« Argent contre travail » ou « argent pour faire passer le temps » ?
Le prétexte de la relance de l’économie
10/11/2010
- Opinión
Enquête: Dans le cadre du partenariat médiatique « Ayiti Je Kale »*, dont AlterPresse fait partie
P-au-P., 10 nov. 2010 Un objectif déclaré des programmes CFW est de faire travailler les gens pour de l’argent, qui est ensuite consacré à satisfaire ses besoins, et contribuer ainsi à une « relance » de l’économie.
L’économie de qui ?
Bien que AKJ ne puisse déterminer quel rôle ont joué les programmes CFW dans la remise en marche de l’économie, une chose est certaine : les trottoirs et les rues de la capitale sont encombrés de vendeurs de marchandises pour la plupart importées. En même temps l’USAID semble qualifier ce type d’activité économique - la vente de chaussures et de vêtements usagés importés - comme un « succès » [voir ce rapport – link]. Tout le monde ne voit pas les choses de la même façon.
« Le principal impact du CFW est sur la circulation de l’argent », a dit l’économiste haïtien Gerald Chéry. « Chaque fois qu’il ya une grande crise dans une économie ... ils cherchent toujours des mesures temporaires pour créer des emplois afin que les gens puissent avoir des revenus. »
Toutefois, Chéry a noté que si les revenus créent la demande, la question qui doit être posée c’est : la demande pour quoi ?
« Nous avons besoin que l’argent qui circule en Haïti ne quitte pas Haïti pour aller vers un autre pays. L’argent doit rester en Haïti pour que cela puisse créer du travail. Vous ne pouvez pas payer quelqu’un, puis il achète, mais c’est un autre pays qui en bénéficie, pas Haïti, » a déclaré Chéry.
Et pourtant, aujourd’hui en Haïti, c’est exactement ce qui se passe.
Des études menées, entre autres, par Oxfam indiquent que les bénéficiaires CFW dépensent environ la moitié de leur salaires en denrées alimentaires et / ou en marchandises à revendre dans la rue, avec le reste la plupart du temps, ils payent le loyer, les frais de scolarité, le remboursement des dettes et d’autres charges.
Si la moitié de l’argent CFW est consacré à l’alimentation et les marchandises à revendre, ceux qui en profitent dans cette économie mondiale de récession se trouvent à l’extérieur des frontières haïtiennes.
Haïti achète plus de la moitié de sa nourriture à l’étranger, donc beaucoup d’argent CFW va aux partenaires commerciaux d’Haïti, et le plus grand d’entre eux c’est les États-Unis. En 2008, Haïti a acheté près de US $ 1 milliard de dollars de marchandises à son voisin du Nord, dont US $ 325 millions de nourriture.
Le salaire est-il suffisant ?
Personne ne pense – suivant les investigations menées par AKJ et les ONG – que le salaire de 200 gourdes par jour soit suffisant.
« Cela m’aide, mais pas tant que ça. C’est juste un minimum », a déclaré Lorde Jordany, un travailleur de 19 ans, près de Maniche, dans le sud du pays.
Dans ce programme de Catholic Relief Services, au bout d’un mois les travailleurs obtiennent un sac de blé, un sac de haricots et de l’huile végétale. Jordany dit qu’il va tout revendre, pour environ 3200 gourdes, soit environ US $ 81, ce qui signifie qu’il aura gagné environ 160 gourdes par jour, moins que le salaire minimum officiel de 200 gourdes par jour.
Les économistes, défenseurs des droits humains et même les ONG d’exécution conviennent que 200 gourdes ne suffisent pas.
« Nous constatons que les gens ne font pas vraiment assez pour répondre à tous leurs besoins », a souligné Ingersoll.
Une étude de 2008 menée par le Washington Worker Rights Consortium qui prend en compte les besoins en calories, le loyer, la scolarité, l’énergie, la nourriture et d’autres dépenses, a déterminé un salaire minimum vital pour un adulte avec deux mineurs à charge de 15,244.48 gourdes par mois, soit environ 548,30 gourdes (environ US $ 13,88) par jour.
Qu’est-ce qui se passe à la campagne ?
Un des problèmes généré par les programmes FFW mis en œuvre antérieurement en Haïti a été l’abandon de la production agricole par les paysans qui ont délaissé leurs parcelles. [Lien vers la partie 1]
En 2010, AKJ a découvert le même phénomène, même s’il est vrai que dans certaines régions, le mois d’octobre est une période creuse. Néanmoins, peu de paysans admettraient que leur présence dans une équipe de travail nuirait à leur production agricole. Beaucoup ont affirmé qu’ils travailleraient dans les champs après une journée de travail de huit heures sous le soleil des Caraïbes, ou « vraiment de manière intense » le samedi.
Mais, Philippe Céloi, un agronome, qui supervisait le programme de six mois de Catholic Relief Services près de Maniche, a admis que la plupart de ses 468 travailleurs étaient des paysans. Les travailleurs - qui passaient un mois dans une équipe – étaient en train de construire des terrasses sur les pentes des bassins versants.
« Après six mois, il y aura des avantages - et pas seulement pour les travailleurs qui ont obtenu un salaire, mais aussi pour la communauté », a déclaré Céloi.
Toutefois, interrogé sur l’impact de ce travail sur l’agriculture paysanne, Céloi a admis qu’il y a un côté négatif dans le programme.
