L
15/12/2002
- Opinión
Il est pour le moment difficile de faire une analyse quantitative de
l'influence délétère que les médias ont exercée sur la psyché des
Vénézuéliens au cours des huit derniers mois.
Pendant ces huit mois, les citoyens vénézuéliens ont été la cible des
attaques systématiques lancées par les médias, attaques dont l'objectif
était de les empêcher de réfléchir sur ce qui s'est passé le 11 avril
dernier. Au contraire, la population a été soumise à une campagne
permanente visant à rendre le gouvernement responsable de la mort des
personnes décédées ce jour-là.
Le public a pu voir les preuves montrant des francs-tireurs en train de
tirer sur des manifestants anti-Chavez. Il faut ajouter que les personnes
qui ont tiré sur la foule n'ont étrangement pas été arrêtées par le
gouvernement illégitime de Carmona qui a assumé le pouvoir pendant
quarante-huit heures. Cela n'a malgré tout servi à rien.
Les médias ont, disons-le, distillé la haine par l'intermédiaire des
émissions-débats qui heure après heure ont dénoncé le fait qu'il leur était
impossible d'exprimer leurs doléances à un gouvernement qui refuse de les
écouter. Ce qui est d'ailleurs totalement faux puisqu'une des mesures
prises par le gouvernement d'Hugo Chavez a été d'ouvrir des canaux de
communications en organisant des réunions au cours desquelles tous les
acteurs de la société vénézuélienne ont été invités à donner leur opinion.
Cette mesure a permis au gouvernement de s'entendre avec certains acteurs
des secteurs industriel, syndical et des professions libérales.
Cependant, le travail de sape que les médias écrits et télédiffusés ont
entrepris auprès des citoyens a augmenté lorsqu'il s'est agit d'influencer
l'opinion publique selon un modèle qui a dépassé l'opposition naturelle qui
s'exerce contre un gouvernement, allant jusqu'à susciter une haine
généralisée qui a servi à organiser de grandes manifestations pour obliger
le Président de la République à démissionner. Cette haine a aussi servi à
gêner le bon fonctionnement de la société, en particulier dans la capitale,
et a été à l'origine du fait que certains éléments se sont comportés de
façon agressive, insultant par exemple des fonctionnaires et se livrant à
des concerts de casseroles afin de les forcer à sortir des restaurants de
certains quartiers de la capitale. Certains se sont même rendus au domicile
de hauts fonctionnaires ou de militaires de haut rang pour écrire des
menaces mais aussi des grossièretés sur les murs de leur propriété pendant
que les caméras de télévision se régalaient de tels comportements
fascistes.
Les médias ont aussi apporté leur soutien, par l'intermédiaire des
émissions-débats mais aussi en appelant directement à la désobéissance
civile, aux manifestations et aux grèves qui ont dégénéré en une forme de
vandalisme présenté comme une manière légitime de s'opposer à un régime qui
a accepté toutes sortes de protestations, allant même jusqu'à tolérer les
incendies de voiture qui ont été perpétrés dans les grandes artères de la
capitale.
Ainsi, les grèves et les manifestations qui se sont succédé pendant huit
mois ont eu pour objectif de renverser un gouvernement élu
démocratiquement. En général, chaque manifestation a été précédée d'une
période durant laquelle les médias ont passé des images des événements du
11 avril, accusé le gouvernement et annoncé à la population que cette fois
serait la bonne, que le gouvernement Chavez serait déposé. Certains faits,
comme par exemple la déclaration faite par des militaires putschistes le 11
avril depuis une place de la capitale, ont été présentés comme des actes
glorieux de résistance auxquels la « société civile » s'est livrée pour
s'opposer à la tyrannie du gouvernement. Pendant des semaines, les médias
ont présenté comme des héros les militaires ayant traité le Président de la
République de toutes sortes de noms (assassin, crapule, lâche), parfois
même de noms à connotation raciste comme macaque ou sagouin.
Nous, les Vénézuéliens, au cours des deux derniers mois, avons
quotidiennement assisté, impuissants, aux déclarations télévisées de
militaires, de politiciens et de syndicalistes appelant, depuis la place
Altamira, au coup d'état et priant même les forces armées de faire le
travail que l'opposition n'a pu accomplir, c'est-à-dire prendre le pouvoir
dans le respect de la Constitution de la République Bolivarienne du
Vénézuéla.
Les médias sont même allés jusqu'à saboter les mesures prises par le
gouvernement visant, par exemple, à rendre obligatoire le paiement des
impôts en souffrance au fisc. Ils ont aussi appelé à faire une grève
illimitée afin d'asphyxier l'économie du pays. Dernièrement, les
Vénézuéliens ont été surpris et choqués de voir la plus grande centrale
syndicale du pays, la CTV, appeler à la grève et faire, de manière jamais
vue dans l'histoire du syndicalisme de ce pays, une alliance impensable
avec le syndicat du patronat (Fedecamaras) pour parvenir à faire
s'effondrer l'économie du Vénézuéla.
