Pour la construction d’une conscience haïtienne après le séisme de janvier 2010

17/02/2010
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Le 12 janvier 2010 en trente-cinq secondes, le monde s'est arrêté en Haïti. Avec brutalité. Au moment où il est question d'estimer les dégâts et d'évaluer les coûts de la reconstruction, l'élément politique est plus que jamais au centre de la complexité d'une situation déjà ingérable d'un pouvoir qui se complait dans la banalisation du mal. Le tremblement de terre a mis à jour le vide du reflux de l'État dans l'organisation de l'espace haïtien. Il a fait émerger un certain nombre de questions en suspens concernant l'ordre politique anarchique et populiste qui campe en Haïti. L'ampleur des destructions pose la nécessité d'une reconstruction qui ne se limite pas aux villes détruites par le tremblement de terre. Il faut dire : par-delà la recomposition spatiale que cette crise impose, il s'agit en fait d'une refondation de l'État longtemps miné par la méfiance pour ne pas dire la haine des dirigeants contre la plus grande partie de la population. Cette méfiance prend parfois des formes caricaturales comme celle de la confusion entretenue par le parti gouvernemental et ses incursions dans les formations politiques pour la création d'un parti unique.
 
Dans cette conjoncture où un obscurantisme coriace essaie d'effacer de nos cartes mentales les rapports entre catastrophe sismique et mauvaise gestion politique pour en rester à l'aspect sensationnel de ce malheur, il faut saluer le produit des champs neufs de collaboration de multiples secteurs de la société haïtienne qui descendent dans les profondeurs pour proposer « un plan de sauvetage » à la hauteur de la conjoncture. Un travail qui s'inscrit dans les coulisses de la rencontre de Santo Domingo des derniers jours du mois d'août 2009 au cours de laquelle le constat du désastre causé par le tremblement de terre quotidien du système sociopolitique et économique avait été établi. L'appel avait alors été lancé pour l'élaboration d'une approche stratégique de sauvetage qui sorte de la simple logique de projet financé par un bailleur de fonds, logique du coup par coup, pour la recherche d'une harmonie, avec un discours de cohérence mettant en avant la coordination et la synergie collective. Comme la tessiture des voix à la rencontre de Santo Domingo en atteste. La situation d'incurie institutionnelle et de désagrégation du tissu social a milité pour une rupture, en commençant par la connaissance. Conscient que le plan stratégique de sauvetage national (PSSN) conduit déjà à des abus interprétatifs, nous proposons de contribuer à le magnifier. Le coordinateur du projet ayant bien souligné que le travail n'est pas figé et qu'il peut évoluer en dehors de la problématique narcissique qui veut que la lecture d'une œuvre soit lecture de soi.
 
Tout d'abord, il importe de reconnaître qu'il existe de nombreux documents et plans proposant des lendemains qui chantent pour Haïti. Parmi ces documents on peut mentionner :
 
a) PNUD, La bonne Gouvernance : un défi majeur pour le développement humain durable en Haïti, 2002
 
b) CLED, Haïti 2020 – Vers une Nation Compétitive, 2003.
 
c) PNUD, Rapport National sur le Développement Humain – Haïti, 2004.
 
d) Marc L. Bazin, Sortir de l'impasse – Démocratie, Réformes et Développement, 2006.
 
e) Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté — DSNCRP (2008-2010) – Pour réussir le saut Qualitatif, 2007.
 
f) Commission Présidentielle sur la Compétitivité, Groupe de Travail sur la Compétitivité – Une Vision Partagée pour une Haïti Inclusive et Prospère, 2009.
 
Tous ces documents contiennent des éléments positifs pouvant servir de boussole pour déterminer comment réorganiser Haïti sur les plans sociaux, économiques et financiers. Certains dont celui de Marc Bazin abordent explicitement le problème politique de la réforme de l'État. Problème un tant soit peu central qui doit être adressé dans tout plan de sauvetage national. Il faut donc poser en clair la question du ré-ordonnancement de la vie politique en tenant compte des intérêts contradictoires qui s'affrontent. Les forces politiques d'alternative existent en Haïti et en diaspora. Nous ne partons donc pas de zéro. Mais il convient de constater que ces documents n'ont pas mis Haïti à l'abri du chaos mis en évidence par le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Pourquoi ? Parce qu'essentiellement les gens qui sont aux commandes sont des amateurs, n'ont aucune capacité de proposition, n'ont jamais rien géré de leur vie et ne sont pas des dirigeants. Leur stérilité intellectuelle n'a pas de bornes.
 
Un plan de libération nationale
 
Le plan de sauvetage reconnaît que le président Préval « est dépassé par les événements » (page 69) causés par le séisme du 12 janvier. C'est un fait palpable. Mais il importe aussi de reconnaître, comme l'ont fait nombre d'analystes, qu'avant le 12 janvier, le président Préval avait engagé le pays dans une voie de garage avec ses dernières démarches et pratiques de pouvoir qui avaient révolté la classe politique et le peuple. En effet, la décomposition s'annonçait avec le monopole du pouvoir en filigrane dans la formation du parti INITE et les élections bidon qui se préparaient. Avec le soutien de la communauté internationale, le gouvernement, obsédé par le pouvoir absolu, s'était barricadé au Palais national contre tous les démocrates qui demandaient la transparence dans l'organisation du scrutin de février 2010, étape cruciale pour son projet de changement de la Constitution de 1987 afin de se perpétrer au pouvoir lui-même ou par personne interposée.
 
