La Colombie en voie de « paramilitarisation »
25/02/2005
- Opinión
Militant de longue date pour la paix, infatigable défenseur des
droits humains et auteur du livre « Colombie : la démocratie
génocidaire », le père Javier Giraldo est une figure
incontournable pour comprendre la réalité colombienne. Le premier
décembre 2004, il était à Bruxelles, au Parlement européen [1],
pour co-présenter le nouveau rapport « Réélection, l’envoûtement
continue », rédigé par la Plataforma Colombiana de Derechos
Humanos, Democracia y Desarrollo qui rassemble de très nombreuses
organisations sociales, écologistes et de défense des droits
humains du pays sud-américain. Ce rapport a pour ambition de faire
un bilan, sous divers aspects, des deux premières années de
gouvernement d’Alvaro Uribe Vélez [2]. Pour le Padre Giraldo, le
phénomène le plus grave qui traverse actuellement la société
colombienne est sa paramilitarisation. Interview.
1. La troisième légalisation du paramilitarisme
1.1. Un produit de la doctrine de la sécurité nationale
D’où vient le paramilitarisme et comment peut-on parler
aujourd’hui d’une paramilitarisation de la Colombie ?
Une version très répandue par les médias, colombiens et étrangers,
tend à reprendre le discours traditionnel des autorités
colombiennes en répétant que les paramilitaires sont un acteur
indépendant dans le conflit colombien, le « troisième » acteur
avec les guérillas de gauche (FARC - Forces armées
révolutionnaires de Colombie et ELN - Armée de libération
nationale) et l’Etat colombien. Selon cette version, le
paramilitarisme trouverait son origine dans les années 1980 dans
la réaction de secteurs privés victimes des actions et de la « loi
» de la guérilla (extorsions de fonds, kidnappings, etc.). Le père
Javier Giraldo réfute cette version. « En vérité, le
paramilitarisme existait déjà auparavant. Des documents, longtemps
restés secrets, montrent qu’il s’agit d’une stratégie d’état.
Michael McClintock, un chercheur états-unien, a étudié durant
vingt ans tous les documents déclassés par le Département d’état
et le Pentagone relatifs à la politique étrangère des Etats-Unis.
Cet investigateur a découvert qu’une mission militaire de l’armée
des Etats-Unis - la mission Yarborough, du nom du général
dirigeant cette mission - visita la Colombie en 1962. Cette
mission était composée d’instructeurs d’une nouvelle école, l’
« école de la guerre spéciale » de Fort Bragg (état de Georgie).
Ces derniers laissèrent une sorte de rapport secret selon lequel
le gouvernement colombien devait commencer immédiatement à former
des groupes mixtes de civils et de militaires, afin, comme il est
dit textuellement dans un de ses paragraphes, de « réaliser des
activités terroristes paramilitaires ». Le rapport était
accompagné d’une sorte de supplément, encore plus secret, dans
lequel on parlait de méthodes de torture et où l’on donnait des
instructions pour la police et l’armée sur la méthode à utiliser
pour enquêter sur les gens de l’opposition. »
A l’époque, les Etats-Unis essayaient de répondre aux échecs subis
et aux difficultés rencontrées notamment au Vietnam, et à Cuba.
Leur intention était d’élaborer une nouvelle stratégie de guerre,
répondant à la guerre de guérillas. C’est l’ère de la Doctrine de
sécurité nationale qui mènera la première puissance mondiale à
imposer et soutenir de nombreuses dictatures dans le cône Sud.
« Ce qui attire l’attention, c’est qu’à l’époque, quand ils
recommandent cette stratégie paramilitaire, il n’existait en
Colombie aucun groupe armé de gauche. Les guérillas libérales des
années 40 et 50, durant La Violencia [3], avaient déjà disparu.
Les leaders de ces mouvements qui avaient rendu les armes avaient
été pour la plupart assassinés. La guérilla de gauche naît deux
ans plus tard. Donc on se demande quel était l’objectif du
paramilitarisme.
« Quand on lit ces documents, on voit que tout est élaboré contre
les « sympathisants du communisme ». Cette expression était très
vague. Même s’il y avait un Parti communiste - très faible -, dans
des documents postérieurs, on se rend compte qu’ils identifiaient
comme « sympathisants du communisme » les syndicats d’ouvriers et
de paysans, les étudiants, les partis politiques d’opposition, les
groupes de défense des droits humains, et aussi les théologiens de
la libération [4]. C’était donc une guerre contre une manière de
penser et pas contre un groupe armé. L’objectif était d’exterminer
une position idéologique. »
A la légitime question de savoir si les recommandations des
instructeurs nord-américains sont restées lettre morte ou si elles
ont été mises en pratique, le Padre ne laisse planer aucun doute :
« Si on regarde tous les manuels de guerre qui furent élaborés en
Colombie depuis cette époque pour entraîner et former les
militaires - j’en connais plus ou moins cinq -, dans chacun, on
parle de la stratégie paramilitaire comme s’il s’agissait d’une
stratégie légale, assumée. » Les conseils distillés par les
Etats-Uniens ont même pris la forme d’un décret. « En 1965, c’est
la première légalisation explicite du paramilitarisme. Le jour de
Noël, le président Valencia [5] publia le décret 3398 réformant le
ministère de la Guerre - comme il s’appelait à l’époque - et le
transforme en ministère de la Défense nationale. L’article 25 de
ce décret permettait la formation de groupes de civils au service
de l’armée et donnait le pouvoir à celle-ci d’en constituer et de
les coordonner. L’article 33 autorisait, quant à lui, l’armée à
fournir à ces groupes des armes à usage exclusif de l’armée. » En
1968, le décret est devenu loi, la loi 48.
