Deux ans après : les reniements du président Hollande
07/05/2014
- Opinión
Le 6 mai 2012, François Hollande était élu président de la République sur un programme constitué de 60 engagements pour le « changement ». Deux ans après, que sont-ils devenus ?
Les 60 engagements du candidat socialiste ne dessinaient pas les contours d’une véritable politique alternative. Ils cherchaient néanmoins à se distinguer du sarkozysme. Pourtant, deux ans après l’élection présidentielle, un constat s’impose : les rares avancées qu’ils comportaient n’ont pas été tenues. La continuité avec les politiques menées par le précédent gouvernement est presque totale. Les électeurs n’attendaient peut-être pas grand chose ; leurs modestes espoirs auront quand même été déçus.
Réforme fiscale aux oubliettes
Le premier chapitre des 60 engagements concernait la politique économique. Rétrospectivement, il est constitué d’une longue liste de reniements qui donne le tournis. Pour « redresser la France », le candidat socialiste en appelait à « une grande réforme fiscale » (§14-17). Cette réforme n’a jamais eu lieu. Selon l’économiste Thomas Piketty, pourtant réputé proche du PS, la politique fiscale du gouvernement s’est réduite à une série d’ »improvisations » et d’ »incohérences ». Quant à la « remise à plat » annoncée par Jean-Marc Ayrault fin 2013, elle a définitivement été enterrée avec le « Pacte de responsabilité ».
L’équilibre des finances publiques devait être rétabli en revenant sur les « cadeaux fiscaux et les niches fiscales accordés aux ménages les plus aisés et aux plus grosses entreprises » (§9) ? Ce seront finalement des coupes dans les dépenses publiques et l’augmentation des taxes sur la consommation, qui touchent les plus modestes. Cette orientation se dessinait déjà dans le premier des reniements de François Hollande, celui d’adopter, dès septembre 2012, le Traité budgétaire européen, plutôt que de renégocier un « Pacte de croissance » pour sortir « de la crise et de la spirale d’austérité qui l’aggrave » (§11).
Austérité aggravée
L’ensemble des réformes du gouvernement est marqué du sceau de l’austérité. Le candidat Hollande appelait de ses vœux une « réforme des retraites justes » (§18) et de « revenir immédiatement à la retraite à 60 ans à taux plein pour ceux qui ont cotisé la totalité de leurs annuités » ? Ce sera finalement une réforme qui pénalise les plus précaires, les jeunes et les futurs retraités en allongeant la durée de cotisation, avec des contreparties cosmétiques.
Il annonçait vouloir « mettre un coup d’arrêt à l’application du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux » et « lutter contre la fracture territoriale » (§10, 28) ? Après deux budgets de restrictions sans précédents, de nouvelles coupes budgétaires sont en préparation dans le cadre du « Pacte de responsabilité », quitte à réhabiliter la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et à tarir les ressources des collectivités et services publics locaux.
Il promettait d’« agir pour la cohésion sociale avec les collectivités et les associations » ? Les coupures budgétaires frappent durement les associations, menaçant plus de 40 000 emplois selon le Collectif des associations citoyennes .
Chômage, précarité et inégalités renforcés
Le candidat Hollande s’engageait à « favoriser la production et l’emploi en France » (§2) ? Le gouvernement ne manquera pas une occasion de céder aux exigences du MEDEF et autres investisseurs. « Pigeons », « Pacte de compétitivité », « Pacte de responsabilité »... les exonérations de cotisations patronales s’accumulent aussi vite que se multiplient les coupes dans les budgets publics et les impôts sur la consommation. Si l’emploi ne suit pas, les dividendes, eux, explosent…
Les salariés ne cessent de payer le prix des mesures de « compétitivité ». Ainsi l’accord national interprofessionnel (ANI ou « accord compétitivité-emploi ») permet-il de faciliter la mise en œuvre de plans sociaux, voire de baisser les salaires. Le candidat Hollande voulait « faire prévaloir la justice au travail » (§24-26)… Quoi de mieux que de s’attaquer aux moyens de l’inspection du travail, au droit du travail (à travers l’ANI) et aux tribunaux prudhommaux ?
