214ème anniversaire de la Cérémonie du Bois Caïman
Les paysans s’insurgent contre la dépendance alimentaire
22/08/2005
- Opinión
Plus de 300 paysans venant des départements du Sud, de l’Ouest, des Nippes, du
Centre et de l’Artibonite se sont rassemblés le 22 août 2005 à la Petite
Rivière de l’Artibonite (Nord), à l’occasion du 214ème anniversaire de la
cérémonie du Bois Caïman, a constaté AlterPresse.
Bois Caiman (nord) abrita une cérémonie nocturne, qui permit aux esclaves de
se concerter en vue du lancement de la guerre de l’indépendance d’Haïti
(première république noire), qui fut colonie française.
Par leur rassemblement à Petite Rivière de l’Artibonite en cette date
charnière, les paysans voulaient discuter de l’avenir de la production
nationale, particulièrement le riz et dénoncer du même coup l’envahissement du
marché national par le riz des Etats-Unis, la politique néo-libérale du Fonds
Monétaire International (FMI), la mise à l’écart du secteur paysan dans les
affaires d’Haïti.
L’entrée en vigueur en Haïti à partir du 1er janvier 2006 de l’accord de la
Zone de Libre Echange des Amériques (ZLEA), regroupant 34 pays du continent
américain à l’exception de Cuba, a été également dénoncée par les paysans,
convoqués par le Mouvement de Revendications des Paysans de l’Artibonite
(MOREPLA), le Réseau des Associations Coopératives de Commerce et de
Production Agricole du Bas-Artibonite (RACPABA) et la Plate-forme Nationale
des Organisations Paysannes Haïtiennes (PLANOPA).
Production agricole en voie de disparition
« A l’heure actuelle, la production agricole dans le département de
l’Artibonite est en voie de disparition. Pas de canaux d’irrigation, ni de
drainage. Le marché des engrais est aux mains des bourgeois et les paysans ont
besoin de 100 à 200 gourdes pour acquérir un sac d’engrais », s’est indigné
Assancio Jacques du MOREPLA. Il a affirmé que l’Etat laisse le marché aux
commerçants étrangers qui inondent le pays avec de riz importé des Etats-Unis
au détriment de la production nationale.
Le département de l’Artibonite produisait en 1985 environ 200 mille tonnes de
riz. A l’époque, l’Organisation pour le Développement de la Vallée de
l’Artibonite (ODVA) encadrait les paysans et leur fournissait des moyens
adéquats. Selon les paysans, l’ODVA a failli aujourd’hui à sa mission et cède
le pas à une compagnie américaine de sous-traitance dénommée T&S Rice S. A.
Cette compagnie engage seulement 300 ouvriers haïtiens, tandis que la
production de riz engage en moyenne, dans l’Artibonite, 80 mille producteurs,
28 mille ouvriers agricoles, 800 mille marchands de riz et 400 propriétaires
de moulins.
Les participants au rassemblement du 22 août, qui déclarent n’être pas en
mesure de concurrencer le riz américain, appellent les autorités haïtiennes à
se ressaisir en vue de couper court à cette pratique qui ne fait que conduire
le pays dans l’abîme en détruisant totalement la production nationale.
« Non à la ZLEA, non à la politique néo-libérale, non à l’occupation du marché
haïtien par la compagnie T&S Rice, oui à une réforme agraire équitable, vive
la production nationale, vive le riz de l’Artibonite », ont scandé en cœur les
paysans, paysannes et cadres intervenant dans le secteur.
« Il est temps que les classes paysannes se prononcent sur les grandes
décisions concernant la nation. C’est pour cette raison que nous joignons nos
forces en ce 22 août pour défendre la production nationale, défendre la
dignité du pays pour assurer l’avenir de nos enfants », ont-ils déclaré.
La terre doit appartenir à ceux qui la cultivent
Le coordonnateur de la PLANOPA, Vilfranc Cénaré, a fait remarquer que les
paysans haïtiens sont toujours mis au rancart, traités en parents pauvres
alors qu’ils représentent le poumon de l’économie nationale. Cénaré, qui peine
jusqu’ici à comprendre la dichotomie ville/campagne ou paysan/citadin,
persistant en Haïti depuis 1804, a estimé que ce secteur est le plus exploité
du pays.