Si, depuis lors, il a existé de nombreux groupes de civils armés
s’apparentant à des paramilitaires, c’est à la fin des années 1970
que le paramilitarisme en tant que structure organisée émerge avec
la création, notamment de la Triple A, Alianza Anticomunista
Americana (« Alliance anticommuniste américaine »), un « groupe
créé au sein du bataillon de renseignement de l’armée », affirme
Javier Giraldo. « En 1980, apparaît un sigle qui va semer la
terreur à travers le pays. C’est le sigle MAS (« Muerte a las
secuestradores »). Dans de nombreuses régions, les militaires
commencèrent à créer des groupes avec les mêmes sigles : MAS.
Le paramilitarisme émerge comme une structure organisée et
développe ses premières expériences de contrôle territorial. Le
Magdalena Medio a été un de ses laboratoires. « A Puerto Boyaca,
les paramilitaires n’étaient plus clandestins. Le maire, un
militaire, se proclamait paramilitaire. Dans un journal, ils
invitaient tous ceux qui voulaient des armes à se rendre au
bataillon de l’armée. Ils créèrent également une structure
politique : Morena, pour Movimiento de Renovacion Nacional. Ils
ont aussi lancé un journal qui s’appelait Punto Rojo. Et ils
mirent à l’entrée de la ville une grande pancarte qui disait
"Bienvenue dans la capitale anti-subversive de la Colombie". Elle
y resta de nombreuses années. »
« Quand l’Union patriotique est née, un parti politique fruit des
premières conversations de paix entre les FARC et le gouvernement
de Belisario Betancur [6], les paramilitaires ont commencé à
assassiner de nombreux militants, surtout ceux qui avaient
participé et gagné des élections en tant que parlementaire, député,
conseiller communal, maire. Très peu échappèrent à la mort. Ceux
qui en réchappèrent sont ceux qui se sont exilés. Cela provoqua un
tel scandale qu’il y eut un débat national sur la paramilitarisme.
» Finalement, la Cour Suprême de justice examina quels étaient les
fondements légaux du paramilitarisme, révisa le décret de l’année
1965 et déclara inconstitutionnels les articles 25 et 33. Le
paramilitarisme passait à l’illégalité. Une situation qui ne
n’empêcha pas les « escadrons de la mort » de poursuivre leur «
guerre sale ». « Il y a plusieurs témoignages de militaires de
l’époque qui participèrent à la constitution de ces groupes
paramilitaires et qui ont expliqué comment, jusqu’à cette époque,
les réunions se faisaient dans le commandement de l’armée, dans
des lieux très officiels. Avec l’illégalisation, ils ont cherché
des intermédiaires pour coordonner la relation entre l’armée et
les paramilitaires. Le paramilitarisme passait à la clandestinité
mais les relations restaient les mêmes. »
1.2. Les CONVIVIR
En 1994, le gouvernement de César Guaviria (1990-94), connu pour
être l’initiateur de ladite « ouverture » économique du pays à la
mondialisation, adopte une loi qui réforme les entreprises privées
de sécurité. Cette loi sera la base d’une nouvelle légalisation,
la deuxième, du paramilitarisme.
Javier Giraldo : « En s’appuyant sur cette loi, son successeur, le
président Samper, émet un décret - ce n’est même pas un décret
mais plutôt un communiqué public - dans lequel il utilise
certaines phrases de cette loi et forme un modèle de coopérative
de sécurité privée rurale sous le nom de CONVIVIR. Toutes leurs
caractéristiques, dans la réalité, étaient similaires à celles des
paramilitaires. Leurs membres pouvaient être organisés et
coordonnés par les militaires, recevoir des armes de ces
militaires et leur fournir des informations. »
Les CONVIVIR commencent alors à se multiplier dans tout le pays
[7]. Un des départements où ces « coopératives de sécurité » se
développent le plus est celui d’Antioquia, dont le gouverneur, de
1995 à 1997, est un certain Alvaro Uribe Vélez, actuel président
de la République. « C’est lui qui impulse et fonde les CONVIVIR
dans tout le département. Nous avons récolté des témoignages selon
lesquels ils recevaient un carnet, une espèce de sauf-conduit des
Forces armées qui les identifiaient comme CONVIVIR. Et quand ils
voulaient se déplacer, pour commettre un massacre par exemple, ils
pouvaient passer armés en montrant ce carnet à un barrage
militaire. Cela les identifiait et les militaires ne devaient pas
faire obstacle à leur passage. »
En 1999, face aux nombreux massacres commis par les CONVIVIR [8],
l’inquiétude grandit. La Cour constitutionnelle se pencha sur
l’affaire. « Elle convoque des sessions ouvertes auxquelles
participent de nombreuses ONG et des organismes internationaux.
Mais elle adopte une sentence lamentable : elle reconnaît que ces
groupes sont légaux, mais leur impose juste quelques limites pour
l’usage d’armes. Ils ne peuvent plus utiliser d’armes offensives
mais seulement des armes défensives, à courte portée. Ils ne sont
pas illégalisés. Ces limites provoquent une certaine
autonomisation de ces groupes. Les CONVIVIR commencent à
s’affaiblir et les paramilitaires continuent leur propre chemin.
Dans certaines zones, la relation entre CONVIVIR et paramilitaires
continue [9]. »
1.3. L’intégration des paramilitaires à l’Etat.
En 1995, Horacio Serpa, leader du Parti libéral, avait proposé
l’ouverture d’un processus de dialogue avec les groupes
paramilitaires. Cette initiative avait déclenché un tollé général.
Les médias considéraient à l’époque que les paramilitaires ne
constituaient pas, à la différence des guérillas, une force
d’opposition au gouvernement et à l’Etat.
