Et si les Parlementaires d’Haïti n’avaient pas peur de la Démocratie …
- Opinión
« La démocratie aura droit de cité en Haïti quand elle aura sa propre divinité… »
Méditation personnelle
S’il y a une chose que les parlementaires haïtiens font bien c’est la défense de leurs propres intérêts politiques et financiers, ainsi que ceux de leurs ouailles. Et, quand il s’agit de le faire, ils ne lésinent pas sur les moyens. On a vu comment ils se sont battus corps et âmes contre Martelly pour imposer leurs poulains dans des institutions stratégiques de l’Etat comme, par exemple, la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratifs. Ils savent simuler avec maestria des caricatures de processus compétitifs qui aboutissent à la sélection et à la justification de leurs choix préalablement arrêtés. Cela s’est passé comme ça lors de la désignation des membres de la grande cour administrative, rien n’a vraiment changé lors de la sélection des membres de la Cour de Cassation et il y a fort à parier que leur mode opératoire ne changera pas lors du choix des membres du Conseil Electoral Permanent et du Conseil Constitutionnel. Tout cela dans l’optique de parvenir à la concrétisation de leur indicible projet d’instaurer en Haïti une République où les anciens parlementaires et le Parlement règneront sans partage.
A cet égard, le pouvoir exécutif leur a fourni et leur fournit encore une collaboration notoire dans ce drôle de jeu potentiellement nocif pour la société. Comme dans une génuflexion politique, il a fait fi de son droit constitutionnel à avoir un Directeur Général ou un Directeur Exécutif à la CSCCA, laissant le champ libre aux parlementaires pour barrer la route à leurs concurrents aux élections législatives et présidentielles, en utilisant – par exemple – l’octroi de la ‘décharge de gestion’ comme barricade politique ou outil d’ostracisme. Sur ce point précis, le cas de l’agronome Gerald Mathurin, dans le Sud-est, est devenu un cas d’école…
L’exécutif s’est plié, ces derniers temps, au désir des parlementaires de transformer le gouvernement en un lieu politique où siègent abondamment des doublures de sénateurs et de députés. Ce qui a converti le pouvoir constitutionnel de contrôle des actions de l’exécutif, attribué aux parlementaires, en un pouvoir absolu de mainmise sur les deniers publics. Compte tenu de tout cela, on ne doit pas s’étonner que le parlement se soit taillé la part du lion dans le budget 2017-20018 en réservant pour ses 159 membres une enveloppe de 7.2 milliards de gourdes, tout en feignant de s’indigner du fait qu’ à certaines institutions importantes on n’a laissé que des miettes. Les larmes de crocodiles versées par la plupart de ces messieurs, qui se sont donnés en spectacle dans les stations de radio et de télédiffusion, n’ont pas manqué d’amuser les observateurs avisés.
En utilisant leurs points d’appui politique au niveau de l’exécutif, les parlementaires ont privé le pouvoir judiciaire des ressources financières dont il a besoin pour fonctionner efficacement. En bons faiseurs de lois qui détiennent aussi le secret de compromettre leur application, ils traitent la sphère judiciaire en parent pauvre et réduisent les juges qui y opèrent à l’état de minorité, au sens où le dit Kant dans « Qu’est-ce que les lumières ? »(1784). En fin de compte, ce qui paraissait être au départ une simple contrainte financière finit par devenir, comme prévu, une prise par le ventre qui condamne les juges à la mendicité déguisée et à la vente aux enchères de la justice.
Ces juges, pour la plupart, subissent la tutelle de ces parlementaires, car ce sont eux-mêmes qui les ont désignés. Ils les désignent encore malgré la présence du CSPJ et ils veulent encore continuer à les désigner, pour mieux les domestiquer. C’est la preuve d’un désir d’hégémonie qui devient de plus en plus insupportable et contre lequel il n’y a pas, selon toute vraisemblance, ni rempart ni contre-pouvoir. L’exécutif a accusé le coup et a échoué à offrir une interface valable à ces parlementaires sans retenu ; tandis qu’il devrait tout faire pour se montrer à la hauteur de ce combat qui est devenu une urgence nationale. Du train où vont les choses, la société haïtienne risque d’en mourir si elle ne prend pas en main son destin, en réagissant à temps et avec beaucoup de fermeté contre l’établissement de ce système de gouvernance, parlementariste à outrance.
Après tout, n’est-ce pas pour pousser son audace jusqu’au seuil du ridicule que le Senat s’est arrogé l’outrecuidance de voter cette résolution (du 17 juillet 2017), soi-disant non contraignante, mais qui a porté la présidence à obéir docilement à cette injonction voilée préconisant l’arrêt sans appel du processus de mise en place des organes des collectivités territoriales ? C’est un double coup par lequel le parlement a obtenu l’abdication du pouvoir exécutif et la possibilité de défendre le monopole politique convoité sur tout le pays en général et au niveau de chacun des départements géographiques en particulier. C’est un vrai jeu de mains pathétique et dangereux.