Cependant, la grève illimitée n'a pas fonctionné parce qu'une bonne partie
du mouvement syndical présent au sein des entreprises publiques de base a
refusé de collaborer pour la simple raison que les grévistes n'ont formulé
aucune revendication. En fait, les ouvriers regroupés au sein du mouvement
syndical de l'industrie pétrolière ont réussi à obtenir certaines
améliorations sur le plan économique dont a bénéficié l'ensemble des
travailleurs de ce secteur. Le gouvernement a aussi contracté une alliance
avec d'autres syndicats des entreprises publiques de l'industrie de base
comme ceux du fer et de l'alumimium, mais également avec le mouvement
syndical regroupant les syndicats de l'électricité, il s'est entendu avec
certains secteurs des transports en commun en vue de financer les
transports urbains et interurbains du pays et a signé des accords avec
l'industrie textile, métallurgique et chimico-pharmaceutique devant
faciliter la relance économique de ces secteurs d'activités. Cela explique
que des éléments importants du monde syndical et du patronat aient refusé
de soutenir la grève.
L'opposition a alors décidé de paralyser l'industrie pétrolière, industrie
qui donne du pain à tous les Vénézuéliens. Cette fois encore, les médias
ont joué un rôle crucial puisqu'ils ont fait passer les marins, travaillant
sur les pétroliers, qui se sont mutinés pour de véritables héros nationaux
en montrant avec joie comment, au fil des heures de la journée du 4
décembre, ils se sont ralliés au mouvement de grève. Les médias sont même
allés jusqu'à prévoir combien de temps tiendrait le gouvernement si le
transport des hydrocarbures, vitaux pour l'économie du pays, était
complètement paralysé.
Après que le gouvernement a pu empêcher les actes de sabotage qu'une partie
des ouvriers de cette industrie avait planifiés, les médias se sont
attachés à faire la promotion des diverses manifestations et contre-
manifestations, se sont plu à filmer des personnes qui se livraient à des
actes de vandalisme comme les incendies des voitures prises d'assaut ou qui
perturbaient l'ordre public en bloquant les autoroutes à l'aide de pneus
enflammés. Une fois de plus, les médias ont présenté ces agissements comme
étant l'œuvre de « citoyens » qui tentaient d'exprimer ainsi le malaise
ressenti par l'opposition. Matin, midi et soir, nous avons vu défiler sur
nos écrans des politiciens de toutes tendances et avons écouté des débats
passionnés à propos des positions extrémistes adoptées par certains groupes
de l'opposition. À aucun moment, les médias n'ont condamné de tels
agissements. Au contraire, ils se sont efforcés de nous présenter ces
images comme les preuves de la réussite du mouvement de désobéissance
civile.
Enfin, le 6 décembre, la mort de quatre personnes, qui se trouvaient place
Altamira devenue le haut lieu de la résistance et considérée par
l'opposition comme un « territoire libéré » de la tutelle de l'état, a
aussitôt servi de prétexte aux journalistes et aux politiciens pour
accuser, sans même lui avoir donner le bénéfice du doute, le gouvernement
d'en être responsable et pour prier le Docteur César Gaviria, Secrétaire
général de l'Organisation des états américains, de condamner le
gouvernement, d'en solliciter la dissolution et d'appeler à l'organisation
immédiate d'élections.
Il est important de souligner qu'à l'heure actuelle le gouvernement n'a
absolument aucun intérêt, en plus des graves problèmes auxquels il est déjà
confronté, à troubler l'ordre public. Comment expliquer alors qu'il ait
commis de tels actes criminels allant même jusqu'à l'assassinat, actes qui,
de plus, seraient sur le plan politique une erreur monumentale ?
En conclusion, j'appelle toutes les personnes conscientes de la situation
et du rôle joué par les médias dans le coup d'état du 11 avril à s'unir
pour révéler l'attitude criminelle que ces médias ont adoptée, passant et
repassant, insensibles à la douleur des familles des victimes, des images
des événements et conditionnant l'opposition à sortir dans les rues et à
troubler l'ordre public. En œuvrant pour empêcher toute réconciliation
entre les partisans du gouvernement et l'opposition, ils ont creusé un
abîme entre ces deux groupes. Cela a eu pour effet de rendre certaines
personnes de l'opposition folles furieuses et les a poussé à brûler les
locaux du parti politique au pouvoir, à frapper des sympathisants du
gouvernement, etc. Tout cela avec la bénédiction des médias qui ont
ouvertement appelé la population, par l'intermédiaire des ses journalistes
et de ses porte-parole, à se révolter et à en finir avec le gouvernement du
Président Chavez.
* Adriana Oviedo, professeur à la Universidad Central de Venezuela.
* Traduit de l'espagnol (Vénézuéla) par Arnaud Bréart.
https://www.alainet.org/pt/node/106776?language=en
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