Depuis lors, la société colombienne a changé et a vécu un
processus d’acclimatation au paramilitarisme. Les groupes
paramilitaires se sont organisés au niveau national et ont pris le
nom en 1997 d’Autodéfenses unies de Colombie (AUC). Ils ont
progressivement étendu leur contrôle territorial et leur leader de
l’époque, Carlos Castaño, disparu depuis, s’est imposé comme une
figure médiatique. « Déjà en 2000, Carlos Castaño commence à être
un personnage très connu, très proche des médias. Il accorde tout
le temps des interviews à la télévision, à la radio, à la presse
écrite. Ces mêmes médias commencent, disons, à maquiller son image,
à lui ôter son caractère diabolique, à le présenter comme un
personnage presque démocratique, très religieux qui cherche à
défendre le pays du démon de la guérilla. Un imaginaire autour de
lui commence à être créé. »
Dans ce contexte, et alors que les dialogues de paix initiés par
la présidence du conservateur Andrés Pastrana (1998-2002) avec les
FARC sont dans l’impasse - ils seront finalement rompus le 20
février 2002-, le candidat à la présidence Uribe Vélez propose la
manière forte et la guerre totale contre les insurgés. Il fait
mouche au sein d’une population fatiguée par un conflit
interminable.
Pour le Padre Giraldo, la création d’une zone grise entre le civil
et le militaire constitue l’essence du paramilitarisme. C’est
justement cette thèse qui s’avère être l’axe de la campagne du
candidat Uribe. « Quand sa candidature prend de la force, il
commence à défendre la nécessité de créer des espaces où la force
publique et la population civile puissent agir ensemble. Il
commence à dessiner la figure des soldats paysans et à proposer la
création du réseau des informateurs et des coopérants, etc. »
A peine élu, le nouveau président annonce la couleur et met en
application ce que l’on appelle la « sécurité démocratique ».
Selon Amnesty International, « il a commencé à adopter, dans le
cadre de la soit-disante “doctrine de la sécurité démocratique”,
une série de mesures de type ultra-sécuritaire. Cette stratégie,
destinée à en terminer avec un conflit qui, d’après AI a coûté la
vie à plus de 60.000 personnes depuis 1985 dont 80 % de civils ne
prenant aucune part au conflit, ne prévoit aucun programme qui
permette de combattre les violations des droits humains et du
droit international humanitaire (DIH). En ce sens, le gouvernement
ne reconnaît pas que la sécurité ne peut être garantie sans un
plein respect des droits humains. En effet, au lieu d’assurer la
sécurité de tous les citoyens en isolant la population civile du
conflit armé, les mesures adoptées par le gouvernement contribuent
au contraire à entraîner les civils dans le conflit, à consolider
un mur du silence face à des violations qui peuvent être commises
à l’abri de tout contrôle et dans la plus grande impunité, et à
renforcer la place déjà grande des groupes paramilitaires dans le
pays. » [10] Dès le lendemain de sa prestation de serment (le 7
août 2002), il inaugure le premier réseau d’informateurs (voir
encadré) dans une zone très paramilitarisée, le département du
César [11]. Le 11 août, son gouvernement décrète l’état de «
commotion intérieure » [12] dans tout le pays, qui est exécuté à
travers des mesures de « contrôle de l’ordre public », reprises un
mois plus tard dans le décret 2002 qui établit également lesdites
« zones de réhabilitation et de consolidation » où l’armée se voit
octroyée des pouvoirs spéciaux et où certains droits
constitutionnels des Colombiens sont limités.
Parallèlement au développement des réseaux de coopérants et
d’informateurs, le nouveau gouvernement impulse le programme des «
soldats paysans », à savoir des formations de quelques mois
données à des jeunes, en grande majorité, afin qu’ils
s’incorporent à des tâches de contre-insurrection sous l’autorité
de l’armée, tout en restant dans leur village d’origine.
DEBUT DE L'ENCADRE ---------------------------------------------
Coopérants et informateurs
Un des programmes centraux de la politique de « sécurité
démocratique » du président Uribe a été dés le début la
constitution de réseaux de millions de coopérants et
d’informateurs qui seraient intégrés par des civils et des
entreprises privées de sécurité, tous mis au service de l’armée
pour servir à la « lutte contre le terrorisme ». Pour le
journaliste Alfredo Molano, « la rétribution d’informateurs dans
un pays où la majorité de la population est au chômage ou sous
employée peut bénéficier d’un large soutien en dépit du dégoût que
les gens du peuple éprouvent pour ce qu’ils appellent “le
mouchardage”. A la différence près que, dans ce cas la mesure est
d’envergure : un million d’informateurs, selon la propagande
officielle [13]. Les dangers sont multiples et peuvent se réduire
à deux : accentuer la polarisation, surtout chez les populations
rurales (...) et fournir à l’exécutif un instrument de
mobilisation politique, ce qui se traduirait par un clientélisme
rampant. Quoi qu’il en soit, le Réseau d’informateurs fonctionne
de fait comme un catalyseur de la guerre civile. [14] »
Il faut distinguer deux réseaux : celui des informateurs et celui
des coopérants. Pour le Padre Girlado, « dés les premiers mois du
gouvernement, dans les journaux télévisés, on pouvait voir les
généraux de la République donnant des quantités énormes d’argent à
des personnes masquées pour les rétribuer pour leurs informations.
C’était pour stimuler la population à se lier au réseau
d’informateurs. Si vous vous liez au réseau, vous allez recevoir
beaucoup d’argent. Mais c’est l’information qui est payée. Tu
donnes de l’information et selon la qualité de cette dernière, tu
recevras une certaine quantité d’argent. »
Le réseau des coopérants est quant à lui plus permanent. Pour
l’expliquer, le Padre recourt à l’exemple des cinq ou six
coopérants qui exercent dans la Communauté de San José de Apartado
où un nouveau massacre vient d’être commis par l’armée ce 21
février. « Un d’entre eux, son père fut assassiné à San José. On
croit que c’est la guérilla. Les militaires lui ont offert de le
payer pour qu’ils travaillent avec eux. Il accuse de manière
permanente la communauté. On a vu ce muchacho avec un uniforme
militaire dans une opération militaire dans la même zone. Il parle
régulièrement avec ses voisins. Il leur a dit qu’il est payé plus
ou moins 600 mille pesos, ce qui représente près de deux salaires
minimums chaque mois. Cela fonctionne bien pour lui car son rôle
est de signaler des gens et de témoigner de temps à temps en
justice contre des leaders sociaux. C’est un travail facile et
bien payé. C’est pour avoir une image très plastique de ce qu’est
un coopérant. A de nombreuses reprises, on l’a vu à la brigade
militaire. »
FIN DE L'ENCADRE ---------------------------------------------
Faisant peu de cas des craintes du Haut commissariat des Nations
Unies aux droits de l’Homme et des principales organisations
internationales de défense des droits humains, le gouvernement
colombien annonce le 27 novembre 2002 le début des dialogues de
paix avec les Autodéfenses unies de Colombie (AUC).
