Réflexions et alternatives face à la globalisation et à l'exclusion

16/07/2002
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Pour penser une globalisation plus solidaire, ce que nous nous proposons ici, nous devons nous référer au type de globalisation que nous connaissons aujourd'hui, et dont la reformulation constitue le défi lancé aux mouvements sociaux contemporains. L'actuel processus de globalisation commence avec la fin de la bipolarité de la géopolitique internationale, plus connue sous le nom de guerre froide, dans laquelle les Etats-Unis et l'URSS se sont affrontés, entre 1945 et 1988. La stagnation des pays du bloc de l'Europe de l'Est et la transformation des Etats-Unis en unique super- puissance mondiale deviennent le point de départ de l'actuel processus de globalisation. Outre ce fait historique, il est important de réfléchir sur le paradigme du capitalisme et sur la transformation de ses paradigmes de production et de consommation. La question centrale sur laquelle je souhaite réfléchir est le fait que le changement de paradigme de ce capitalisme, pour la production et la consommation, s'opère par le remplacement du « Fordisme » par l'accumulation flexible. Si dans les années 50, nous avions un capitalisme qui travaillait sur la notion d'une économie à grande échelle et la nécessité d'une consommation de masse, à partir des années 70 - début des années 80, ce capitalisme se tourne vers ladite accumulation flexible, dont le paradigme est un marché de consommateur réduit, segmenté et sophistiqué. Ce paradigme d'accumulation flexible a intégré des technologies de pointe dans la production, ce qui a augmenté de façon extraordinaire la productivité du travail. D'où, résultat de ce capitalisme flexible, en premier lieu, un chômage structurel vertigineux qui touche prioritairement les pays les plus pauvres du tiers-monde, même s'il touche aussi les pays plus riches. Résultante sociale de cette accumulation flexible, ce contingent de chômeurs n'est déjà plus nécessaire puisque l'accumulation flexible ne demande pas un marché de masse. Alors, dans l'optique de ce modèle, cette population de chômeurs peut être éliminée, c'est une population non nécessaire, une population qui n'a aucun sens du point de vue de ce capitalisme. C'est pourquoi nous assistons à une augmentation vertigineuse des actes racistes, xénophobes et d'intolérance, idées qui se transforment en mécanismes idéologiques de légitimation de l'exclusion sociale moderne. Outre ces aspects économiques, le capitalisme actuel présente aussi une composante idéologique sur laquelle il est important de réfléchir. Le néolibéralisme, de notre point vue, se démarque du libéralisme classique. Si nous faisons une analyse du libéralisme classique des XVIIIè et XIXè siècles, c'est-à-dire au début du capitalisme, nous constatons que le libéralisme classique comptait au nombre de ses principes économiques, la défense de la libre entreprise et le marché libre, et qu'il avait également un projet éthico-politique basé sur les idées de démocratie, de liberté individuelle et de liberté d'expression. Nous voyons alors que le libéralisme classique proposait une égalité sur le terrain politique, indépendamment des inégalités économiques qui résultaient de ce modèle. Proposition qui, comme nous l'avons vu clairement, a échoué. Mais le néolibéralisme qui se renforce à la fin du XXè siècle et au début du XXIè, avance l'idée du marché libre alors que le capital est déjà extrêmement concentré, ce qui signifie la liberté pour une élite toujours plus réduite et pour les grands capitaux qui concentrent déjà le pouvoir. Dans le même temps, le néolibéralisme subordonne tous les droits politiques à cette logique économique en relativisant la liberté individuelle et les idées démocratiques ; bref, cet ensemble de concepts qui constituent le contrat social finit par être subordonné et réduit au nom de la liberté des grandes forces du marché. On assiste donc actuellement à un retard, à une régression dans le domaine éthique et dans le domaine politique. Ceci, ajouté à