Vers le Forum social des Amériques : nouvelles formes de résistances et expériences alternatives
04/07/2004
- Opinión
Le Forum social des Amériques qui se tiendra du 24 au 30
juillet prochain à Quito aura été précédé de plusieurs
rencontres continentales et internationales dont la IVème
Conférence internationale de Via Campesina et la réunion du
Parlement Indigène des Amériques.
Le Forum des Amériques déroule ses travaux autour de 5 axes
thématiques : L'ordre économique ; la face violente du
néolibéralisme ; Pouvoir démocratie et Etat ; Cultures et
Communication ; Peuples indigènes et d'ascendance africaine. On
y tiendra un tribunal pour l'annulation de la Dette et on y
dénoncera les rapports entre la Dette et les traités de libre
échange. Mais, la véritable originalité du Forum des Amériques
sera d'être la vitrine des nouvelles luttes contre le
néolibéralisme et des expériences alternatives innovantes.
VERS LE FORUM SOCIAL DES AMERIQUES : NOUVELLES FORMES DE
RESISTANCE ET EXPERIENCES ALTERNATIVES
Le Forum social des Amériques qui se tiendra du 24 au 30
juillet prochain à Quito aura été précédé de plusieurs
rencontres continentales et internationales dont la IVème
Conférence internationale de Via Campesina et la réunion du
Parlement Indigène des Amériques.
Le Forum des Amériques déroule ses travaux autour de 5 axes
thématiques : L'ordre économique ; la face violente du
néolibéralisme ; Pouvoir démocratie et Etat ; Cultures et
Communication ; Peuples indigènes et d'ascendance africaine. On
y tiendra un tribunal pour l'annulation de la Dette et on y
dénoncera les rapports entre la Dette et les traités de libre
échange. Mais, la véritable originalité du Forum des Amériques
sera d'être la vitrine des nouvelles luttes contre le
néolibéralisme et des expériences alternatives innovantes.
C'est ce que laisse augurer l'évolution du mouvement paysan et
amérindien.
LE MOUVEMENT PAYSAN
Selon l'analyse du politologue uruguayen Raul Zibecchi, les
formes des luttes sociales en Amérique latine évoluent avec une
rapidité surprenante, en particulier dans le monde paysan :
l'approfondissement du capitalisme dans les aires rurales de
l'Amérique latine provoque des changements économiques,
politiques, sociaux et culturels. La culture du soja en
Argentine (2ème producteur mondial après les USA) a provoqué
entre 1991 et 2001 l'émigration de 33% de la population active
rurale, et lorsque le soja est cultivé de manière extensive il
laisse des séquelles dévastatrices tant pour la terre que pour
les hommes.
Au Brésil, l'agrobusiness (cultures industrielles
d'exportation) a augmenté considérablement en 2003, il
représente 42 % des exportations du pays avec 30 milliards de
dollars et le soja représente 25% des exportations agricoles.
Mais l'exportation des produits agricoles s'accompagne de
l'importation de produits alimentaires de base comme le riz,
les haricots, le maïs, le blé et le lait.
Selon Raul Zibecchi, le choix de l'agrobusiness par le
gouvernement de Lula est dicté par la nécessité de rembourser
la dette externe par le produit des exportations. L'analyste
voit là un piège du fait que ce choix déséquilibre l'apport
alimentaire interne et qu'en outre l'agrobusiness est dominé
par les compagnies transnationales: Nestlé, Monsanto, Cargill,
Bunge, Bayer qui maîtrisent à la fois le marché des
exportations de produits de base et les importations de
produits élaborés.
Aussi les dirigeants du MST (Mouvement des sans-terre) doivent-
ils adapter leur stratégie de lutte aux nouvelles conditions
d'exploitation de la terre par des entreprises capitalistes
hautement mécanisées utilisant des semences transgéniques, des
fertilisants et pesticides produits par leur propre
corporation. Ces compagnies d'agrobusiness s'installent sur ce
qui étaient des latifundios improductifs. Ceci signifie
qu'aujourd'hui le MST se trouve face à un nouvel adversaire; il
ne s'agit plus de fonder la revendication de la terre sur la
base du caractère improductif du latifundio mais sur la base de
la critique du type de production. Il s'agit de mettre en
question le fait que la production dirigée vers le marché
international ne répond pas aux besoins essentiels du marché
national. Le MST est donc amené à revendiquer une agriculture
assurant l'autosuffisance alimentaire et une organisation de la
vie paysanne dans la dignité. Désormais le MST se dresse contre
les compagnies d'agro business qui ne produisent ni des
aliments ni des emplois et qui de plus absorbent des
subventions de l'Etat. On mesure la puissance de cet adversaire
à travers l'exemple du Pontal do Paranapanema dans l'Etat de
Sao Paolo où les paysans sans terre ont mis 10 ans pour
récupérer 100,000 hectares, alors que les compagnies
d'agriculture industrielle ont mis à peine 2 ans pour planter
100 000 hectares de soja.