Javier Giraldo : « Une des premières mesures qu’il prend est de
réformer la loi 418 qui avait servi pour et réglementait les
dialogues avec la guérilla. De tous les articles, il supprime la
première condition qui permettait à un gouvernement d’entrer en
négociation avec un groupe armé : lui reconnaître un caractère
politique. Il réforme la loi et ouvre la possibilité à tout groupe
de délinquants de négocier avec le gouvernement. Pas seulement les
groupes mais les individus aussi. Un individu peut entrer dans un
processus de démobilisation et le gouvernement peut l’admettre
comme individu sans qu’il soit nécessaire qu’il ait un caractère
politique.
Sur cette base légale, le gouvernement commence les conversations
avec les paramilitaires. Au cours de tout ce processus, on se rend
compte que sa finalité n’est pas la démobilisation proprement dite.
Dans les documents, on peut le lire entre les lignes. Il ne s’agit
pas d’une démobilisation ou d’un désarmement mais plutôt d’une
intégration à l’Etat : « Nous sommes en train de rendre à l’Etat
des territoires où nous exercions l’autorité. Maintenant comme
nous avons un gouvernement qui nous donne confiance, nous rendons
ces territoires pour qu’il exerce son autorité. Mais nous, nous
allons commencer à y mettre en place, ensemble avec le
gouvernement, des projets sociaux, etc. » Donc, il ne s’agit pas
de démobilisation mais d’une insertion à l’Etat. »
Afin de mener à bien le dialogue avec les forces paramilitaires,
le gouvernement suspendit les ordres de capture à l’encontre de
ses leaders. De leur côté, les AUC s’engagèrent à ne plus violer
les droits de la population civile et à ne plus commettre de
crimes à son encontre tout au long du processus de négociation. Un
cessez-le-feu fut proclamé.
Selon la Commission colombienne des juristes (CCJ), entre décembre
2002 et septembre 2004, les forces paramilitaires ont causé la
mort de ou fait disparaître au moins 1.895 personnes. Le
gouvernement, de son côté, chiffre à 408 les assassinats jusqu’en
avril 2004. La Defensoria del Pueblo [15] a recueilli quant à elle
342 plaintes de violation du cessez-le-feu. [16] Ces éléments
n’ont pas semblé infléchir la volonté de « dialogue » du
gouvernement avec les forces irrégulières d’extrême droite. Le
premier juillet dernier, la table des négociations a été installée
à Santa Fe de Ralito (département de Cordoba) où se trouvent une
dizaine de chefs paramilitaires et entre 300 et 400 « gardes du
corps » paramilitaires, tous protégés par l’Armée colombienne.
« Le problème avec cette démobilisation, c’est que les
paramilitaires n’ont jamais utilisé leur propre nom. C’était quasi
une norme. Donc, leur casier judiciaire est vierge. La
démobilisation est fictive. Ils mettent en scène une pièce de
théâtre. On enquête sur les antécédents pénaux de chacun et il n’y
a rien.
« Cela s’est déjà passé avec le Bloque Cacique Nutibara, qui était
une structure paramilitaire opérant à Medellin. Ce groupe s’est
démobilisé il y a un an. En fait, ils n’étaient même pas
paramilitaires. C’étaient des bandes armées de jeunes des
quartiers. » La revue Semana a publié récemment le contenu de
conversations entre les commandants paramilitaires et le
Commissaire à la paix, représentant du gouvernement, Luis Carlos
Restrepo, dans lesquelles ce dernier se plaignait qu’une partie
des 800 démobilisés étaient de vulgaires délinquants de la rue. «
Donc, même le Commissaire à la paix, Luis Carlos Restrepo, a
reconnu qu’ils ont été trompés et que la majorité d’entre eux
n’étaient pas paramilitaires. Quand ils les ont emmenés à un
municipe près de Medellin, ils étaient normalement 800. Le
Ministère public enquêta sur eux et la majorité n’avaient pas
d’antécédents pénaux. Ceux qui en avaient, c’étaient juste pour de
petits faits de délinquance commune. »
Le processus de « démobilisation » et de « désarmement » suit
actuellement son cours et inquiète depuis le début les
organisations politiques d’opposition, les mouvements sociaux et
les défenseurs des droits humains. Si ce processus initié par le
gouvernement arrive à son terme, il y a de fortes chances de voir
les principaux responsables des violations des droits humains
bénéficier dans les faits d’une grâce et se réintégrer à la
société colombienne en bénéficiant de la plus complète impunité
grâce à si controversée loi d’« alternativité pénale ». Les
leaders des AUC pourraient également échapper à l’extradition
demandée par les Etats-Unis pour trafic de drogues puisque, comme
le révélait également l’article de Semana cité ci-dessus, selon
Restrepo, « le président fera usage de son pouvoir discrétionnaire
pour ne pas les extrader ». Et pour mettre encore plus à l’abri
les principaux responsables des crimes contre l’humanité en
Colombie, le gouvernement a déposé un projet de loi qui « bloquera
l’action de la Cour pénale internationale ».