« Le paysan haïtien au même titre que les autres couches de la société
haïtienne vit des produits importés. Il n’y a pas de sécurité alimentaire, la
production agricole est négligée et les Haïtiens sont en proie à toutes sortes
de maladies, en raison du fait qu’ils consomment des produits à base
d’organisme génétiquement modifié (OGM) », a déploré le responsable de la
PLANOPA.
« Nous les paysans, qui représentons 80% de la population, nous décidons
aujourd’hui de divorcer d’avec nos pratiques de division. Nous devons
constituer dès à présent une force sociale afin de rebâtir notre chère Haïti
et nous sommes conscients du rôle historique que nous devons jouer dans la
lutte pour le changement de ce pays », a-t-il poursuivi.
« Il n’y a pas de paysans sans terre et la terre doit appartenir à ceux qui la
cultivent. Nous devons nous unir pour réclamer nos droits de participer à la
gestion de notre pays et exiger de l’Etat une réforme agraire équitable », a-
t-il ajouté.
Le problème irrésolu de la réforme agraire
Le dirigeant du Mouvement des Paysans de Papaye (MPP), Chavannes Jean
Baptiste, a quant à lui, estimé que la question agraire demeure l’un des
problèmes majeurs du pays dont la solution tarde à venir. Cette question, a-t-
il précisé, fut soulevée par l’empereur Jean Jacques Dessalines lors de la
vérification des titres de propriétés et conduisit à son assassinat le 17
octobre 1806.
Le problème de la répartition des terres existe donc depuis 1804 avec la
fragmentation de la société en grandons et petits propriétaires terriens. Ce
morcellement a largement contribué à la dégradation de l’environnement
national. Selon Chavannes Jean Baptiste, après l’indépendance, la population
haïtienne était composée de 500 mille habitants et à cette époque, la réforme
agraire était beaucoup plus facile. Toutefois, a-t-il dit, la division, les
querelles sans grandeur ont servi d’obstacles à la résolution une fois pour
toute du problème de la répartition des terres.
Pour remédier à cette situation, Jean Baptiste a proposé une réforme agraire
qui ne sera pas consacrée à la distribution de terres aux paysans, mais à la
mise en place de coopératives incluant tous les intervenants du secteur.
« Le plan de la mort »
Un autre intervenant, le professeur Camille Chalmers, a passé en revue la
politique néo-libérale. Selon le responsable de la Plate-Forme Haïtienne pour
un Développement Alternatif (PAPDA), l’application de cette politique a
commencé dans les années 1980 avec le Plan Américain pour Haïti.
L’économiste a fait savoir que l’un des objectifs du plan néo-libérale, qu’il
qualifie de « Plan de la mort », est de dévaluer la monnaie nationale. Le FMI
souhaite une décote de la monnaie nationale jusqu’à 50 à 60 gourdes pour un
dollar, a affirmé Chalmers.
« Avec cette décote de la gourde haïtienne, les investisseurs étrangers auront
la possibilité de trouver la main-d’œuvre a meilleur marché en Haïti », a-t-il
souligné.
Selon Chalmers, le paysan haïtien et les petits entrepreneurs n’ont pas accès
au crédit, le milieu rural n’est pas une priorité pour les autorités étatiques
haïtiennes et l’infime partie du budget national allouée à ce secteur est
captée par les grandes entreprises.
Le commerce extérieur a également contribué au dépérissement de l’économie
nationale, car, a ajouté l’économiste, son taux d’importation est beaucoup
plus élevé que son taux d’exportation.
« L’introduction massive de riz importé sur le marché local, la politique néo-
libérale du FMI, du Département d’Etat et de la Banque Mondiale menacent la
vie des producteurs de riz de l’Artibonite et du peuple haïtien en général »,
a martelé le dirigeant de la PAPDA.
Le rassemblement du 22 août a été, par ailleurs, l’occasion pour participants
et organisateurs de renouveler leurs critiques contre le Cadre de Coopération
Intérimaire (CCI). Selon eux, le secteur paysan n’est pas pris en compte dans
ce plan concocté par la communauté internationale pour la reconstruction
d’Haïti.
- Djems Olivie, Pte. Riv. Artibonite/ AlterPresse
https://www.alainet.org/es/node/112806
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