Dans ce processus, le gouvernement se perd, se fissure avec le complot contre Madame le Premier ministre Michèle Pierre-Louis, et s'effondre avec le tremblement de terre. Le seul ciment qui maintient encore les larges morceaux de gravats et les blocs de béton de ce gouvernement est la peur que les soldats américains sont venus entrer de force dans les tripes vides du peuple haïtien avec leur présence armée à travers le territoire national. Arno Klarsfeld, envoyé spécial du gouvernement français et conseiller spécial de Matignon, l'a dit en clair : "Sans les États-Unis, Haïti serait à feu et à sang depuis longtemps". Il faut dire : c'est donc fondamentalement pour empêcher l'explosion sociale que les forces armées américaines se retrouvent en Haïti.
 
En reconnaissant la situation funeste de destruction de toute l'autorité de l'État démontrée dans le spectacle d'incompétence des premiers jours après le séisme, le plan de sauvetage national doit reconnaître que l'État haïtien n'a jamais eu confiance dans les Haïtiens et s'est toujours reposé sur les étrangers pour être son relais dans le maintien de la servitude et de l'exploitation du peuple. C'est cette politique menée depuis cinq siècles qui a abouti à la misère actuelle. La continuation d'une telle politique ne peut qu'ouvrir la voie aux prévisions les plus pessimistes. Le plan de sauvetage national se doit donc d'être, dans son essence, un plan de libération nationale des tutelles onusienne et/ou américaine à travers la construction d'un État souverain dans un ordre démocratique et une économie orientée vers la satisfaction des besoins de la population. Un tel plan de sauvetage demande donc de diminuer les activités rentières dans la formation et la distribution de la richesse pour des actions d'éducation et de productivité.
 
Comment faire pour ne pas se noyer avec les gens qu'on voudrait sauver ? Notre pays est comme une personne dans une situation de détresse et qui crie au secours. Toutefois, il faut savoir que la personne qui se noie est prise de panique et tend à s'agripper au sauveteur avec brutalité, si ce dernier ne sait pas comment s'y prendre. Le sauveteur doit avoir de l'expérience et savoir que dans certains cas il faut d'abord assommer celui qui se noie pour pouvoir vraiment le sauver. Dans le cas d'une embarcation, un plan de sauvetage demande à priori la connaissance du terrain et surtout un bon diagnostic de la situation. Quand on connaît le relief de la côte, on peut ne pas être obligé d'utiliser une autre embarcation pour sauver celle en péril. C'est par hélicoptère qu'il faut parfois secourir une embarcation en danger. Par des temps d'orages et de tempêtes, une opération de sauvetage ne se fait pas avec les mêmes méthodes que quand il fait beau, avec une mer calme. Enfin, il importe de souligner que l'opération de sauvetage d'une vie dépend du diagnostic du mal et des mesures nécessaires pour sauver l'organisme. Dans certaines situations, il faut procéder à l'amputation d'un membre gangrené pour sauver la vie. Ces analogies ont pour objectifs de souligner comment une bonne connaissance de l'environnement est nécessaire pour réussir un sauvetage.
 
La question de la gouvernance et de la réforme de l'État est présentée dès le premier chapitre à travers l'élaboration des nombreux projets de lois identifiés dans la première partie du texte. Sans nul doute que ces textes contribueront à changer fondamentalement la gouvernance du pays en restreignant les pouvoirs exorbitants que le président de la République continue d'avoir dans le fonctionnement de la société. Le gouvernement décide de ne pas nommer le président de la Cour de Cassation, de ne pas faire les élections aux dates où elles devraient se tenir, de décider du résultat des scrutins aux élections législatives, etc. Il tire sa légitimité beaucoup plus de ses rapports avec les puissances extérieures, y compris avec la République Dominicaine, qu'avec le peuple haïtien. Le président fait à sa guise et le peuple haïtien n'est ni consulté, ni informé sur des décisions capitales pour son avenir. Et malgré tout, le président estime ne pas avoir assez de pouvoirs et veut changer la Constitution de 1987 pour en avoir encore plus.
 
L'ordre contradictoire du « oui…mais »
 
Aucune stabilisation de la vie politique n'est possible avec de tels agissements. Mais le renforcement institutionnel proposé dans les projets de loi n'est pas suffisant pour changer les comportements de la classe politique qui croit qu'un président est un demi-dieu. Ce renforcement institutionnel doit s'accompagner de mesures pour permettre la rééducation de l'homme haïtien afin que ce dernier se sache porteur de droits imprescriptibles en face des dictatures qui l'oppriment depuis nan tan bembo. L'héritage du fascisme duvaliérien est lourd dans les consciences. Les personnalités ont été détruites pour pouvoir survivre. Le plan de sauvetage doit donc aborder cette question de la production des hommes et des femmes de vérité capables de dire la réalité aux gouvernants. Il faut dire : les vicissitudes haïtiennes ont à voir avec des représentations collectives qui encouragent l'interminable décadence de l'ordre contradictoire dominant du « oui…mais » qui affiche son insigne sur lequel on peut lire « vouloir une chose et son contraire ». Ce que notre savoureux créole traduit en disant “nap mache ak 2 bouji, youn poun'n jwen, lot-la poun'n pa jwen.”
 
La vie politique devrait être régie par des lois qui consacrent la défense des minorités politiques face au pouvoir. Il faut dire : le scrutin proportionnel peut aider à la restructuration des rapports entre le pouvoir et l'opposition de manière à permettre au pouvoir de composer avec l'opposition dans l'intérêt national, sans que cette opposition ne soit obligée d'être corrompue par un poste dans l'administration publique. La réforme de la fonction publique doit être à l'ordre du jour afin qu'il y ait une carrière de fonctionnaire public qui ne dépende pas du gouvernement X ou Y. Le recrutement dans cette carrière se ferait sur concours ouvert à tous et ne serait pas lié aux aléas politiques. Bien sûr, un certain pourcentage (à définir) des postes dans l'administration serait alloué à toute nouvelle équipe gouvernementale. De cette manière, la fonction publique cesserait d'être la mangeoire vers laquelle tout le monde se rue et la lutte politique cesserait d'être celle pour les postes gouvernementaux et les sinécures. Dans le même temps, cela permettrait de faire une vraie réforme de la fonction publique afin d'introduire de l'efficacité dans la mise en œuvre des politiques publiques.
 