Quant aux promesses de « défendre un budget européen ambitieux au service des grands projets d’avenir » (§12), ou « pour l’avenir de l’agriculture » (§6), elles resteront, elles aussi, lettre morte : le budget négocié pour 2014-2020 sera plus faible que le précédent ! Et la « banque publique d’investissement » (§1) se contentera, quant à elle, de rassembler pour une large part des fonds déjà existants.
Lobby bancaire chouchouté
En continuité avec la politique économique néolibérale de Nicolas Sarkozy, les « engagements » du candidat Hollande contre la mainmise de la finance et des banques sont taillés en pièce. Lors de son discours du Bourget, il dénonçait la finance, son « adversaire ». Pourtant, le gouvernement travaillera main dans la main avec les banques françaises pour la mise en place de la réforme bancaire. La « séparation bancaire » promise des activités de détail et d’investissement n’aura pas lieu, et laissera place à un ridicule cloisonnement concernant moins d’un cinquantième de l’activité des banques selon Frédéric Oudéa, patron de Société générale . Quant à « l’interdiction aux banques d’exercer dans les paradis fiscaux », Jérôme Cahuzac ne l’a pas mise en œuvre et, malgré son départ, on l’attend encore.
Cette fructueuse collaboration avec « l’adversaire » d’hier se poursuit en ce moment même au sujet de la taxe européenne sur les transactions financières. Loin de contribuer à son application à l’échelle européenne, comme promettait le candidat Hollande, le gouvernement s’acharne à vouloir imposer à l’Allemagne et à la Commission européenne l’exonération des transactions les plus spéculatives : celles sur les produits dérivés. Quant à « l’encadrement des bonus » et à « l’interdiction des produits financiers toxiques » (§7), il semble que ces promesses soient définitivement passées à la trappe…
Autre cadeau aux banques : la baisse du taux du livret A, au plus grand bénéfice des assurances-vie. Le candidat Hollande annonçait « garantir l’épargne populaire par une rémunération du livret A supérieure à l’inflation et tenant compte de l’évolution de la croissance » (§8) ? Il garantira surtout le bien-être des banques, en allant jusqu’à leur donner la possibilité de bénéficier des dépôts sur le livret A au détriment du financement de logement social…
Dumping généralisé, écologie méprisée
Cette capitulation en rase campagne devant les intérêts industriels et financiers pourrait se parachever avec la négociation de l’accord de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis. Le candidat Hollande promettait le « juste-échange » : « une nouvelle politique commerciale pour faire obstacle à toute forme de concurrence déloyale et pour fixer des règles strictes de réciprocité en matière sociale et environnementale » (§13) ; le président Hollande souhaite, quant à lui, « aller vite » pour conclure le nouveau traité transatlantique (TAFTA), qui entraînerait un dumping social et environnemental sans précédent avec la possibilité pour les firmes multinationales d’attaquer les États devant des tribunaux privés si les réglementations publiques faisaient « obstacle » à l’investissement ou au profit.
L’écologie était le parent pauvre des promesses électorales du candidat Hollande. Pourtant, même là, le peu qui était annoncé n’est pas tenu. La tarification progressive du gaz, de l’eau et de l’électricité est morte-née. Le plan de rénovation thermique pour un million de logements par an reste mystérieux quant à son financement. La réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité et la fermeture de la centrale de Fessenheim demeurent incertaines. La « montée en puissance des énergies renouvelables », promise sans détails chiffrés, est lente et l’industrie photovoltaïque s’enfonce dans la crise faute d’incitations budgétaires. Plus généralement, la transition écologique n’est pas financée et le gouvernement s’appuie sur la bonne volonté des banques, des entreprises et des particuliers pour la mettre en œuvre sans remise en cause de l’orthodoxie budgétaires.
