Obama, la « nouvelle ère » avec Cuba et le Sommet de la Celac
30/01/2015
- Opinión
Le 17 décembre, après 18 mois de négociations secrètes soutenues par la discrète médiation du Vatican, le président Barack Obama reconnaissait l’échec de la politique coercitive des États-Unis vis à vis de Cuba et annonçait un changement de cap devant conduire à une normalisation des relations diplomatiques avec l’île. La politique de principe de La Havane a eu gain de cause. Victoire historique s’il en est, où la diplomatie cubaine a réussi le tour de force d’enrayer la logique de guerre froide imposée par dix administrations successives de la Maison Blanche, de Dwight Einsenhower à George W. Bush. Sans baisser la garde.
Jeudi 22 janvier, au Palais des Congrès de la capitale, c’est à Roberta Jacobson, secrétaire adjointe du Département d’État aux affaires latino-américaines, et à Josefina Vidal, directrice générale de la chancellerie insulaire pour les États-Unis, qu’a été confié le premier pas décisif pour tenter d’oublier 54 ans de relations basées sur la défiance. La réunion terminée, les deux fonctionnaires sont tombées d’accord sur la difficulté à surmonter les différences politiques et idéologiques ; il semble que le processus de normalisation des relations puisse même être encore long. Long et tortueux, faut-il ajouter. Mais nous assistons sans doute aux prémisses d’une nouvelle dynamique, dans laquelle, s’ils veulent prospérer, les États-Unis devront abandonner leurs vieux rêves de domination impérialiste et prendre leurs distances par rapport à leur traditionnelle politique subversive destinée à provoquer « un changement de régime » sur l’île.
Du discours et des premières actions d’Obama se dégage le fait qu’il reconnaisse son entière légitimité au gouvernement de Raúl Castro, gouvernement avec lequel il accepte de coexister et de dialoguer. Les États-Unis l’ont bien fait avec la Chine, l’ex Union Soviétique et le Vietnam. Pourquoi pas avec Cuba ? Il s’agit donc bien d’un changement radical d’attitude de la part d’Obama, qui devrait déclencher la forte opposition du Parti Républicain à la tête du Congrès.
Il semble raisonnable d’imaginer que le calcul politique des stratèges du Bureau Ovale ait été modifié et digéré, grâce aux changements au sein de la communauté cubano-américaine de Floride et de Washington, aujourd’hui beaucoup plus modérée que par le passé ; par ailleurs, les protestations provoquées par la politique cubaine des États-Unis dans un certain nombre de pays latino-américains progressistes y est certainement pour quelque chose. A ce propos, il convient de rappeler que le président Obama avait été sévèrement pris à partie, lors du sixième sommet des Amériques, à Carthagène, Colombie, par plusieurs chefs d’État sud-américains sur le sujet sensible des relations bilatérales USA-Cuba et la nécessité d’un changement basé sur les sacro-saints principes diplomatiques de non-ingérence, autodétermination et souveraineté des peuples ainsi que le règlement pacifique des différends.
Néanmoins, malgré le discours et les actions de Roberta Jacobson à La Havane, et par-delà le climat de respect constructif qui a prévalu tout au long des premières négociations avec Josefina Vidal, il serait surprenant que Washington ait totalement renoncé à intervenir dans la politique interne de l’île ; il y a fort à parier que dorénavant, l’infiltration politique continuera, mais sous des formes plus subtiles.
Comme l’avançait Manuel E. Yepe, Washington appliquera sans doute la stratégie du « soft power » ou (main de fer dans un)« gant de velours » ; tenu en échec sur le plan de la force, l’establishment démocrate va donc jouer la carte de la « séduction ». Comme l’avait prévu Fidel Castro en 2000, n’étant pas parvenus à détruire la Révolution par des méthodes criminelles, « ils rêvent » de pouvoir le faire au moyen de subterfuges « séducteurs », tel celui baptisé « politique de contacts entre les peuples ». Fidel avait alors relevé le défi et avait répliqué aux autorités de Washington : « Jouez franc jeu ! ».
Aujourd’hui, Obama sait que l’une des clés du processus de normalisation des relations passe par la levée du criminel blocus économique, commercial et financier. Il reconnaît également que Washington doit absolument rayer Cuba de la liste noire des États commanditaires du terrorisme international. Il est clair aussi que, ni lui ni personne ne peut exiger que Cuba renonce à ses principes, et que la reprise des relations diplomatiques devra s’établir sur un pied d’égalité. C’est à dire, dans le respect de la souveraineté des États, principe fondamental de la Charte des Nations Unies.
Dans ce contexte, il faut clairement préciser que, durant le IIIème Sommet de la Communauté d’ États d’Amérique Latine et de la Caraïbe (Celac), qui se déroulera les 28 et 29 janvier à San José (Costa Rica), d’anciens agents des politiques occultes de Washington et de ses alliés, tenteront de discréditer Cuba et de saper la politique des pays de l’ALBA (« Alliance Bolivarienne pour les peuples de Notre Amérique »).
Il a en effet été prouvé que lors de certaines rencontres au Mexique, début décembre 2014, une série d’actions avait été programmée pour se dérouler parallèlement au Sommet de la Celac, qui se tient cette semaine au Costa Rica, dans le seul but de débiliter le bloc régional des pays progressistes réunis au sein de l’ALBA et de l’Unasur (Union des Nations Sud-américaines).