l'exclusion sociale et à la progression des idées xénophobes, montre que la globalisation que nous vivons aujourd'hui est une globalisation autoritaire, anti-démocratique, une globalisation que nous pouvons qualifier de globalitarisme comme l'a si bien définie le professeur Milton Santos. Une globalisation qui n'autorise pas la divergence, qui n'autorise pas la pensée critique. Nous constatons à la fois une vacance brutale de la pensée critique et une augmentation des actes de violence contre les secteurs de l'opposition. Par exemple en Colombie, où les actes d'intolérance interdisent tout effort pour la paix. Il en va de même des agissements de l'impérialisme des Etats-Unis qui se prétendent la police du monde et qui peuvent user de leur suprématie militaire contre les nations et les peuples qui n'adhèrent pas à leur logique. En outre, nous assistons à la multiplication de groupes d'inspiration nazie-fasciste en Europe. Bref toute une série de faits que nous croyions dépassés dans les années 50 et 60, mais qui aujourd'hui composent l'univers politico-idéologique de cette globalisation néolibérale. Je voudrais également réfléchir sur les « plaies » de la globalisation néolibérale. Je voudrais considérer trois domaines généraux de réflexion. Premièrement, nous vivons une « financiarisation » de l'économie sans précédent. Pour se faire une idée, le volume actuel de l'argent qui circule sous forme de papiers et titres spéculatifs dépasse de deux fois et demie le total des richesses du monde. Qu'est-ce que cela signifie ? Imaginons la situation suivante : si un jour tout le monde allait retirer son argent de la banque et réaliser ses investissements financiers, il n'y aurait pas de quoi payer tout le monde et ce serait la faillite, puisqu'il s'agit d'un argent virtuel qui n'existe pas, mais qui augmente sans cesse. Ceci est la première « plaie », une contradiction, un paradoxe du processus en cours. Deuxièmement, l'industrie de l'armement croît de façon vertigineuse, en l'absence d'espace public, de débat politique, de pensée critique, et parrallèlement au renforcement des idées autoritaires. Ce qui se passe, c'est que les divergences sont résolues par destruction de l'adversaire. Les Etats-Unis trouvent dans l'industrie de l'armement leur principal débouché d'exportation et leur principale source de devises. La majeure partie des conflits africains sont le résultat de cette industrie de l'armement. Ces guerres, si souvent qualifiées d'ethniques par les médias, sont en réalité des conflits destinés à doper la production de l'industrie de l'armement. Troisièmement, on assiste à l'accroissement de ce que j'appellerai « l'industrie criminelle ». Cette industrie représente entre 15 et 20 % du Produit Intérieur Brut mondial et repose sur trois grands axes d'activités : un, le trafic de drogue ; deux, le trafic d'armes ; et trois, le trafic d'êtres humains. En ce qui concerne ce dernier, il est important de signaler que la concentration brutale de richesses dans les pays du Nord et l'exclusion sociale dans les pays plus pauvres, poussent de nombreuses personnes des pays du tiers-monde, en particulier d'Afrique et d'Amérique Latine, à chercher désespérément dans l'émigration des conditions meilleures dans les pays plus riches. Ceci fournit la base du trafic d'êtres humains, et particulièrement du trafic de femmes pour la prostitution forcée, commerce dont les bénéfices sont à peine moins élevés que ceux du trafic d'armes et du trafic de drogue. La majorité des femmes contraintes à cette forme de travail vient d'Afrique et d'Amérique Latine, et à une moindre échelle de l'Europe de l'Est, et se destine principalement aux pays d'Europe occidentale. Voilà donc le résultat de ce capitalisme de globalisation néolibérale : les trois grandes industries qui croissent le plus sont l'industrie financiéro-spéculative, l'industrie de l'armement et, enfin, l'industrie criminelle autour de ce triple trafic de drogue, d'armes et d'êtres humains. Face à cette situation, quelles sont les issues possibles ? Dans le Forum pour la Diversité et