La corruption rose et les fonds PetroCaribe (3 de 5)

16/11/2014
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L’avenir est sombre car le peuple haïtien n’acceptera pas de rester les bras croisés éternellement pendant que le coût de la vie augmente suite à l’augmentation du prix des produits pétroliers [1]. commencée le 10 octobre 2014. L’équipe Tèt Kale devra rendre des comptes sur le gaspillage des fonds PetroCaribe. Un procès dépassant en révélations explosives celui de la Consolidation de 1903-1904 se profile à l’horizon. Le temps de la vérification de l’utilisation des fonds publics approche au galop. Les langues se délieront et on saura les bénéficiaires de la caisse noire des fonds PetroCaribe.
 
Les trucs pour séduire tels que la distribution de kits alimentaires « Panye solidarite » du programme Ede PÈP ne trompent personne. Cette politique astucieuse a deux objectifs. Le premier consiste à manipuler les consciences en organisant les distributions d’aliments le jour des manifestations populaires afin que les populations n’aillent pas protester. Le second est de tenter de justifier les dépenses arbitraires des fonds PetroCaribe. Cet argument ne tiendra pas devant un audit sérieux de la dette publique pour décider de sa légitimité ou de son illégitimité. La poursuite devant les tribunaux internationaux des bandits légaux aura lieu, ainsi que la négociation de l’annulation de sa partie illégitime.
 
Le tableau 3 indique l’évolution de la dette publique globale d’Haïti. Cette dette qui était de 8.7% du produit intérieur brut (PIB) en 2011 est de 22.9% du PIB en 2014. On comprend donc que selon le rapport du World Economic Forum 2014-2015, Haïti soit classé 137 sur 144 pays à travers le globe et le pays le moins compétitif de toute l’Amérique Latine en 2014. En 2011, dans l’Indice sur le Développement Humain publié par le PNUD dans son Rapport sur le Développement Humain, Haïti était classée 158 sur 187 pays, aujourd’hui en 2014, Haïti est classée 168 sur 187 pays, soit une régression de dix places.
 
Tableau 3. Dette totale d’Haïti de 2010 à 2014 en millions de dollars US [2]
 
 
Il importe de remarquer les quatre indicateurs dans lesquels la performance d’Haïti est la pire : a) largeur de bande internet internationale où Haïti est classée 144e sur 144 pays ; b) les droits de propriété où Haïti est classée 143e sur 144 pays ; c) qualité de l’infrastructure générale où Haïti est classée 142e sur 144 pays ; et d) la transparence des politiques publiques où Haïti est classée 141e sur 144 pays [3].
 
Cette classification démontre clairement que la stratégie suivie par le gouvernement en place est désastreuse et n’accélère pas la croissance et le développement. Ce que confirme aussi le dernier rapport 2015 du Doing Business [4] qui place Haïti au 181e rang sur 189 pays. Au fait, encore une fois, les pratiques des bandits légaux sont dénoncées et conduisent à classer Haïti « parmi les moins vertueux des États en matière de gestion des finances publiques [5]. » Au fait, depuis l’arrivée au pouvoir de l’équipe Martelly, Haïti ne fait que régresser avec des politiques iniques et incohérentes. Aussi, en bonne logique, Haïti passe de la 166e place sur 182 pays en 2011 à la 174e place sur 183 pays en 2012. Puis, la détresse augmente et Haïti est encore à la 174e place sur 185 pays en 2013. La dégringolade s’accélère Tèt Kale et Haïti est à la 180e place sur 189 pays en 2014.
 
L’intérêt de ces chiffres vient du fait qu’ils sont publiés par des institutions qui, tout en appuyant le statu quo, ne peuvent mentir pour le cas particulier d’Haïti et ainsi perdre leur crédibilité. Les institutions internationales constatent qu’Haïti régresse carrément, ancrée dans le surplace du 180e place sur 189 pays en 2015, parmi les dix derniers pays de la planète avec les Tèt Kale. C’est une bombe prête à exploser et aucun artificier ne peut trouver le moyen de la désamorcer. Surtout pas le président Martelly qui continue de faire des déclarations à l’emporte-pièce clamant que tout va bien. Comme l’écrit l’économiste Thomas Lalime, « À défaut de lire et d’écouter les médias, le Président pourrait au moins lire les rapports des institutions nationales et internationales qui rendent compte de la performance de l’économie haïtienne [6]. » C’est oublier que le président a dit en clair qu’il « déteste les livres » [7] !
 