Le projet a été échafaudé pendant l’événement « Chemins pour une république de Cuba démocratique », parrainé et co-financé par la Fondation Konrad Adenauer ( KAS en allemand), puissant institut conservateur allié au parti « Union Chrétienne Démocrate », dont le siège est en Allemagne, à Wesseling.
Cette manifestation, coparrainée par l’Organisation Démocrate Chrétienne d’Amérique (ODCA), s’est déroulée dans le port mexicain de Veracruz les 8 et 9 décembre, à la veille du vingt-quatrième Sommet Ibéro-américain des chefs d’États et de Gouvernement. Il avait été précédé par un Sommet des Jeunes Ibéro-américains, également parrainé par la Konrad Adenauer et l’OCDA.
Remarquons que la KAS fait partie du World Movement for Democracy (Mouvement Mondial pour la Démocratie), entité internationale créée par la Fondation pour la Démocratie (NED en anglais), dont le financement est approuvé par le Congrès des États-Unis et figure au budget annuel du Département d’État destiné à l’Agence pour le Développement International (USAID). De nombreux membres illustres de la NED ont d’ailleurs été en lien avec certaines opérations clandestines de l’Agence Centrale de Renseignements (CIA).
En son temps, la création du Mouvement Mondial pour la Démocratie avait signifié une nouvelle stratégie de la droite mondiale, dont l’objectif était, et est encore, d’organiser un mouvement globalisé d’activistes bâtisseurs de la démocratie, dirigés à partir de Washington par la NED. En clair, la NED fournit les matériaux politiques et idéologiques ainsi qu’une partie du financement, tandis que l’OCDA et la Konrad Adenauer apportent l’image de marque et le complément de ressources financières.
Un groupe de contre-révolutionnaires cubains ainsi qu’une partie de l’extrême droite régionale, assistaient aux conciliabules de Veracruz, parmi eux, Yoani Sánchez, devenue la fameuse grande prêtresse de la « communication », le très décrié Guillermo Fariñas et Dagoberto Valdés Hernández. Bien que peu de choses aient filtrées de la rencontre à huis clos, sans aucune couverture médiatique, −étant donné les difficultés pour parvenir à une relative unité −, il aurait été envisagé, dans le cadre du Sommet de la Celac, d’organiser diverses actions provocatrices visant Cuba, le Venezuela et le Nicaragua.
Pour cela, on aurait dépoussiéré quelques uns des projets développés au cours du sommet de la Celac au Chili (2013), qui auraient eu l’aval des démocrates-chrétiens locaux et la représentation de la Konrad Adenauer dans le pays du sud. En janvier 2014 ils renouvelèrent la tentative à Cuba, et devant leur échec, transférèrent le spectacle à l’Université Internationale de Floride, à Miami.
Le « petit déjeuner de travail » de Roberta Jacobson avec sept dissidents cubains, vendredi 23, à La Havane, après les premiers pourparlers de haut niveau en 35 ans entre les États-Unis et Cuba, révèle l’intention de l’administration Obama de continuer à s’appuyer sur des cartouches déjà tirées. Martha Beatriz Roque, Guillermo Fariñas, José Daniel Ferrer et Elizardo Sánchez faisaient partie des opposants conviés à discuter avec Jacobson à la résidence du Chef de la Section des intérêts étasuniens. Mais la chef de file des « Dames en Blanc », Berta Soler, était, elle, absente, car, selon ses déclarations, il n’y avait pas d’ « équilibre » dans la « diversité d’opinions » des participants. Dans ce cas, comme dans tant d’autres auparavant, l’ « équilibre » et la « diversité » s’apparentent plus aux budgets juteux que leur ont attribué l’USAID et la KAS, qui ont chaque année patiemment cultivé l’industrie de la contre-révolution.
Inutile de dire que nous nous trouvons dans une phase préliminaire au changement de cap de Barack Obama envers Cuba. On peut supposer que le président des États-Unis cherchera à récolter les fruits de son audacieuse action au Sommet des Amériques, en avril prochain au Panama. Comme le soulignait le The New York Times le 27 décembre dernier, la diplomatie étasunienne ferait pression pour que le président mexicain Enrique Peña Nieto et la mandataire brésilienne, Dilma Rousseff, invitent des dissidents cubains au Sommet de Panama.
Dans ces conditions, reste à savoir si, cette semaine, au Costa Rica, lors du III Sommet des pays de la Celac, la Konrad Adenauer déclenchera ou non la discorde, en mettant son projet de manifestation parallèle à exécution contre Cuba, le Venezuela et le Nicaragua. De fait, s’il en était ainsi, que ce soit avec le concours passif ou volontaire et secret de Washington, de telles manœuvres correspondraient bien à la tactique du « gant de velours » et aux méthodes de « séduction » chers à la Maison Blanche, mais il est toutefois fort probable qu’Obama conserverait le soutien inconditionnel dont l’a gratifié l’opinion mondiale à l’annonce de la « nouvelle ère » de ses relations avec Cuba.
Carlos Fazio pour Alai-Amlatina
Alai-Amlatina. Equateur, 24 janvier 2015.-
* Carlos Fazio Journaliste et analyste international uruguayen résidant au Mexique, collaborateur du quotidien mexicain La Jornada, et de l’hebdomadaire uruguayen. Il est professeur d’université dans les domaines des sciences politiques et des droits de l’homme.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Florence Olier-Robine
El Correo. París, 30 janvier 2015.
https://www.alainet.org/pt/node/167184
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