La renaissance politique des amérindiens et l’altermondialisme
- Opinión
L’un des phénomènes marquants du Sommet des peuples qui s’est tenu à Lima du 13 au 16 mai
Ce Sommet était organisé par ENLAZANDO ALTERNATIVAS, réseau d’organisations altermondialistes euro-latino américaines, en parallèle au Sommet des chefs d’États de l’Union européenne et l’Amérique latine, pour présenter un regard critique sur les politiques néolibérales libre-échangistes de l’UE et proposer une autre vision des échanges entre l’Europe et l’Amérique Latine.
On peut se demander pourquoi tant d’organisations indigènes ont jugé important d’intervenir dans des ateliers ou de présenter des cas de violations de droits devant le Tribunal Permanent des Peuples qui tenait session durant cette Rencontre internationale. On peut noter également que cette affluence exceptionnelle d’Amérindiens, paysans et mineurs survient en ce printemps 2008 où éclate sur la scène mondiale, le scandale de la faim, où les dirigeants néolibéraux eux mêmes reconnaissent l’aggravation de la faim dans le monde et pour certains, avouent que le libre-échange et le système agro-exportateur entraînent la destruction des cultures vivrières et ne permettent pas de nourrir tous les habitants de la planète.
Mais cette présence massive du monde paysan à Lima face à l’aréopage des tenants du néolibéralisme, coïncide aussi avec une décision du gouvernement du Pérou qui fait violence aux droits des peuples autochtones reconnus, au moins formellement depuis la conquête espagnole ; le droit à l’administration de leurs territoires ancestraux, territoires inaliénables appartenant à une communauté, ne pouvant être privatisés. Le gouvernement péruvien par le décret 1015 autorise la vente de terres communales lorsqu’elle est approuvée par 51% des participants à une assemblée communale réunie sans exigence de quorum pour valider cette décision. Il s’agit clairement d’une argutie puisqu’on trouvera toujours une minorité qui se laissera convaincre par les avantages de la privatisation de terres .Il s’agit également d’une méthode pour diviser les communautés Indigènes. Il n’échappe à personne que cette perspective de privatisation concerne non seulement la terre comme sol agricole, ses forêts, sa biodiversité, mais plus encore, le sous-sol avec ses richesses minières. Il n’échappe à personne que les traités de libre-échange et les traités de protection de l’investissement et de protection de la propriété intellectuelle qui visent à assurer l’exploitation de ces richesses par les corporations transnationales, à leur seul profit, sont fondés sur la réappropriation privée de ces territoires ayant jusqu’ici un statut de res nullus ou de bien communal inaliénable.
On comprend donc que les populations autochtones du continent sentent menacées à la fois dans leur mode de vie ancestral, leur rapport à la terre, et leur vision du monde. Cette menace remonte à l’arrivée des conquérants européens il y a cinq cents ans, mais elle s’est brusquement aggravée avec la globalisation capitaliste et l’hégémonie du système néolibéral.
Certes, la dénonciation des méfaits de l’ajustement structurel néolibéral sur l’agriculture paysanne n’est pas nouvelle, elle remonte à plus de vingt ans avec la création du mouvement international Via Campesina (en France,
Quelle est la place de ce mouvement dans la recherche d’un autre monde possible ? En quoi son originalité peut-elle enrichir l’altermondialisme ?
Le Pachakuti de Abya Yala
La renaissance des Peuples originaires des Amérique est connue du grand public depuis les célébrations manquées du Ve Centenaire de la conquête des Amériques, le 12 octobre 1992. Les organisations amérindiennes ont alors refusé de participer aux célébrations conçues par le gouvernement espagnol et les gouvernements sud-américains. A l’inverse ces organisations ont affirmé leur volonté de mettre fin à cinq siècles d’humiliations et de prédation et annoncé le « Pachakuti » des civilisations autochtones. Le Pachakuti, terme de la langue kichwa, veut dire à peu près « renaissance ». Ces organisations dénoncent le nom qui a été donné à leur terre par les conquérants, « Amérique »,( emprunté au navigateur Americo Vespucci) et décident de le remplacer par le nom de ABYA YALA, que le peuple KUNA de Panama donne traditionnellement aux deux hémisphères du continent américain. Depuis lors, les réunions continentales s’intitulent « congrès de Abya Yala ». En toute logique, les peuples de Abya Yala refusent aussi le nom d’Indiens ou Amérindiens qui leur a été donné par les Européens, ils se revendiquent comme « les nations indigènes de Abya Yala », composées de centaines de peuples autochtones qui ont conservé leur nom leur langue et leur civilisation, malgré l’aculturation coloniale. En même temps qu’est adopté le nom Abya Yala en référence à l’espace continental tout entier, et aux événements concernant globalement cet espace, reviennent dans le champ politique les noms qui évoquent l’histoire et les civilisations régionales, dans les langues originelles, ainsi, l’empire que les européens ont désigné sous le nom d’Inca s’appelait le TAWANTINSUYO. Peu à peu à travers tout le continent s’instaure une nouvelle manière d’étudier les grandes civilisations, manière qui passe par la connaissance des langues originelles, langues qui traduisent des cadres de pensée. Désormais, les Indigènes des Amériques deviennent ethnologues des peuples de Abya Yala et sont engagés dans l’exploration de leur histoire en confrontant leur langue ancestrale avec la langue espagnole.
