Politique économique

24/05/2005
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Opinión
-A +A
L’economiste et vice-recteur à la recherche à l’Université d’État d’Haiti, Fritz Deshommes, signe ce 26 mai à Port-au-Prince, dans le cadre de la foire « Livres en Folie », son ouvrage intitulé « Politique économique en Haïti. Rétrospectives et perspectives » [1]. AlterPresse publie des extraits de l’introduction de l’ouvrage. « Politique Economique ? Depuis quand en a-t-on entendu parler dans ce pays ? Depuis quand les grandes options sur la meilleure manière de conduire, de piloter l’économie nationale ont fait l’objet de débats, de discussions ou même d’informations ou de sensibilisation. On a peine à se souvenir de l’engouement suscité par des thèmes comme la privatisation des entreprises publiques, la libéralisation du commerce extérieur, le démantèlement de l’Etat, la production nationale, l’agriculture, la Réforme Agraire,... Tout se passe comme si tous les problèmes étaient résolus ou qu’on est parvenu à un consensus sur tous ces points ou même que les débats n’avaient jamais eu leur raison d’être, tant il est vrai que depuis toujours les choix étaient clairs et que ceux qui mettaient en question les options officiellement proposées n’obéissaient qu’à leurs pulsions négatives de toujours tout critiquer. Il y a en effet un puissant courant de pensée qui estime qu’au point où nous en sommes il ne saurait être question de choix. L’économie haïtienne est tellement malade qu’on n’a pas le temps de faire la fine bouche. Il faut mettre le cap sur ce que la communauté internationale est prête à offrir et en tirer le maximum possible. Le maximum ? En termes de projets approuvés, de décaissements obtenus, d’infrastructures mises en place. Si vrai que depuis quelque temps, l’essentiel du débat économique porte sur l’attitude des bailleurs de fonds envers le pays et ses dirigeants, le volume des engagements qu’on peut arriver à leur soutirer, la capacité d’absorption du pays, la bonne ou mauvaise volonté de la communauté internationale, notre niveau de maîtrise des procédures de décaissement1, etc... Même le débat politique s’en ressent. Demandez à n’importe quel dirigeant du Parti Lavalas ce qui explique l’échec économique de son gouvernement ou l’immense fossé séparant les attentes suscitées des réalisations concrètes. La réponse automatique et spontanée sera que la communauté internationale est le principal responsable, pour n’avoir pas décaissé les fonds promis dans les accords. Même si la plupart des observateurs économiques et politiques n’ont pas beaucoup d’efforts à déployer pour dénoter le caractère farfelu et infondé des promesses du 7 février 2001. Quel était le meilleur argument de campagne électorale contre le parti qui disposait d’une relative majorité parlementaire à l’occasion des joutes de mai 2000 ? L’accusation que le parlement n’avait pas approuvé plusieurs contrats signés avec les bailleurs de fonds, ce qui en faisait le responsable de la misère du peuple. Savez-vous pourquoi le Plan National d’Education et de Formation, élaboré depuis 1997 pour 10 ans, piétine ? Parce que, nous indique un panéliste du Colloque sur l’Economie de l’Education2, haut cadre du ministère de l’Education Nationale, le financement des programmes y relatifs devait venir de la communauté internationale qui, depuis lors, avec les problèmes politiques que l’on sait, tarde encore... Plus près de nous le gouvernement de transition, en quête d’une autre légitimité, avait mis l’essentiel de ses œufs dans le panier de l’aide internationale. Qui ne se rappelle la satisfaction de nos dirigeants, annonçant en ce soir de juillet 2004 l’immense victoire qu’ils venaient d’obtenir auprès des bailleurs de fonds dont les engagements ont dépassé toutes les espérances ? Moins de six mois plus tard, le chef du gouvernement, le ministre des finances3 et d’autres ministres diront, chacun dans son style propre, leur désappointement, leurs désillusions. Certains diront même qu’ils ont été trompés. Là encore, la faute aux bailleurs de fonds... Les exigences, les attitudes, les humeurs des bailleurs de fonds tiendraient donc lieu de politique économique ? On semble oublier que les bailleurs de fonds ont leur vision, leurs intérêts, leur compréhension, leurs paradigme et, bien sûr, leurs conditionnalités. On sait qu’il y a des thèmes et des questions qu’ils affectionnent particulièrement, notamment le degré d’ouverture de l’économie, le poids des entreprises publiques, la taille de l’Etat et ses niveaux d’intervention. On sait que dans toute négociation des exigences d’une certaine nature/portée vont pleuvoir :privatisation des entreprises publiques, l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires, l’augmentation des recettes publiques, la diminution des dépenses publiques, la libération du taux de change, la