Haiti-élections: la communauté internationale dans ses œuvres...

08/02/2006
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Dans la gestion du processus électoral haïtien la communauté internationale a appliqué une drôle de taylorisation qui saute aux yeux. Plus qu'une répartition de tâches au sens classique du terme, c'est une formule qui permet à chaque fraction de cette communauté d'avoir sa chasse- gardée et sa sphère d'influence. Au PNUD a été dévolu le rôle d'allocation de fonds ou de gestion globale du budget, à la MINUSTAH l'exécution du plan opérationnel dans son aspect logistique, d'éducation civique, de sécurité et de préparation du scrutin proprement dit et, enfin, à l'OEA ont été attribuées les opérations d'enregistrement dans toutes ses composantes (recrutement de personnels, passations de marché, préparation des listes électorales, etc...). Mais le Conseil Electoral Provisoire, l'entité officielle qui devrait assurer la totalité de la gouvernance du processus s'est vu contraint de se confiner dans l'exécution de simples tâches normatives comme la publication de calendrier, la signature des décisions sur le rejet ou l'acceptation de candidatures et l'officialisation des résultats des élections. Bref, il s'agit là d'une véritable dénationalisation du processus. Et, la démocratie souhaitée par les Haïtiens dans tout cela, serait- elle réduite à un simple objet de marchandage, pour ne pas dire une marchandise? Ces élections ont vu défiler en Haïti une kyrielle d'affairistes de tout poil. Des représentants de firmes internationales, des sous-traitants, de faux experts venus des USA, de la France, du Canada et de l'Amérique Latine, tous en quête de contrats juteux. La transition démocratique est devenue ipso facto monétisable et les questions éthiques sont reléguées à l'arrière-plan pour céder la place à des combines, des subterfuges de tout genre, des luttes d'influence et même à des surenchères. C'est pour cela d'ailleurs que le processus a été aussi long, il a fallu prendre le temps qu'il faut pour négocier car il n'y a pas de jeu là où il y a enjeu financier. Le capitalisme c'est surtout ça.... Les haïtiens vivaient avec une profonde amertume cette révoltante réalité, mais ils ont dû se retenir et contenir leur ras le bol car ils ne sont pas dupes du fait que la communauté internationale a financé à hauteur de 95% les dépenses relatives au processus électoral. Ils acceptent l'évidence que c'est le pays avec ses crises politiques récurrentes qui offre aux « experts » internationaux un terreau pour se livrer à leur marchandage. Au moment ou nous parlons, les dépenses globales pour les élections présidentielles s'élèvent à 59 millions de dollars et certains pensent qu'Haïti, à cause de sa grande pauvreté, n'était pas en mesure d'assumer le paiement d'une note aussi salée. Qu'ils se détrompent, car il n'y a pas longtemps le pays a payé aux bailleurs de fonds internationaux plus de 60 millions de dollars pour concept de services de la dette externe. La stratégie de la communauté internationale a été très cynique à cet égard. Au début de cette transition, les institutions financières ont intimé l'ordre à leurs serviteurs nouvellement installés (Latortue, Bazin et Co) de liquider tous les arriérés non honorés par le gouvernement d'Aristide. Le but poursuivi étant d'assécher la réserve de devises de la banque centrale, de réduire la capacité d'autofinancement du pays dans certains domaines clés comme les élections, accentuer sa dépendance et le mettre à la remorque des étrangers pendant une assez longue période de temps. Diplomatie oblige, ceux qui dirigent les missions étrangères ont su camoufler toutes leurs interventions en matière électorale sous le couvercle d'assistance technique, arguant qu'en Haïti la compétence en matière électorale faisait défaut et qu'il fallait en importer. Sur ce dernier point, il n'y a pas lieu de préciser quoique ce soit car Louise Brunet, Gerardo Lechevallier(1) et consorts savent très bien que face aux experts haïtiens ils ne font pas le poids et que c'est le rapport de forces ou l'ampleur des enjeux qui ont voulu que les choses soient comme elles sont aujourd'hui. Bref, venons maintenant aux activités effectuées par la mission de l'OEA en Haïti, tout au long du déroulement de ce processus. Recrutement du personnel des centres d'enregistrement et impression des cartes d'identification Sous cet aspect précis, la transparence n'était pas de mise. Un minimum de souci pour le respect des normes exigerait que des appels à candidatures préalables soient lancés et qu'une procédure adéquate soit mise en branle en vue de sélectionner les meilleurs postulants qui souhaitaient offrir leurs services lors des opérations d'enregistrement des électeurs. Rien de tout cela. On a, de préférence, présélectionner des gens sur la base de leur relation avec des employés de la mission de l'OEA (parmi lesquels, des supporteurs zélés d'Aristide) et on les a fait subir un semblant d'examen comme pour trouver un prétexte pouvant servir de justification a posteriori de la procédure opaque utilisée. Des partis politiques et des ressortissants des écoles d'informatique s'en sont plaints de cette façon de faire et le Conseil Electoral a dû se dédouaner disant qu'il n'a eu aucune responsabilité dans cette affaire. Cette approche clientéliste est le principal facteur qui a causé tant d'erreurs dans la saisie des données servant à l'élaboration des cartes d'identification. Et, selon les informations fournies par le CEP, quelques 20,000 cartes portant des informations