Le Padre pense qu’ « Uribe, a déjà gaspillé un peu son capital de
réformes. Plusieurs franges de la population ont déjà compris vers
quoi il va. Les dialogues avec les paramilitaires lui ont déjà
fait perdre beaucoup de crédibilité. Parmi ses sénateurs de
confiance, certains ont pris des positions très critiques par
rapport au projet de légalisation du paramilitarisme. » Mais, quoi
qu’il en soit du projet d’intégration des paramilitaires à l’Etat,
la société colombienne est déjà en partie sous le joug des forces
paramilitaires. Plus grave peut-être que le dialogue entre l’Etat
et son bras armé illégal, c’est le gigantesque pouvoir tant
politique, économique que militaire qu’ont acquis ces forces
d’extrême droite depuis quelques années qui a de quoi inquiéter.
2. Les paramilitaires, un pouvoir politique, économique et
militaire
Le dimanche 26 septembre 2004, les quatre médias de la presse
écrite les plus influents de Colombie - El Tiempo, El Espectador,
Semana, Cambio - publiaient une série d’éditoriaux et d’articles
alarmistes et bien documentés sur le pouvoir croissant du
paramilitarisme dans le pays.
« Quand certains d’entre nous avons défendu la thèse que le
gouvernement du président Uribe a un programme centré sur la
paramilitarisation du pays, nous avons été habituellement attaqués,
autant par les médias que par des membres du gouvernement.
Cependant, il m’a paru significatif que le 26 septembre dernier,
un dimanche, de nombreux médias parlent et défendent cette thèse.
Certains ont même intitulé leurs articles avec le même titre : "la
paramilitarisationde la Colombie ". »
Un telle réaction des médias peut paraître surprenanteenColombie
quand onconnaîtle rôle qu’ils jouent au quotidien dans la guerre
et comment ils ont entre autres permis l’accession d’Uribe à la
présidence de la République en nettoyant son image d’un passé
gênant fait de complicités avec les groupes paramilitaires et les
trafiquants de drogue. « Ils ont lancé une alarme nationale mais
cela ne change pas leur comportement. Ils ne dénoncent pas ce qui
se passe au jour le jour. Les gens sont très marginalisés de la
réalité quotidienne à cause des médias. »
En fait, le Padre Giraldo tend à interpréter ce sursaut médiatique
davantage comme une réaction des classes dominantes de la société
face à un pouvoir paramilitaire croissant et incontrôlable que
comme un positionnement des médias comme contre-pouvoir. « C’est
une de mes interrogations. Je crois que ce qui s’est passé le 26
septembre est un signe qu’ils prennent conscience qu’ils ne
peuvent déjà plus contrôler ce pouvoir. C’est un pouvoir politique,
économique et militaire. Bien qu’ils aient aidé à fonder ce
pouvoir - tous les groupes économiques ont collaboré et ont
encouragé les paramilitaires -, maintenant, ils voient qu’ils
perdent le contrôle, que le monstre les dépasse. »
Les années 1980 et 1990 ont vu les groupes paramilitaires se
développer, passant de groupes qui accomplissaient leur mission et
disparaissaient ensuite, à une force organisée d’occupation
établissant peu à peu leur joug sur de nombreuses régions du pays.
Développant une stratégie connue sous l’expression de « drainer la
mer pour tuer les poissons », ces groupes ont frappé durement les
mouvements sociaux, ouvriers et paysans, provoquant massacres,
disparitions et déplacements forcés de la population civile.
« La périodisation de la paramilitarisation d’un territoire, je
l’ai reprise d’un quotidien sorti le 26 septembre, de El Tiempo si
je ne me trompe pas. Bien qu’il manque des détails et qu’il y ait
des choses discutables, j’ai trouvé cela objectif. On distingue
quatre étapes successives dans les différentes régions.
« La première phase est celle de l’entrée de l’organisation
paramilitaire dans une région ou une localité. C’est la phase de
terreur. Elle commence chaque fois avec de grands massacres, de
grands déplacements forcés. Ils commencent à intimider les
personnes qui ne pensent pas comme eux et qui appartiennent à des
mouvements sociaux ou à des partis politiques d’opposition. A ce
moment-là, beaucoup de gens s’exilent ou se déplacent parce qu’ils
ne veulent pas se soumettre à ces nouveaux pouvoirs. Des terres
restent abandonnées et sont saisies par les paramilitaires.
« Vient ensuite la phase suivante quand ils ont déjà réussi à
dominer, disons, la plus grande partie de la population, ou qu’ils
l’ont éliminée ou obligée à se déplacer. Il s’agit de l’étape,
dite douce, de répression sélective : assassinats sélectifs,
disparitions sélectives, menaces sélectives, etc. Au cours de
cette étape, il y a le processus de cooptation, de pénétration des
autorités et institutions locales et régionales, y compris des
universités. Ils ont coopté de nombreux maires qui transfèrent une
partie de leur budget aux projets paramilitaires.
« Dans un troisième temps, commence la phase des travaux
communautaires. Ils organisent la population qui est restée et
commence à former de petites coopératives et mettent en place des
projets productifs. A l’occasion d’élections et de campagnes
électorales, ils forment des organisations civiles et des
mouvements qui sont presque toujours baptisés comme démocratiques.
« Dans la quatrième phase, on assiste à la consolidation de leur
pouvoir économique.Ils commencent à nettoyer et légaliser des
activités économiques qui, dans les premières années, étaient
illégales et le fruit de la délinquance, comme le vol de l’argent
public. Par exemple, ily a quelques mois, on a découvert que des
fonds (500 millions de pesos) destinés aux départements pour la
santé des plus pauvres ont été détournés par les
paramilitaires. »
Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui le paramilitarisme est un
pouvoir économique qui compte en Colombie. On pourrait même
s’aventurer à le considérer comme la principale force économique
du pays.
