Forum Social Mondial 2013 - le succès d'une méthode
03/06/2013
- Opinión
Article publié en espagnol dans la revue Revista América Latina en Movimiento No. 484: Foro Social Mundial: Momento de replanteamientos? 06/02/2014 |
On m'a demandé de faire le bilan du processus FSM, après douze ans d'existence. Je ne peux pas présenter une liste de ce qui s’est passé au cours de ces années, ce qui serait même fastidieux. Ni analyser en quelques pages les différents moments du processus, avec la réalisation - maintenant à chaque deux ans – des rencontres mondiales plus grandes ou plus petites, des Forums Sociaux continentaux, nationaux et même locaux que sont encore vivants ou qui ont disparu, des forums thématiques qui se sont multipliés dans le monde entier ; ou parler des articulations et réseaux, ainsi que des nouvelles campagnes, qui sont nés dans ces rencontres, dans la lutte pour la construction de l’«autre monde possible ». Je vais présenter seulement quelques éléments qui pourraient peut être permettre de saisir la dynamique du processus, en montrant ce qui s'est passé dans le FSM de 2013 à Tunis.
Le moins que l'on peut dire de ce FSM c'est ce qu'a dit l'un de ses vétérans, le politologue nord-américain Immanuel Walerstein, en concluant son « commentaire »no. 350[i] : le Forum Social Mondial est vivant et se porte bien.
Éric Toussaint, un autre vétéran, du Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde, complétait en interview à Sergio Ferrari[ii]: le Forum Social, de manière indéniable, se maintient comme le seul endroit et le point de repère mondial où se retrouvent les mouvements sociaux. En ce sens, et en l'absence de toute autre alternative, il continue à être très important.
Et le titre même de l'évaluation du sociologue canadien Pierre Baudet[iii] est significatif : pour quoi le Forum Social Mondial de Tunis a été un succès ?
En fait, on peut dire que s’il a été un grand succès, c'est le succès d'une méthode. Dans les événements mondiaux du processus du FSM il y a l’application d’une méthode, essentiellement exprimée dans sa Charte de principes, que les organisations tunisiennes l’ayant organisé ont su respecter, appuyés par d’autres organisations d'autres pays du Maghreb, de même qu’en favorisant la coresponsabilité de membres du Conseil International du FSM par le biais de leur participation jusqu'à des décisions organisationnelles. Et ils ont su également obtenir le soutien logistique du gouvernement sans qu’il intervienne dans le Forum, car c'est une initiative de la société civile, comme le définit la Charte des Principes.
Il a été alors créé pendant cinq jours, à l'Université El Manar de Tunis, un vrai espace ouvert, pour la reconnaissance mutuelle, l'échange d'idées et d'expériences, l'identification des convergences et des possibilités de nouvelles articulations aux niveaux local, régional et mondial. À chaque événement mondial la méthode est amélioré, à partir de l'expérience précédente ; et il est sous l'influence, en ce qui concerne le contenu des discussions – défini par les participants eux-mêmes par les activités auto-organisées qu’ils enregistrent - par la réalité mondiale et par la réalité locale.
C’est pourquoi Éric Toussaint a pu dire, dans l'interview citée : le FSM ayant entré en contact avec une société en mouvement, en ébullition, une réaction chimique s’est produite, une interaction extrêmement intéressante.(...). Dans un pays fraîchement sorti de 42 ans de dictature, ce résultat "chimique"a produit un sentiment généralisé de joie et de satisfaction à la fin du Forum.
Bien sûr, il y en a eu ceux qui ont fait de critiques, parfois à cause d’une compréhension insuffisante du caractère du FSM et de la méthodologie qu'il y est utilisée. Mais il est significatif que 300 personnes ont pu aller, le dernier matin du Forum, à l’Assemblée de Convergence dans laquelle on discuterait l'avenir du processus, marqué par l'enthousiasme de tous. Ce type d’Assemblée est l'une des innovations introduites dans le Forum de 2009 qui se sont déjà consolidées. En 2013, il y en a eu 30 assemblées, auto-organisées, dans lesquelles on a discuté de la continuité des articulations ou leurs déclarations finales ont été formulés, car le Forum en tant que Forum n’adopte pas une déclaration finale unique.
