Destruction sociale et chaos mondial, l’essence de l’empire néolibéral
06/07/2014
- Opinión
Il est difficile de ne pas sentir que le monde, l’humanité et notre mère terre, sont poussés à la catastrophe par l’empire néolibéral, c’est à dire les États-Unis d’Amérique (US) et leurs alliés de l’OTAN. Ceci est si vrai quand nous parlons de la nature, de l’extinction accélérée d’espèces et du réchauffement climatique mondial, comme des sociétés, ou plutôt de ce qui reste de celles-ci dans autant d’État-nations qui se sont faits ou ont été poussés à se dépouiller de toute souveraineté nationale et populaire.
Ce chaos actuel est le produit des politiques de l’impérialisme qui depuis la chute de l’Union soviétique essaie de maintenir un ordre unipolaire pour l’instaurer mondialement et sans alternative de changement au néolibéralisme, pour faire de lui une réalité « il n’y a pas d’autre alternative » [Le célèbre « There is no alternative (TINA) » de Margaret Thatcher.
Mais, comme cela a été démontré quand les Etats-Unis d’Amérique ont été forcés de changer leur politique d’agression en Syrie, à partir de septembre 2013, l’unipolarité n’est déjà plus seulement possible par le rôle actif que jouent les deux grandes puissances, que sont la Russie et la Chine, mais par la majorité des pays dans le monde qui soutiennent le retour au multilatéralisme et s’opposent à perdre leur souveraineté nationale et populaire qui leur permet d’adopter leurs propres politiques socio-économiques et de s’intégrer internationalement ou régionalement de manière compatible avec leurs intérêts nationaux légitimes.
L’unipolarité était déjà compromise par le constat au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie que les Etats-Unis d’Amérique et leurs alliés provoquent des guerres qui ne gagnent jamais –Afghanistan, Irak, Libye et Syrie- mais qui laissent toujours le chaos, des morts, des réfugiés, de la misère et la destruction économique et sociale.
En 2011 les deux principaux alliés de l’empire au Moyen-Orient, Israël et l’Arabie Saoudite, ont ouvertement critiqué Washington pour ne pas avoir lancé une guerre contre l’Iran et pour avoir permis le renversement du président Moubarak en Égypte, faisant passer au président Barack Obama le message « qu’on n’abandonne pas ses alliés ». Tout le monde, et en premier lieu les alliés de Washington, savent que les guerres que lancent les USA et leurs alliés ne sont pas gagnées, détruisent pays, économies et sociétés et laissent le chaos. De l’Afghanistan à la Syrie, en passant par l’Irak et la Libye – sans oublier le Pakistan, le Soudan et d’autres pays africains - elles ont seulement laissé la destruction, des luttes sanglantes entre communautés religieuses et groupes ethniques, et des centaines de milliers de morts, de blessés et de réfugiés, et une grande misère. Les Etats-Unis d’Amérique n’ont rien de positif à montrer.
Il y a presque deux décennies l’économiste ítalo-usaméricain David Calleo a écrit sur les phases de décadence finale des empires de Hollande et d’Angleterre, en les qualifiant d’ « hégémonie exploitante », dans lesquelles l’empire n’a rien à offrir de positif (développement socio-économique ou sécurité militaire, par exemple) aux pays qu’il domine et composent le système, y compris à l’économie et à la société de l’empire, et alors il se consacre à les presser le plus possible, à vivre des rentes qu’il peut par tous les moyens extraire de ces pays. L’empire US se trouve dans cette phase.
A titre d’exemple : dans une conversation privée, le ministre des Affaires étrangères de la Pologne, Radoslaw Sikorski, a mis au clair que l’alliance de son pays avec les USA et l’OTAN ne leur apporte aucun bénéfice et que, au contraire, provoque des dangereux foyers de tensions avec les pays voisins [1]. La même chose doit être pensée par toute honnête personne qui est dans le gouvernement formé par le coup d’État en Ukraine, dernier pays que les Etats-Unis d’Amérique et leurs alliés de l’OTAN ont amené aux bords de la guerre civile pour provoquer un foyer de confrontation constante avec la Russie.