« Carlos Castaño a toujours reconnu que les cultures de coca et le
trafic de drogues leur rapportaient un haut pourcentage de
financement. Ils contrôlent des zones où est cultivée la coca et
qui ne sont pas fumigées [17]. Par exemple, la zone du Nord de
Santander, près du Venezuela. Ils contrôlent la mise en semence de
la coca, les laboratoires de transformation, etc. Cela leur
rapporte beaucoup d’argent. [18]
Il y a aussi les sites de commerce de grande contrebande comme à
Bogota. A travers un fait divers violent qui a fait des victimes,
on a découvert que les paramilitaires contrôlaient le sanandrecito
de Bogota qui peut produire 8 billions de pesos [19], c’est-à-dire
tout le budget de l’Etat pour les investissements sociaux. Ils
contrôlent des points névralgiques de l’économie.
« Autre exemple : celui de l’essence. ECOPETROL, la société
énergétique nationale, a fait connaître quelques chiffres
révélateurs sur ce qui est extrait (volé) des oléoducs. A Medellin,
par exemple, près de la Commune 13, qui est une commune qui a subi
une opération militaire brutale en 2002, il y avait un poste de
vol d’essence visible par toutes les autorités. On calculait que
l’équivalent en essence de 30 millions de pesos était volé par
jour.
« On peut aussi citer les barrages sur les routes importantes.
Tous les transporteurs doivent payer un droit de passage. Il y
aussi les terres où les grands propriétaires doivent payer
mensuellement un gros « impôt » pour être protégés par les
paramilitaires.
Ce sont de nombreuses sources de financement. »
Les forces paramilitaires ont conquis militairement de vastes
parts du territoire colombien, et ont renforcé par ce fait leurs
pouvoirs économique et politique. Ils avaient d’ailleurs, selon
les dires du leader des AUC Salvatore Mancuso, conquis lors des
élections législatives de mars 2002 un tiers du Parlement
colombien. Une victoire renforcée deux mois plus tard par celle
d’Alvaro Uribe Vélez, le véritable leader de processus de
paramilitarisation du pays.
3. Alvaro Uribe, Le président des paramilitaires
« Sa sympathie pour le paramilitarisme est, depuis de nombreuses
années, très difficile à cacher. Les CONVIVIR sont une preuve.
Sa relation avec le général Rito Alejo del Rio est également un
indice. Ce général était commandant de la brigade 17 en Uraba
quand Uribe était gouverneur du département d’Antioquia. Ils
étaient très amis tous les deux. Quand ce général fut mis à la
retraite par le président Pastrana et par les pressions de
l’ambassade des EUA, elle-même, car c’était un type tellement
criminel et partisan du paramilitarisme, Uribe lui offra un grand
hommage national. C’est un signe trop clair de sa sympathie pour
le paramilitarisme. [20]
« Sa famille a aussi plusieurs haciendas rurales. Nous avons des
témoignages très clairs que ces haciendas servaient de centres
d’entraînement pour les paramilitaires. Il y a de très nombreuses
preuves. En plus, les thèses qu’il défend, à savoir l’unification/
soumission de la population civile à l’armée, c’est la thèse
centrale du paramilitarisme. »
Comment expliquer alors qu’un tel homme, avec un passé aussi «
sale » puisse bénéficier, malgré quelques échecs politiques, d’une
forte popularité ?
« La popularité de Uribe s’appuie sur divers facteurs. Un premier
facteur est, je crois, celui des médias. L’information qui est
diffusée, notamment sur ce que vivent les communautés rurales ou
urbaines, sur comment fonctionne cette alliance entre militaires
et paramilitaires, n’est publiée par aucun journal. Il y a comme
une autocensure.
« Cela fait longtemps que les journalistes ont perdu leur capacité
de critiquer le gouvernement et la guerre. Si un militaire dit
qu’hier l’armée a tué dix guérilleros, le journaliste n’est jamais
capable de demander qu’on lui donne les preuves qu’il s’agissait
bien de guérilleros. Ils placent seulement le micro à la bouche
pour que cela soit retransmis à tout le pays, une vérité sur
laquelle personne n’enquête.
Il y a quelques mois, j’ai rencontré une journaliste que je
connaissais. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait. Elle m’a
répondu qu’elle avait fort honte de répondre mais qu’elle
continuait à être journaliste.
« Un autre facteur, c’est l’objectif pragmatique à soutenir le
gouvernement pour une question de subsistance. Il faut imaginer
que des millions de personnes sont liées comme coopérants/
informateurs à l’armée pour subvenir à leurs besoins dans un pays
qui connaît un niveau de chômage et une crise économique terrible.
« Il y a un autre facteur qui, je crois, joue un rôle : c’est la
fatigue de la guerre. La Colombie est en guerre depuis de
nombreuses années, une guerre qui a provoqué des horreurs et a
fait verser beaucoup de sang. La confrontation, dans la mesure où
elle implique chaque fois davantage de population civile, est
chaque fois moins contrôlable. C’est le problème de l’efficacité
de la guerre. Une guerre ne peut être menée sans moyens
économiques. Les moyens économiques dans cette situation ne
peuvent être que délictueux. Une mitraillette peut valoir 15 ou 20
millions de pesos. Jamais on ne pourra en acheter avec les apports
des paysans ou des gens qui n’ont pas d’emploi. Dans le passé,
l’Union soviétique ou Cuba aidaient la guérilla. Plus maintenant.
Donc, la guerre ne peut être financée qu’avec des kidnappings et
d’autres choses comme cela. Cette dynamique de l’efficacité de la
guerre produit de nombreux dégâts. C’est une confrontation entre
deux modèles irréguliers de guerre, le modèle paramilitaire de
l’Etat et celui de la guerre de guérillas. Cette confrontation
amène à ce que chaque fois plus de population civile soit engagée
dans cette guerre et soit fatiguée par elle.
Une population qui peut en venir à appuyer une sortie autoritaire
et militaire ? « Exactement, quand Pastrana, à la veille de sa
victoire électorale, annonça un processus de dialogue avec les
FARC, les gens l’appuyèrent car enfin il y avait un président qui
s’engageait. Et ils votèrent pour lui. Quand ces dialogues
échouèrent [21] et que Uribe arriva en disant qu’il en finirait
avec la guerre en quelques mois, les gens se sont dits que si cela
n’avait pas fonctionné par le dialogue, qu’un terme soit mis alors
au conflit par la force. Cette fatigue influence beaucoup les
votes et les décisions des gens.
