En Démocratie comme au bal Deng-deng…

01/12/2010
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« Nous n’avons plus de bouche pour parler
nous portons les malheurs du monde
et les oiseaux ont fui notre odeur de cadavre
Le jour n’a plus sa transparence et ressemble à la nuit »
 
Anthony Phelps
 
Notre démocratie se cherche une substance depuis belle lurette et chaque scrutin est une occasion pour elle de réaffirmer cette quête désespérée. Malheureusement, les fins de mandat des élus correspondent toujours à des constats de déception, à la manière de ces printemps qui refusent obstinément de tenir leurs promesses de fleurs. Les chantres de cette démocratie ont vraiment de quoi s’inquiéter, car dans des pays comme Haiti elle risque sous peu de ne plus faire recette. Bien qu’on s’arrange, au terme de chaque quinquennat, pour faire miroiter des bilans louangeurs, mais ceux-ci résistent mal aux assauts des besoins sociaux non satisfaits et de la détérioration continue des conditions de vie du peuple haïtien. Tôt ou tard ces prosélytes devront mettre un bémol à leur excès de zèle et se rendre à l’évidence que cette formule ne pourra plus tenir la route, puisqu’il y a de ces longues souffrances qui interdisent aux masses populaires de croire même au Père Noel.
 
Les élections du 28 novembre 2010 viennent de confirmer une fois plus l’agonie de ce modèle de démocratie. Comme beaucoup de gens l’ont déjà remarqué, ce modèle s’apparente à un marché de dupes ou même à une drôle d’entreprise dont les vrais actionnaires sont les « junk-leaders » toujours prêts à toutes les acrobaties pour accéder au pouvoir et le tandem ONU-OEA. Les électeurs haïtiens ne sont que les laissés-pour-compte et s’abandonnent dociles aux vendeurs d’illusions pour se faire bafouer, tromper, malmener et avilir. Les dirigeants actuels, actionnaires circonstanciés de cette fabrique de mensonges se sont volontairement alliés à l’OEA pour déclarer à qui bon voulait l’entendre que les élections étaient techniquement possibles. Les péripéties des électeurs et les fraudes massives constatées le jour du vote ont prouvé le contraire. Et puis, c’est la même OEA qui a été appelée pour se prononcer sur la recevabilité technique des opérations électorales. N’est-ce pas là un cas classique de conflit d’intérêts, inacceptable dans toute société qui se veut démocratique ?
 
Dans la même veine, la Minustah a défendu à tue-tête le Conseil Electoral actuel et s’est même arrogée le droit de fixer à sa place la date des élections. C’est elle-aussi, en la personne d’Edmond Mulet, qui qualifiait de « fête électorale » les bourrages d’urnes dans 7 des neuf départements géographiques du pays. Peu importe si les électeurs n’arrivaient pas à exercer leur droit – pour cause d’incompétence et d’immoralité des responsables du Conseil Electoral – c’est la démocratie qui triomphe aux yeux du diplomate onusien. Cela se comprend, « Business is business », les profits ou les dividendes n’appartiennent qu’aux actionnaires et ils ont le droit de jubiler. Gare au peuple s’il se plaint et manifeste son ras-le-bol, le virus du choléra peut accélérer ses ravages, ainsi a-t-il été prévenu sans vergogne.
 
Les diplomates accrédités en Haiti, eux-aussi, ont joué leur partition dans cette grande farce. Une semaine avant les élections, ils ont défilé devant les micros des journalistes pour réaffirmer la prédication de l’évangile de cette démocratie sans contenu. Madame Lut Fabert de l’Union Européenne voit ce que peut-être plusieurs millions d’haïtiens n’ont pas pu voir depuis des mois : il y a une stabilité politique qui s’est installée et une reconstruction qui bat son plein dans le pays. Avec ses lunettes diplomatiques elle voit en détail ce que les électeurs haïtiens n’ont pas pu voir même en gros plan. La reconstruction et la stabilité sautent à ses yeux et, pourtant, de 2005 à nos jours Haiti a connu trois premiers ministres et quatre gouvernements en cinq ans, plusieurs émeutes qui ont mis les petites et moyennes entreprises à rudes épreuves, plusieurs scandales majeurs éclaboussant l’institution électorale, 1.5 million d’haïtiens vivent encore sous des bâches et des tentes. On comprend que beaucoup d’ONG ont pu reconstruire leur trésorerie suite au tremblement de terre qui a ravagé Haiti. C’est peut être une belle forme de reconstruction. En vérité, on comprend pourquoi des diplomates influents ont toujours joué pieds et mains pour empêcher la mise en place d’une opposition digne et l’éclosion d’une nouvelle génération d’hommes et de femmes politiques en Haiti. C’est peut être au nom d’une certaine stabilité, mais qui sait si ce n’est pas surtout pour la stabilité des intérêts économiques et stratégiques de leurs pays.
 