la Pluralité qui s'est tenu à Quito l'année dernière, j'ai parlé de deux propositions que le centre du capitalisme et les classes dominantes présentent comme une issue au problème de l'exclusion. La première est celle de la droite et consiste en l'élimination physique des populations indésirables. Cette proposition est prévue dans le document NSM-2000 de la CIA (Agence centrale de renseignements des Etats-Unis), rédigé en 1988 quand venait à l'ordre du jour la nécessité stratégique de contrôler la croissance démographique des pays du tiers-monde pour maintenir les réserves de bio-masse concentrée dans les forêts tropicales humides et pour maintenir l'hégémonie de la population d'origine anglo-saxonne dans le monde. Quand l'ONU a présenté son dernier rapport sur la population, plusieurs théoriciens ont dit que la dissémination du virus VIH/SIDA remplissait un rôle important pour contenir la croissance démographique des pays pauvres ; il semble donc que le SIDA soit perçu, selon les critères de ces gens-là, comme un moyen de régulation démographique. Cette proposition défend aussi toutes les formes de violence, de nettoyage ethnique, d'extermination par les guerres, etc. En conséquence, l'extermination est un projet politique, pensé dans les cercles de droite, dont la CIA. La deuxième proposition vient du centre, c'est une issue que je qualifierai d'administration des tensions sociales et qui a pour centre la Banque Mondiale et les ONG. Dans ses rapports annuels, la Banque Mondiale appelle l'attention sur l'accroissement de la pauvreté. Selon les techniciens de cette organisation, si la pauvreté n'est pas contrôlée, elle peut se transformer en facteur d'instabilité au point de mettre en péril la structure actuelle du pouvoir. C'est pourquoi la Banque Mondiale propose d'élaborer et de financer des programmes sociaux qui diminuent et contrôlent, mais pas forcément qui résolvent, le problème de la pauvreté. C'est si vrai que la Banque Mondiale dit que : l'institution doit orienter ses projets sociaux vers ceux qui sont dans la situation la plus désespérée, et ces projets doivent être coordonnés au-delà des états nationaux, avec en contrepartie les organisations non gouvernementales. Cela met en évidence une conception particulariste et non universelle des politiques publiques. Ainsi, cette proposition du centre reconnaît l'existence de la pauvreté et la nécesité d'y faire face, mais au sens du contrôle et de l'administration du problème, pas de sa solution. Enfin, il existe une autre issue, venue de la gauche, qui est celle que nous défendons. Il s'agit d'une issue fondée sur la rupture avec le modèle en vigueur. La rupture avec ce modèle passe par la récupération du projet éthique perdu avec le néolibéralisme, en reprenant l'idée de la construction d'un système qui réponde à la logique de la vie et non pas à celle du marché. Cela signifie récupérer l'espace politique comme lieu de débat et de pensée critique, espace perdu pour les logiques marchandes. Cela signifie rompre avec ce modèle de concentration de la richesse et pas simplement administrer les tensions sociales. Autrement dit, il s'agit de projets politiques qui s'attaquent directement aux racines du problème. Par conséquent, en résumé, ce projet implique une redistribution radicale de la richesse, une démocratisation réelle du pouvoir et une lutte intransigeante contre le racisme, l'intolérance et la xénophobie. A notre avis, ce projet passe par une alliance des peuples touchés par l'exclusion sociale, peuples d'Amérique Latine et d'Afrique principalement. A partir de cette grande alliance, il sera possible de construire un projet alternatif de globalisation, fondé sur la logique de la vie et non sur celle du marché. *Dennis de Oliveira, coordinateur national de la Union de Negros por la Igualdad (UNEGRO), Brésil. Professeur de journalisme de l'Université méthodiste de Piracaba et de l'Université de Anhembi Morumbi. Traduit de l'espagnol par ALAI.
https://www.alainet.org/fr/articulo/108202?language=es
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