« Il y a d’autres facteurs. Dans le livre "La peur de la liberté",
Eric Fromm analyse pourquoi Hitler arriva au pouvoir en Allemagne.
Il étudie la transformation de la classe moyenne car Hitler
s’appuya principalement sur elle. C’était une classe moyenne qui
avait connu une certaine sécurité dans ses conditions de vie. La
crise du capitalisme lui ôta cette sécurité. Donc, cette
insécurité et cet appauvrissement ont poussé cette classe moyenne
dans les bras d’une figure forte qui lui promettait la sécurité.
Quelque chose de similaire se passe avec la figure de Uribe ...
Sans la classe moyenne, il ne serait pas arrivé au pouvoir.
Je crois qu’il y d’autres facteurs qui nous échappent. Je dirais
qu’i y a un facteur plus psycho-social. L’instinct de conservation
de cette classe la mène vers des positions très conservatrices.
Ensuite, il y a quelques facettes de la personnalité de Uribe et
le slogan qu’il a vendu lors de la campagne : "Corazon grande,
mano fuerte" répond un peu à cela, à une crise de désarroi,
l’image d’un papa qui punit mais en même temps assure la sécurité.
Cela joue dans l’inconscient. »
Quant à savoir si ce processus pourra continuer. Le Padre Giraldo
est hésitant et préfère éviter les spéculations. Il pointe
néanmoins certains éléments positifs. « Je crois qu’au cours des
derniers mois il y a eu des signes de chute de sa popularité. Le
référendum [22] fut une première réponse populaire. Il y eut
ensuite les élections de maires et de gouverneurs. Dans des
endroits importants comme Bogota, Cali et Medellin, ses candidats
n’on pas gagné. Ce fut une autre réponse populaire à sa première
année de gouvernement. Ensuite, il y eut des mobilisations, des
marches. Surtout celle du 12 octobre [23]. Ce fut une marche
gigantesque à Bogota. Je n’en avais plus vue une ainsi depuis de
nombreuses années.
Je crois que la réforme de la Constitution pour approuver la
réélection sera approuvée [24] car cela dépend du congrès et
qu’il a une composante paramilitaire importante. Je doute par
contre qu’il soit réélu. En plus, le mouvement d’opposition croit .
» A suivre ...
NOTES:
[1] Photos de la rencontre : http://www.educweb.org/IngridTeam/E...
[2] Le rapport « La réélection, l’envoûtement continue » fait
suite au rapport publié il y a un an par la même plate-forme :«
l’envoûtement autoritaire ». A l’occasion de la sortie de ce
dernier, le président Uribe avait de fait déclaré la guerre aux
ONG en affirmant qu’il en distinguait trois sortes : 1° les bonnes
qui viennent discuter avec lui sans qu’on les appelle ; 2° Les
marchands des droits de l’homme qui ne travaillent que pour se
financer eux-mêmes et se faire voir au niveau international, ce
sont des intellectuels coupés de la réalité ; et 3° les ONG
soutenues par les terroristes et dans lesquelles les terroristes
se cachent eux-mêmes, et celles-là, il faut les éliminer. Il
visait manifestement, dans cette troisième catégorie , ceux qui
avaient écrit le rapport.
[3] Guerre civile entre Libéraux et conservateurs (1948-1953).
[4] Dans les années 60, l’Église catholique est bousculée par les
transformations rapides qui s’effectuent de par le monde. Le pape
Jean XXIII se lance lui-même dans une grande entreprise de
changement : le Concile Vatican II. Pendant ce temps, en Amérique
latine, un nouveau courant chrétien se développe marqué par une
volonté de solidarité avec les pauvres, par des pratiques de
conscientisation et d’émancipation, de participation dans les
mouvements sociaux et les organisations populaires, et même, dans
certains pays, dans les mouvements politiques d’obédience marxiste.
L’idée que seulement un changement radical des structures
politiques, économiques et sociales mené par les pauvres eux-mêmes
pourrait venir à bout de la pauvreté fait son chemin.
[5] Guillermo León Valencia Muñoz, président de la République
colombienne de 1962 à 1966.
[6] Belisario Betancur, président de la République colombienne de
1982 à 1986.
[7] Carlos Castaño, l’ex-leader des paramilitaires, reconnaît dans
"Ma Confession" que la création des CONVIVIR était basée sur le
même principe que les Autodéfenses et que "ceux qui en profitèrent
étaient les narcotrafiquants qui se consacraient à monter de
petites CONVIVIR sur leurs terres. Il était habituel de voir cinq
camionnettes Toyota, avec un narco dedans escorté de manière
impressionnante de gardes du corps portant des armes fournies par
l’Etat".
[8] C’est l’époque des grands massacres de la région agricole et
bananière d’Uraba, région connue pour sa grande tradition de
luttes syndicales. Pour Uribe, les CONVIVIR ne servirent qu’à
protéger les citoyens des kidnappings, des extorsions, des
assassinats et des massacres commis par la guérilla. Comme il le
déclara cyniquement à El Tiempo, le 3 février 2002 : "Aujourd’hui,
Uraba est une zone où règne une bonne coexistence entre
entrepreneurs et travailleurs".
[9] Le quotidien El País, de Cali, rapporte d’ailleurs dans son
édition du 3 août 1998, de la fusion des CONVIVIR avec les
paramilitaires : "Des représentants de coopératives de sécurité
privées ont annoncé qu’ils s’armeront et s’uniront au mouvement
paramilitaire des Autodéfenses Unies de Colombie - AUC".