Cette confrontation des langues et des institutions politiques constitue la toile de fond du Pachakuti et par extension des événements politiques actuels comme l’élection d’Evo Morales en Bolivie.
Les organisations indigènes
Depuis le ratage de la « rencontre » du Ve centenaire, les Indigènes des Amériques ont crée dans chaque pays des organisations politiques qui sont devenues au cours de ces vingt ans des structures incontournables de la vie politique. Ainsi en Équateur,
demande l’adoption dans chaque pays andin d’un nouveau contrat social qui respecte l’autonomie et les modes d’organisation des peuples originaires demande une éducation bilingue et interculturelle pour favoriser des modèles de vie permettant l’autosuffisance alimentaire et un commerce juste .
demande la création de la confédération des peuples et nationalités du Tiwantansuyo et Abya Yala ;
réclame la reconnaisance de l’intagibilité des Territoires des Peuples indigènes ;
demande la refondation des Etats d’ Abya Yala en Etats plurinationaux ;
demande la mise en place d’assemblées constituantes dans lesquelles soient représentées les Ayllus (assemblées traditionnelles) directement sans passer par les partis politiques ;
demande aux instances internationales, ONU, IFI, OMC, CAN, Mercosur , de respecter les droits territoriaux, le patrimoine culturel et l’autonomie des peuples autochtones.
Dans cette déclaration on reconnaîtra bien des éléments de la première Déclaration lacandona du mouvement zapatiste en 1994. On y reconnaîtra le projet des nombreux autres mouvements indigènes qui se sont constitués dans chaque pays depuis 20 ans du Nord au Sud du continent Abya Yala. On est en présence d’une dynamique dans laquelle s’engagent des peuples numériquement petits ou grands, qui tendent à se confédérer ; ainsi les Lafken, gens de la mer, du sud du Chili ont-ils rejoint en septembre 2006 les 5 groupes composant la nation Mapuche.
Le troisième sommet continental des peuples de Abya Yala
Après la première Rencontre indigène continentale tenue à Teotihuacan en 2000, la deuxième qui a eu lieu à Quito en 2004, le troisième sommet d’Abya Yala a eu lieu à Tecpan au Guatemala a la fin mars 2007. En continuité avec les avancées politiques réalisées par le sommet de Quito, cette rencontre est aussi un nouveau pas dans la coordination des organisations indigènes de l’Amérique centrale et celle des pays andins. Le lieu choisi correspond au site d’ IXIMCHE, prestigieuse ville maya brûlée au 16e siècle par les conquérants espagnols. . Cependant, les descendants des peuples Mayas, Xinca et Garifuna, en accueillant les participants témoignait non seulement de leur survie mais de leur renaissance.
Le document qui conclut la 3e Rencontre des peuples de Abya Yala, s’intitule « Déclaration de Iximche » ; il a une valeur symbolique mais aussi pratique.
La déclaration introduite en langue nahualt réaffirme les fondements philosophiques de cette rencontre et la corrélation entre le « bien vivre » (le sumak kawsay) des peuples qui a pour fondement la dignité. Mais dans son ensemble elle a surtout un contenu politique ; elle invite les peuples indigènes à renforcer leur union avec les mouvements sociaux du continent et du monde pour combattre le néolibéralisme, elle invite à poursuivre la lutte contre les traités de libre-échange .Elle fait de ces luttes un préalable pour la défense du droit au territoire ancestral. Elle corrèle la revendication de la souveraineté alimentaire à la lutte contre l’agro- business et les transgéniques.