La discussion sur le prochain FSM, à son tour, avait déjà été ouverte avec une nouvelle en provenance de l'Inde : les organisations qui avaient réalisé le Forum de 2004 à Mumbai s'étaient réunis pour réfléchir sur la réalisation du FSM de 2015 en Inde. Dans l’Assemblée de Convergence sur le futur du processus on a su d‘autre part que des animateurs de mobilisations au Québec avaient également l'intention de suggérer que le prochain FSM soit au Canada. Et à la réunion du Conseil International du FSM, qui s'est tenue après le Forum, la possibilité de retourner au Maghreb en 2015 a été présentée.
Le Forum a réuni autour de 60.000 personnes (53.000 officiellement enregistrés), qui ont rempli les bâtiments des Facultés de Droit et d'Économie et de la Faculté des Sciences. Une vraie fourmilière humaine – le relief de l’endroit permettait des vues d’ensemble – se déplaçait à l’intérieur des bâtiments et dans les chemins d'accès entre eux, en passant par le restaurant universitaire ou par ceux montés pour l'occasion, en formant des files d'attente pour un plat typique, ou pour un "sandwich" à prendre en courant vers l'une de près d'un millier d’activités qui se réalisaient en trois horaires de deux-heures-et-demi chacune, au cours de chaque journée.
Des affiches, des tentes, des petites tables, de la libre distribution gratuite de pamphlets ou des tracts de dénonciation ou d'invitations pour des activités, en cinq langues (pour la première fois, l'arabe était une langue officielle de l'événement), des groupes en discutant où ils ont pouvaient le faire, ont créé l'ambiance festive typique des Forums. Le soleil toujours présent a contribué à augmenter la joie de retrouvailles d'anciens participants ou entre des membres ou non de 5 085 organisations venant de 128 pays. Des délégations importantes se répandaient dans les espaces, comme la française avec 500 personnes, ou la brésilienne avec 200 membres des syndicats, des ONG et des mouvements sociaux, ou la Suisse, avec 60 personnes, y compris des parlementaires qui ont participé aussi au Forum parlementaire, événement parallèle au Forum Social Mondial qui est devenu traditionnel.
Des pas importantes ont été faits pour consolider l'option d'« étendre » le Forum par l'Internet, afin de permettre que des groupes du monde entier puissent interagir avec ceux qui étaient à Tunis. La plupart d'entre eux était des tunisiens, de même que des tunisiennes, avec les luttes qu’elles mènent dans leur pays pour l'égalité des femmes. Mais les ressortissants d’autres pays arabes comme l’Égypte, le Maroc, l’Algérie, la Palestine, l’Irak, la Libye, étaient nombreux. Tous ont pu ainsi entendre des militants d'autres combats, échanger et discuter librement avec eux. Et prendre part à une rencontre politique d’un type nouveau même dans le monde démocratique, par son horizontalité, son auto-organisation, le respect mutuel dans la diversité, dans cette nouvelle culture politique qui est en construction dans le processus du FSM. Un type de rencontre qui était nouveaux aussi pour ceux qui venaient pour la première fois à un Forum Social Mondial, comme par exemple les deux-tiers de la délégation française.
Il y avait aussi une participation significative des jeunes. Beaucoup, d’entre les Tunisiens et tunisiennes, étaient des étudiants de l'Université, encouragés et mobilisés par son Rectorat: en plus d’ouvrir l'Université au FSM en obtenant du gouvernement les travaux nécessaires pour cela, il a saisi l'opportunité, dans la réalité tunisienne, d’une rencontre du type du Forum et selon les principes y adoptés. Ces étudiants ont participé aux activités aussi en tant que bénévoles pour aider où il était utile, comme par exemple pour identifier les emplacements des salles de réunion pour ceux perdus dans le campus...
En fait, les organisateurs tunisiens ont fait le miracle, pour la première fois en 12 ans du FSM, d'imprimer son programme trois jours avant son début. Mais l’indication des lieux était moins claire, les gens ayant souvent trouvé leur lieux de réunion jusqu'à une heure et demie après le début de l'activité. Mais comme toujours dans les forums, les participants prenaient l'initiative de chercher des solutions aux problèmes, dans une perspective de coresponsabilité venant d’en bas vers le haut.