Ainsi s'ouvre une nouvelle ère de la guerre des paysans. C'est
bien ainsi que l'entend la IVème conférence internationale de
VIA CAMPESINA.
DECLARATION FINALE DE LA IV CONFERENCE INTERNATIONALE DE VIA
CAMPESINA
L'organisation Via Campesina, fondée en 1994 à Mons, en
Belgique, a tenu sa deuxième conférence internationale à
Tlaxcala au Mexique en 1996, la 3ème à Bangalore en Inde et a
réalisé à Sao Paolo sa 4ème rencontre internationale. Elle a
réuni 400 délégués de 76 pays qui ont, en préambule, rendu
hommage à Lee Kuong-Hae, le paysan coréen qui s'est immolé à
Cancun le 10 septembre 2003 pour protester contre les menaces
que l'OMC fait peser sur les paysans du monde entier. Ils ont
évoqué le suicide des paysans victimes de l'endettement forcé
auprès des compagnies qui leur vendent semences, fertilisants
et pesticides. Ils ont évoqué les déplacements massifs et
forcés de paysans et la disparition dramatique des
exploitations paysannes dans les pays développés.
La déclaration officielle dénonce :
- La concentration de la propriété de la terre et la
destruction de l'environnement par les cultures industrielles,
- le rôle négatif des IFI mais aussi de la FAO qui vient
d'apporter son appui aux cultures transgéniques,
- les traités de libre échange qui ont pour objectif de
maximiser les profits des compagnies transnationales,
- la criminalisation de la protestation sociale.
La Déclaration affirme que:
- Le maintien d'une agriculture paysanne est essentiel pour
vaincre la faim et la pauvreté,
- l'agriculture paysanne est essentielle pour assurer la
sécurité et la souveraineté alimentaire,
- l'autonomie de l'agriculture paysanne exige la protection des
semences natives et le rejet absolu des cultures transgéniques,
- la réforme agraire est nécessaire à la réalisation d'une
agriculture paysanne. Via Campesina s'engage à élaborer une
charte internationale des droits des paysans
L'intervention magistrale du dirigeant du MST Jao Pedro Stedile
a mis en exergue la nouveauté qui affecte l'agriculture : sa
subordination au capital financier international qui se
concentre sur une dizaine de grandes compagnies comme Monsanto,
Cargill ou Nestlé qui se partagent la production la
commercialisation, les semences, les agro toxiques et l'agro-
industrie.
Pour assurer l'accroissement de leurs parts de marché et de
leurs profits ces entreprises monopolistiques tendent à imposer
un modèle alimentaire unique par l'effacement forcé des
spécificités liées à chaque culture. Jao Pedro Stedile affirme
que le capital ne se contente plus d'exploiter le travail ou de
s'approprier la terre, il s'approprie les connaissances (par
les brevets sur les savoirs traditionnels), les semences (par
le système de contrôle de la reproduction) et enfin les
consciences (par la manipulation propagandiste).
Ce renouvellement des résistances paysannes mondiales présente,
en Amérique Latine, une configuration spécifique qui intègre
revendications paysannes et revendications culturelles
historiques des peuples amérindiens et Afro-américains. C'est
ce qui ressort de la « Rencontre internationale de résistance
et solidarité paysanne et indigène » tenue à Caracas du 11 au
13 octobre 2003.
Les leaders du mouvement amérindien et paysan des Andes : le
bolivien Evo Morales, l'équatorienne Blanca Chancoso, le
Hondurien Rafael Alegria, le guatémaltèque Juan Tiney, et le
brésilien Edigio Brunetto sont venus apporter leur appui à la
réforme agraire en cours au Venezuela. Blanca Chancoso, membre
important de la CONAIE (Confédération des nationalités
indigènes d'Equateur) rappelle que « la terre est notre mère et
ne peut être vendue », c'est elle qui garantit la vie des
peuples. Rafael Alegria suggère de combattre l'ALCA en lui
opposant, l'ALBA (Alternativa bolivanaria de los pueblos),
c'est a dire un projet né au Venezuela, qui tourne le dos au
modèle agro exportateur, et se fixe pour priorité, de répondre
aux besoins essentiels des populations indépendamment des lois
du marché néolibéral.