erronées ont été recensées. D'autre part, l'OEA - pour des raisons qui restent à élucider - a décidé de faire imprimer les cartes hors du pays. Le marché a été attribué à une firme opérant au Mexique. Cette approche a généré d'énormes problèmes qui ont compliqué terriblement le processus. Les livraisons sont effectuées tardivement et une fraction non négligeable des cartes sont imprimées avec des erreurs inacceptables (comme la photo de Monsieur X sur une carte portant le nom de Mme Y), sans compter des gens à qui on a obligé de voter pour un député ou un magistrat ne correspondant pas à la commune dont ils vivent. Par exemple, un ami vivant dans la ville de Jacmel doit aller voter à la Vallée (à plus de 50 KM) selon l'indication inscrite au verso de sa carte. Ce sont des erreurs grossières qui ont nécessité des rectifications urgentes, mais celles-ci n'ont pas été effectuées malheureusement. Parallèlement, on a eu toutes les peines du monde pour livrer les cartes aux électeurs, à tel point que plus de 425,000 électeurs (soit plus de 12%) ont décidé de renoncer à la volonté de participer aux élections en abandonnant leurs cartes aux centres d'inscription. Il faut souligner aussi que la formule de distribution était mauvaise et les gens préposés à ce travail étaient carrément incompétents. Cela a créé des échauffourées énormes qui ont coûté la vie à une personne et occasionné des blessures à plusieurs autres. Le plus important pour les envoyés de l'OEA, semble-t-il, n'était pas de faire en sorte que les opérations relatives à l'enregistrement et à la production des cartes soient effectuées dans des conditions optimales mais plutôt de maximiser autre chose. Suivez le jeu de mes doigts... Cette organisation a cru à tort que toutes les erreurs lui étaient permises par le fait que la majorité des haïtiens et des journalistes du monde entier ne savaient rien du niveau réel de son implication dans le processus. Toutes les failles constatées, pense-t-elle, allaient être débitées aux crédits de l'organisme électoral officiel qui, hypothétiquement, détient la gouvernance du système. Bien compter mal calculer, car au moment où la grogne de l'opinion publique commençait à monter et que les partis politiques augmentaient la pression sur les membres du Conseil Electoral, ces derniers se sont mis à dénoncer publiquement les envoyés de l'OEA qui, disent-ils, ont manqué à leur devoir et failli à leur mission. Ce qui a poussé, Louise Brunet (numéro 1 de l'OEA en Haïti), à effectuer une sortie catastrophique dans la presse haïtienne en vue de fournir des explications. Sa plaidoirie n'a pas convaincu grand monde. L'organisme électoral a dû renvoyer à 4 reprises la date du scrutin et les raisons qui sous-tendaient tous ces renvois ont eu à voir avec les multiples erreurs accumulées par l'OEA et la firme contractée pour produire les cartes d'identification. Production des listes électorales et déroulement du scrutin Voyant venir les difficultés éventuelles que vont générer le procédé appliqué, le Conseil Electoral n'a pas voulu assumer la responsabilité de la production des listes électorales qui normalement est un sous-produit du processus d'enregistrement. Il a essayé de se rabattre sur une entité de la République Dominicaine et une demande officielle y a été acheminée en vue de la production de ces listes. Sans la moindre hésitation, les dominicains ont refusé. Il fallait s'y attendre, car en toute logique la firme qui a produit les cartes d'identification devrait aussi produire le registre y relatif. Fait inédit, l'OEA a dû elle-même se charger de ce travail. Le 7 février, le jour des élections, on a pu constater l'ampleur des dégâts. Tous les mouvements de foule, les manifestations, les altercations entre superviseurs électoraux et électeurs, les jets de gaz lacrymogènes, n'ont qu'une unique cause: les listes électorales. Des gens ont parcouru à pieds plus d'une vingtaine de kilomètres, faire la queue pendant des heures et au moment de voter on leur apprend que leurs noms ne figurent pas sur la liste appropriée. C'est une surprise désagréable. Même des champions de la non-violence auraient eu beaucoup de mal à contenir leur colère dans de telles circonstances. Découragés, abusés et frustrés, beaucoup d'haïtiens ont dû regagner leur domicile sans pouvoir voter pour leurs candidats préférés. A qui profitera cet état de fait et ces erreurs évitables? Lors des manifestations tenues à Port-au-Prince le jour même des élections, beaucoup d'électeurs ont scandé des propos faisant croire qu'il y a eu une volonté délibérée de manipulation du processus et de créer un déficit volontaire de participation de la population et ce, depuis l'enregistrement jusqu'au placement des bureaux de vote, en passant par la distribution des cartes d'identification. On ne sera peut-être pas en mesure de prouver quoique ce soit, mais l'histoire retiendra au moins que les organisations internationales ne sont pas innocentes dans la mésaventure de cette nation appauvrie qu'est Haïti. Compte tenu du nombre d'électeurs qui n'ont pas pu exprimer leur choix, il convient aussi de se demander, en dernière analyse, jusqu'à quel point les élections du 7 février 2006 ont été justes et équitables. Laissons aux experts de la communauté internationale le soin de nous fournir la réponse.... (1) Louise Brunet et Gerardo Lechevallier sont respectivement responsable de l'OEA en Haïti et responsable des questions électorales au sein de la MINUSTAH.
https://www.alainet.org/es/node/114300
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