Comme toujours, les thèmes abordés lors du Forum ont été très variés, de l'analyse de la crise et ses effets aux questions des migrations, de l'appropriation des terres, du racisme, à la dénonciation des drones ou des risques des centrales nucléaires ou des projets d'exploitation minière. Wallerstein, dans le « Commentaire » déjà cité, a dit que dans tous les sujets il y avait la combinaison des sentiments de peur et d’espoir, en donnant comme exemples les débats sur le dépassement du capitalisme ou l'introduction des palliatifs contre l'inégalité, le rôle des partis politiques, celui des BRICS, sur le programme actuel de la gauche mondiale, sur la « décolonisation » du processus du FSM lui même. Ils y étaient également, en développant leurs activités librement dans leur « Global Square », beaucoup de jeunes des mouvements sociaux encouragés par le printemps arabe – qui a commencé exactement en Tunisie - comme les indignés d'Espagne ou les Occupy des États-Unis.
Les affrontements du monde concret d’aujourd'hui ont nécessairement émergé, quand par exemple un drapeau d'Israël a été placé sur le sol pour être foulé aux pieds par ceux qui voulaient protester contre ce qui se passe aujourd'hui en Palestine. Ou comme lorsque des militants Sarahouis se sont fâchés avec des marocains - dans l'une des Assemblées de Convergence, celle des Mouvements Sociaux – menant à l’interruption de la discussion et de l'approbation de la Déclaration finale de cette Assemblée. Mais il y a eu également des discussions avec du respect mutuel, et même sur la possibilité de coexistence démocratique, en Tunisie, entre un Islam politique et les secteurs de la société indépendants d’options religieuses.
Le dernier jour, plutôt que de finir le Forum avec une Assemblée des Assemblées, qui donnerait une vision d’ensemble de tout ce qui avait été discuté et proposé, par la présentation des résultats de chaque Assemblée de Convergence - système jamais très réussi – toutes étaient invitées à se déplacer à l'avenue principale de Tunis, ayant chacune un espace des 20 mètres carrés pour présenter leurs résultats les unes aux autres et à la population de la ville. Mais il n'y n'avait plus de souffle pour réaliser cette innovation. Et le Forum s'est terminé avec une marche dédiée au peuple palestinien, dont la souffrance est un des défis les plus difficiles dans la région.
C’est ça, en effet, un Forum Social Mondial : un grand rassemblement de reprise des perspectives, d’encouragement et d’engagement de ceux qui se battent pour « un autre monde possible ». Et c'est à eux et pas au Forum – un simple instrument – qu’incombe la tâche de transformer le monde.
Nous pouvons affirmer alors que ce qui se passe n’est pas ce qui souhaiteraient ceux qui disent – par l’absence de couverture par les grands média, qui ne intéressent qu’aux nouveautés - que le FSM se vide. L’importance de son rôle est devenue évidente surtout pour les Tunisiens, dans leur difficile lutte de redémocratisation du pays, dans la diversité et dans le refus de la violence, deux des principes fondamentaux de la Charte du FSM. C’est ´pur cela que les forces politiques participant au gouvernement étaient reconnaissants du fait du Forum Social Mondial de 2013 avoir eu lieu en Tunisie - avec un clair sentiment de soulagement, à cause des tensions provoquées par un assassinat politique quatre semaines avant le Forum.
Déjà après le Forum, une autre discussion a eu lieu à Tunis sur le Conseil International du FSM, qui vit une crise créée, selon plusieurs de ses membres, par sa bureaucratisation. Il s'est réuni immédiatement après la fin du Forum, ayant organisé des groupes de travail pour étudier ces questions, pendant six mois, ainsi que les propositions existantes pour la réalisation du prochain Forum Social Mondial.
Une des phrases de Pierre Baudet sur le Forum, dans l'article précité, s'applique également aux CI: Le FSM, les FSM nous devrions dire, sont des outils dont nous avons besoin d'améliorer, dans ce qui sera une très longue marche... (traduction par l’auteur)
Texte rédigé à la demande de la revue América Latina en Movimiento, de ALAI (Agencia Latinoamericana de Informação - alainet.org) (publié en espagnol en magazine imprimé n° 484, avril 2013 et en http: www.alainet.org/publica/484.phtml ; en Portugais à http: www.alainet.org/active/63552)
[i] Commentary No. 350, April 1, 2013, Fernand Braudel Center, Binghamton University,
(http://www.binghamton.edu/fbc)
(http://www.binghamton.edu/fbc)
[ii] Buletin Hebdomadaire du Fórum Mondial de Alternativas (FMA) du 11 abril 2013 (http://www.forumdesalternatives.org).
[iii] Publié dans les listes de discussion du Conseil International du FSM.
https://www.alainet.org/pt/node/76507
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