La corruption destructive de l'ordre contradictoire du « oui…mais » est au cœur du blocage et de la régression qui caractérisent la société haïtienne. Cela donne lieu à une corruption excessive dans les rapports sociaux, dans les rapports de pouvoir et de production à tous les niveaux. La corruption est constitutive du mode de régulation de la société en ce sens qu'elle casse toute hiérarchie dans les structures de décision. Tout comme le président de la république intervient en fin de conseil des ministres pour annuler des décisions longuement discutées et adoptées par ses collaborateurs, ces derniers font de même dans leurs fiefs surtout si leurs subalternes n'ont pas un pouvoir de nuisance leur permettant de faire une concurrence négative à leurs supérieurs. Il faut dire : la corruption sous ses différentes formes (électorale, judiciaire, politique, administrative, financière) est le mode de coordination du chaos organisé qui domine et se subordonne tant le mode de coordination du marché que celui de l'éthique. De l'église à l'État, la corruption destructive pénètre dans toutes les institutions humaines où il est question de pouvoir. Ses armes favorites sont la peur et les menaces de toutes sortes (chantages, intimidations, agressions, kidnappings et autres enlèvements), longtemps avant l'argent et les faveurs.
 
Il n'empêche que malgré cette recherche effrénée de pouvoir, des gens lucides et intègres continuent de s'opposer à la gabegie. D'où cette volonté d'assainissement et de lutte contre la corruption promue aux pages 38, 41, 42, 63, 65, 121 et 145. Sur cette lancée, il faudrait donner à l'Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) toute son autonomie en la transformant en organisme autonome indépendant du ministère des Finances en l'attachant directement au Parlement. Cela suppose un parlement dont les membres ne sont pas corrompus par le pouvoir exécutif et/ou les milieux d'affaires. Ceci dit, ne soyons pas dupes de l'usage politique de la lutte contre la corruption. Brandie par la communauté internationale qui a essoré l'économie haïtienne jusqu'à l'étouffement, la lutte contre la corruption est aussi une arme utilisée par les puissants pour assurer la continuation de leur domination dans les rapports de pouvoir qu'ils ont érigé sur la planète. En parodiant Érasme, il faut oser dire : le libéralisme économique a été fondé dans la corruption, s'est cimenté par la corruption et s'est étendu à l'échelle mondiale par la corruption.
 
Aujourd'hui, la lutte contre la corruption est aussi une partie de l'accumulation primitive du capital qui est refusée aux pays périphériques. Qu'on nous dise une fortune sur cette planète qui n'a pas son origine dans la corruption ! Les patrons de la haute finance qui gagnent des centaines de millions de dollars dans le Corporate America pendant que leurs entreprises sont en faillite ne sont pas corrompus. Ce sont plutôt ceux qui touchent une commission de milliers de dollars pour avoir facilité une transaction qui le sont. De toute façon, ce sont les dirigeants de la planète qui déterminent ceux qui sont corrompus. Dans ce domaine, il faut oser dire et redire les jeux de pouvoir qui se livrent pour empêcher l'émergence de fortunes périphériques capables de rivaliser avec celles que l'Occident a construites avec le commerce de l'esclavage, de la drogue, de l'exploitation du travail servile, des guerres et des délits d'initiés auxquels donne droit le pouvoir politique. Dans un système basé sur l'accaparement des richesses, la capacité de corruption du pouvoir est incontournable et seuls font carrière ceux qui montrent une prédisposition à servir d'alibi et de couverture aux corrompus qui détiennent les vrais pouvoirs. La prouesse du capitalisme est cette systémique qui a pu vaincre jusqu'ici, avec la corruption, toute autre alternative pour assurer sa pérennité.
 
Maintenir l'état de malédiction
 
La reconstruction est illusoire si elle n'inscrit pas l'écriture d'un vrai contrat social de solidarité koté tout moun jwen. L'implication de tous les secteurs sociaux est importante pour un relèvement national. Dans ce cadre, la bourgeoisie et les classes dominantes haïtiennes doivent être impliquées dans le plan de sauvetage. C'est à partir d'elles que le développement peut se faire par l'investissement. Il faut donc les convaincre par le verbe de la pertinence, de la validité et de l'utilité des idées développées dans le PSSN. Surtout pas d'imposition. Il faut oser dire : le PSSN fait partie de l'offensive pour développer la capacité de négocier avec les catégories dominantes du corps social afin de leur faire prendre conscience. Les catégories dominantes doivent se prononcer clairement sur leur volonté de diminuer leur part dans le revenu national pour réduire les inégalités criantes. Quand on sait que 78% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour [1], dont 55% avec moins de 1 dollar par jour, le plan de sauvetage ne peut pas faire silence sur la distribution des revenus. Remarquons que ces mesures des inégalités sont de 23% et 9% en Amérique latine et dans la Caraïbe pour ceux qui vivent respectivement avec moins de 2 dollars et moins de 1 dollar par jour.
 
