Les femmes émigrées dans le processus de mondialisation

20/10/2002
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Quand on parle d’intégration et de mondialisation, on fait immédiatement référence aux flux transfrontaliers de marchandises, de capitaux, d’investissements et d’information, mais on ne mentionne pas toujours la circulation des êtres humains d’un pays à l’autre et tout ce que cela implique en termes économiques, politiques et culturels. La migration est, sans doute, partie et résultat du processus de mondialisation ; mais, curieusement, les contrôles de personnes aux frontières semblent devenir l’arme principale de la lutte contre les déséquilibres engendrés par le processus globalisateur lui-même.

Le rôle principal joué par l’immigration internationale est à mettre en relation avec la place qu’occupe cette question dans les relations bilatérales et multilatérales (et plus seulement dans les politiques intérieures des états), et avec le poids qu’a aujourd’hui l’immigration dans le panorama et l’agenda politique de certains pays industrialisés. De même, les migrations transnationales sont en train de provoquer des débats brûlants autour des politiques migratoires que devraient adopter les pays d’accueil pour concilier le contrôle de leur territoire et le respect des droits humains universels, entre autres, le droit à la libre circulation des personnes.

Dans ce processus complexe, les femmes ont commencé à jouer un rôle important, non seulement par la croissance accélérée du nombre de femmes immigrées, mais aussi par leur rôle actif dans le fonctionnement des réseaux migratoires. Et, de plus, parce que les femmes immigrées peu qualifiées semblent correspondre parfaitement au profil du travailleur dont a besoin actuellement la production capitaliste.

Femmes et « sans papiers »

Pendant longtemps, le stéréotype de l’émigrant était celui d’un homme jeune. Cependant, les femmes ont participé activement aux flux migratoires. Et même, dans le cas de l’Amérique Latine, elles ont été majoritaires dans les processus de migration interne. Ainsi, dans les années 70, l’implantation d’industries nord américaines dans des pays à bas salaires a intensifié la mobilité des femmes, puisqu’elles ont été les plus demandées pour travailler dans des fabriques de vêtements et des usines d’assemblage -comme les « maquilas » installées aux frontières-, avec des salaires bas et des conditions de travail peu sûres.

De la même façon, on parle aujourd’hui d’une « féminisation » des tendances des flux migratoires internationaux. Bien qu’il n’existe que peu de statistiques détaillées par genre, les estimations indiquent que les femmes représentent environ 45 % de l’ensemble de la population migrante internationale. Une bonne partie de ces femmes se déplacent pour rejoindre leur famille et leur conjoint, mais une partie aussi, en croissance rapide, est composée de femmes qui émigrent de façon indépendante et pour raisons économiques.

Les raisons de cette augmentation sont diverses et ne sont pas liées exclusivement à des motifs économiques et rationels, car la migration est un phénomène complexe et multidimensionnel.

Nous pourrions dire que les femmes émigrent parce qu’aujourd’hui elles sont, à un pourcentage élevé, chefs de famille et, donc, les principales responsables du soutien familial, parce que bien souvent elles fuient des contextes répressifs et sexistes, et parce que leur initiative personnelle les amènent à chercher de nouvelles opportunités ailleurs dans le monde.

Il est également important de signaler qu’il existe actuellement une forte demande de femmes immigrées sur les marchés des pays industrialisés, où la population vieillit (comme en Europe) et où les femmes s’insèrent toujours plus au marché du travail, ce qui rend indispensable « l’importation » d’une main d’œuvre (bon marché) pour s’occuper des personnes âgées et des enfants. Rien qu’en Europe, on estime qu’il y a environ un million d’employées domestiques[1], en majorité issues de pays pauvres et la plupart « sans papiers » du fait que les politiques migratoires des pays industrialisés sont toujours plus restrictives et sélectives.

Les émigrées dans l’économie mondiale

Doria Bilac[2] dit qu’il est nécessaire de penser la migration féminine dans « sa relation avec les changements généraux liés aux transformations d’ordre structurel de l’économie mondiale », comme la mondialisation de l’économie capitaliste, la déréglementation et la flexibilisation du travail et la segmentation des marchés. Dans ce contexte, s’il existe dans les grandes villes globales de nouveaux espaces d’intégration de la force de travail des femmes, ceci reste marginal et essentiellement dans le secteur informel : travail domestique et soins aux personnes, services, travail agricole et travail sexuel.

Les raisons pour lesquelles les femmes (de certaines origines éthniques et couches sociales) et les émigrées des pays pauvres sont invisibles sur les marchés des pays industrialisés ont à voir avec la tendance à la polarisation des salaires et du marché du travail dans l’actuel processus de mondialisation. Ainsi, alors que dans des secteurs spécialisés de l’économie (le secteur financier par exemple) on trouve des émigrants qualifiés (qui en général travaillent dans des grandes firmes internationales) qui sont valorisés et qui peuvent recevoir des salaires très élevés, dans les secteurs non spécialisés on trouve les émigrant(e)s qui effectuent les travaux manuels et les soins aux personnes (ménage, travail agricole, garde d’enfants et de personnes âgées ou handicapées) et qui sont dévalorisés comme s’ils n’avaient aucune part dans le développement des économies nationales et globales.