Au fait, on ne saurait demander à Martelly de donner ce qu’il n’a pas. En dévoilant lui-même son identité trouble, ce dernier reconnaît ses manquements et faiblesses dans une longue entrevue en cinq parties de décembre 2005 diffusée sur YouTube avec le journaliste Carl Fombrun [8]. Martelly dit qu’il est un piètre individu, un médiocre chanteur et musicien, chassé de l’académie militaire, engagé dans des trafics illicites de détournement de camions malaxeurs de mortiers (béton) pour les vendre afin de se procurer l’argent nécessaire à l’achat de crack et autres drogues dures. Pourtant, les services secrets américains qui connaissent ces informations ont délibérément choisi cet individu pour diriger Haïti. Était-ce leur façon de répéter le diction créole « ba yo sa yo merite » ? Martelly serait-il vraiment la représentation du peuple haïtien ? Le peuple haïtien ne mérite-t-il pas mieux ?
 
En effet, selon le journaliste Jeb Sprague, « Le 28 novembre, comme il était devenu évident que les élections d’Haïti étaient chargées de fraudes et de privations du droit de vote, Martelly a rejoint 11 autres candidats pour demander leur annulation. Mais plus tard, ce jour-là, selon ce qu’a rapporté Al Jazeera, Edmond Mulet, qui dirige la Mission des Nations Unies pour stabiliser Haïti (MINUSTAH), a appelé personnellement Martelly pour lui dire qu’il était en tête. Sweet Micky, sans même souffler un mot aux autres candidats du groupe formé de façon impromptue, est retourné dans la course électorale [9]. »
 
La gestion économique se heurte à l’ordre politique de la société qui trouve son origine dans l’organisation électorale. Dans une société où tout dépend des accointances avec le pouvoir politique, les élections constituent des enjeux fondamentaux pour les groupes d’intérêt qui veulent s’assurer de la continuation de leurs privilèges. On s’explique donc que les élections soient l’objet de crises profondes car leurs résultats peuvent plonger des secteurs déterminés dans le trou immédiatement et brutalement. Les élections du 28 novembre 2010 n’échappent pas à cette contrainte économique et financière d’autant que la gestion des fonds PetroCaribe représentait un enjeu réel surtout pour le parti INITE du président Préval.
 
Le rapport du RNDDH confirme que Michel Martelly (Sweet Micky) et Madame Manigat qui avaient signé l’appel à l’annulation des élections se sont désolidarisés des autres candidats par la suite. « A la mi-journée du scrutin du 28 novembre 2010, plusieurs candidats à la Présidence ont décidé, face aux nombreux problèmes susmentionnés, de rappeler leurs mandataires et d’exiger l’annulation des élections. Ces candidats : Mirlande Hyppolite MANIGAT, Garoudy LAGUERRE, Michel Joseph MARTELLY, Jean Henry CEANT, Chavannes JEUNE, Yves CHRISTALLIN, Josette BIJOUX, Génard JOSEPH, Marc Smarcky CHARLES, Jacques Edouard ALEXIS, Charles Henry BAKER et Léon JEUNE, rassemblés sous la dénomination du Groupe des douze ont rapidement donné une conférence de presse dans laquelle ils ont indiqué que le scrutin du 28 novembre 2010 n’est qu’une mascarade électorale et qu’en aucune manière, ils ne peuvent cautionner cette mascarade. Par la suite, les candidats Mirlande Hyppolite MANIGAT et Michel Joseph MARTELLY, au fur et à mesure que la tendance du vote se faisait connaitre, ont décidé de se détacher du groupe et de continuer la course [10]. »
 
La corruption électorale qui a propulsé Martelly à la présidence ne saurait être circonscrite uniquement au champ politique. Quand un gouvernement est issu de la fraude électorale avec achat du bulletin de vote à 100 pesos (9 dollars US) comme on l’a vu au Mexique [11] lors des élections de 2006 et 2012, la transparence ne saurait exister ensuite dans la gestion du pouvoir. En Haïti selon le RNDDH, aux élections de novembre 2010 « des partisans et sympathisants de la Plateforme INITE, très agressifs, offrent à la barrière des centres de vote des montants allant de cinquante (50) gourdes à deux cent cinquante (250) gourdes ainsi que des calendriers à l’effigie du candidat à la Présidence de la Plateforme INITE, Jude CELESTIN pour influencer le vote [12]. »
 
Au fait, la campagne d’achats de bulletins de votes ne concerne pas uniquement le parti INITE. Selon le RNDDH, « Si les partisans et sympathisants de la plateforme INITE étaient les plus agressifs et les premiers à commencer la campagne, force est de constater que plusieurs autres partis impliqués dans la course électorale ont emboîté le pas [13]. »
 