Il faut oser dire : l'inégalité des revenus est une calamité qui détruit le tissu social. Le groupe de 1% qui détient 46% du revenu national en Haïti constitue une des causes du naufrage national. On pense à Jung qui disait « la faute, tragique, est de ne pas être conscient ». Le séisme du 12 Janvier ne semble pas avoir altéré les consciences dans leur profondeur. Il faut que le gâteau national devienne plus grand à travers l'investissement, mais il faut aussi que le partage de ce gâteau soit plus équitable afin que les autres classes sociales aient une meilleure part du revenu national. C'est là que doit se nouer un vrai contrat social permettant aux entrepreneurs de se sentir en sécurité, de ne pas expatrier leurs capitaux et de les faire fructifier en Haïti en créant un marché national.
 
Nous devons avoir le souci de garder la perspective historique d'un peuple qui a conquis de haute lutte sa liberté. Un peuple dont les conquêtes ont été empoisonnées par le racisme international et la calomnie. Un peuple dont l'État a été tourné en dérision. Le colonialisme qui a perdu le pouvoir en 1804 n'a pas renoncé à Haïti et l'a reconquise par la corruption des élites afin qu'elles ne s'identifient pas au peuple des cultivateurs, déstabilisant ainsi le projet de construction nationale. Depuis lors, c'est avec une imagination débordante que le colonialiste met des bâtons dans les roues pour écarter tous ceux qui ont une certaine idée d'Haïti. Derrière cette offensive coordonnée dans maintes chancelleries, il s'agit de bafouer la vérité de 1804 avec ce qu'elle comporte de gloire, de fierté et de dignité pour ces hommes et ces femmes qui ont détruit l'esclavage par leur propres moyens. Il faut oser proclamer : le plan de sauvetage s'inscrit dans cette historicité pour penser une autre Haïti qui échappe à la peur et au chantage que les puissants utilisent, avec la complicité de ses fils dénaturés, pour la maintenir dans cet état de malédiction auquel l'ont condamné les vendeurs de chair humaine.
 
Le principe cardinal devant guider les autorités doit être que seule l'aide qui prépare sa propre relève est acceptée. À cet égard, le modèle de l'organisation non-gouvernementale (ONG) Partners in Health peut servir de boussole pour évaluer les apports extérieurs. Partners in Health est une organisation qui ne participe pas à la comédie humanitaire des dix mille ONGs qui prétendent lutter contre la pauvreté en Haïti pendant qu'elle ne cesse d'augmenter depuis trente ans. Dans cette optique, pour le PSSN de 25 ans, l'objectif de libération nationale doit exiger que les apports extérieurs soient dégressifs et que les ressources propres augmentent même faiblement à partir de l'année quinze. Le PSSN ne le sera que si les Haïtiens se trouvent des dirigeants à la hauteur des ambitions qu'ils se donnent. Il existe une fenêtre d'opportunité étroite avec le gouvernement Obama qu'il ne faudrait pas rater.
 
Malgré cela, il faudra savoir négocier en ayant bien en tête les intérêts du peuple haïtien. Le gouvernement américain ne fera pas de cadeau. Il faut le dire : lors des négociations pour la refonte du système monétaire international aboutissant aux accords de Bretton Woods en 1944, les Britanniques, avec John Maynard Keynes, avaient un plan stratégique qui était meilleur (basé sur une monnaie mondiale, le bancor) que celui proposé par Harry White pour le gouvernement américain (basé sur le dollar). Pourtant les Américains eurent gain de cause car les Britanniques dépendaient d'eux pour le financement de leur effort de guerre. Le plan White fut adopté et ce dernier fut nommé premier directeur américain du Fonds Monétaire International (FMI). Il en démissionnera en 1947 lorsque le FBI finit par découvrir qu'il était un espion des Russes depuis plusieurs années. Dans les luttes de pouvoir à l'échelle mondiale, les meilleurs plans de refondation et de reconstruction ne sont pas nécessairement adoptés. Autant en prendre note, car les services secrets qui manipulent les esprits, avec la corruption comme arme fondamentale, ne dorment jamais. Cela ne signifie pas qu'il ne fasse pas faire d'effort, d'abord au niveau du dire, pour élaborer un plan stratégique pour les chantiers qui nous attendent. Avec persévérance pour des lendemains meilleurs.
 
L'énergie, l'éducation et l'agriculture
 
La problématique des Haïtiens de l'Extérieur est bien abordée et tient compte du pouvoir économique certain de la diaspora qui peut servir de levier à la reconstruction économique à travers la mise en valeur des flux financiers en provenance de la diaspora. L'objectif louable de ne pas rester à l'écart des moyens modernes pour aider Haïti à avoir accès au marché international des capitaux peut être atteint à travers la rationalisation des transferts monétaires de la diaspora et leur mobilisation pour le développement. Ces transferts monétaires représentent un quart du produit intérieur brut (PIB), 240% des réserves internationales, 143% de l'aide publique au développement et 156% des exportations. Le PSSN ne peut pas négliger la contribution financière que ces Haïtiens peuvent faire à travers la titrisation de leurs transferts monétaires d'un montant annuel supérieur à 1,5 milliard de dollars [2] et l'émission de bons de la diaspora. Des pays comme Israël depuis 1951 et l'Inde depuis 1991 ont pu ainsi tirer respectivement 25 milliards et 15 milliards de dollars pour financer des projets d'infrastructure, de logements, d'hôtels, etc. [3] Les dernières données du Current Population Survey de 2009 indiquent qu'un tiers des immigrants haïtiens ont des revenus annuels qui dépassent 60.000 dollars, soit un pourcentage supérieur à ceux des immigrants en provenance du Mexique, de la République Dominicaine et du Salvador qui n'est que de 15%.
 