Si l’on ose s’interroger sur ce que les diverses élections déjà organisées jusqu’ici ont apporté au peuple et si l’on murmure à quoi bon toutes ses faramineuses dépenses pendant que le peuple trime dans la crasse et la misère, on s’exposera sans doute au risque de se faire méprendre et d’être accusé de faire l’éloge de la dictature ; car, pour la communauté internationale et les affairistes politiques, les élections constituent la substance de la démocratie. Mais ces derniers ne se rendent pas compte de la somme de torts qu’ils ont fait au pays et à la Démocratie véritable elle-même, en disséminant à tout bout de champ ce drôle de conception ; ainsi qu’en organisant ces mascarades qui donnent de la nausée aux générations montantes. Ici, en Haiti, quelqu’un qui gagne des élections – peu importe la façon dont elles sont organisées – a le droit de vie et de mort sur le pays. Il peut impunément mettre à sac les institutions, affaiblir l’Etat, gérer comme bon lui semble les deniers publics, mentir effrontément à la population, torpiller les instances autonomes de transparence, mettre la justice en coupe réglée et même tout ramener à sa petite personne. L’ONU et la communauté internationale sont toujours là pour lui donner la bénédiction politique et diplomatique qui le rend intouchable.
 
Ce modèle de démocratie correspond exactement à ce que le feu professeur Jean Claude appelait le bal deng-deng, où seul le droit d’entrée compte. Une fois qu’on paie ce droit, on peut manœuvrer sa ceinture comme on veut, se livrer à une bombance démesurée, s’enivrer comme on peut ; bref, on a le pouvoir de donner libre cours à ses plus bas instincts. Mine de rien, cette « démocratie bal deng-deng » est basée sur le droit d’accès au pouvoir. Oui, accès n’importe comment ! Il suffit seulement d’y parvenir pour faire ce qu’on veut, dès lors que toute forme de contestation est perçue carrément comme une atteinte à la sacro-sainte stabilité ; oui, cette stabilité forcée dont personne ne songe à en interroger la substance. Dès lors aussi que la menace de l’expansion du choléra peut être brandie pour calmer les ardeurs des plus récalcitrants.
 
Du reste, c’est une démocratie et une stabilité basée sur le principe rocambolesque du « tous les moyens sont bons » ou de son dual « la fin justifie les moyens ». Elles défient toutes les règles minimales d’éthique. En revenant aux élections du 28 novembre, désormais historiques à plus d’un titre, nous nous permettons de rappeler à l’ONU et à l’OEA que les élections constituent un mélange de Technique et de Moralité, même si des calculs économiques, politiques et diplomatiques veulent que la grande farce - que le commun des mortels trouve répugnante – soit validée. Mais après tout, il ne faudra pas que la communauté internationale vienne se plaindre de déficit de gouvernance et gouvernabilité, le déterminisme scientifique reste et demeure immuable : les mêmes causes entraineront inexorablement les mêmes conséquences. Pour se contenter du minimum, on ferme les yeux sur tous les accrocs et on oublie souvent que la vraie démocratie est en soi une dictature positive et renvoie à l’obligation absolue de respecter la loi, les institutions, les principes de justice et d’équité sociale ; elle est aussi l’obligation de résultats et le règne sans partage de l’éthique et de la moralité. Tout le reste n’est que marchandage et calcul politico-diplomatique mesquin.
 
Gary Olius ést économiste et specialiste en administration publique.
 
Source: AlterPresse
https://www.alainet.org/es/node/146122
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