l’illusion d’une démocratie sans les masses populaires

10/11/2015
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Le système politique haïtien est tellement dominé par l’argent et les influences diplomatiques que les masses appauvries sont réduites à l’état de minorité. La majorité n’est plus à chercher dans le nombre mais dans ce qui est non dénombrable comme la capacité de tractation et d’intimidation. Et, le comble, cette capacité n’est pas seulement liée à l’argent, mais aussi à ce que l’argent permet de faire : acheter, manipuler, aliéner, désorienter, aveugler, saboter et même tuer. Dans cette logique, même les vociférations des masses populaires n’ont qu’une valeur marchande négociable dans un marché politique transformé en marché de dupes. La course à la marchandisation de la chose politique a engendré l’hypothèque de la quête de la démocratie et l’instrumentalisation de la chose populaire. Vox populi n’est plus vox dei et la politique se laisse influencer uniquement par les tractations diplomatiques et le pouvoir de l’argent et des armes. Ce pouvoir trop longtemps indiscuté est devenu carrément indiscutable à force de capitulation du milieu universitaire et de la presse. Au lieu de résister et de se battre pour le triomphe de la lumière, les plus bruyants des directeurs d’opinion se défont de leur fonction critique, s’exposent au vu des puissants et se prostituent, juste pour tirer leur épingle du jeu. Ils en vinrent à cultiver un dégout pour les masses qu’ils croient uniquement bonnes à être appelées aux urnes pour justifier a posteriori les arrangements et les consensus trouvés entre les forces obscures de la société. Aussi, Haïti se retrouve-t-elle avec un semblant peuple qu’on fait jouer le paravent pour justifier malgré lui un semblant de démocratie.

 

En tout état de cause, les élections du 25 octobre 2015 permettent de comprendre un peu mieux les raisons pour lesquelles la vraie démocratie ne s’établira jamais en Haïti. Depuis 1997, on s’est arrangé pour torpiller toute possibilité de participation populaire aux élections. Les actes de violence, les intimidations, l’éloignement scandaleux des électeurs de leurs bureaux de vote respectifs ou la fabrication artificielle d’électeurs égarés ont provoqué la baisse continue du taux de participation aux élections qui se sont succédées au cours des deux dernières décennies. Jusqu’au 9 aout 2015, le CEP n’a pas pu faire bonne recette et a dû se contenter d’un maigre 15%. On s’en est plaint à haute voix pour faire semblant, mais on y voyait en secret le signe évocateur d’une bonne maitrise politique de la plèbe.

 

Les élections du 25 octobre ont été une occasion pour les maitres d’Haïti de démontrer à quel point ils ont pu perfectionner leurs armes pour accroitre cette domination - par les urnes - des masses populaires. Pour la première fois les élections se sont déroulées sans actes de violence majeurs. Pour la première fois, aussi, il y a eu plus d’observateurs que d’électeurs. Et c’est pour la première fois que le black-out a été utilisé comme instrument politique électoraliste. Comme de fait, après huit (8) heures de vote dans le calme, il a fallu, comme le croyaient les musiciens du groupe mizik-mizik, le blackout ou la noirceur pour rédiger - sans transparence et dans la magouille - les procès-verbaux en faveur des gagnants décidés depuis des semaines auparavant.

 

Et pour cause, ces élections nous ont rendu le verdict annoncé – non sans navette – par la voix (...) de Monsieur Opont : un deuxième tour mettant face à face un candidat financé par le puissant groupe de bourdon et le candidat du parti au pouvoir. Un verdict singulier, comme pour confirmer qu’ici-bas ce n’est plus le peuple qui attribue le pouvoir. Pour la première fois, enfin, les pauvres se rendent compte des limites qui lui sont imposées par le pouvoir de l’argent et des tractations diplomatiques.

 

N’a-t-on pas dit que les élections se basent sur le principe cardinal ‘une personne une voix’ ? Sur cette base, on osait penser que les votes de Lea Kokoye et Lily Lafouquechaude méritent d’être comptés et ont le même poids dans la balance électorale. Et pourtant, les résultats des élections du 25 octobre ont vu la mise en quarantaine de 142,304 voix et la non réception de plus de 290 procès-verbaux. Sans aucune forme de procès connu. Sachant que chacun de ces bureaux contient 400 électeurs potentiels, si l’on y applique de manière linéaire le taux de participation de 30%, c’est comme si on avait ôté le droit d’expression à 34,800 personnes de plus aux élections d’octobre 2015. En tout, c’est au bas mot 177,104 électeurs qu’on a réduit officiellement au silence. Ce n’est pas peu, puisque les votes de ces sans-voix étaient suffisants pour modifier les résultats célébrés à trinques de verres par les membres du CEP ce 5 novembre 2015. Opont et ses ouailles ont éliminé des bureaux que des pyromanes n’ont pas osé incendier et que des hommes armés n’ont pas osé attaquer le jour du scrutin. En définitive, le résultat de cette élimination par soustraction injustifiée équivaut exactement à des incendies ou à des attaques à l’arme automatique des bureaux concernés, puisque l’impact obtenu est le même : tirer un trait sur les choix de ces électeurs.

 

Les résultats publiés recommandent à 5.8 millions d’haïtiens et d’haïtiennes de choisir le 27 décembre prochain entre Jude Célestin et Jovenel Moise. C’est en réalité une alternative traduisant soit le retour de René Préval au pouvoir soit la continuité du régime en place. Bien fous ceux qui y verraient la confrontation entre un neo-lavalas et un neo-duvalieriste. Car, non seulement ces étiquettes idéologiques sont assez caricaturales, mais en fait de confrontation électorale, il n’y en aura peut-être pas. C’est éventuellement une alliance naturelle qui pourra être scellée. Les détenteurs du monopole des moyens économiques et ceux du monopole des facteurs politiques déterminants vont, qui sait ?, se donner en spectacle pour fabriquer une entente gouvernementale qui conditionnera le devenir du pays pour les décennies à venir. Au-delà des personnes de l’ex et de l’actuel président, c’est la mise en place d’un puissant establishment maitrisant l’argent, le pouvoir politique et les armes qui se joue. Pour le meilleur ou pour le pire… ?

 

Il est trop tôt pour conclure quoique ce soit, mais ce qui doit arriver arrivera. Et ce qui est encore plus certain c’est que les enjeux sont de taille. Il y a les mines d’or, d’iridium et d’argent enfouies dans le sous-sol haïtien. Il y a le gisement pétrolier faisant de facto partie des réserves stratégiques de l’oncle Sam. Mais il y a aussi la pauvreté massive de la société haïtienne et la menace populiste. La construction de la singulière diarchie argent-pouvoir, dans sa version la plus politique, ne viendra pas par hasard et se fera sous couvert de la démocratie. Et, qui sait ?, d’une démocratie qui autorisera les grands décideurs à sauter au plafond et à hurler : à bas le peuple !

 

- Gary Olius est économiste, spécialiste en administration publique

 

Source: AlterPresse, 8 novembre 2015: http://www.alterpresse.org/spip.php?article19165#.VkIN_F5lGyd

https://www.alainet.org/es/node/173538
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