La diaspora est la seule force dont dispose Haïti pour la placer dans une position favorable pour les négociations qui vont se dérouler pour l'adoption d'un plan définitif de reconstruction. En estimant que le tiers des Haïtiens vivant aux États-Unis, soit 200.000 personnes, achètent annuellement des bons de reconstruction de la diaspora d'une valeur faciale de mille dollars chacun, cela fait un milliard de dollars sur les cinq prochaines années. Il faut dire : ces bons de reconstruction qui rapporteraient des intérêts annuels de 5% seraient attractifs pour les immigrants haïtiens qui ne gagnent pas actuellement 1% sur leur livret d'épargne. De plus, avec leur rendement, les bons de reconstruction de la diaspora peuvent aussi intéresser les investisseurs institutionnels, une fois négocié un système de garantie avec les institutions financières bilatérales et multilatérales. Enfin, le gouvernement haïtien devrait entamer des négociations avec le gouvernement américain afin qu'une partie des impôts des immigrants haïtiens aux États-Unis soit versée au fisc haïtien. Tous ces mécanismes financiers (titrisation et bons de la diaspora) pour contourner la question de la raréfaction des capitaux ont pour condition essentielle un changement de gouvernance à la tête de l'État en Haïti.
 
À dessein de soutenir l'orientation stratégique essentielle du plan de sauvetage, il faut oser dire : la base du PSSN doit être l'approvisionnement en énergie verte (éolienne, solaire, hydro) et thermale du pays sur les cinq prochaines années. En deuxième priorité viendrait l'éducation pour tous et en troisième priorité, l'agriculture. L'énergie et l'éducation sont nécessaires pour lutter contre la déforestation, reconstituer l'environnement naturel, transformer les produits agricoles et inculquer aux jeunes et aux populations en général de nouvelles normes en matière de construction de logements, de civisme et d'organisation sociale. En magnifiant le PSSN, il faut aussi mentionner la contribution des compatriotes Figaro Joseph, Sylvio Siffrain and Robert Jean du Partnership For A New Haiti qui proposent un plan de reconstruction autour de quatre axes, à savoir l'infrastructure, l'éducation, l'agriculture et la justice. D'autres plans de reconstruction existent dont celui de Mme Clinton, celui de l'Union Européenne, le plan Fonhdilac, le plan Dominicain, etc. Si les Haïtiens n'ont pas les yeux ouverts, ils seront mangés à n'importe quelle sauce dans ce que Naomi Klein nomme « le capitalisme du désastre ».
 
Que cent fleurs s'épanouissent ! Pour déboucher sur un succès, la reconstruction ne peut pas se circonscrire aux choses matérielles. Il faut un engagement humain sur des horizons éloignés pour sortir les gouvernements haïtiens de leur passivité face au drame de la misère et de la pauvreté. D'où l'idée d'une réforme en profondeur du système judiciaire telle qu'exposée aux pages 37-42 du PSSN. En effet, on ne peut reconstruire la société sur de nouvelles bases avec une justice qui soit celle du plus fort. Comment mettre fin au marronnage qui bloque la communication sociale quand les règles du jeu changent constamment dans l'intérêt des dominants ? La manière d'empêcher que les lois soient esquivées et contournées n'est-elle pas d'inclure le peuple dans les discussions autour du plan de reconstruction ? Le mal haïtien ne vient pas uniquement d'un sous-développement matériel mais aussi d'une pauvreté spirituelle qui se lit dans la conception du pouvoir qui traverse la société. Une conception absolutiste et servile dans laquelle il n'existe pas de partage et où le chef n'a de compte à rendre à personne.
 
L'aspect qualitatif de la reconstruction ne peut être mis de côté. Sinon, on n'aura aucun résultat. D'abord, cela revient à évoquer la question des acteurs politiques de la refondation. Le séisme n'a pas fait d'Haïti une page blanche. Au contraire, le tremblement de terre a été le révélateur de la crédibilité zéro de l'équipe au pouvoir supportée à bout de bras par la communauté internationale. Ce ne sont pas les hommes qui doivent être les supports des choses, mais les choses qui doivent être les supports des hommes. Puis, c'est le rapport entre donateurs et receveurs qui doit être mis sur de nouvelles bases. Haïti donne l'occasion d'un remodelage des relations internationales aux pays donateurs. Il faut espérer qu'ils saisiront la balle au bond. Pour une modernisation profitable à tous, loin de l'impérialisme dominant avec son univers fragmenté. Toutefois, rien n'empêche à la communauté internationale de mettre en place les structures de veille pour les fonds qui seront alloués à la reconstruction.
 
De manière générale, le plan de sauvetage pose la question des résultats (pages 16, 20, 21, 114) pour mesurer la performance des services gouvernementaux. Ce souci d'utiliser les thèses de Gestion Axée sur les Résultats (GAR) développées par Peter Drucker comme principe de base de gestion, va à l'encontre de tout ce qu'enseigne le système clientéliste en vigueur. C'est une innovation importante qui consiste à mesurer les rendements et à produire des rapports sur ces rendements. On connait la gabegie dans l'élaboration et l'exécution du budget en Haïti. Selon Eddy Pierre-Paul, « le budget du gouvernement haïtien a toujours rimé avec gâchis. Dans le budget 2007-2008, sur 257 millions de gourdes demandés par l'ODVA pour relancer la culture du riz dans la vallée de l'Artibonite, le gouvernement n'a donné que 30 millions de gourdes. Sur un budget total de 77 milliards de gourdes cela représente moins de 1 pour cent. » [4]
 