La déclaration se conclut par cette phrase « Nous rêvons de notre passé nous nous souvenons de notre avenir »
La déclaration de l’ONU sur les droits des peuples indigènes
Le 13 septembre 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies, au terme de 20 ans de débats difficiles, a adopté
La place des mouvements indigènes dans l’altermondialisme
Le 12 octobre 2007 qui a suivi la tenue du 3e sommet des peuples de Abya Yala au Guatemala a été
On reconnaît dans ce propos celui des penseurs modernes de l’écologie. En quoi la révolte des Indigènes contre le système néolibéral et leur revendication d’un mode de vie collectiviste peuvent ils enrichir la quête des altermondialistes ?
On ne peut ignorer bien sûr le hiatus philosophique entre la vision l’homme gréco biblique, l’homme seul oscillant entre la peur et la volonté de puissance et la vision de l’homme totalement solidaire d’une collectivité et en empathie avec la nature. Cette distance culturelle était déjà apparue au cours de la controverse de Valladolid en 1540 entre le dominicain Las Casas évêque du Chiapas et le juriste Gines de Sepulveda, représentant du pape , controverse qui portait sur le fait de savoir si les Indiens avaient une âme, ce que prétendait Las Casas. Les arguments de Sepulveda prouvant que les Indiens n’avaient pas d’âme étaient : ils ignorent la propriété privée de la terre ils ne thésaurisent pas l’or et en font des sculptures ils ignorent l’échange marchand.
Dans ce débat, si actuel, tout était dit de cette distance philosophique entre les deux civilisations.
Cependant, alors qu’à l’époque, les Espagnols avaient reconnu aux communautés indigènes des droits de propriété collective sur des territoires excentrés, les « resguardos », aujourd’hui on veut les en priver.
Il est évident que le capitalisme a aggravé la contradiction entre civilisation communautariste fondée sur la solidarité et civilisation marchande favorisant les rivalités inter individuelles, les droits sur la terre et les droits sur le territoire ont été rognés peu à peu, et le sont plus encore aujourd’hui .
Il est évident que la vision de la terre « la tierra es de todos o sea de nadie en particular » (la terre est à tout le monde et à personne en particulier) fait obstacle au système en vigueur, système aggravé par la notion de droits de propriété intellectuelle appliqués à des biens naturels vitaux. Il est évident que les modalités d’utilisation de la terre par les Indigènes dont l’objectif est l’obtention de la subsistance et non pas du profit financier, sont aussi en contradiction avec le système dominant. En outre, la pratique de la « minga » le travail collectif gratuit qui implique que la commune rurale est un lieu d’échange solidaire et de reproduction d’une culture étrangère à l’échange marchand ajoute une contradiction supplémentaire.
Enfin, les Indigènes de Abya Yala remettent en question le modèle de développement adopté par les tenants du système néolibéral, ils refusent le modèle productiviste qui implique notamment le saccage des ressources vitales de la planète .
Les Indigènes refusent, comme les autres mouvements anticapitalistes les méga-projets comme le Plan Puebla Panama ou le Plan IRSA. Le Plan Puebla Panama vise à créer de grands barrages en Amérique centrale et à réaliser une interconnexion énergétique de tous les pays de l’isthme en même temps que des zones franches et des ports destinés à l’exportation des ressources minérales ; tous les travaux étant supervisés par la banque mondiale et réalisés par les consortium internationaux de TP. Le même modèle de développement est projeté sous le nom de IRSA (Initiative pour l’intégration des infrastructures régionale sud- américaines), allant de l’Amazonie à l’Argentine, avec pour but de tirer partie du bassin aquifère guarani, le plus important du continent. On devine que ces mega-projets lancés par les décideurs internationaux ignorent la volonté des populations locales et sont étrangers à leur vision du monde ; c’est pourquoi ils sont combattus par les altermondialistes.
En résumé la vision des Indigènes repose sur la définition du rapport à la terre et du lien « Terre, Territoire et Dignité ». C’est là que leur projet rencontre le programme de Via campesina et du MST et du Grito de los Excluidos ; car les Indigènes sont aussi des paysans. La réforme agraire a pour objet non seulement de produire des cultures vivrières, mais de transformer le sens du travail, les rapports humains dans le travail et enfin de protéger la terre des dégradations pour la transmettre aux générations futures. Il ne s’agit pas seulement du mode juridique de tenure de la terre mais aussi de relations des êtres humains avec le sol, l’air et l’eau et tous les êtres vivants animaux et végétaux.
En somme le Indigènes ont toujours pratiqué une anthropologie écologique. Leur renaissance politique est un apport à la quête altermondialiste.
Source: ATTAC France: http://www.france.attac.org/spip.php?article8750