Evo Morales rappelle que les peuples amérindiens ne
reconnaissaient pas d'appropriation privée de la terre. La
terre chez les Amérindiens était exploitée collectivement car
la société indigène fonctionne sur la base de la solidarité et
de la réciprocité dans la distribution des biens. C'est
également ce qui ressort du Manifeste du Forum Andin publié à
Lima le 23 octobre 2003 en conclusion du 2ème Forum Andin qui a
rassemblé les mouvements paysans , indigènes et descendants
d'africains, provenant de Colombie, Equateur, Pérou, Bolivie et
Venezuela.
Le Manifeste déclare que:
- Les politiques néolibérales ont aggravé la crise agraire et
la pauvreté des peuples andins.
- Le modèle néolibéral est épuisé et que pour se protéger il
est amené à restreindre les espaces démocratiques et à
favoriser des régimes autoritaires.
- Les peuples andins doivent répondre en forgeant des
alternatives sachant puiser des enseignements dans nos cultures
ancestrales.
Le Manifeste conclut :
- Nous affirmons la primauté de la sécurité alimentaire de nos
peuples sur toute règle commerciale. Nous déclarons que
l'agriculture fait partie du patrimoine de nos peuples et nous
nous engageons à protéger nos semences et notre bio diversité.
- Nous revendiquons la sécurité juridique du territoire des
communautés paysannes et indigènes et l'application de
politiques différenciées qui aient pour objectif d'assurer le
bien être et le progrès de ces communautés de petits
producteurs.
- Nous revendiquons pour chaque pays de l'aire andine le droit
de protéger ses productions nationales alimentaires et nous
rejetons les politiques de dumping appuyées par l'OMC.
- Nous demandons une politique andine de protection des
produits essentiels.
Nous refusons la privatisation de l'eau et de nos ressources
énergétiques.
REUNION DU PARLEMENT INDIGENE DES AMERIQUES. P.I.A.
A Quito, en Equateur, s'est tenue du 2 au 5 juin dernier, la
XVIIème Assemblée du PIA composée de parlementaires et de
leaders Amérindiens de 21 pays d'Amérique latine. Les 100
délégués ont travaillé sur le projet de Déclaration
interaméricaine des droits des peuples indigènes. Le président
du PIA, le député équatorien Ricardo Ulcuango, a déclaré qu'il
est temps que l'OEA (Organisation des Etats américains) prenne
conscience des droits des peuples originaires à administrer
librement leurs territoires et à légiférer en concordance avec
leurs cultures ancestrales. Le leader bolivien Evo Morales a
rappelé que 62% des boliviens sont Aymara, Kechwa ou Guarani,
et qu'ils revendiquent un gouvernement répondant à leur
tradition de démocratie communale. Le parlement, qui s'est
réuni à la veille d'une assemblée de L'OEA, a dénoncé la
présence à Quito de Robert Zoellick le secrétaire au commerce,
aux côtés de Colin Powell, symbole de l'intromission des Etats
Unis et de l'imposition des traités de libre échange qui, aux
yeux des députés amérindiens, constituent une nouvelle
stratégie de consolidation de l'ancienne colonisation.
LES STRATÉGIES DE RESISTANCE
Il ressort de ces diverses assemblées que les principes et les
programmes énoncés par ces organisations paysannes et
amérindiennes sont à l'évidence en totale contradiction avec le
programme néolibéral mis en ouvre depuis 20 ans en Amérique
latine.
Pour l'essentiel, ces contradictions semblent irréductibles.
Reste à savoir si par leur nature et leur ampleur ces
mouvements peuvent déboucher sur un projet politique allant par
delà les soulèvements comme celui d'octobre 2003 qui avait
chassé Sanchez Lozada de la présidence de Bolivie. En tout cas,
des visions politiques nouvelles sont en gestation à partir de
nouveaux clivages sociaux et sur la base d'une critique lucide
du néolibéralisme.
Les principes énoncés par Via Campesina, organisation des
paysans du monde, sont en convergence avec les principes qui
inspirent les revendications sociales et culturelles des
Amérindiens de l'ensemble du continent, revendications qui ont
été formalisées et sont devenues enfin audibles en 1992 à
l'occasion des 500 ans de la conquête de l'Amérique par les
européens. Les organisations amérindiennes revêtent toutes le
caractère d'organisations paysannes car elles mettent en avant
le rapport à la terre.
La terre comme source de vie c'est à dire la terre -nature qui
demeure après que l'homme soit passé et qui doit accueillir les
générations suivantes. L'idée que les hommes ne sont
qu'usufruitiers et non propriétaires de la terre, inspire non
seulement les modes traditionnels d'organisation sociale des
amérindiens mais aussi certaines formes actuelles de gestion
par lesquelles les paysans se protègent du désastre causé par
le néolibéralisme.