Pour empêcher que ce genre de situation se reproduise, il convient d'accélérer la mise en œuvre du cadre de dépenses sectorielles à moyen terme (CDSMT) en tandem avec la Gestion Axée sur les Résultats (GAR). Les ressources financières mobilisées seraient alignées derrière les priorités établies selon une répartition tenant compte des recommandations des experts en termes d'aménagement du territoire. Le CDSMT permettrait ainsi d'assurer le lien entre le budget et les orientations stratégiques. Un processus transparent de planification budgétaire et de préparation du budget permettrait d'allouer les ressources aux priorités stratégiques avec cohérence, rigueur et efficacité. Cela faciliterait un ajustement des programmes à la contrainte financière, en éliminant ou en ajoutant des programmes à partir d'arbitrage entre ministères centraux et sectoriels d'une part, et entre la contractualisation, la subvention et la régulation d'autre part. Le document final de planification serait adopté en Conseil des Ministres avant d'être présenté à l'Assemblée nationale. Il faut oser dire : les minutes du Conseil des Ministres seraient disponibles sur le site web du Premier Ministre afin que les citoyens puissent savoir les analyses structurelles et stratégiques à l'origine des décisions prises.
 
Diminuer le pouvoir exorbitant de la communauté internationale
 
L'histoire démontre que la générosité internationale est toute relative. L'intérêt pour l'aide d'urgence peut ne pas se poursuivre dans l'aide pour la reconstruction. Tout est politique y compris l'aide internationale. Les promesses d'aide sont souvent des effets d'annonce. Qu'on se rappelle que des 761 millions de dollars promis à Haïti depuis l'an dernier, seulement 21 millions ont été versés, soit 3% de ce qui avait été promis [5], la compassion n'est donc pas au rendez-vous en dépit du fait que le démarcheur patenté pour demander à ceux qui s'étaient engagés de respecter leur parole soit Bill Clinton, ancien président des États-Unis. Mais ce qui est encore plus grave, c'est que des 402 millions promis en Avril 2009, 85% ne sont pas encore décaissés [6]. La ventilation de l'aide d'urgence requise par secteur d'activité pour les prochains six mois indique bien l'absence du gouvernement dans la gestion des affaires nationales. Cette aide de 575 millions de dollars est utilisée uniquement par les organismes des Nations Unies (FAO, PAM, OCHA, OIM, BIT, UNEP, UNICEF, UNESCO, OMS, etc.) et par des ONG internationales comme OXFAM, Médecins du Monde et Handicap International (HI). Cette dernière organisation (HI) se retrouve deux semaines après le séisme avec 2.000 amputés sur les bras [7]. Les pratiques de la médecine de guerre ont été massivement utilisées sur des blessés dont les membres amputés auraient pu être autrement sauvés [8]. En se cachant derrière les exigences de l'urgence, des disciples d'Esculape ont fait n'importe quoi. C'est la loi du genre lorsque l'on fait à la hâte ! Le gouvernement haïtien, totalement absent, ne pouvait pas refuser leurs offres de service. Enfin le Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA en anglais) a fait remarquer que les financements obtenus sont très faibles pour certains secteurs tels que la nutrition (9% des montants requis) et l'agriculture (8%).
 
Cela renvoie à nouveau au pouvoir exorbitant de la communauté internationale dans les affaires haïtiennes. Il faut dire : un pouvoir d'autant plus narcissique qu'il n'a aucune contrepartie en milieu haïtien où la dictature a fait disparaître la notion de service public. La transformation opérée par le duvaliérisme en mettant des cancres et des ignares aux commandes nationales a reçu l'appui de la communauté internationale pour perpétrer l'idée que les Haïtiens ne peuvent pas faire mieux. Pourtant, il y a plein de cadres haïtiens compétents qui peuvent et savent gérer les affaires publiques et privées. La zombification de la population par la dictature a eu pour effets d'isoler les compétences tout en propageant les idées que l'ésotérisme et le mysticisme sont les voies salutaires vers la richesse et les fondements de l'autorité. Cette ruée vers l'occultisme a engendré un problème de sens à tous les niveaux de la société. Des charabias tiennent lieu d'explications sur les ondes. Un trop plein qui exprime en fait un vide d'interprétation.
 
Ce sont là des préalables dont le plan de sauvetage ne peut pas faire l ‘économie dans la critique de la conception du pouvoir qui prévaut en Haïti. Le pouvoir se confond avec la pratique d'imposer à l'autre sa volonté, de le manipuler et de le corrompre, afin qu'il soit totalement dépersonnalisé. Cette conception est hégémonique dans les rapports de pouvoir au sein de la société. Elle reflète une volonté d'affirmation de soi et de puissance qui fut celle du maître et que les anciens esclaves se sont approprié en l'appliquant aux gouvernés dans la période post-1804. Cette conception du pouvoir a été appliquée au plus haut point par le duvaliérisme à travers l'avilissement de ses propres collaborateurs, la répression des opposants et la corruption des tontons macoutes avec de l'argent ou un revolver qui revenait à leur donner une licence à tuer, pour avoir leur complicité. Le fondement de l'autorité n'est donc pas dans le soutien indéfectible de la population mais plutôt dans celui des puissances extérieures. C'est justement cette pratique de pouvoir consistant à rechercher la confiance de la communauté internationale au détriment de celle de son propre peuple qui explique la présence de la MINUSTAH en Haïti.
 
Un appauvrissement calculé Le plan de sauvetage national doit assurer également l'intégration pleine et entière des Haïtiens de l'extérieur à travers la promotion des associations de villes d'origine (AVO). Il faut dire : la création d'une Banque de Développement des Collectivités locales à partir des transferts et de l'épargne de la diaspora donnerait un effet levier aux ressources propres des migrants et aux ressources locales pour financer les investissements de base en énergie et en éducation ainsi que leur maintenance dans les villes secondaires. Les AVO en accord avec les municipalités établiraient les contrats de ville avec les services déconcentrés au niveau départemental du ministère de tutelle qui serviraient en même de temps de contrats de performance pour l'évaluation des travaux et services réalisés.
 
