Retard circonstanciel du processus ou répit démocratique planifié ?
- Opinión
Les élections
présidentielles qui ont vu le retour de M. René
Préval au pouvoir ont fait jubiler la communauté
internationale. Pour elle le pari de la démocratisation du
pays était en grande partie gagné - du moins dans sa
première manche - étant donné la marrée
humaine qui s’était déferlée dans les bureaux
de vote. Avec un triomphalisme à peine contenu, l’OEA [1]
et les responsables onusiens se sont attribués un satisfecit
et ont considéré que lesdites élections
n’avaient pas de pareilles en Amérique Latine. Deux ans
après, que reste-t-il de cette euphorie manifestée à
hue et à dia ? L’échéance
constitutionnelle fixée pour le renouvellement du tiers du
Sénat s’épuise dangereusement et ceux là qui
ont sauté au plafond en février 2006 donnent
aujourd’hui leur langue au chat.
Pourtant ces élections
sénatoriales devraient confirmer la progression, s’il en
est, du processus de démocratisation d’Haïti. Il y a
cette velléité de confirmation de ces acteurs en quête
de prouesses pouvant garnir leur rapport de mission, mais il y a
aussi la réaction quasi prévisible d’un électorat
désenchanté et qui s’est rendu compte que dans cette
démocratisation sur mesure, il ne constitue que le dindon de
la farce. Les faits sont là pour prouver qu’il n’attend
que le moment opportun pour rendre à tous les décideurs
la monnaie de leur pièce.
Etant donné cette
réalité, la prudence est de rigueur. Des élections
sénatoriales avec moins de 10% de participation
constitueraient un vrai camouflet tant pour le gouvernement que pour
la communauté internationale. Le risque étant le même
pour tous, l’obligation de solidarité s’impose d’emblée
comme abri commun. Et sur cette base, on en vint à établir
un pacte de fait : le gouvernement fait ce qu’il peut pour
sauver les meubles et la communauté internationale s’engage
à rester muette sur la question ou à lancer
sournoisement des signaux d’approbation sur les mesures
entreprises. Du reste, tous savent que cette façon de faire a
ses limites et que le temps qui passe est toujours prêt à
les mettre à nu. Avec ou sans le ferme appui des puissances
internationales l’exécutif ne pourra pas sans fin s’amuser
à brûler les échéances constitutionnelles
sans s’exposer à la risée des observateurs
avertis.
La volonté d’organiser des élections
en temps et lieux est là, et personne n’est logiquement
autorisé à prêter aux dirigeants et aux bailleurs
de fonds de mauvaises intentions. Et on peut dire mieux, ils veulent
des élections avec une participation massive de l’électorat.
Mais comment y parvenir, quand on sait qu’en cette matière
les espoirs déçus, l’insécurité, la
morosité économique et la faim sont mauvais
conseillers ? Voilà la grande question…. Le
gouvernement, qui n’avait pas le choix de sa politique
macroéconomique, a réussi à faire tant bien que
mal ce qui lui a été demandé : les
indicateurs – jadis au rouge – sont revenus au vert. Cependant
politiquement, cela a un effet dévastateur, car le peuple ne
vit pas d’indicateurs, mais de résultats immédiatement
traduisibles au quotidien dans les assiettes. Bref, le constat
navrant c’est que les gens votent massivement et les assiettes
restent désespérément vides. Leur demander de
retourner aux urnes avec la même ferveur, c’est un peu comme
leur suggérer d’appuyer la poursuite d’une politique dans
laquelle ils ne sont pas sûrs d’avoir quelque chose à
gagner dans l’immédiat. Or, un peuple affamé ne vit
que de l’immédiateté. Ce n’est pas du populisme
déguisé, la politique en contexte de pauvreté
massive est ainsi faite. Qui sait pour combien de temps le peuple
pourra encore continuer à vivre avec le sentiment – justifié
ou pas – de perdre le beurre et l’argent du beurre !
La
grande erreur commise, donc, est que le gouvernement et la communauté
internationale ne se sont pas mis d’accord sur une politique
d’accompagnement, pouvant servir de choc-absorber aux grandes
décisions prises au niveau macro-économique. On se fout
le droit dans l’œil en pensant pouvoir résoudre les
problèmes urgents du peuple toujours en ayant recours au
DSNCRP [2].
Les résultats de cet outil sont étalés sur le
moyen et le long terme ; et cela dit, il ne saurait constituer
par exemple une réponse aux problèmes de la cherté
des produits de première nécessité. Adresser
avec dextérité des besoins aussi urgents du peuple
n’est en rien une tentation au populisme, mais une preuve de
clairvoyance politique, car la misère non prise en charge fait
perdre aux individus leur estime de soi et, à terme, peut
mettre en péril leur citoyenne réelle. C’est
justement ce que traduisent les abstentions massives lors des
élections, lesquelles ne constituent qu’un déni de
citoyenneté.
