La corruption rose et les fonds PetroCaribe (5)
19/11/2014
- Opinión
L’imposition de Martelly à la présidence met à nu le rôle de la corruption dans les relations internationales et dans le fonctionnement de l’économie haïtienne. Martelly est l’application vivante des thèses néo-classiques développées par le prix Nobel Friedrich Von Hayek sur la nécessité de refuser toute morale dans le fonctionnement de l’économie. Pour le professeur Hayek de l’école de Chicago qui s’était porté volontaire pour conseiller le dictateur Pinochet au Chili, une société peut répondre à ses besoins par l’amoralisme. Cette leçon a été bien apprise par la communauté internationale qui a enfoncé le chanteur obscène Sweet Micky dans la gorge du peuple haïtien. Une personnalité qui fait fi de toute morale et qui l’affirme sans état d’âme dans ses rapports avec les trafiquants de drogue, les kidnappeurs et les assassins. Or, le jugement moral est capital dans les comportements des uns par rapport aux autres. La présence de Martelly au timon des affaires de la société haïtienne est une aberration qui vient couronner la décision du tyran François Duvalier de placer son cancre de fils de 19 ans comme président à vie.
Les études sur la corruption présentent généralement trois couleurs de corruption : la corruption grise acceptée par les élites mais réprouvée par le peuple ; la corruption blanche tolérée et admise par tous ; la corruption noire réprouvée et sanctionnée pénalement. La bande à Martelly innove en matière de perversion du sens et introduit la corruption rose bonbondont l’essence est la manipulation cynique des besoins réels de la population afin de confisquer l’argent public pour un petit groupe. Tout en démultipliant à l’infini son champ d’action, la corruption rose bonbonse concentre dans le secteur de l’éducation en mettant en avant le dispositif de ponction sur la diaspora. La politique Tèt Kale en matière d’éducation est l’application d’un ensemble confus de mesures pour récupérer au profit des amis du gouvernement l’argent jeté par les fenêtres.
Comme l’explique la Confédération des enseignantes et enseignants haïtiens (CNEH), « C’est un problème de base, un problème de gouvernance, un problème d’enseignement-apprentissage, parce que les écoles pullulent de n’importe quelle manière dans le pays, sans aucune norme. Les programmes ne sont pas appliqués, les professeurs ne sont pas formés, ni encadrés. » Avec une arrogance sans bornes, la bande à Martelly se place sous les fenêtres des écoles pour récupérer l’argent qui tombe et qu’ils mettent dans leurs sacoches. Les piètres performances des écoles ne sont plus à démontrer et confirment qu’en matière d’éducation, l’approche de Martelly est la recette pour un plus grand désastre. La ficelle de l’éducation comme outil de prédation est grossière et ne trompe personne.
Martelly a mis un cautère sur une jambe de bois. En effet, cela fait longtemps depuis que le système éducatif haïtien est complètement cassé. Lors des études réalisées en 2007 pour l’obtention d’un don de 25 millions de dollars de la Banque mondiale dans le cadre du projet Éducation pour tous, les experts avaient signalé que « 75% des professeurs n’ont pas les compétences professionnelles requises pour enseigner ; la plupart ont une éducation du niveau de la 9e année fondamentale ou de la 12 année et n’ont pas du tout les connaissances académiques nécessaires [1]. » C’était la reconnaissance officielle de la déchéance déjà signalée par nombre de personnes dont le professeur Anderson Yvan Augustin en 2006, suite aux échecs au baccalauréat qui étaient de 94% en juillet 2000.
Dans l’entendement du professeur Augustin, l’école haïtienne ressemble à « une machine en panne et répond aux caractéristiques reconnues que sont : l’échec scolaire, l’insuffisance d’ouvrages de base, l’abandon scolaire, le manque de formation des maîtres, l’absence du ministère de l’Éducation, l’irresponsabilité des directeurs d’école, l’absence de salaire raisonnable, la prise en otage des écoles, l’existence de plusieurs écoles pour plusieurs catégories d’élèves, le rejet de l’identité nationale [2]. » La bande à Martelly s’est précipitée sur le secteur de l’éducation comme un charognard sur un cadavre. Pour le dépecer.
Des produits locaux non exportables (Prolonex)
En 2014, l’échec est patent à tous les niveaux. Selon les information fournies par le Ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP), « 417 écoles, recensées à l’échelle nationale, ont eu 0 admis en 7e année fondamentale (Af), 80 écoles sont en-dessous de 10% d’admises et d’admis, tandis que 800 autres écoles sont en-dessous de 20% d’admises et d’admis en 7e Af [3]. » La graine de calamité donne ses fruits aussi au niveau du secondaire. On va de la corruption à l’esprit de corruption qui n’est pas à la marge mais au cœur du système éducatif où près de 70% des élèves en baccalauréat 1re partie (Bac I) et 50% en baccalauréat 2e partie (Bac II) ont échoué aux examens officiels de 2014.