L'histoire d'Haïti est celle d'un appauvrissement calculé de la communauté internationale, comme l'a bien décrit Seumas Milne du journal britannique Guardian [9]. Les dirigeants haïtiens, en échange du pouvoir, se sont prêtés au jeu des puissances française et américaine pour vendre la force de travail de leurs propres frères pour le plat de lentilles du pouvoir. Si aujourd'hui en 2010, ces puissances se découvrent un fonds d'humanité pour réparer les torts séculaires causés à Haïti, on ne peut qu'applaudir. Il faut oser dire et redire : les Haïtiens se doivent de rester vigilants. Pour refuser de renouer avec les mauvaises habitudes de la dette récemment annulée après de fortes pressions des progressistes du monde entier. La vigilance est de rigueur pour que le financement de la reconstruction ne devienne pas un albatros au cou du peuple haïtien et au bénéfice des grandes compagnies internationales. Il faut oser proclamer : Ce n'est pas un moratorium sur la dette qu'il faut à Haïti mais plutôt une annulation totale de cette dernière comme l'ont fait le Venézuela et Taiwan. Cette recommandation de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED ou UNCTAD en anglais) d'annuler la dette d'Haïti doit être suivie à la lettre [10]. Le financement de la reconstruction doit être fait avec des dons pour empêcher que le ratio dette/PIB n'augmente de 24% dans les trois années suivantes comme c'est le cas dans d'autres pays victimes de désastres naturels. Au fait, ce ratio dette/PIB augmente de 43% quand l'aide extérieure n'est pas au rendez-vous.
 
Le plan de sauvetage national doit inclure, à côté du secteur public et du secteur privé, le secteur social comme troisième secteur engagé dans la production, la circulation et la distribution des biens et services. À la lumière du développement des organisations non-gouvernementales (ONG) qui ont envahi Haïti depuis les trente dernières années, la question est d'une grande importance. Le secteur social peut aider au renforcement de la cohésion sociale en augmentant le capital social de la société haïtienne par la réglementation et la promotion des ONG, coopératives, mutuelles et autres associations à but non lucratif qui travaillent pour la production d'un surplus dans leur secteur respectif. Ce surplus qui n'est pas approprié par les membres composant ces dites organisations, est réinvesti et sert essentiellement à étendre leurs activités.
 
Dieu n'a rien à voir avec le séisme
 
La politique du rejet de l'intelligence nationale n'a pas changé. Il faut dire : les hommes au pouvoir continuent de s'embourber dans le marécage de l'intégrisme factionnel en écartant toutes les têtes qui dépassent, à défaut de les couper, comme ce fut le cas avec le professeur Anil Louis Juste le 12 janvier 2010. La vermine du pouvoir a la vie dure et persiste, avec le soutien de la communauté internationale, dans sa politique d'extermination de l'intelligence, par des gouvernements fantoches interposés. Le pouvoir des nuls continue sa marche avec le séisme dans les consciences en encourageant les superstitions et l'ignorance. Il faut oser dire : la mascarade d'une comédie est promue le 12 février 2010 pour mieux abêtir les masses terrifiées et pour les enterrer vivantes. Jean Miville-Deschênes a raison d'écrire : « Dieu n'a rien à voir avec le séisme, comme il n'a rien à voir avec la reconstruction d'Haïti. Si on attribue à Dieu un rôle dans les événements futurs, il faudra lui en attribuer un pour les événements passés. Comment pourrais-je compter sur l'aide de Dieu pour améliorer la situation de ces milliers d'Haïtiens, alors qu'il n'a joué aucun rôle pour empêcher cette situation ? » [11]
 
Les démocrates se doivent de protester contre l'exploitation éhontée de la religiosité d'un peuple aux abois. Les sectes sont à l'œuvre pour contraindre le peuple à rester agenouillé et empêcher qu'il se mette debout. Le message de réconfort offert au peuple haïtien se résume à le crétiniser. L'entreprise de décervelage vient perpétuer la résignation. La société haïtienne ne peut connaitre que des moments plus tristes avec un pareil abêtissement. Les privilèges concordataires de la religion catholique, bien que bousculés par l'arrêté mystificateur du 4 avril 2003 sur la reconnaissance officielle du vaudou, dominent encore le marché religieux. Le plan de sauvetage national se doit d'adresser ce problème sérieux en revendiquant la laïcité de l'État. Cette laïcité de jure pourrait être de facto de manière progressive en renforçant les acquis de la Constitution de 1987 dans ce domaine. Le plan de sauvetage national doit mettre le phare sur l'imbroglio religieux qui légitime la religion catholique à travers le Concordat de 1860. En effet, le “oui …mais” du mode de coordination de l'ordre contradictoire se manifeste en plein dans ce domaine axiologique crucial. Le Concordat de 1860 fait partie de l'arsenal juridique haïtien. Selon le vœu de l'article 276-2 de la Constitution de 1987, « les traités ou accords internationaux, une fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par la Constitution, font partie de la Législation du pays et abrogent toutes les Lois qui leur sont contraires ».
 