Sur le plan européen, les lobbies énergétiques, encouragés par les États dont le gouvernement français, sont en train d’imposer un très net reflux des objectifs de développement des énergies renouvelables et d’efficacité énergétique pour la période 2020 - 2030. La France ne joue pas de rôle moteur ni exemplaire en Europe dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre alors qu’elle doit héberger la conférence de l’ONU sur le climat de 2015. En prenant en compte les émissions incorporées dans les biens et services importées, l’empreinte écologique insoutenable du pays continue de s’accroître. Refusant d’envisager la mise en œuvre d’une fiscalité écologique à l’échelle européenne comme il s’y était engagé, François Hollande contribue à maintenir coûte que coûte un marché européen du carbone inefficace, injuste et dangereux qui est incapable de fournir les ressources nécessaires pour financer de véritables politiques de transition énergétique européennes vers des économies post-carbone.
Valeurs bafouées, démocratie dévaluée
Devant l’étendue de ces renoncements, devant une politique d’austérité brutale au service des banques, les engagements de « redonner espoir aux nouvelles générations » en « combattant le chômage » (§33-35), de « faire de la France la nation de l’excellence environnementale » (§41-43) semblent bien dérisoires. Et comment s’étonner quand un sondage (qui reste, certes, un sondage) annonce que 61 % des jeunes seraient prêts à se révolter ?
L’engagement de « donner à la police et à la justice les moyens de nous protéger » (§52,53) prend a posteriori une résonance particulière, si l’on pense à la répression à l’égard des mouvements sociaux, manifestant à Notre-Dame-des-Landes pour un autre modèle de développement ou à Paris pour le droit au logement. Concernant l’engagement « de lutter sans concession contre toutes les discriminations et ouvrir de nouveaux droits » (§30-32), on ne pourra s’empêcher de penser aux propos discriminatoires de Manuel Valls à l’égard des Roms, que leur culture « différente » empêcherait de pouvoir s’installer durablement « chez nous ».
Cette approche sécuritaire concerne aussi la politique étrangère. Le candidat Hollande prenait l’engagement de « porter haut la voix et les valeurs de la France dans le monde »(§57) ; le président Hollande ne manque pas une occasion de s’afficher en soutien des États-Unis, quitte à engager la France dans une multiplication d’interventions militaires dont les tenants et aboutissants sont pour le moins incertains.
Enfin, le candidat Hollande en appelait à une « République exemplaire ». L’affaire Cahuzac témoignera pourtant de sa frilosité à faire la lumière sur « l’intégrité des élus », à garantir « l’impartialité de l’État » et surtout à « respecter les contre-pouvoirs » (§47-51)… alors même que certains ministres n’ont pas manqué de calomnier Médiapart, et que des démarches ont été engagées par le gouvernement pour blanchir le ministre du budget accusé, à juste titre, d’évasion fiscale. Plus récemment, l’affaire Morelle pose la question d’un mélange des genres et de conflits d’intérêts au plus près de l’entourage du président de la République.
Les 60 engagements de François Hollande se terminaient sur une volonté de « donner un nouvel élan à notre démocratie ». En faisant le contraire de ce pour quoi les électeurs l’ont élu, François Hollande a surtout donné un nouvel élan à des politiques fautrices de précarité et d’inégalités. Des politiques menées depuis trente ans, qui maintiennent la France et l’Europe dans la récession. Qui nourrissent une profonde crise sociale, écologique et démocratique. Qui frappent de plein fouet les peuples et contribuent à l’essor d’une extrême-droite démagogique et raciste.
Résistances et alternatives : imposons le changement !
Ce bref bilan des promesses non tenues du candidat Hollande n’a pas vocation à contribuer à la résignation ambiante. Dans la frénésie de « nouvelles » qui caractérisent notre système médiatique, si l’amnésie est la règle, ne pas oublier les paroles non tenues constitue un devoir citoyen. Les politiques mises en œuvre par le gouvernement sont impopulaires, et il n’a pas été élu pour mener ces politiques-là. À nous, citoyen-ne-s, de transformer la colère populaire en force de changement !
6 mai 2014
https://www.alainet.org/fr/articulo/85401
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