En réalité, la corruption électorale est inhérente au processus lui-même. La démocratie est impossible quand on connaît les dépenses nécessaires en termes de spots publicitaires, fabrications de tee-shirts, autocollants, foulards, colliers, bracelets, salaires et nourriture pour les travailleurs permanents le jour du scrutin, etc. Le coût élevé du financement d’une campagne électorale (5 millions dollars US pour une campagne présidentielle, 500 mille dollars US pour une campagne au sénat et 300 mille pour une campagne à la députation) [14] est hors de portée pour le citoyen moyen. Les fondements du jeu hors scène sont solidement établis avec comme exigence de fond l’absence d’éthique et de morale. Le comportement observé en politique se dessine ouvertement dans les autres espaces et surtout en économie.
 
L’anéantissement de la citoyenneté continue son parcours dans une atmosphère générale de délinquance décrite par Hérold Jean-François où « les bandits se transforment paradoxalement en geôliers du reste de la nation en résidence surveillée ! [15] » Les investissements consentis au cours d’une campagne électorale doivent être rentabilisés autant par les candidats que par ceux qui les ont financés. Or justement les salaires payés par la fonction publique ne peuvent expliquer les investissements encourus dans les campagnes électorales. Le courage de la vérité commande de dire avec l’économiste Thomas Lalime, « il faudrait donc chercher ailleurs » [16]. Et cet ailleurs est la corruption. L’affaiblissement de l’état de droit se fait avec un double bind. Une double contrainte. D’une part, les dirigeants classiques et autres brasseurs d’argent des milieux d’affaires ne peuvent plus défendre leurs intérêts en contrôlant simplement le pouvoir exécutif. D’autre part, le pouvoir des narcotrafiquants tout en provoquant certains dysfonctionnements au niveau du parlement consolide le système global.
 
En clair, les signaux envoyés par Martelly ne sont pas brouillés. On peut imaginer les folies et la frénésie de corruption de ce groupe de bandits légaux avec les retombées financières des projets miniers (uranium, or, argent) et pétroliers, si ces derniers devaient se révéler réels. Dans un tête-à-tête complice avec la communauté internationale, les emballements causés par les fonds PetroCaribe seraient multipliés à l’infini.
 
(à suivre)
 
…………….
 
- Leslie Péan ést économiste, écrivain
 
[1] Haïti-Produits pétroliers : L’augmentation graduelle des prix commence le 10 octobre, AlterPresse, 9 octobre 2014
 
[2] IMF Country Report No. 14/105, April 2014, p. 23.
 
[3] Klaus Schwab, World Economic Forum 2014-2015, Geneva, p. 203.
 
[4] Doing Business 2015, World Bank, Washington, 2014.
 
[5] Cité dans la « Lettre de démission de Marie-Carmelle Jean Marie », 10 avril 2013.
 
[6] Thomas Lalime, Économie haïtienne : radiographie d’un désastre, Pétion-Ville, C3Éditions, 2014, p. 191.
 
[7] « Après avoir demandé à la population de ne pas voter pour les "candidats pauvres", Martelly la met en garde contre les communistes », Le Monde du Sud, 24 juillet 2014.
 
 
[9] Jeb Sprague, « Michel Martelly, Stealth duvalierist, Haïti Liberté, Vol. 4, No. 22, Du 15 au 22 Décembre 2010 » ; Lire aussi Jeb Sprague, Haïti : Qui est le candidat Michel Martelly ?, L’Aut’Journal, 13 janvier 2011.
 
[10] Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), Le RNDDH présente son rapport sur le second tour des élections présidentielles et législatives partielles du 20 mars 2011, 23 mars 2011, p. 2-3.
 
[11] Jacobo G. García, « López Obrador denuncia la compra de votos del PRI », El Mundo, México , 5 de Julio de 2012 , ; Lire aussi Andrés Manuel López Obrador, La mafia nos robó la Presidencia, Grijalbo, 2007.
 
[12] RNDDH, Rapport du RNDDH sur les élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2010, 3 décembre 2010, p. 7.
 
[13] Ibid , p. 7
 
[14] Rony Gilot, Garry Conille ou le passage d’un météorite, P-auP, 2012, p. 67.
 
[15] Hérold Jean-François, « L’État parasite », Le Nouvelliste, 25 septembre 2006.
 
[16] Thomas Lalime, Économie haïtienne, op. cit., p. 319.
 
Source AlterPresse, 17 novembre 2014
 
https://www.alainet.org/fr/active/78889
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