Ce pays qui s’ignore
28/05/2013
- Opinión
Existe-t-il encore des raisons d’aimer ce pays ? Et de croire à sa possible régénération ?
Ce pays qui ne peut se prendre en charge. Dont les élites ne peuvent s’entendre. Et qui se chamaillent à tout bout de champ, à propos de n’importe quelle vétille ?
Ce pays obligé de s’en remettre à l’étranger pour tout : son budget, ses élections, son alimentation, sa sécurité, mais aussi ses spots publicitaires, ses colloques. Ce pays qui depuis 20 ans reçoit sur son territoire des armées étrangères. Et dont le président se targue de s’appuyer sur ces forces étrangères pour se prémunir contre les coups d’État.
Ce pays qui demeure depuis belle lurette le plus pauvre de tout l’hémisphère occidental. Et qui s’y enfonce inexorablement.
Ce pays dénué de toutes ressources valables, humaines, minières, pétrolières, agricoles. Et dont le meilleur atout demeure sa main-d’oeuvre illettrée et bon marché.
Ce pays qui importe de l’étranger ses plans de développement, son horizon 2030, ses perspectives d’avenir, ses politiques publiques, mais aussi ses experts financiers, ses économistes, ses specialistes de l’humanitaire. Jusqu’à ses cadres moyens de l’assemblage, ses superviseurs d’ouvriers du textile.
Ce pays bloqué, stoppé, qui tourne en rond, et qui semble aborder une pente inexorablement descendante.
Ce pays dont on ne sait plus que faire…
Cet ouvrage parle résolument d’un autre pays.
De ce pays père de toutes les libertés, inspirateur de révolutions, promoteur de droits humains à l’échelle planétaire.
De ce pays qui a vaincu la plus grande armée du monde pour terrasser l’esclavage, le colonialisme et le racisme.
De ce pays exemplaire de courage, de générosité, de solidarité et dont plusieurs peuples de plusieurs continents se souviennent encore.
Oui, d’un autre pays qui recèle d’innombrables richesses humaines, matérielles, culturelles.
Ce pays dont le sous-sol n’est pas encore révélé et à propos duquel on parle de plus en plus sérieusement d’or, de pétrole, d’iridium et dont le Bureau des Mines et de l’Energie disait récemment : « D’une manière générale, les Haïtiens ne croient pas que le sous-sol de leur pays soit très riche en ressources minières. Pourtant le territoire de la République d’Haïti recèle de très intéressants indices et gisements de substances minérales de grande valeur économique, susceptibles d’ouvrir la voie à une intense activité minière nationale ».
Ce pays riche de sa médecine traditionnelle, de sa cuisine, de sa peinture, de sa musique, de sa langue, de ses chants et danses et dont se réclame toute la Caraïbe. Mais aussi de ses écrivains qui n’en finissent pas de rafler les prix internationaux les plus prestigieux.
Je parle de ce pays, producteur des resources humaines les plus qualifiées et qu’il exporte vers les plus grands centres planétaires, les institutions internationales, les grandes universités, les gouvernements du monde et qui n’a pas hésité à offrir au pays à l’indice de développement humain le plus élevé de l’Amérique, le Canada, sa gouverneure générale.
Je parle de ce pays dont le climat, la topographie, la diversité agro-écologique lui permettent de produire la gamme la plus large de produits, ceux des climats tempérés comme ceux des plus chauds tropiques.
D’un autre pays ?
Ce livre se propose de nous porter à retrouver et faire vivre cet autre pays.
Il invite à regarder au fond de nous-mêmes et tout autour pour découvrir ce que nous sommes réellement, ce que nous représentons, ce que nous détenons, ce qu’on nous cache et ce dont nous sommes capables.
Est-il vrai que nous sommes dénués de toutes ces ressources qui conduisent au progrès et au développement ? Est-il vrai que notre sous-sol est aussi pauvre qu’on nous l’a toujours dit ? Est-il vrai que nos potentialités agricoles sont nulles ? Continuerons-nous à affirmer que la culture n’envoie pas au marché ? Que la médecine traditionnelle n’est bonne que pour les arriérés et les archaïques ? Que le créole ne peut que nous éloigner de l’ouverture sur le monde et la modernité ?
Devons-nous continuer à admettre que nous n’avons rien réalisé en tant que peuple ? Que nous ne pouvons rien par nous-mêmes ? Que nous sommes juste bons pour être pris en charge par l’humanitaire et les bons sentiments de nos tuteurs ?
Plus précisément, comment amener à la lumière cet autre pays dont l’histoire, la géographie, la culture, l’art, le sol, le sous-sol, les ressources humaines suscitent encore l’envie de plus d’un ?
C’est à cette réflexion que cet ouvrage convie.Sans prétention, il reprend , en français et en créole, un ensemble de prises de position publiques, liées de près ou de loin à notre patrimoine, à notre essence, à nos valeurs, à nos ressources, à nos potentialities et que nous avons été amené à formuler soit en tant que vice-recteur de l’ueh, soit en tant qu’économiste, soit en tant qu’écrivain. Dans leur édition originelle elles ont pris diverses formes : des allocutions prononcées à l’occasion d’inauguration ou de lancement d’événements majeurs ; des entretiens à la presse sur des thèmes spécifiques, des notes de présentation de publications ou d’initiatives pertinentes, etc.…
Deux exceptions cependant :
Le texte intitulé : « Les ressources d’Haiti », publié en page 107, n’est pas de nous. Il a été tiré d’un ouvrage paru en 1893 destiné à présenter les atours et les atouts d’Haïti à l’occasion de la participation de notre pays à l’Exposition Colombienne de Chicago. Il porte sur les ressources matérielles d’Haïti, au triple point de vue minéral, végétal et animal, introduisant ainsi un aspect de notre patrimoine pas suffisamment pris en compte dans les considérations antérieures, lesquelles portent surtout sur le culturel, l’immatériel. Au moment où nous avons le sentiment très fort que nous ne connaissons pas suffisamment nos ressources ou qu’on nous les cache, ce document constitue pour nous une excellente référence qui pourrait orienter les recherches à réaliser dans la perspective d’une meilleure maitrise de nos richesses..
L’autre exception se rapporte à la Déclaration finale du Congrès du mpnkp tenu du 22 au 27 mars dernier à Papaye. Un véritable cri d’alarme. Sur l’état du pays. Les dangers qui le guettent. Les maux qui le rongent. Mais aussi sur les dispositions urgentes à adopter pour inverser la tendance. Elle confirme l’idée que nous ne connaissons pas suffisamment notre pays et ses richesses et que nous sommes trop souvent prêts à les gaspiller ou à les brader. Nous étions sur le point de mettre sous presse quand nous avons eu connaissance de cette Déclaration. Il nous parait pertinent de l’insérer en annexe.
Par ailleurs, il importe de noter que le present ouvrage est écrit en français et en créole. Une nouveauté par rapport à nos publications antérieures. Il est vrai que, dans la bataille en faveur de la promotion de notre langue nationale, pour la revalorisation de cette composante fondamentale de notre patrimoine, pour la mise en place de l’Académie du créole haïtien et pour l’introduction du créole comme langue officielle de la caricom, l’ueh est au coeur de l’action. Nous saisissons cette occasion pour publier les texts y relatifs et inaugurer du même coup notre carrier d’écrivain de nos deux langues officielles.
- Introduction au livre Ce pays qui s’ignore / Yon peyi ki pa konnen valè tèt li du professeur Fritz Deshommes
Source AlterPresse
https://www.alainet.org/fr/active/64429
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