ALBA : Du rêve à la réalité

14/05/2007
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Lorsqu’en décembre 2004, Fidel Castro et Hugo Chávez ont lancé l’ALBA – (Alternatives bolivariennes pour les Amériques) l’initiative paraissait représenter le cadre institutionnel des accords que Cuba et le Venezuela étaient en train de développer. Cela représentait un grand exemple de commerce équitable, que le Forum social mondial prêchait depuis plusieurs années. Chaque pays apporte ce qu’il possède : du pétrole vénézuélien, non pas au prix du marché, mais en échange de la seule chose que Cuba peut donner : le meilleur personnel en santé publique, en éducation, en sport. D’autres accords – signés en avril 2005 – annonçaient la disposition d’intégration structurelle et stratégique entre les deux pays, dans le sens de l’anticapitalisme et du socialisme du 21ième sciècle.

Un an après Evo Morales triomphait en Bolivie et en avril 2006, il adhérait à l’ALBA. En Janvier 2007, c’était le tour du Nicaragua, lors de la prise de pouvoir de Daniel Ortega comme président. La réunion réalisée au Venezuela – dans les villes de Barquisimeto et de Tinturero, dans la province de Lara, en avril de cette année – comptait avec la participation du président d’Haïti, René Préval, qui a signé plusieurs accords avec les gouvernements qui ont déjà adhéré à l’ALBA, et la ministre des Relations extérieures de l’Équateur, Maria Fernanda Espinosa. On peut affirmer que ces deux gouvernements s’identifient à l’esprit de l’ALBA et que leur adhésion est une question de peu de temps.

Où se situe l’ALBA et en quoi elle se différentie des autres projets d’intégration régionale? La ligne de partage générale qui traverse le continent n’en est pas une entre une supposée « bonne gauche » et une « mauvaise ». Ceci est une vision de la droite, qui cherche à diviser le camp progressiste dans le continent, dans un effort de coopter les gouvernements plus modérés. La ligne de division fondamentale est celle qui sépare les pays qui ont signé de libre échange avec les Etats-Unis – le Mexique, le Chili, sans oublier les traités proposés par la Colombie et le Pérou – qui hypothèquent leur avenir et toute possibilité de réguler ce qui se passe dans leurs pays, dans une relation radicalement inégale en faveur de la plus grand puissance impériale du monde d’une part, et les pays qui privilégient l’intégration régionale d’autre part.

Parmi ces derniers, ceux qui malgré cette option, maintiennent le modèle économique néolibéral – comme les cas du Brésil, de l’Argentine, de l’Uruguay – et ceux qui se situent en dehors de ce modèle : Venezuela, Cuba, Bolivie, Équateur. Voilà donc une deuxième ligne de partage des eaux, mais dans le contexte d’un processus d’alliances qui génère un espace non seulement pour l’intégration – centré sur MERCOSUR – mais en plus il contribue à générer un monde multipolaire, qui affaiblit l’hégémonie unipolaire des États-unis.

Ce processus se donne en Amérique latine, parce que le continent avait été le laboratoire privilégié des expériences néolibérales, qui connaît présentement un ressac. C’est ici qu’est né le néolibéralisme et ici où l’on a développé le plus les expériences néolibérales, comme c’est aussi ici que se sont développées, de manière concentrée, les grandes crises néolibérales : le Mexique en 1994, le Brésil en 1999, l’Argentine en 2002.

L’Amérique latine est devenu le chaînon le plus faible de la chaîne impérialiste par la combinaison de plusieurs facteurs :
- l’épuisement du modèle néolibéral;
- l’échec et l’isolement de la politique du gouvernement Bush dans le continent;
- la force accumulée par la résistance, surtout par les mouvements sociaux, en lutte contre le néolibéralisme;
- l’apparition de leaders et de force politiques lesquels ont catalysé ces facteurs en vue de promouvoir des ruptures avec les Traités de libre échange avec les États-unis.

Le pouvoir hégémonique dans le monde s’articule actuellement autour de trois grands monopoles :
- le pouvoir des armes;
- le pouvoir de l’argent;
- le pouvoir de la parole.

Les processus d’intégration régionale travaillent dans la perspective d’un monde multipolaire, en semant des embûches à l’hégémonie impériale étasunienne. Les pays qui ont rompu avec le néolibéralisme font face au royaume de l’argent. Les initiatives de presse alternative – parmi lesquelles TELESUR est l’exemple le mieux connu – travaillent à la démocratisation des médias de masse. Il n’y pas d’autre région dans le monde qui présentent ces caractéristiques.

Après plusieurs années de résistance au néolibéralisme, où les mouvements sociaux ont été les protagonistes, on a conquis le droit, une fois épuisé le modèle néolibéral, de passer à la phase d’une lutte pour une hégémonie alternative et des gouvernements post-néolibéraux. Le néolibéralisme continue toujours à être prédominant sur le continent : il suffit de dire que le modèle est toujours en vigueur dans des pays tels que le Mexique, le Brésil, l’Argentine, la Colombie, le Chili, l’Uruguay, entre autres. Les ruptures successives se sont données dans les zones de moindre résistance, moins centrales sur le continent, où le capitalisme néolibéral s’était moins consolidé : le Venezuela, la Bolivie, l’Équateur. La même caractéristique peut s’appliquer au Nicaragua et à Haïti, sans compter le pays qui avait rompu il y a des décennies avec le capitalisme : Cuba.

A la réunion réalisée au Venezuela, on a créé un Conseil des mouvements sociaux, intégré à la structure de l’ALBA, qui compte également avec un Conseil des présidents et un Conseil des ministres. Les mouvements sociaux de chaque pays du continent discuteront tous les thèmes qu’ils désirent inclure dans l’agenda des débats et dans la construction d’une nouvelle Amérique latine post-néolibérale, en définissant ses formes concrètes de participation, dans une réunion préalable à la prochaine réunion des présidents, prévue en principe en Bolivie ou à Cuba.
En réunissant ces pays et les mouvements sociaux, l’ALBA s’est transformée en un nouvel horizon historique de l’Amérique latine et des Caraïbes, à partir duquel toutes les forces progressistes devront penser leur identité, leurs objectifs et leurs formes d’action.
Cela devient un exemple modèle de l’application d’un commerce équitable, de solidarité,
de coopération. Un espace alternatif au libre marché, à la domination du marché, en révélant concrètement comment c’est par un échange entre les nécessités et les possibilités que l’on en vient à éliminer l’analphabétisme, que se fortifie l’agriculture familiale et la sécurité alimentaire, que l’on redonne du pouvoir au point de vue de millions de personnes, en bref, où l’on pose les nécessités de la population au-dessus des mécanismes du marché et de l’accumulation du capital.

Nous vivons une période marquée par le passage du modèle capitaliste régulateur au néolibéral et d’un monde bipolaire à l’unipolaire, sous l’hégémonie impériale des Etats-Unis. En Amérique latine se décide une grande part de l’avenir du monde sous un nouveau sigle et ALBA est l’espace le plus avancé de cette lutte.

-Emir Sader est coordonnateur général du Laboratoire de politiques publiques et nouveau secrétaire exécutif du Conseil latino-américain de sciences sociales (CLACSO)

https://www.alainet.org/fr/articulo/121133
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