« Argent contre travail » ou « argent pour faire passer le temps » ?
Effets pervers du « Cash-for-work »
10/11/2010
- Opinión
Enquête
Dans le cadre du partenariat médiatique « Ayiti Je Kale »*, dont AlterPresse fait partie
P-au-P., 10 nov. 2010 -- Les journalistes d’Ayiti Kale Je - à Port-au-Prince et dans cinq stations de radio communautaires à travers le pays - ont interrogé le personnel du Cash-for-Work (CFW), les économistes et les travailleurs humanitaires, et ont analysé les documents provenant d’organisations non gouvernementales [1] (ONG) et agences impliquées dans la mise en œuvre des programmes CFW et Food-for-Work (FFW).
Ayiti Kale Je a constaté que la plupart des travailleurs étaient heureux d’avoir un emploi CFW. Les journalistes ont également trouvé des exemples de corruption et de mauvaise gestion :
• Une équipe de travail a été gérée par un chauffeur de taxi moto qui était le cousin du « leader paysan » et cette équipe avait au moins un travailleur agé de moins de 18 ans. (Perèy)
• Dans au moins deux régions, des travailleurs ont signalé qu’ils ont été obligés de donner une partie de leur éventuel salaire (500 et 1.500 gourdes) en échange de travail CFW. (Perèy et Carrefour-Feuilles)
• Fréquemment, les équipes de travail ont moins de travailleurs qu’elles sont censés avoir, elles ne travaillent pas, et souvent ne respectent pas les horaires. (Port-au-Prince et autres endroits)
• Un candidat sortant du parti au pouvoir, Inite, contrôle l’embauche de travailleurs CFW pour plusieurs équipes. (Léogane)
Mais d’autres résultats de l’investigation Ayiti Kale Je - liés aux effets de la CFW - sont plus frappants que ces exemples de corruption.
Certains effets peut-être inattendus
1 – Banalisation de la notion de « travail »
Les programmes CFW sont honteusement sous-productifs et même non-productifs. Un coordonnateur étranger de CFW les a appelé « Cash for ne rien faire ».
Ce phénomène n’est pas propre à Haïti. Aux États-Unis, même si de nombreux programmes de WPA [lien] ont produit des infrastructures durables et employé des centaines d’écrivains et artistes, le WPA a également eu des surnoms tels que "We Piddle Around" (“Nous pissons partout”) et "Whistle, Piss et Argue gang » (“Equipe de Siffler, Pisser et Jurer”) parce que ces équipes de voirie n’étaient pas toujours productives.
Des économistes haïtiens et quelques responsables de CFW sont préoccupés par les effets à long terme des programmes CFW.
« Je crains que nous créons peut-être une mauvaise éthique de travail, parce que je pense que vous voyez beaucoup d’équipes de CFW dans toute la ville et le pays, et si vous regardez bien, les équipes de travail ne sont pas nécessairement au travail », a déclaré Deb Ingersoll, coordonnateur CFW pour American Refugee Committee. « Je crains que nous offrons ... une image du travail qui n’est pas nécessairement celle du vrai labeur."
L’économiste haïtien Camille Chalmers est d’accord.
« Ils savent qu’ils gagnent de l’argent en faisant quelque chose qui n’est pas vraiment le travail. Ils sont très conscients de cela. C’est clair quand vous voyez des gens travaillant sur les tas de décombres. Ils ramassent un bloc ou une roche... cela crée une sorte de déformation dans les têtes des gens sur ce que le travail devrait être », explique Chalmers à Ayiti Kale Je.
2 - Miner la légitimité du gouvernement et permettre aux ONG et agences étrangères de prendre sa place
Déjà dans son rapport sur les efforts de secours au cours des premiers six mois http://www.interaction.org/document... en Juillet, Inter-Agency Standing Committee des Nations Unies a noté que les programmes CFW, où les travailleurs portent souvent des tee-shirts avec les logos d’ONG, pourrait miner « la légitimité du gouvernement. »
Dans les entretiens à la capitale et en province, AKJ a remarqué un mépris croissant pour le gouvernement (bien que, pour être juste, ce mépris est antérieur au 12 Janvier) avec une attente grandissante que les besoins fondamentaux et les services peuvent et doivent être pris en charge par des ONG étrangères plutôt que le gouvernement.
« Notre avenir repose sur les ONG ! Nous ne pouvons pas compter sur le gouvernement. Si c’était pour le gouvernement, nous serions déjà morts. Aucun responsable de l’Etat n’est jamais venu ici », a déclaré François Romel, un responsable de CFW dans le camp Terrain Acra, à la capitale, qui abrite 5.000 familles. « Essentiellement, nous n’avons pas un gouvernement dans ce pays. »
« Quel que soit le programme qui nous arrive, nous y participerons », a déclaré Pierre Wilson, président de l’Association Paysanne Perèy, qui exécute un programme de 600 emplois pour Mercy Corps. « Si ses travaux, et nous sommes payés, nous allons le faire ... Je pense que ces emplois devraient être permanents. »
Ces attitudes sont « très préoccupantes », a noté Chalmers.
« Ce système de « l’économie humanitaire » ou « l’économie d’urgence »... est en train de verrouiller le pays dans une « approche humanitaire » et une dépendance à l’aide ...
Il y a un décalage croissant entre ce que les gens pensent qu’ils peuvent faire en tant que citoyens, parce que de plus en plus de rôles sont joués par les ONG et les acteurs internationaux dans tous les domaines ... Ceci légitimise également la présence d’acteurs internationaux dans tous les domaines. »
Et c’est peut-être un résultat recherché, selon Chalmers.
« Regardez le rapport Collier », a t-il noté.
Chalmers a ainsi fait allusion à Haiti : From Natural Catastrophe to Economic Security, écrit pour l’ONU par l’économiste Paul Collier en 2009. Ce rapport énonce les grands axes des programmes mis en œuvre en Haïti après le 12 Janvier.
Collier recommande que les ONG et le secteur privé fournissent des services de santé de base et d’éducation parce que « l’amélioration des services publics n’est pas une solution viable : les problèmes du secteur public sont profonds et il n’est pas réaliste de s’attendre à ce qu’ils puissent être résolus rapidement. »
Un document plus récent de la RAND Corporation, un consultant habituel du Département d’Etat américain, fait la même recommandation. [akj apr 10/11/2010 00 :30]
…………..
* « Ayiti Kale Je » (http://www.ayitikaleje.org/) est une initiative de partenariat médiatique en vue d’assurer des investigations journalistiques sur la reconstruction d’Haïti suite au séisme dévastateur qui a frappé le pays et fait 300.000 morts et autant de blessés.
Le Groupe Médialternatif est un des partenaires de cette initiative, à travers son agence multimédia AlterPresse (http://www.alterpresse.org/), avec la Société pour l’Animation de la Communication Sociale (SAKS - http://www.saks-haiti.org/). Deux réseaux participent également : le Réseau des Femmes Animatrices des Radios Communautaires Haïtiennes (REFRAKA) et l’Association des Médias Communautaires Haïtiens (AMEKA), qui est composé de stations de radios communautaires à travers le pays.
[1] Le terme « organisation non-gouvernementale » est impropre parce que, dans plusieurs cas, ces organisations reçoivent des dons et des contrats de la part des gouvernements étrangers. Cependant, puisque les travailleurs CFW utilisent ce terme, AKJ le reprend ici.
https://www.alainet.org/es/node/145443
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