L’overdose de corruption se voit aussi dans le PSUGO du président Martelly. Selon les chercheurs de Haïti Grassroot Watch : « Irrégularités, corruption, détournements de fonds, fraudes massives, gaspillage de deniers publics, retards dans les paiements, insatisfaction chez les directeurs d’écoles par rapport aux montants d’allocations reçues : autant de dérives relevées dans le Psugo et qui, depuis 2011, tendent à affaiblir le processus d’enseignement-apprentissage sur le territoire national, craignent les organisations syndicales [4]. » C’est l’éclosion d’institutions qui ont pour unique but d’escroquer le citoyen. La machine mise en place par l’équipe Martelly n’a d’autre but qu’endetter Haïti le plus que possible au détriment des générations futures.
Dans cet engrenage meurtrier, l’État est instrumentalisé avec démagogie pour camoufler l’incompétence hautaine et faire avaler à la jeunesse la couleuvre de la bêtise. L’éducation reçue est illusoire car si certains diplômés peuvent fonctionner dans n’importe quel pays, elle est malheureusement une machine à fabriquer, selon une expression chère à un de mes amis, des « produits locaux non exportables (Prolonex) ». Tout comme ont le voit avec les prétendus programmes sociaux tels que ti manman cheri, ede pèp, kredi wòz, etc., il s’agit de moyens inventés pour masquer le dépeçage en règle du peuple.
On reconnaitra toutefois que le candidat Martelly avait annoncé la couleur de cette corruption rose qui s’abat sur Haïti. Avec son langage obscène, il avait avisé l’effondrement de toutes les valeurs. Le président Martelly sait nommer les choses. Il n’a pas fait un lapsus ni commis un abus de langage quand il s’est qualifié lui-même de « bandit légal ». En ce sens, il contredit, sans le savoir, Albert Camus qui disait « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Toutefois dans ce rare cas où il n’utilise pas un langage impropre, il décuple le malheur haïtien. C’est qu’Haïti vit au temps des parrains. Dans le vrai sens du terme. Le président Martelly récidive, c’est son fort. Il est persuadé que le peuple haïtien est composé d’une bande de zombies prêts à se coucher à plat ventre devant n’importe quelle autorité. Surtout si cette autorité se nomme le président de la république, fut-il un bouc cabrit comme ce fut le cas avec Simalo de 1908 à 1911 sous Antoine Simon.
La culture d’arbitraire et de bèl mèvèy
Aussi, le président Martelly passe outre les protestations provoquées par sa nomination d’Arnel Alexis Joseph comme président de la Cour de Cassation. L’article 51 de la loi de 2007 dit « La limite d’âge est fixée à soixante-cinq (65) ans pour qu’un Juge voit son nom porté sur une liste pour fin de nomination [5]. » Le président Martelly s’en fout royalement de cette loi. Dans la conception duvaliériste, si on ne peut pas violer la loi, c’est parce qu’on n’a pas de pouvoir. Or justement, Martelly croit que les Haïtiens sont zombifiés et prêts à accepter n’importe quoi. Aussi, il nomme Arnel Alexis Joseph président de la Cour de cassation bien que ce dernier soit âgé de soixante-douze (72) ans. Tout est possible dans le mauvais sens.
En 1963, le tonton-macoute Zacharie Delva avait demandé à Emile Crispin, directeur du lycée Anténor Firmin, de placer une dizaine de jeunes des Gonaïves en classe de sixième. Le directeur Crispin lui répond qu’il n’y a pas de place dans les trois classes de sixième qui avaient déjà plus de 60 élèves chacune. Avec sa mine patibulaire, Zacharie dégaine son révolver et demande combien d’élèves sont dans les classes de cinquième. Le pauvre directeur répond que les deux classes de cinquième avaient chacune 45 élèves. Alors Zacharie ordonne au directeur Crispin de les mettre en classe de cinquième. Ce qui fut fait immédiatement !
Le président Michel Martelly vient de cette culture d’arbitraire, de bèl mèvèy et de gwo ponyèt. C’est un récidiviste né. Il décide de nommer le même Arnel Alexis Joseph président du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ). Les affaires se font en famille car Arnel Alexis Joseph a conduit Joseph Michel Martelly sur les fonds baptismaux et est son parrain authentique [6]. Le sénateur Moïse Jean-Charles avait dénoncé cette double forfaiture, mais son discours n’a pas trouvé d’écho. Comme le dit la philosophe Cynthia Fleury « La corruption commence quand on n’arrive plus à nommer les choses, et pire quand les nommer ne sert plus à rien [7]. »
Mais, tout n’est pas perdu, car Richard Morse, le cousin de Martelly, a refusé d’entériner la cupidité déboutonnée et a dénoncé la corruption en claquant la porte le 26 décembre 2012. Il n’y a rien d’autre à faire quand on constate qu’un gouvernement décide de consacrer cinq (5) milliards de gourdes [plus de cent (100) millions de dollars américains] provenant des fonds PetroCaribe en 2012 pour les projets d’urgence suite aux deux tempêtes tropicales Isaac et Sandy [8]. Le constat de la RNDDH en 2013 est sans appel : « la corruption bat son plein. Des dénonciations fusent de toutes parts. Les fonds du projet Petro Caribe sont engagés dans des projets à caractère social, des tronçons de route sont rafistolés. Cependant ces fonds sont dépensés dans l’opacité la plus totale [9]. » Tout est faux de A à Z. On nage en plein contresens de vouloir développer le tourisme dans une économie mondiale en pleine déflation structurelle et dans une crise qui ne fait que commencer.
