Comment les médias peuvent-ils contribuer à la paix ?

24/07/2008
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En Haïti, aujourd'hui, il ne s'agit plus d'informer ou de communiquer dans une situation de dictature civile ou militaire, de confrontation armée ou de conflit ouvert, mais dans une conjoncture de paix, certes fragilisée par des hésitations au niveau du calendrier politique, des faiblesses institutionnelles, l'insécurité, l'impunité et la pauvreté massive.

Haïti est globalement entrée depuis 2006 dans une période d'apaisement, si non de moindre turbulence, suite aux dernières élections présidentielles qui ont permis à René Préval de revenir au pouvoir. Durant ces deux ans, en dépit de la persistance d'énormes défis en matière économique et social, la violence politique s'est estompée et la perspective de pouvoir autoritaire s'est quelque peu diluée.

Cette situation tranche avec la période de crise de la première moitié des années 2000, qui a vu la chute de l'ancien président Jean Bertrand Aristide (février 2004) sous la pression conjuguée de forces internes et externes, puis l'arrivée de troupes internationales, relayées en juin 2004 par la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d'Haïti (MINUSTAH).

La situation haïtienne évolue donc depuis 4 ans dans le cadre de la présence militaire multinationale, perçue par des courants dominants comme une condition de base de construction de la paix, tandis que d'autres la considèrent comme inutile, chère, en même temps qu'elle représente un accroc à la souveraineté du pays.

Ce contexte conditionne, évidemment, le travail médiatique, les moyens de communication de masses servant désormais d'intermédiaires non seulement entre les acteurs nationaux mais aussi entre les protagonistes nationaux et internationaux, en fonction des modifications apportées à la réalité socio-politique.

Longue histoire d'implication des médias dans le devenir de la nation

Depuis le milieu des années 1970, s'est installée en Haïti une tradition d'implication des médias dans la défense des libertés. A cette époque, la paix qui régnait sous la dictature des Duvalier était considérée comme une « paix de cimetière ». Des journalistes et médias se sont alors donnés pour objectif de conquérir la liberté d'opinion et d'expression au prix du sang et d'énormes dommages au niveau des installations techniques.

Sous la dictature des Duvalier, le courant appelé « presse indépendante » a affiché une certaine témérité, un attachement à la cause de la démocratie, du progrès et de la justice sociale. Elle a développé une tendance de contre-pouvoir en offrant, outre l'information sur la réalité socio-politique et économique du pays, un espace de réflexion critique et de dénonciation des pratiques autoritaires et corrompues.

Ce travail s'est effectué en articulation avec la promotion des valeurs culturelles nationales et universelles, en particulier celle du Créole, langue parlée et comprise par tous les Haïtiens, jusqu'alors exclue de la sphère de l'information médiatique, des cercles intellectuels et du discours politique.

Les journalistes et médias « indépendants » de l'époque ont ainsi contribué à sortir la majorité de la population haïtienne du silence, favorisant l'expression et l'action citoyennes qui ont conduit à la chute de la dictature en 1986 et ouvert la voix à la construction de la démocratie, la mise en œuvre du développement et la paix.

Mais les traditions autoritaires ont la vie dure et la presse haïtienne a du faire face à des assauts répétés des pouvoirs militaires et civils qui ont jalonné les années suivantes, caractérisées par l'instabilité. Chaque fois, le cauchemar a recommencé, sans pouvoir cependant gommer les libertés d'opinion et d'expression, considérées comme des acquis, même durant le sanglant coup d'Etat militaire de 1991 à 1994, qui a fait des milliers de morts. On a d'ailleurs vu par la suite l'établissement de réseaux de radios communautaires à travers le pays, développant des expériences de communication participative et de proximité.

Le régime de l'ancien président Jean Bertrand Aristide (2001-2004), qui a repris à son compte les pratiques autoritaires d'antan, s'est fracassé contre une rébellion armée accompagnée de mobilisation sociale fortement médiatisée. Des médias et journalistes ont été, là encore, conscients de jouer un rôle capital par rapport à la recherche de la paix sans autoritarisme. Mais cette situation a également montré que, dans certains cas, des médias sont allés trop loin dans leur implication directe en faveur d'un secteur ou d'un autre, dans une situation très polarisée, affectant leur capacité à être des intermédiaires crédibles.

Parallèlement, les changements intervenus au niveau du paysage médiatique n'ont pas non plus été sans conséquences. A part l'explosion des médias des le début des années 1990, la propriété des moyens de communication de masses a subi d'importantes modifications, avec l'expansion d'une logique d'affaires au niveau du tissu médiatique, puis les premiers balbutiements de la concentration.

Les médias face à la problématique conflit/paix

En 2008, les médias se trouvent au centre de la problématique haïtienne très compliquée, constituée à la fois d'élans libérateurs et de pesanteurs de toutes sortes, basées sur des intérêts multiples tant nationaux qu'internationaux. Dans la situation générale du pays, qui présente des défis économiques et sociaux de taille, ils sont intensément sollicités par divers acteurs et doivent forcement répondre a des demandes contradictoires.

Les secteurs sociaux veulent se renforcer en tant qu'acteurs et développer leur capacité d'être des interlocuteurs dans la construction d'une société différente. Les secteurs d'affaires autant que les secteurs politiques n'entendent pas lâcher prise quant à leur domination de la vie publique et leur capacité à imprimer leur orientation dans la construction de l'avenir. Il en est de même des secteurs internationaux plus que jamais présents sur le terrain.

Dans cette situation complexe, jouer un rôle en faveur de la paix, requiert des journalistes et médias une capacité et des efforts qui dépassent les exigences auxquelles ils ont eu à faire face dans les années antérieures.

Ils devraient pouvoir cultiver ou réaffirmer leur indépendance éditoriale, articulée à l'intérêt public et collectif et non à la défense d'intérêts particuliers, valoriser le social quand le contexte néolibéral consacre une prédominance de l'économique dans une société ou l'Etat n'assume pas son rôle d'assurer des services sociaux, adopter une attitude d'humilité et accepter de remettre en question leurs pratiques à la lumière des exigences du droit à la communication. (1)

En même temps, il faudrait que les agents de communication comprennent qu'il ne leur revient pas de prendre la place des acteurs économiques, politiques et sociaux ; et que ces derniers aient la capacité d'assumer pleinement leurs engagements, laissant aux médias la possibilité d'accomplir leur mission d'information et de communication en toute liberté et en toute responsabilité.

Texte initialement rédigé pour l'Association Mondiale pour la Communication Chrétienne (WACC) à l'occasion de son huitième congrès prévu au Cap, Afrique du Sud, en octobre 2008.

(1) Le droit à la communication renvoie à la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté d'information, la liberté de diffusion ainsi que le droit d'accès et d'utilisation des médias et des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC).

Source: http://www.medialternatif.org/alterpresse/spip.php?article7513
https://www.alainet.org/pt/node/128864
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