FSM 2004

Médias, culture et connaissance

19/01/2004
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Comme c'est le cas pour la quasi totalité des conférences plénières des Forums sociaux (qu'ils soient mondiaux ou européens, sans parler des autres), celle portant sur " Médias, culture et connaissance " au FSM de Mumbai a consisté en une juxtaposition d'exposés sans fil conducteur préalablement établi et sans concertation préalable entre les intervenants. Cela ne retire évidemment rien à l'intérêt de chacun de ces exposés pris individuellement. Si l'on ajoute que les conditions techniques de la traduction et de la sonorisation rendaient à certains moments les propos de la tribune difficilement audibles dans une bonne partie de la salle (et à la tribune elle- même !), on est conduit à penser que c'est la thématique annoncée, pourtant très vaste, qui faisait recette auprès du public et qui a motivé sa patience. En raison des circonstances, cette note est donc très personnelle et ne vise absolument pas à rendre compte exhaustivement d'une conférence dont je n'ai pas pu en entendre la totalité ! Outre la question des médias qui faisait l'objet de l'intervention du Cubain Fernando Martinez Heredia et de la mienne, le point le plus sensible abordé par les deux intervenants indiens Nikhil Waggle et Ashok Vajpeyi a été celui de la diversité linguistique du sous-continent (plusieurs centaines de langues parlées) et du statut de l'anglais, langue de l'ancien colonisateur, mais aussi seul dénominateur commun entre les différentes communautés linguistiques. Et, de surcroît, langue dominante dans le monde : la " langue-dollar ", comme je l'ai une fois appelée. Nikhil Waggle s'est indigné que l'hindi, autre langue officielle de l'Inde, et parlée par plusieurs centaines de millions de locuteurs, n'ait pas le statut qu'elle mérite dans le FSM. Mais c'était là buter sur la question plus générale de la traduction et de l'interprétation dans le Forum. Quant à Ashok Vajpeyi, il a insisté sur la nécessité de préserver à tout prix chaque langue, en tant que composante de la biodiversité. Pour l'anecdote, il m'a dit s'être entretenu pendant près d'une demi-heure sur René Char… avec le ministre français des affaires étrangères, Dominique de Villepin, de passage à New Delhi il y a quelques jours. L'intervention de Fernando Martinez Heredia, la seule ayant fait l'objet d'un document écrit, portait essentiellement sur les mécanismes de la domination politique et culturelle. En attendant que ce texte soit diffusé dans son intégralité, j'en retiendrai un passage sur le point essentiel qu'est la bataille du lexique : " La bataille de la langue est au centre de cette guerre culturelle, et nous ne sommes pas en train de la gagner. Nous avons tendance à nous laisser trop influencer par certains préjugés installés comme autant de préalables à toute communication (par exemple " les bienfaits inhérents à la libéralisation " ou l' " inefficacité de l'Etat "), comme s'ils ne signaient pas l'arrêt de mort de toute pensée et de tout sentiment indépendants. On peut en dire autant des termes destinés à faire intérioriser la domination, c'est-à-dire le colonialisme mental. Les " nouveaux pauvres ", les " travailleurs du secteur informel " ou les " groupes vulnérables " sont le produit des " ajustements " et des " ouvertures " d'une mondialisation prétendument inévitable. Les travailleurs deviennent du " capital humain ". Ce sont maintenant les voleurs qui organisent le " combat contre la pauvreté. Toute intervention peut être présentée comme " humanitaire ", et les victimes des agressions génocidaires deviennent des " dommages collatéraux ". Cette intervention confirme que la bataille du lexique - comme l'a d'ailleurs fort bien compris le Front national en France - est bien un enjeu majeur pour le mouvement altermondialiste. Il lui faut produire ses propres concepts, et ses propres termes pour les formuler, sauf à se laisser entraîner sur le terrain des libéraux en employant leur vocabulaire. Parmi les mots piégés, deux, à mon avis, méritent une explicitation ou une démythification particulières : " société civile " et " gouvernance ". Voici, enfin, le résumé de mon intervention à la conférence. LE BESOIN D'UN CONTRE-POUVOIR CITOYEN AU POUVOIR DU SYSTÈME MÉDIATIQUE Présenté historiquement, et parfois à juste titre, comme un contre-pouvoir (le fameux " quatrième pouvoir") aux pouvoirs traditionnels des systèmes démocratiques - législatif, exécutif et judiciaire -, et aussi comme un instrument de défense des libertés dans les régimes autoritaires, le système des médias a profondément changé de nature. Depuis un quart de siècle, il a accompagné la montée en puissance de la finance et des concentrations industrielles. Les médias dominants, notamment audiovisuels, sont devenus des acteurs économiques majeurs de la mondialisation néolibérale en tant que composantes de gigantesques groupes de communication. Ils en sont aussi des vecteurs idéologiques qui tendent à dénaturer et parfois à diaboliser tous les mouvements s'opposant à la dictature des marchés, aux transnationales et aux forces politiques et gouvernementales qui les appuient. C'est pourquoi la critique du système médiatique est désormais un front de lutte prioritaire pour les mouvements sociaux. C'est bien le système qui est en cause, et non pas les journalistes, qui en sont souvent eux-mêmes victimes dans leurs conditions de travail et leur liberté d'expression. Le droit à l'information et le droit d'informer deviennent des revendications à ne pas séparer de celles des droits économiques sociaux et culturels. Face au pouvoir des médias, il faut donc mettre en place un contre-pouvoir citoyen, un "cinquième pouvoir" aux multiples modalités d'action. Parmi celles-ci, la création, à partir d'un séminaire tenu à Porto Alegre en 2002, d'un Observatoire international des médias (Media Watch Global) qui animera un réseau d'Observatoires nationaux des médias dont, en France, l'Observatoire français des médias créé en septembre 2003. * Bernard Cassen. Attac France. http://www.france.attac.org/i2347
https://www.alainet.org/fr/articulo/109191
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