En même temps, signe que l’empire ne peut pas contrôler tout le monde pendant tout le temps, en Amérique latine et aux Caraibes se poursuit la création des mécanismes d’intégration régionale et sous-régionale dont les Etats-Unis ne font pas partie et ne peuvent contrôler. De sa part le BRICS (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) continue d’avancer avec ses projets de création d’une banque de développement et d’instruments monétaires et financiers hors de la portée des US et du dollar, tandis que nous assistons au renforcement de liens économiques, commerciaux et monétaires entre la Russie et la Chine, parmi d’autres processus régionaux courants en Asie et en Eurasie.
Rien de cela ne constitue donc en soi une alternative anticapitaliste, presque totalité des pays fonctionnent dans un système capitaliste, bien qu’ils aient des secteurs étatiques importants dans leur économie et puissent accorder la priorité à des formes de propriété sociale en remplacement de la propriété privée dans certaines branches de l’économie. Mais, détail clef, dans pratiquement tous les pays l’intervention étatique dans l’économie est une réalité.
De la même manière, dans tous ces processus, le régionalisme inclut la participation et l’intervention des États, de leurs institutions et entreprises, ainsi que des niveaux de planification sectorielle dans les domaines industriels, énergétiques, commerciaux et des services, et les systèmes financiers et monétaires prévus ou souhaités seront en dehors du contrôle de l’empire et ses alliés. Une forme de régionalisme de ce type comme alternative au « capitalisme universel », ce qu’aujourd’hui nous nommons le néolibéralisme, a été proposée par l’intellectuel hongrois Karl Polanyi dans 1945 [2], sujet sur lequel nous reviendrons dans la deuxième partie de cet article.
Mais même en n’étant pas une alternative socialiste ou anticapitaliste, il est clair que ces processus régionaux et multilatéraux constituent une barrière formidable aux plans de l’empire, une barrière que l’impérialisme essaie de démolir avec tous les instruments à sa portée, comme l’offensive pour terminer rapidement et dans le secret le plus complet les Accords de « dernière génération » - l’ « Accord de partenariat transpacifique », de l’ « Partenariat transatlantique de commerce et d’investissements » et l’ « Accord général sur le commerce des services » - ou en essayant d’entraver les accords régionaux à travers les politiques, les bureaucrates, les professionnels et les entrepreneurs qui sont au service de l’empire.
Les Accords mentionnés ont comme objet l’élimination de la souveraineté nationale et l’assujettissement des États signataires à respecter les termes de ces traités négociés en secret qui respectent une seule loi, celle des les Etats-Unis d’Amérique et incluent les mécanismes par lesquels les États qui ne respectent pas les termes peuvent être portés devant des tribunaux d’arbitrage par les monopoles. Ces États se deviennent garants des investissements des monopoles étrangers pour s’approprier les secteurs économiques qui les intéressent, en y compris ceux que les États laisseront après avoir privatisé les services publics.
Mais ces Accords ne sont pas chose faite, parce que le rejet grandit dans les populations qui ne veulent pas abandonner leurs sentiments et intérêts nationaux légitimes, et dans les intérêts capitalistes locaux qui savent qu’ils seront écrasés par les monopoles étrangers. Et tandis que le régionalisme avance, à la Maison Blanche et au Congrès de Washington, il ne leur reste plus autre chose que s’accrocher à continuer de croire que l’empire est invulnérable et qu’il peut continuer à agir, lui et ses alliés stratégiques, avec l’impunité que leur a donné (relativement brièvement) l’ordre unipolaire.