La mafia offre son soutien à la zombification pour continuer à modeler la matière cérébrale de la population. Sept jours avant la prise de fonction de Martelly le 14 mai 2011, l’Assemblée Nationale Constituante apporte des amendements à la Constitution de 1987 au cours de trois séances de travail les 7, 8, et 9 mai 2011. Le texte définitif est publié dans Le Moniteur du 13 mai 2011. Alors, les péripéties commencent. Des parlementaires constatent que le texte publié au journal officiel est différent de celui qui a été voté. L’effet dévastateur de ces révélations conduit le président Martelly à prendre un décret en date du 3 Juin 2011 faisant le retrait du texte publié. Il n’y a pas de responsable et personne n’est inquiété. Devant ce basculement inaugural, les zombies ne disent rien. On ne se rend pas compte que cette péripétie est l’expression d’un système qui décide de tout ratiboiser.
Pendant que les esprits sont occupés par cette énigme jamais résolue, la mafia instaure des taxes et impôts tous azimuts, en commençant par la diaspora. Enfin, un an plus tard, le 18 juin 2012, le président Martelly décide de publier un texte constitutionnel. Lequel ? Selon les experts, « force est de constater qu’en l’état actuel des choses, il n’a pas été possible de rétablir le texte exact des amendements, autrement le texte authentique. En fait, aucun texte soumis ne peut être tenu pour le texte authentique des Amendements [10]. » Probablement, si Jean Métellus était vivant, il aurait écrit un second tome à son ouvrage « Haïti, une nation pathétique ». La cécité volontaire ne fait que commencer pour réaménager le terrain qui engendre les monstres dans un pays où la politique est vue comme un os à sucer. C’est la tradition duvaliériste énoncée par le ministre de l’Intérieur Bertholand Edouard [11] dans son discours prononcé aux Cayes en juillet 1979. Et quand il y a de la viande autour de l’os avec les fonds PetroCaribe, alors tous les coups sont permis. On comprend que la RNDDH dise encore en mai 2014 : « Les fonds PetroCaribe sont dilapidés dans l’opacité la plus totale [12]. » Le temps du délabrement à outrance de la mafia Tèt Kale s’installe au rythme de la spirale du démantèlement des consciences. Sans l’unité des forces démocratiques sur la base d’un pacte de gouvernance démocratique, le pire est devant nous.
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- Leslie Péan est économiste, écrivain
[1] Haiti - First Phase of the Education for All Project : Adaptable Program Lending, Washington, DC, World Bank, 2007, p. 10.
[2] Anderson Yvan Augustin, « L’école haïtienne, une immense machine en panne », Le Nouvelliste, 16 juin 2006.
[3] « Les syndicats enseignants, perplexes par rapport à l’applicabilité des mesures du Menfp », AlterPresse, 19 août 2014.
[4] « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? », Haïti Grassroot Watch, 22 juillet 2014.
[5] « Loi portant statut de la Magistrature », Le Moniteur, no 12, jeudi 20 décembre 2007, p. 7.
[6] « Haïti – Institutions : Monsieur Justice en Haïti, Anel Alexis Joseph, alimente la polémique, » AlterPresse, 31 août 2012.
[7] Cynthia Fleury, « La corruption ça suffit », Mediapart, 19 octobre 2014.
[8] « Situation Générale des Droits Humains dans le pays au cours de la deuxième année de présidence de Michel Joseph Martelly », RNDDH, 18 juin 2013, p. 42.
[9] Ibid, p. 45.
[10] Gérard Gourgue, Rapport du Groupe de Juristes Indépendants sur la publication ou non des amendements de la Constitution d’Haiti, Port-au-Prince, le 28 février 2012 »
[11] Leslie Péan, L’Ensauvagement macoute et ses Conséquences (1957-1990), Tome 4, Editions Maisonneuve et Larose, Paris, France, 2007 p. 512.
[12] « Situation Générale des Droits Humains dans le pays au cours de la troisième année de présidence de Michel Joseph Martelly », RNDDH, 14 mai 2014, p. vi.
Source AlterPresse, 19 novembre 2014
https://www.alainet.org/fr/active/78938
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