Cette polarisation génère sans aucun doute une série d’inégalités, qui sont visibles même dans les villes du « premier monde ». Ainsi, à Londres, Paris ou Amsterdam, il existe des quartiers très riches et des femmes (européennes) à haut niveau d’éducation toujours plus insérées dans le marché du travail. Mais, en même temps, on trouve des quartiers populaires avec de grands problèmes sociaux et des femmes immigrées (des pays pauvres) au service domestique des femmes blanches de classe moyenne.

L’étrange, c’est que le processus globalisateur provoque des résultats inégaux et ambivalents pour les femmes immigrées à bas revenus et peu qualifiées. D’un côté, elles sont les principales concernées par le trafic d’êtres humains. De plus, comme c’est le cas pour l’ensemble de la population migrante en général, elles effectuent les travaux les moins valorisés dont la population locale ne veut pas. A ceci il faut ajouter la xénophobie croissante en Europe et aux Etats-Unis, où les émigrant(e)s sont les responsables apparents de tous les maux de la société.

D’un autre côté, comme il existe au Nord un réel marché du travail dans les secteurs « réservés » à la population immigrée dans les tâches réputées « féminines », comme le travail domestique et de soins aux personnes, elles trouvent souvent plus rapidement un travail que les hommes émigrants. Ceci a permis de transcender et de modifier les modèles traditionnels de genre, bien que, il faut le dire, ces processus ne soient jamais unidirectionnels.

Le discours contradictoire du Nord

Tout ce processus migratoire complexe se produit au milieu de politiques de plus en plus strictes, sélectives, et ,en outre, peu transparentes. C’est que les pays riches, dans le même temps où ils stimulent la libre circulation des biens et des capitaux et l’intégration commerciale entre les nations, restreignent la libre circulation des personnes et de la main d’œuvre[3], surtout la main d’œuvre non qualifiée où se trouve un grand nombre de femmes.

Les événements du 11 septembre aux Etats-Unis et le Sommet de l’Union européenne à Séville en juin dernier ont intensifié ces politiques restrictives, centrées sur le contrôle policier et des frontières.

Ces politiques peuvent peut-être réduire l’émigration légale, mais elles ne freineront pas nécessairement les flux illégaux et, surtout, elles n’amélioreront pas la situation des hommes et des femmes émigrés en provenance des pays pauvres. Premièrement parce que les contrôles policiers ne sont pas toujours efficaces et qu’ils ne font qu’obliger les gens à s’aventurer dans un voyage clandestin et dangereux où les seuls gagants sont les traficants d’êtres humains. Deuxièmement, parce que les réseaux migratoires sont déjà tissés et que cela facilite et stimule le processus migratoire, y compris le processus illégal. Et troisièmement, parce qu’à travers ces politiques, on laisse de côté la cause du phénomène migratoire : les inégalités économiques et sociales entre le Nord et le Sud.

Alors, le seul résultat de ces politiques et de ces discours sera de renforcer la relation trompeuse et dangereuse entre migration, sécurité, terrorisme et délinquance.

De même, à ne pas reconnaître le rôle joué par les immigré(e)s dans les économies des pays d’origine et de destination, à méconnaître la valeur (sociale et économique) du travail réalisé par les femmes immigrées, et à déprécier l’apport indispensable des hommes et des femmes des pays pauvres à l’agriculture des pays riches, le seul résultat qu’on obtiendra sera le renforcement de l’émigration illégale et la dégradation de la situation des immigré(e)s, surtout des « sans papiers », dont les droits sont constamment bafoués.

 

*Martha Cecilia Ruiz, journaliste équatorienne, est collaboratrice de ALAI-Mujeres.

Texte publié en espagnol dans la revue América Latina en Movimientos, n° 358, 10 septembre 2002, Quito, Equateur.

Traduit de l’espagnol par ALAI.

 



[1] Voir Momsen, J., 1999, Gender, migration and domestic service, Routledge, Londres.

[2] Bilac, D., 1994, « Género, familia y migraciones internacionales », travail présenté au Séminaire « Emigración e Inmigración Internacional en el Brasil Contemporáneo », organisé par le Núcleo des Estudios de Poplación de la Universidad de Campinas, Brésil, 25-28 septembre.

[3] Irene León, La injusticia global: Migraciones de Mujeres, América Latina en Movimientos, 18 janvier 2002, ALAI, Equateur.

https://www.alainet.org/es/node/108200?language=en
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