C’est dans ce contexte que le discours du président russe Vladimir Poutine devant les ambassadeurs de la Russie, le 1 juillet, prend sa dimension, quant il leur a rappelé que les USA appliquent à son pays la même politique de « contention » qu’ils ont pendant la Guerre Froide appliqué contre l’Union soviétique, et qu’il espérait que le pragmatisme prévaudra, que les pays occidentaux se dépouilleront des ambitions, d’essayer « d’établir des ‘casernes mondiales’ pour organiser tout en coupe réglée, et d’ imposer des règles uniformes de comportement et de vie de la société »
Poutine a souligné que les diplomates russes savent combien les événements internationaux peuvent être parfois dynamiques et imprévisibles. Ils semblent avoir été pressés ensemble en une seule fois et ne sont pas malheureusement tous de caractère positif. Le potentiel de conflit grandit dans le monde, les vieilles contradictions s’aiguisent et d’autres nouvelles sont provoquées. Régulièrement nous nous trouvons avec ce type de situations, souvent de façon inespérée, et nous observons à regret que le droit international ne fonctionne pas, que les lois internationales ne fonctionnent pas, que les normes élémentaires de décence sont écartées et que triomphe le principe de tout- est-permis … Il est temps de que nous reconnaissons le droit des autres à être différents, le droit à chaque pays à construire sa vie par lui même, non par les écrasantes instructions de certains (...) le développement global ne peut pas être unifié, mais nous pouvons et nous devons chercher un terrain commun, voir des partenaires en chacun des autres, des non rivaux, et établir la coopération entre les États, leurs associations et les structures intégrées. Et en se référant aux conflits qui dévastent plusieurs régions du monde. Poutine a souligné que « la carte mondiale a de plus en plus de régions où les situations sont chroniquement fébriles, souffrant « d’un déficit de sécurité » [3]
Quelques heures avant, lors de la Rencontre Internationale Anti-impérialiste convoquée par la Fédération Syndicale Mondiale (FSM) et réalisée à Cochabamba, en Bolivie, le président bolivien Evo Morales a remarqué qu’ « il est important d’identifier » les instruments actuels de domination du capitalisme, de l’impérialisme, parce que « tout au moins en Amérique Latine où déjà on ne voit plus de coups d’Etat, ou bien il n’y a pas autant de dictatures militaires qu’ avant », mais plutôt « les peuples qui défendent la démocratie, peuples qui avec beaucoup de clarté proposent des programmes et des projets, des projets politiques de libération ».
Et dans ce contexte, selon le Président bolivien, il faut se demander ce que fait l’empire : « il provoque des conflits dans chaque pays, il finance des affrontements au sein d’’un peuple, d’un pays et après sous prétexte de défense des droits de l’homme, de l’enfant, de la femme, des personne âgées, il intervient avec le Conseil de Sécurité ; quel Conseil de Sécurité ?, pour moi ce soi-disant Conseil de Sécurité des Nations Unies continue d’être le conseil de l’insécurité, le conseil de l’invasion aux peuples du monde ».
Pour affronter cette agression impérialiste, Morales a demandé aux délégués de la FSM d’élaborer « une nouvelle thèse politique pour libérer les peuples du monde » qui surpasse « les revendications sectorielles pour creuser la crise dans le capitalisme et l’achever, de même que l’oligarchie et les hiérarchies » [4]. En résumé, pour un observateur qui n’a pas perdu la mémoire historique, ce que Poutine a dit n’est qu’une explication aux diplomates russes de la conclusion à laquelle le peuple russe, et au moins une partie de ses dirigeants, sont arrivés après avoir subi l’expérience de la Perestroïka et de l’application brutale des politiques néolibérales, et de vivre l’expérience actuelle de comment se comporte l’impérialisme usaméricain quand un peuple veut chercher sa propre voie, même dans le capitalisme, sans sous estimer que tout cela doit aider à revivre ce que l’impérialisme a cherché à enterrer : l’enseignement de Lénine sur l’impérialisme.