restriction du crédit. Faut-il rappeler que cet agenda et les solutions proposées constituent des choix de politique économique susceptibles d’être contestés par d’autres courants de pensée qui pourraient proposer d’autres agendas et d’autres solutions. Mais au-delà des conditionnalités et même en adoptant le point de vue trivial selon lequel il faudrait plutôt se taire et se laisser financer aveuglément compte tenu de notre état lamentable, il importerait de se questionner sur les choix opérés en termes de secteurs à financer, de priorités retenues. Faut-il privilégier l’agriculture ou le tourisme ? Les routes nationales ou les routes secondaires ? Les infrastructures d’irrigation ou de communication ? L’assistance technique étrangère ou l’université nationale ? Le crédit aux artisans ou à la sous-traitance ? Les interrogations paraissent élémentaires ; pourtant nos réflexions, nos discussions, nos débats semblent les éviter elles aussi. Il est vrai que depuis quelque temps les bailleurs eux-mêmes semblent vouloir s’intéresser un peu plus à nos réalités et se montrent plus sensibles à des thèmes comme la pauvreté, la corruption, les dépenses sociales. Et cela aurait pu nous porter à mettre en veilleuse notre vigilance théorique et notre capacité critique. Mais nous devons toujours nous rappeler que toute la bonne volonté du monde et toute la bonne foi des bailleurs ne sauraient remplacer une connaissance réelle et approfondie des mécanismes de fonctionnement de notre économie, des ressorts profonds de notre société et des sources de son dynamisme. D’autres raisons plus internes pourraient être à la base de cette désaffection pour le débat sur la politique économique. Il y a le sens du marronnage de nos dirigeants qui signent des accords dont ils savent qu’ils ne vont pas les respecter, se promettant de gagner du temps et de mettre sur le dos d’autres partenaires ou adversaires la responsabilité de l’échec. Marronnage également à l’égard du citoyen dont on connaît la sensibilité à l’égard de certaines questions ou de certains engagements qu’on espère pouvoir lui cacher. Il y a la crise, longue, désespérante, multiforme, sempiternelle, exaspérante qui porte à privilégier le sens de la survie plutôt qu’à réfléchir ou à poser de sérieux problèmes. Mais la crise elle-même ne serait-elle pas le fruit de ces politiques qui s’appliquent totalement ou partiellement ou qui après avoir fait l’objet d’engagements ne sont pas appliquées tandis que ne présente aucune alternative ? Tout cela nous ramène à une conclusion : la nécessité et l’urgence de la réflexion et du débat sur la politique économique. Trois raisons au moins nous y convient : la persistance de la crise ; le déficit évident de souveraineté nationale qui caractérise cette période du Bicentenaire de l’Indépendance Nationale et la menace d’une tutelle plus claire ; le consensus qui est en train de s’établir sur la nécessité d’un « Dialogue National », d’une « Conférence Nationale » ou d’un « Nouveau Contrat Social ». Il s’avère donc important de remettre l’économie dans l’agenda de la nation. Comment donc aborder la question ? Comment dans ce pays ravagé par la crise, célèbre par son sens du marronnage, permettre de retrouver le fil conducteur de la politique économique, en identifier les éléments, expliciter les choix et en apprécier l’application et l’impact ? Comment contribuer à remettre l’économie dans l’agenda de nos palabres à venir. Comment nous rappeler que l’économie ce n’est pas juste le nombre de prêts en souffrance ou le volume de l’assistance décaissée mais que c’est aussi 5 millions de ruraux, 6 millions de chômeurs, 7 millions de pauvres qui eux aussi ont le droit de faire partie de cette nation et d’intégrer ce « Nouveau Contrat Social » que nous appelons tous de tous nos vœux4 ? Comment remettre en mémoire que l’économie c’est aussi la croissance à retrouver, dans un cadre viable et équitable, les emplois à multiplier, massifs, productifs et rémuné rateurs, la stabilité macro-économique à garantir sans sacrifier la stabilité sociale, les ressources humaines, matérielles et financières à identifier et à valoriser dans un cadre d’efficience et de durabilité, l’ensemble des citoyens à intégrer dans la division sociale du travail en permettant à chacun de jouir des fruits de son apport... » - Fritz Deshommes, membre fondateur de l’Association Haïtienne des Economistes, enseigne l’économie à l’Université d’Etat d’Haïti. Il est considéré comme l’un des pionniers du journalisme économique contemporain en Haïti. On lui doit de nombreuses publications sur l’économie haïtienne. [1] Politique économique en Haïti. Rétrospectives et perspectives. Frits Deshommes. Mai 2005 Posté le mercredi 25 mai 2005 http://www.alterpresse.org/article.php3?id_article=2582
https://www.alainet.org/fr/active/8300
S'abonner à America Latina en Movimiento - RSS