Pigeonner la population par des tours de passe-passe
 
Le sauvetage doit se faire de manière progressive pour bien d'autres raisons dont le fait que les écoles laïques ne constituent qu'un tiers des 15.442 écoles du fondamental (1er et 2e cycles) dans le système éducatif haïtien [12]. L'endoctrinement religieux est fait à la mamelle. Cela fait longtemps que l'État marron s'appuie sur l'église catholique pour se légitimer ou sur le vaudou comme le fit François Duvalier et ses adeptes tontons macoutes. Cette mystification de larrons en foire pour exploiter la crédulité du peuple a assez duré. Il faut dénoncer énergiquement cette tentative du gouvernement moribond de Préval de se refaire une virginité en s'appuyant sur le sacré. La ficelle de cette journée de prière est grosse. Dieu n'a rien à voir avec le tremblement de terre. Vraiment rien à voir ! C'est pigeonner la population par des tours de passe-passe que d'implorer le ciel dans ces circonstances. C'est une entreprise de racolage de bas étage pour masquer l'incompétence et la faillite du gouvernement.
 
Il ne faut pas laisser des sauveurs de pacotille se revigorer en enfermant le peuple dans les serres de la culpabilité et de la victimisation. Après avoir été absent aux lendemains du séisme, le gouvernement essaie maintenant de se déculpabiliser. Mais il se trompe à nouveau. Il faut le proclamer : le gouvernement n'est pas une sentinelle et ne fait pas preuve de sensibilité d'écoute en encourageant un discours oppresseur ; répandant un amalgame de bêtises et accouchant des pratiques qui désagrègent la pensée. En référer à Dieu pour sortir des maux du séisme revient à répandre des particules de vide. Il faut le dire : pour partager les sentiments de douleur de la population, il n'y a pas d'autres voies que celles de la pensée rationnelle et scientifique afin de sortir les gens de la grande fosse d'aisance créée par le tremblement de terre à la capitale.
 
Un mois après le séisme du 12 janvier 2010, la continuation de la politique des copains coquins démontre que la mort annoncée d'une certaine Haïti n'a pas eu lieu. On continue comme d'habitude. C'est le business as usual comme disent les anglo-saxons. Les progrès à accomplir pour la reconstruction d'une autre Haïti exigent l'introduction d'innovations qui bousculent les lieux communs du pouvoir politique. Il faut oser le faire : déconstruire le pouvoir pour qu'il ne soit plus uniquement au Palais national mais qu'il prenne corps dans la société civile, dans les collectivités territoriales, dans les coopératives, dans les organisations non gouvernementales qui rendent des comptes sur les projets qu'elles gèrent dans les domaines de l'accès à l'eau potable, de l'éducation, de la santé. Il faut des actions à la mesure des choses. Car se contenter de dire les choses ne peut en aucune façon signifier qu'elles se fassent d'elles-mêmes.
 
Le PSSN doit intégrer un aspect psychologique pour traiter des traumatismes causés par le séisme. Des traumatismes qui mélangent l'ampleur des secousses avec celles du système social qui lui sont antérieures. Des traumatismes qui ajoutent aux délais et obstacles à la réalisation des idées de progrès. Des traumatismes qui persistent avec l'épée de Damoclès d'un autre séisme dans la conscience collective. La catastrophe qui frappe Haïti doit réveiller ses potentialités en adossant le pays entier à cette formidable énergie de survie qui s'est manifestée à travers toutes les couches de la population. La refondation de l'État est à l'ordre du jour pour qu'il puisse jouer son rôle régulateur dans les domaines qui relèvent de sa compétence, tant au niveau de l'enregistrement des naissances que dans celui de l'accès à la terre pour les paysans avec des titres de propriété en bonne et due forme. Le tremblement de terre a touché Haïti dans son âme. Puisse-t-il contribuer à arrêter l'accumulation de problèmes, de désordres et de retards pour entraîner une autre dynamique de partage et d'engagements pour trouver des solutions aux anciens et nouveaux défis à l'heure de la reconstruction. L'équipe du PSSN a fait une contribution qui fera date. On y trouve des préférences nationales et populaires et des sélections de stratégie qui défendent le travail, la coopération, le partage et la solidarité. Les Haïtiens ont intérêt à aller dans le sens de ses propositions.
 
[1] World Bank, Haiti at a Glance, Development Data Group, 2006.
 
[2] Dilip Ratha, « Helping Haiti through Migration and Remittances », People Move, blogs.Worldbank.org., January 19, 2010.
 
[3] Suhas L. Ketkar, Diaspora Bonds : Track Record & Potential, Vanderbilt University, 2006.
 
[4] Eddy Pierre-Paul, « Préval veut bâillonner l'Assemblée nationale », Haïti-Observateur, 23-30 Avril 2008
 
[5] John Heilprin, “Bill Clinton chides nations over help for Haiti”, Associated Press, Sep 9, 2009.
 
[6] Testimony of Dr. Paul Farmer to the US Senate Committee on Foreign Relations, 27 January 2010.
 
[7] Handicap International, « In Brief — More than 2,000 amputees estimated in Haiti », January 26, 2010.
 
[8] Annick Cojean, « À Port-au-Prince, le ravage des amputations », Le Monde, 30 janvier 2010.
 
[9] Seumas Milne, “Haiti's suffering is a result of calculated impoverishment”, Guardian, London, January 20, 2010.
 
[10] UNCTAD, “Haiti's recovery should start with cancelling its debt”, UNCTAD Policy Briefs, no. 11, Geneva, January 2010.
 
[11] Jean Miville-Deschênes, « Haïti et Dieu », Le Soleil, Québec, Canada, 31 Janvier 2010.
 
[12] Direction de la Planification et de la Coopération Externe (DPCE) du MENJS, Recensement 2003, cité dans Lewis Ampidu Clorméus, “Quelques éléments de réflexion pour un débat sur la laïcité en Haïti”, El Colegio Mexiquense, Mexico City, 2009.
 
 

  

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