Il n’est pas si facile de gommer la mémoire historique des peuples, et tout en pensant cela j’ai lu l’article « Un regard vers le passé » de Ricardo Alarcón de Quesada, ex-président de l’Assemblée Nationale de la Cuba, qui termine par la phrase suivante : « Après avoir tourné le regard vers ces années pleines de rêves, l’avertissement de William Faulkner me vient à l’esprit : « Le passé ne meurt jamais. Il n’est même pas passé » (publié dans la revue chilienne le Point final, une édition n° 807 du 27 juin 2014)
Peu de jours avant la réunion de la FSM, le président Evo Morales a été l’amphitryon de la réunion du G77+China, et sans doute c’est là qu’il a perçu beaucoup de ressenti sur la gesticulation brutale de l’impérialisme et la volonté de nombreux de gouvernements de pouvoir défendre leurs intérêts légitimes nationaux. Quelque chose qui sous l’empire néolibéral est interdit. De nouveau, quand les peuples vivent sous la férule impériale et récupèrent la mémoire historique, il est logique que revienne le besoin d’une stratégie anti-impérialiste.
Dans une analyse récente intitulée « America’s Real Foreign Policy – À Corporate Protection Racket », l’intellectuel us Noam Chomsky décrit le vrai objectif historique de la politique extérieure US : protéger les intérêts du secteur des grandes entreprises avec « le nationalisme économique (le protectionnisme qui) dépend en grande partie de l’intervention étatique massive », et c’est pourquoi en règle générale, il s’est opposé par tous les moyens à ce que des autres pays aient des politiques de « nationalisme économique ».
Cela, avance Chomsky avec des références documentaires, est valable pour toute l’analyse de la politique usaméricaine vers l’Amérique Latine et vers les Caraïbes, et c’est la toile de fond de l’ensemble de la politique extérieure usaméricaine dans toute la période postérieure à la Deuxième Guerre mondiale, quand le système mondial qui allait être dominé par les USA a été menacé par ce que les documents internes nommaient les « régimes radicaux et nationalistes » qui répondent aux pressions populaires pour un développement indépendant [5].
Ce que Chomsky expose cadre avec ce qu’en 1945 anticipait Karl Polanyi, que les US ont été le foyer du capitalisme libéral du 19e siècle et c’est suffisamment puissant pour poursuivre seulement la politique utopique de restaurer le libéralisme (voir 2ème appel de note).
Et, dans ce sens et avec toutes les limites qu’il supporte, le régionalisme est pour l’instant le principal font anti-impérialiste, et l’autre aura devra être construit par les peuples, par leurs organisations politiques, syndicales et sociales.
(Fin de la première partie)
* Alberto Rabilotta est journaliste argentin depuis 1967. Au Mexique pour la « Milenio Diario de Mexico » Correspondant de Prensa Latina au Canada (1974). Directeur de Prensa Latina Canada, pour l’Amérique du Nord (1975-1986) Mexique, USA, Canada. Correspondant de l’Agence de Services Spéciaux d’Information, ALASEI, (1987-1990). Correspondant de l’Agencia de Noticias de México, NOTIMEX au Canada (1990-2009. Editorialiste sous de pseudonymes -Rodolfo Ara et Rocco Marotta- pour « Milenio Diario de Mexico » (2000-2010, Collaborateur d’ALAI, PL, El Correo, El Independiente et d’autres médias depuis 2009.
El Correo. Paris, le 6 juillet 2014
Notes
[1] Enregistrement de la conversation de Radoslaw Sikorski : La Vanguardia, Barcelona, 22/06/2014. En esp
[2] Karl Polanyi, « Universal Capitalism or Regional Planning ? », publié en janvier 1945 dans The London Quarterly of World Affairs. En français ceci est inclus dans le libre « Essais » de Karl Polanyi, Editions du Seuil, pages 485 a 493.
[3] Citation du discours du President Vladimir Poutine aux ambassadeurs de Russie, du 1er de juillet 2014. En anglais
https://www.alainet.org/fr/articulo/86948
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