« Oui, il y a aussi des inconvénients. Par exemple, ces paysans ne sont pas en train de planter comme cela devrait être le cas. En ce moment c’est la saison des haricots ... Et ils ne sont pas en train de planter des pommes de terre, du manioc ou du sorgho. Alors, quand ce programme prendra fin, il va y avoir un problème, parce que les gens ne seront pas en mesure de trouver de la nourriture à manger ... Ces personnes se retrouveront dans une situation difficile. »
Des emplois pour les résidents du camp et des personnes déplacées à la campagne
Dans la capitale, les habitants du camp semblent être les principaux bénéficiaires des programmes CFW.
Dans les campagnes, cependant, AKJ a été incapable de trouver une seule personne déplacée ou membre d’une famille d’accueil travaillant dans un programme CFW ou FFW. Selon des journalistes des radios communautaires à Maniche, Fondwa et Papaye, très peu de personnes déplacées demeurent dans leurs communautés rurales.
Par conséquent, beaucoup de ceux qui travaillent à l’extérieur de la capitale sont des paysans, les jeunes et les personnes âgées qui ont obtenu des emplois par l’intermédiaire de leur église, un groupe local de base, ou par l’intermédiaire de leurs connexions à un candidat ou un autre « chef » local, qui leur a personnellement remis les cartes de travail. Dans certains endroits, les fonctionnaires locaux se sont plaints que le programme leur donne des problèmes car il sème « la jalousie » dans les communautés.
La stabilité politique
Un seul document CFW que AKJ a reçu énonce cet objectif politique noir sur blanc et proclame son succès.
Le Bureau de l’USAID « Office of Transition Initiatives », qui, jusqu’au 30 Juin avait dépensé plus de US $ 20 million dans les programmes CFW, via deux sous-traitants - Chemonics et Development Alternatives Incorporated – avait comme principaux objectifs de « soutenir le gouvernement d’Haïti, promouvoir la stabilité, et diminuer les risques de troubles.
Dans le même document, répondant à la critique de l’auditeur de l’USAID qui a révélé que les programmes CFW financés par l’organisme américain n’ont pas permis d’enlever les décombres comme ils devraient, Robert Jenkins, directeur par intérim de l’USAID/Haïti ainsi que l’AID/OTI, a écrit ceci :
« L’objectif stratégique de l’OTI en Haïti a été et est de favoriser la stabilisation dans un environnement changeant et volatil. Le premier moyen (tactique) pour parvenir à cette fin a été l’embauche une quantité de travailleurs et l’enlèvement des gravats. Les hypothèses sous-jacentes à cet égard sont les suivantes : (1) les travailleurs (en particulier les jeunes hommes) sont moins susceptibles de recourir à la violence s’ils ont un emploi ; (2) Les infusions d’argent comptant dans les quartiers les plus pauvres auraient probablement un effet salutaire ; (3) L’enlèvement des gravats, toujours dans les quartiers les plus pauvres, a été hautement symbolique, car cela a offert l’espoir de retour vers une certaine forme de normalité. »
Jenkins a également noté que les programmes étaient « clairement marqués en tant qu’initiative du gouvernement du Haïti. » Cela signifie qu’objectivement, dans une année électorale, ils soutiennent le parti au pouvoir et son candidat, Jude Célestin.
Sans surprise, il y a eu des affrontements en rapport avec CFW dans certains quartiers, incluant des affrontements entre les travailleurs apparemment pro-Célestin et les partisans des autres candidats qui ont dit qu’ils ont été exclus des programmes d’emploi. Un groupe de manifestants a scandé à la fin du mois d’octobre : « Cash for Work, c’est Cash for Vote ! »
Cash for Work fonctionne…
Ainsi, dans le long terme ... les programmes CFW en Haïti « empêchent(-ils) la révolution » et « sauvent(-ils) le capitalisme » ?
Certes, en Haïti il n’y a pas eu le genre de grandes manifestations comme celles qui ont eu lieu au Mexique après le tremblement de terre de 1985. Des milliers de personnes n’ont pas attendu deux semaines après cette catastrophe dévastatrice, pour défiler dans les rues et faire en sorte que leurs demandes de logements décents soient entendues.
Peut-être l’effet de « stabilisation » est une des raisons pour lesquelles le gouvernement haïtien demande aux agences et aux ONG de poursuivre et même de renforcer leurs programmes ?
Une ébauche d’un document élaboré par le gouvernement haïtien sur le CFW ne mentionne pas cette raison. Il prétend plutôt que les emplois CFW vont « relancer l’économie », « améliorer la sécurité alimentaire », « assainir l’environnement » et « relancer la production alimentaire. »
Cependant, comme l’enquête de AKJ, l’étude de 1997 et d’autres travaux ont montré, que les programmes de CFW ne contribuent, dans le long terme, à aucun de ces objectifs. Mais l’histoire montre qu’ils ne sont pas un gaspillage total d’argent non plus. [akj apr 10/11/2010 00 :30]
…………..
* « Ayiti Kale Je » (http://www.ayitikaleje.org/) est une initiative de partenariat médiatique en vue d’assurer des investigations journalistiques sur la reconstruction d’Haïti suite au séisme dévastateur qui a frappé le pays et fait 300.000 morts et autant de blessés.
Le Groupe Médialternatif est un des partenaires de cette initiative, à travers son agence multimédia AlterPresse (http://www.alterpresse.org/), avec la Société pour l’Animation de la Communication Sociale (SAKS - http://www.saks-haiti.org/). Deux réseaux participent également : le Réseau des Femmes Animatrices des Radios Communautaires Haïtiennes (REFRAKA) et l’Association des Médias Communautaires Haïtiens (AMEKA), qui est composé de stations de radios communautaires à travers le pays.
https://www.alainet.org/es/node/145444
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