Le gouvernement semble ne pas être
en mesure de concevoir des programmes d’accompagnement aux
politiques de stabilisation macroéconomique et la communauté
internationale persiste à se voiler la face en minimisant les
risques liés à l’absence pure et simple de ces
programmes. Pour l’un il y a la peur d’être perçu
comme populiste et pour l’autre le désir de prioriser à
tout prix les interventions à impacts durables et de long
terme. Dans les deux cas, il y a fondamentalement un problème
de responsabilité. Et finalement, dans ce contexte électoral
tous se sont rendus compte qu’on travaille mieux au profit de la
démocratie en appliquant des politiques qui aident les
électeurs à garder leur dignité, à être
conscients de leur responsabilité citoyenne et ne pas être
obligés de troquer leur voix pour un repas ou pour quelques
gourdes. Il n’y a pas meilleur antidote contre le
populisme…
Actuellement les décideurs craignent une
abstention massive de l’électorat. Comme pour augmenter leur
désarroi, les cris de détresse des uns et des autres
montrent que cette éventualité est ce qu’il y a de
plus probable. Pour inverser la tendance, il est impérieux de
faire quelque chose, ne serait-ce que pour montrer que la
démocratisation voulue est encore possible et que le
gouvernement copieusement voté est à la hauteur du
crédit qui lui a été attribué, il y a
deux ans. L’enjeu est de taille tant pour l’un que pour
l’autre.
On a besoin de temps pour faire quelque chose à
impacts visibles, dès lors que sans cela tous les décideurs
perdront ce qui leur reste de crédibilité. On
tergiverse et les échéances critiques s’épuisent
les unes après les autres. Les élections sénatoriales
doivent attendre… Mais on ne sait toujours pas pour combien de
temps. Pour cela, le gouvernement doit avoir sous ses pieds les
pédales d’accélération et de freinage, sinon
il risque d’être pris au dépourvu. C’est d’ailleurs
dans cette logique là qu’il faut inscrire la démission
provoquée du technocrate convaincu, Jacques Bernard. D’aucuns
ont mal interprété sa décision, mais il savait
très bien ce qu’il encourait s’il acceptait que le
contrôle administratif et opérationnel de l’institution
électorale lui soit retiré. Il a effectué la
bonne lecture de la conjoncture, il a bien évalué le
degré d’influence et la velléité des acteurs
clés et a rendu à temps le tablier ; imbu qu’il
était qu’un technocrate sans pouvoir de décision
substantiel est un lion dépourvu de griffes et de dents, donc
condamné à l’inefficacité. Or, il était
hors de question que Jacques Bernard mette en péril l’image
de technicien hautement compétent que plus d’un gardent de
lui après les dernières élections.
En
fait, il est tout aussi vrai que son départ a fait l’affaire
des décideurs qui avaient besoin de temps. Il est parti, on a
pris du temps pour nommer son successeur et il faut du temps pour que
ce dernier se familiarise avec la machine électorale et évalue
ce qu’on lui attribue comme pouvoir. Il faut du temps pour
finaliser dans une approche participative le projet de loi électorale
et il y a là-dedans des propositions-prétextes, osées,
audacieuses et exploitables pour faire perdurer les débats
aussi longtemps que l’on veut. Quand on pense à l’idée
de faire passer le nombre de Députés de 99 à
plus de 140 en feignant d’ignorer le poids de cette proposition sur
le budget du trésor public, il faut penser qu’il y a là
de quoi occuper les législateurs, les politiques, les
aspirants députés ou même les bailleurs de fonds
pendant un bon bout de temps. Entre-temps, le gouvernement prend son
temps pour trouver la bonne inspiration apte à l’aider à
concevoir un ensemble d’interventions à effets rapides et
visibles susceptibles de l’aider à se refaire une santé
politique à trouver le point d’appui nécessaire pour
arriver à re-mobiliser l’électorat. Ceux qui parlent
de retard dans la mise en œuvre du processus électoral n’ont
pas tout à fait raison et eux-mêmes verront sous peu
qu’il ne s’agit que d’un répit démocratique pour
contourner un danger dont les conséquences seraient
dévastatrices tant pour les décideurs que pour la
démocratie haïtienne elle-même. Cela dit, croisons
les doigts pour que l’on ne soit pas obligé de laisser du
temps au temps…
.................................................
[1]
Organisation des États Américains
[2]
Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la
Réduction de la Pauvreté
Source: Alterpresse :
http://www.alterpresse.org/
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