Engrais, semences hybrides, Ogm…faut-il avoir peur ?

02/04/2012
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Alors que les autorités souhaitent passer par l’utilisation des semences hybrides pour moderniser l’agriculture haïtienne, des doutes sont soulevés quant aux bénéfices réels pour Haïti, observe AlterPresse.
 
Lors du lancement de la campagne agricole de printemps 2012 à Dumay le 23 mars 2012, le ministre de l’agriculture, Herbert Docteur, et le directeur du projet Winner, Jean-Robert Estimé, ont vivement soutenu l’utilisation de tracteurs, de nouvelles techniques de cultures, d’engrais et de semences hybrides pour supporter la production et augmenter la productivité des agriculteurs haïtiens.
 
« 150 tonnes de semences hybrides seront importées dans le cadre de la campagne 2012 », a informé le directeur de Winner.
 
« Les engrais seront subventionnés à hauteur de 33% par le ministère de l’agriculture. Ce sera plus cher, mais naturellement plus disponible pour les agriculteurs », a ajouté pour sa part le ministre démissionnaire de l’agriculture, Herbert Docteur.
 
Semences et engrais seront régulièrement disponibles dans les boutiques d’intrants agricoles pour les paysans, promettent-ils.
 
Le spectre de la dépendance renforcée
 
Selon le ministre Docteur, les hybrides « proviennent du croisement de deux variétés de plantes et ne peuvent être utilisées qu’une seule fois. L’année prochaine il faut en acheter d’autres ». Docteur poursuit en soutenant qu’ « elles sont utilisées en Haïti depuis les années 1970 et possèdent un potentiel de rendement supérieur aux semences [naturelles] locales ».
 
Mais à quel prix ? Le planteur qui utilise les hybrides est forcé d’en racheter or elles ne sont pas produites en Haïti.
 
Les semences hybrides sont fabriquées par des multinationales agro-alimentaires. Le fait qu’elles ne sont pas reproductibles oblige les producteurs à en acheter à ces entreprises à chaque récolte. Aussi un nouveau marché se créé pour ces géants de l’agro-alimentaire, soulignent des spécialistes.
 
De plus, manipuler les semences hybrides sans protection comme des gants ou des masques peut avoir des effets néfastes sur la santé des agriculteurs et sur l’environnement. Car ces semences toxiques sont traitées avec des fongicides, des herbicides, etc.
 
Louise Sperling, chercheuse du Centre international d’agriculture tropicale (Ciat) ayant dirigé une étude multi-agence sur la sécurité des semences, a déclaré à Ayiti Kale Je en mars 2011 (partenariat médiatique dont AlterPresse est membre) que « l’aide directe en semences –lorsqu’elle n’est pas nécessaire, et pratiquée de manière répétitive –constitue un préjudice réel. Il sape les systèmes locaux, crée des dépendances et étouffe tout véritable développement du secteur commercial ».
 
Selon l’enquête menée par Ayiti Kale Je, approuver des dons de semences hybrides est « en contradiction directe avec la loi haïtienne et les conventions internationales qui visent à protéger le patrimoine génétique et l’écosystème en général ».
 
L’utilisation des semences hybrides dans « la campagne agricole printemps 2012 » semble être dûment préparée depuis le don de Monsanto, à en croire un extrait d’un rapport interne de Usaid/Winner obtenu par les journalistes de Ayiti Kale Je.
 
« Malgré toute une campagne médiatique contre les hybrides, sous couvert d’OGM/Agent Orange/Round Up, ces semences ont été utilisées presque partout, le vrai message est passé, bien qu’à un niveau en deçà de nos espérances [et] nous travaillons actuellement le plus vite possible avec les paysans afin d’augmenter autant que possible l’utilisation des semences hybrides », a écrit Winner.
 
Toutefois certains agronomes pensent que les semences hybrides peuvent être une alternative pour l’agriculture haïtienne surtout qu’il y a de sérieux problèmes de rendements et une baisse de la fertilité des sols. Néanmoins le pays, ou tout au moins le Ministère de l’agriculture devrait disposer des technologies adéquates et investir systématiquement dans les recherches biologiques.
 
Ce dont il faut avoir peur ce ne sont pas des semences en soi, c’est le volet idéologique qui est caché derrière la façade aide qu’il faut dénoncer, selon d’autres agronomes consultés par AlterPresse. C’est la logique marchande des entreprises multinationales qu’il faut dénoncer, expliquent-ils, en précisant qu’il faut éviter la confusion entre Organisme génétiquement modifié (Ogm) et semences hybrides.
 
Une semence ogm est un organisme végétal dont le patrimoine génétique a été modifié afin de lui conférer de nouvelles propriétés. Cette modification s’opère par des techniques de génie génétique pour introduire d’autres gènes provenant d’autres organismes tels virus, bactérie, levure, champignon, plante ou animal.
 
Les semences hybrides sont généralement obtenues par le croisement de variétés de plantes de la même espèce. Mais ne peuvent pas se reproduire dans le champ du paysan.
 
Le Ministère de l’agriculture et les Ogm
 
Pour le ministre de l’agriculture démissionnaire Herbert Docteur, l’institution qu’il dirige a une position scientifique par rapport à la question des Ogm. « Si des laboratoires ont testé ces produits pendant un temps suffisamment long pour prouver qu’ils ne peuvent pas tuer, nous sommes prêts à les utiliser », dit-il.
 
Docteur rappelle tout de même que la population haïtienne consomme déjà des Ogm surtout avec la viande importée de la République Dominicaine. « Une cuisse de dinde [importée du pays voisin d’Haïti] est plus grosse que celle d’un cabri. Comment voulez-vous que cela soit possible ? », argue le ministre de l’agriculture.
 
Ancien importateur de riz, Docteur croit que « nous avons des préjugés [sur les Ogm] en Haïti. Qu’est-ce qui nous dit que le riz ou le maïs que nous consommons ne contient pas d’Ogm ? »
 
Docteur anticipe le triomphe de l’ère Ogm. « Dans 50 à 100 ans, 90% des produits que nous allons consommer seront des Ogm », prophétise-t-il en soulignant la nécessité d’augmenter la production agricole mondiale « pour répondre à l’augmentation galopante de la population mondiale ».
 
Pourtant, « dans l’état actuel, les cultures mondiales pourraient nourrir sans problème 12 milliards d’êtres humains », relève Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’Onu (2000 à 2008), dans son livre « Destruction massive » publié en octobre 2011.
 
 
https://www.alainet.org/es/node/156975?language=es
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