Ainsi, à Brasilia, au début du mois de mai dernier, la
Pastorale sociale et des ONG ont lancé la « Quatrième semaine
sociale » qui propose: « Mutirao por un nuevo Brasil ». «
Mutirao » signifie travail collectif, coutume de paysans qui
s'entraident pour les semailles, les récoltes ou la
construction d'une maison. Au cours d'une semaine, les
participants ont analysé la crise sociale, le rôle de l'Etat
face à la Dette publique et au libre -échange. Ils ont conclu
le séminaire par une « adresse au peuple brésilien » qui
propose de construire un projet politique propre à un pays
souverain. Ils appellent la société civile à se mobiliser pour
construire des alternatives fondées sur la solidarité et
demandent de réactualiser le mutirao.
Le mutirao fait justement écho à la Minga (travail collectif
solidaire) qui est l'alternative proposée entre autre par la
CONAIE en Equateur, le PACHAKUTI en Bolivie ou la CONAMURI au
Paraguay. Ces deux termes ne sont pas le produit d'une vision
passéiste de l'organisation socio-politique, ils sont l'emblème
du refus de la primauté du profit individuel sur le bien
collectif prôné par le système néolibéral.
Les paysans des Andes, qui sont pour la plupart indiens ou
métis, victimes du système agro exportateur voient dans les
modes d'auto-organisation des collectivités des alternatives à
un système insupportable. C'est également ce que font les
paysans sans terre du MST lorsqu'ils réussissent à créer un
asentamento sur une terre récupérée.
Ces inventions de modes inédits d'organisation sociale qui sont
dictées par la nécessité de survivre puisent leur inspiration
dans la longue histoire des vaincus qui ont gardé la mémoire de
leurs luttes.
Outre le monde paysan, l'univers urbain a vu naître récemment
les inventions sociales qui toutes font écho au mutirao et à la
minga.
L'Argentine victime du désastre néolibéral est devenue
laboratoire de l'invention sociale : 150 usines récupérées
autogérées, des centaines d'écoles et de cantines populaires.
Le dernier événement emblématique de la résistance et de
l'inventivité des peuples vaincus s'est produit le 3 mai
dernier dans la grande banlieue pauvre de Buenos Aires :
l'ouverture par un groupe de « piqueteros » d'une école
primaire construite par eux mêmes. C'est l'école de La Juanita.
Ces chômeurs vivant dans un bidonville se sont auto-organisés;
ils ont monté une boulangerie, un atelier de couture et de
sérigraphie qui leur permettent juste de survivre. Aujourd'hui,
face à la totale incurie de l'Etat en matière d'éducation ils
ont créé une école. Ceci symbolise la volonté de diffuser un
savoir qui ne sera peut-être pas toujours le véhicule du
néolibéralisme.
LES ENTREPRISES RECUPERÉES AUTOGEREES
Durant les années 90, un grand nombre de patrons ont fermé
brutalement leur entreprise sans préavis et souvent en
emportant machines et documents et oubliant de verser les
salaires. Dans quelques cas, les salariés ont courageusement
décidé de faire fonctionner l'usine ou l'atelier. Ils ont
affronté mille périls, en particulier les procès intentés par
les patrons.
Qu'auraient pu faire ces travailleurs, vu la carence de l'Etat
ajoutée à l'irresponsabilité des patrons : assumer un défi, le
conflit entre le droit de propriété privée et les droits
humains , droit au travail, droit à la vie. En somme, ces
travailleurs urbains se trouvaient brutalement placés dans la
même situation que les travailleurs ruraux du Brésil qui, à la
fin des années 70, commencèrent à occuper les latifundios
inexploités, posant l'emblée le principe du caractère non sacré
de la propriété de la terre. Par leur courage, ils parvinrent à
créer le MST en 1984 et à poser officiellement le principe de
la primauté du droit à la vie sur le droit de propriété.
Aujourd'hui 150 entreprises auto gérées fonctionnent, et font
vivre quelques milliers de travailleurs argentins. Leurs
membres sont solidaires, en somme ils pratiquent eux aussi le
mutirao et la minga des amérindiens.
Ces initiatives, en contradiction totale avec les fondements du
néolibéralisme, sont un défi aux idées dominantes du moment. Ce
défi nourrit l'espoir de millions de victimes de ce système.
Par leurs luttes et l'invention de nouvelles formes
d'organisation sociale, ces résistants prouvent qu'il est
possible de s'opposer au cours des choses pour parvenir un jour
à l'inverser. Ils sont convaincus que le néolibéralisme n'est
pas la « fin de l'histoire ».
(Denise Mendez, membre de la Commission internationale
d'Attac France)
COURRIEL D'INFORMATION ATTAC (n°476), mercredi 07/07/04
https://www.alainet.org/es/node/110219