Pathétique dans le sens que les parlementaires évoquent un supposé vide légal alors qu’ils sont justement payés pour voter, toutes affaires cessantes, les lois dont la République a vraiment besoin pour mieux fonctionner. C’est de toute évidence un petit jeu de vilains qui est plus qu’inacceptable, vu que ce sont ces mêmes parlementaires qui sont aux timons des affaires depuis plus de 6 ou 10 ans et qui connaissent par cœur tous les couloirs du Palais National qui ont signé cette fameuse résolution alertant sur cet ‘urgent besoin’ de cadre légal, qui n’en est pas un. Depuis quand a-t-on vu des gens – oui, des législateurs – usant de tous les subterfuges pour finir par tirer « légalement » profit de leurs propres errements ? Hélas, notre Haïti est devenue si singulière que même une balourdise parlementaire peut s’imposer comme loi…
Ce double coup du Senat est aussi dangereux, en ce sens qu’il met en échec le projet d’instauration de la démocratie participative en Haïti, uniquement pour conserver en sa faveur un monopole de pouvoir de décisions. Ainsi, la république et la société se sont retrouvées extrêmement mal garées, puisqu’elles se sont choisies des représentants et des représentantes qui, loin de créer les meilleures conditions pour rendre effective leur participation dans les affaires publiques, se sont arrangées pour contenir l’écho de leur voix ou même leur interdire la parole. Le but inavouable étant que le parlement devra rester « vitam eternam » comme la seule courroie de transmission entre les populations locales et le pouvoir central. Ainsi, les parlementaires pourront continuer sans peine à réclamer – au nom des pauvres – des milliards de gourdes de subvention et utiliser le trop-plein de leurs poches pour arroser leurs clientèles politiques et tuer dans l’œuf toute éventuelle éclosion de leadership politique alternatif au niveau local.
En outre, ce double coup participe d’une velléité de sécurisation d’un monopole politique pour perpétuer le gaspillage des ressources financières de l’Etat et manifester une opposition farouche contre l’avènement des Assemblées et du Conseil Interdépartemental qui auront le droit légal de participer au processus d’allocations budgétaires. Plût au ciel qu’on ne concocte pas une parodie de cadre légal qui enlèvera aux collectivités territoriales de telles prérogatives et n’imprime pas un coup d’arrêt définitif au processus de démocratisation du pays et de la société. Car, une loi émanant de pères-conscrits en situation de conflit d’intérêts flagrants pourra se révéler infiniment plus pernicieuse que le vide légal redouté sans raison valable . Pour se convaincre de la véracité de cette dernière affirmation, il suffit de s’interroger sur la teneur d’une éventuelle loi portant sur la prévention du gaspillage de fonds publics à l’ONA, qui serait élaborée et votée par le parlement.
Dans la même logique de défense délibérée de leurs intérêts, les parlementaires savent comment influencer les décisions de l’exécutif et du judiciaire, tandis que ces deux pouvoirs de l’Etat sont maintenus à distance lors de l’élaboration et du vote de leurs propositions de loi. Ce faisant, ils ne se contentent pas seulement d’influencer les grandes décisions, mais ils savent aussi comment s’y prendre pour en avoir la paternité. Quand cela tourne bien, ils engrangent les bénéfices politiques et quand cela tourne mal, ils se démarquent et se convertissent en des censeurs sans pitié, critiquant vertement – comme le commun des mortels - les décisions gouvernementales.
A cet égard, le comportement du Président actuel du Senat est un exemple vivant. Il se pavane en ‘caravane’ avec le Président Jovenel Moise ; on l’a vu dans l’Artibonite et dans le sud, et tout récemment il faisait le show dans la Grand-Anse. Quand il a vu les remous provoqués par cette vraie « fausse-histoire » du paiement des 10,000 gourdes par la diaspora, il a de gaité de cœur publié un « voice-note » sur les réseaux sociaux dans lequel il s’est autoproclamé défenseur central de la diaspora et a juré par les grands dieux qu’il va faire échec à ce premier projet de loi de finances de l’ère Jovenel. C’est son droit le plus entier de faire la politique de son choix, mais il doit savoir que ces genres de manœuvre politicienne ne sont pas sans danger pour une République qui se veut morale et transparente.
Toutes les autorités politiques, généralement quelconque, doivent savoir qu’il y a des gens dans la société qui ne se tairont jamais et qui continueront à dénoncer depuis les toits en terrasse ce désir d’hégémonie et de préséance parlementaire dans tout ce qui se fait de bon au sein de l’Etat. Ces gens ne se sont pas battus contre les dictatures présidentialistes pour contribuer à implanter à leur place un exclusivisme parlementaire, mais pour contribuer à l’instauration d’une démocratie réelle dans le pays. Ils sont prêts à faire voler en éclat tout système dans lequel les parlementaires s’accoquinent avec leurs copains de l’exécutif pour prendre (par et pour eux-mêmes) les grandes décisions engageant unilatéralement l’avenir de la société. La République présidentialiste des Duvalier a fait son temps et est à jamais révolue, on ne saurait la remplacer par une République parlementariste délirant, car la démocratie que nous voulons – nous autres qui sommes restés dans le pays, malgré les dangers – c’est ce modèle basé sur l’équité, l’égalité, la méritocratie et la fraternité. Justement, ce modèle à la Jankélévitch qui préconise la substitution de l’ordre des « TOI » et des « MOI » à l’ordre de « LUI » et de tous les autres, de façon à créer ce véritable « NOUS » qui fera renaitre notre État-nation de ses cendres.
- Gary Olius est economista. Spécialiste en Gouvernement et Administration Publique.
- Source: AlterPresse, 2 septembre 2017
http://www.alterpresse.org/spip.php?article22047#.Wa1tc82QyFY
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