[10] « Colombie : La sécurité à quel prix ? L’échec du
gouvernement face à la crise des droits humains. » Version
résumée, préparée par la Coordination RAN-Nord d’AIBF (octobre
2003 - http://cbc.collectifs.net/)
[11] « Un des premiers réseaux créés l’a été dans le département
du Cesar, où les liens entre les forces armées et les groupes
paramilitaires sont particulièrement étroits. Des rapports
indiquent déjà que les informations fournies par les réseaux
d’indicateurs civils ont mené à des violations des droits humains,
et que les membres de ces réseaux participent peut-être
directement à des opérations militaires. Ainsi, le 24 septembre
2002, vers 5.50 du matin, Monguí Jerez Suárez a été gravement
blessée, son mari, Florentino Castellanos et leur fils de 9 ans,
Nilson Hernández ont été tués lorsque des soldats du bataillon
“Nueva Granada” ont forcé leur domicile, situé à “Las Brisas de
Yanacué”, municipalité de Cantagallo, département de Bolivar,
apparemment suite à des informations fournies par des informateurs
civils opérant dans la région. L’armée a par la suite fait savoir
que “Florentino et Nilson étaient des membres des FARC et étaient
morts au combat... » Extrait de « Colombie : La sécurité à quel
prix ? L’échec du gouvernement face à la crise des droits humains.
» Version résumée, préparée par la Coordination RAN-Nord d’AIBF
(octobre 2003 - http://cbc.collectifs.net/)
[12] La Colombie a connu pendant les 50 dernières années
différentes formes d’ « état d’urgence » octroyant, pendant de
longues périodes, à l’armée de larges pouvoirs, favorisant ainsi
des violations flagrantes des droits humains. En 1991, la nouvelle
constitution remplaçait le concept d’ « état d’urgence » par celui
de « commotion intérieure ». Il s’agit d’un mécanisme temporaire,
qui reste sous la supervision des pouvoirs législatif et
judiciaire. Il est initialement prévu pour 90 jours renouvelables,
mais ne peut en aucun cas dépasser 270 jours.
[13] A l’époque de la campagne électorale.
[14] Alfredo Molano, “Démantèlement de l’état social de droit et
autoritarisme”, octobre 2003, http//cbc.collectives.net
[15] Organisme public de défense des droits humains.
[16] Cité dans « Balance de dos anos de politica de “Seguridad
Democratica” en Colombia », rapport sur les deux années de Uribe
que Izquierda Unida, à travers la députée Isaura Navaro, a
présenté au ministère des Affaires étrangères espagnol.
[17] Epandage de produits chimiques.
[18] En septembre 1997, l’Observatoire géopolitique des drogues de
Paris informait que la majorité de la cocaïne qui entrait par les
ports d’Espagne, de Belgique et des Pays-Bas provenait des zones
côtières colombiennes sous le contrôle des Autodéfenses unies de
Colombie. Cités dans « Balance de dos anos de politica de
“Seguridad Democratica” en Colombia », rapport sur les deux années
de Uribe que Izquierda Unida, à travers la députée Isaura Navaro,
a présenté au ministère des Affaires étrangères espagnol.
[19] Un Euro équivaut à un peu plus de 3 000 pesos colombiens.
[20] « Le cas du général Rito Alejo del Rio est à cet égard
emblématique. Dès sa prise de fonction, le “Fiscal general” Luis
Camilo Osorio a opposé des objections à l’arrestation en juillet
2001 par du personnel technique de la “Fiscalía”,du général Del
Rio, accusé de complicité avec les paramilitaires dans la région
d’Uraba en 1996-97, en considérant “qu’il aurait dû être consulté”
(ce qui n’est pas légalement nécessaire)...Quelques jours plus
tard, un juge a accepté un “habeas corpus” en sa faveur, et le
général Del Rio a été remis en liberté. Et plusieurs
fonctionnaires qui suivaient l’affaire ont depuis été contraints
de démissionner ou ont dû quitter le pays après avoir subi des
menaces de mort... » Extrait de « Colombie : La sécurité à quel
prix ? L’échec du gouvernement face à la crise des droits humains.
» Version résumée, préparée par la Coordination RAN-Nord d’AIBF
(octobre 2003 - http://cbc.collectifs.net/)
[21] Dans une interview accordée à Justin Podur en mars 2004, le
Padre Giraldo affirmait également que « Les médias mirent l’échec
des conversations au compte de « l’irresponsabilité des
guérilleros ». Le gouvernement a pourtant fait preuve de beaucoup
d’irresponsabilité. Cependant, la campagne médiatique convainquit
la majorité de l’opinion publique de la responsabilité des
guérilleros. Cet état de fait aida les paramilitaires, et c’est
ainsi que le terrain fut préparé pour Uribe. » Extrait de «
Réalités de la « Sécurité démocratique », Justin Podur, RISAL,
mars 2004. (http://risal.collectifs.net/article...)
[22] Le 25 octobre 2003, Uribe a organisé un referendum pour faire
approuver des réformes constitutionnelles qui devaient permettre,
entre autres, plus de privatisations ; des coupures plus
importantes dans le budget social et dans le système de protection
politique [dont bénéficie des leaders sociaux menacés, ndlr] ; et,
aussi, sa propre réélection, ce qu’interdit la constitution
colombienne. Pour approuver les réformes, Uribe avait besoin de la
participation de 25% de l’électorat (6,25 millions de personnes).
Les mouvements sociaux encouragèrent l’abstention et l’électorat
s’abstint : Uribe ne pût atteindre que 6 millions de votes,
insuffisants pour approuver les changements constitutionnels.
[23] Voir « Mobilisation massive contre le néolibéralisme », Gary
Leech, RISAL, 26 novembre 2004.
(http://risal.collectifs.net/article...)
[24] La Constitution colombienne ne permettait pas à un président
d’effectuer deux mandats d’affilée. La réforme a été approuvée
depuis que cette interview a été réalisée.
http://risal.collectifs.net/article.php3?id_article=1265
https://www.alainet.org/fr/active/7713
Del mismo autor
- La dette de la Bolivie 14/06/2006
- La Colombie en voie de « paramilitarisation » 25/02/2005