Pourquoi les médias censurent une élection au Venezuela
- Opinión
Tout commence par ce qui pourrait être une blague pour étudiant en journalisme, parmi la longue cordillère de trucages, photos d’autres pays légendées « Venezuela », mensonges, citations tronquées qui font l’actu sur le pays qui a initié, il y a 18 ans, la révolution bolivarienne. Alimentés par l’agence EFE, des médias comme El Pais ont fait passer des sympathisants du chavisme affluant à l’essai du système destiné à élire l’Assemblée Constituante le 30 juillet… pour des participants au scrutin organisé par la droite contre le « dictateur Maduro ». Le plus hystérique des médias espagnols sur la « dictature bolivarienne » s’est ensuite fendu d’un minuscule rectificatif, invisible pour la plupart des lecteurs.
A gauche : El Pais présente des photos d' »électeurs chavistes participant au scrutin de la droite« . A droite le discret rectificatif reconnaissant l’erreur et la rejetant sur l’agence EFE.
Cette « erreur » n’a rien d’anecdotique. Malgré un intense bombardement publicitaire des médias privés, majoritaires au Venezuela, et d’importants moyens financiers, la droite a dû fermer ses bureaux de vote plus tôt que prévu, faute d’électeurs. Ironie du sort, c’est donc grâce aux images de la forte affluence de sympathisants de la révolution à l’autre scrutin, lié à l’Assemblée Constituante, que ces médias ont pu tromper leurs lecteurs.
Incinération des traces du vote par les organisateurs
Revenons d’abord sur la consultation dite « populaire » que l’opposition a montée en moins de quinze jours. Le président Nicolas Maduro avait souhaité qu’elle se déroule pacifiquement. Les dirigeants de droite avaient demandé à leurs partisans de renoncer pour 24 heures aux violences et aux blocages de route. Non prévu par la Constitution, non contraignant, le scrutin a été organisé hors du contrôle du Centre National Électoral, dans des églises, au siège de partis politiques de droite, dans des centres commerciaux et autres endroits non habilités légalement, avec des listes différentes du Registre Électoral légal et… l’incinération des cahiers de vote immédiatement après comptage (même @bbcmundo a reconnu qu’il était impossible d’empêcher qu’une personne vote plusieurs fois). Les résultats annoncés sont donc invérifiables.
Le choix des personnalités officiellement invitées par la droite vénézuélienne comme observateurs internationaux en dit long sur les objectifs et la transparence du scrutin :
(De gauche à droite:) Jorge Quiroga (Bolivie). N’a jamais été élu président de Bolivie; vice-président, il n’a accédé brièvement à la fonction (du 7 août 2001 au 6 août 2002) que parce que le président Hugo Banzer, victime d’un cancer, a dû démissionner. Accusé en 2013 par la justice bolivienne de délits contre la Constitution et dommages économiques à la suite de la signature de contrats pétroliers illicites au bénéfice de transnationales européennes et états-uniennes. Laura Chinchilla (Costa Rica). Lorsqu’elle a quitté la présidence du Costa Rica, le 8 mai 2014, une grève générale des enseignants inondait les rues de manifestants dénonçant des retards de salaires. Il restera de son mandat le scandale qui a éclaté lorsque a été révélé que, en mars et mai 2013, à cause de l’incurie de son ministre de la Communication et du chef des services de renseignements (qui ont dû démissionner), elle a utilisé, pour un déplacement officiel, puis un voyage privé au Pérou, un jet mis à sa disposition par Gabriel Morales Fallon, un homme d’affaires colombien soupçonné dans son pays d’être lié à des trafiquants de drogue. Andrés Pastrana (Colombie). Président de 1998 à 2002, période au cours de laquelle la lutte antidrogue de son gouvernement a généré une augmentation de 47% de production de cocaïne. Selon des documents audio cités par le vice-président César Gaviria, une grande partie de la campagne présidentielle de Pastrana fut financée par le Cartel de Cali. D’après la Commission des droits de l’homme de l’ONU, la situation s’est considérablement aggravée sous Pastrana du fait de la montée en puissance des groupes paramilitaires, avec le déplacement forcé d’un million de colombiens. La signature avec Washington du « plan Colombie » (sans que le Congrès national n’ait été consulté) a eu pour principale conséquence de radicaliser le conflit armé. Miguel Ángel Rodríguez (Costa Rica). Premier président de son pays a être emprisonné pour corruption, notamment pour des pots-de-vins reçus de l’entreprise française Alcatel et du gouvernement de Taiwán, affaires qui l’obligèrent a démissionner de son poste de secrétaire général de l’Organisation des États Américains (OEA) en 2004. Vicente Fox (Mexique). Le gérant de Coca-Cola devenu président a considérablement augmenté son capital durant son mandat, qui a vu le narcotrafic étendre son emprise sur tout le pays. Fox, ainsi que divers membres de sa famille, ont été mêlés à des affaires de corruption liées au groupe pétrolier Pemex. Dans son zèle néolibéral, il a multiplié les privatisations (eau, électricité, parcs naturels, etc.), dans le contexte des méga-projets continentaux prévus par le Plan Puebla – Panama (PPP), lui-même conçu en vue de la concrétisation de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), chère aux États-Unis. Ces projets se heurtant à une vive résistance, la répression s’est déchaînée à travers la militarisation et l’émergence de groupes paramilitaires, en particulier dans les États (Chiapas, Guerrero, Michoacán, Oaxaca) où survit 80% de la population indigène. (1)
En réalité, l’objectif de cette opération était essentiellement diplomatique et médiatique, et s’inscrit dans la logique d’un coup d’État et/ou d’une intervention extérieure : légitimer la création d’un gouvernement parallèle de la droite pour le faire reconnaître internationalement, et accentuer la pression internationale sur le gouvernement vénézuélien pour le forcer à renoncer à organiser l’élection d’une Assemblée Constituante. Comme l’a exigé dès le lendemain 17 juillet, l’Union Européenne, à qui l’Espagne de Rajoy a exigé des « sanctions sélectives » contre Caracas si ce scrutin était organisé (2).