministère de l’éducation nationale.
« Toutes les études ont démontré que les enseignants ne restent pas longtemps dans le métier, ils ne font pas carrière. Ce qui devait les motiver, ce serait des promotions ou des privilèges salariaux. , à ce niveau, rien n’est fait », souligne Lourdes Edith Delouis.
A son avis, la plupart des jeunes enseignants entrent dans le métier pour pouvoir se payer une autre formation qui leur garantira un emploi plus décent.
« Le taux d’années d’ancienneté est très faible. Il se situe autour de 20% au niveau du fondamental. Le taux est plus élevé au niveau secondaire, parce que, le plus souvent, l’enseignant a une chaire de 6 heures… Il est soit avocat, soit ingénieur-agronome ou médecin. Il a un autre métier qui lui rapporte davantage », explique Edith Delouis.
En dépit de ces nombreux problèmes, Norbert Stimphil croit opportun le moment d’agir véritablement dans le sens d’une éducation pour toutes et tous.
L’équipe de Michel Martelly s’intéresserait au pacte pour l’éducation, élaboré par le Gtef ainsi qu’au plan opérationnel du ministère de l’éducation qui en découle.
« Ces documents semblent être des outils de travail pour le gouvernement, de façon à ce qu’il puisse atterrir et offrir vraiment le service de l’éducation à la population », fait valoir Norbert Stimphil.
https://www.alainet.org/es/node/149829
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