Guerre des devises : les BRICS s’organisent face au dollar

01/10/2013
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En vue de la convocation du G-20 que composent les dix-neuf plus grandes économies avec la Banque Centrale Européenne (BCE), le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale (BM) ; les BRICS (l’acronyme formé par le Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) se sont réunis début septembre à Saint-Pétersbourg et se sont mis d’accord quant à l’urgence de concrétiser la mise en place d’un fonds de « réserves communes de devises » (« Contingency Reserve Arrangement » (CRA)) étant donné que leurs monnaies se sont radicalement dépréciées en face du dollar. [1]
 
De janvier à août [2013] le réal brésilien a perdu 17.4 % de sa valeur ; le rouble russe 8.4 % ; la roupie indienne 17.2 % ; et le rand d’Afrique du Sud 20 %. L’exception est le yuan (renminbi) chinois, avec une légère appréciation de 2.40 % pendant la même période. [2] La dépréciation des monnaies est le produit de la hausse des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis d’Amérique (EUA) à cause de la décision illimitée de la Réserve Fédérale (Fed) d’abandonner son programme de stimulations monétaires de 85 milliards de dollars par mois.[3]
 
Le CRA serait doté 100 milliards de dollars ; avec un apport de la Chine de 41 milliards de dollars ; la Russie, l’Inde et le Brésil 18 milliards de dollars chacun et l’Afrique du Sud 5 milliards. [4] Avec cela, le bloc cherche à créer un réseau de sécurité financière qui – compte tenu de leurs barrières géographiques- résiste mieux aux effets de la volatilité du dollar. Par ailleurs, ses ressources semblent très limitées, 41.67 % s’il est comparé à l’Initiative Chiang Mai de 240 milliards de dollars (composée de la Chine, du Japon, de la Corée du Sud et de dix économies de l’ASEAN) ; à la différence de cette dernière le CRA BRICS semble s’éloigner du parapluie du FMI après s’être passé de son aval pour octroyer des prêts à ses membres.[5]
 
Les BRICS possèdent d’abondantes réserves internationales : Le Brésil 371, 9 milliards ; la Russie 512,8 milliards ; l’Inde 287,9 milliards ; la Chine 3 500 milliards et l’Afrique du Sud 47,3 milliards. Ensemble ils atteignent un montant de presque 5 000 milliards de dollars. Avec 16 % de ces réserves, soit 800 milliards, ce CRA dépasserait les fonds totaux du FMI. Inédit. Cependant les termes dans lesquels le dit Accord serait étendu à des pays non membres du BRICS ne sont pas fixés et, dans les cas de prêts, les conditions requises.[6]  Du côté de la promotion de l’investissement productif, la mise en place de la « Banque BRICS » (en appui à des projets d’infrastructure) est suspens. Tout indique que les négociations sur cette initiative (poussée par l’Inde) reprendront lors du VI Sommet BRICS à Fortaleza, au Brésil, en 2014 ; alors que son capital initial a été fixé à Durban, Afrique du Sud, en mars de cette année pour un montant de 50 milliards de dollars.
 
D’un autre côté, les programmes de stimulation monétaire de la Réserve Fédérale (Fed) étaillent indirectement la croissance volatile des économies émergentes à travers la « Grande Banque » (Systemically Important Financial Institutions, (SIFIs)) grâce au mouvement de flux de capitaux à court terme par des différentiels de taux d’intérêt. La fin de l’un apportera avec soi la fin de l’autre. En décembre 2011, le solde total des capitaux à court terme introduits en Amérique Latine depuis le reste du monde atteignait 844,86 milliards de dollars. En sens inverse, l’annonce de la fin des stimulations monétaires en mai de cette année [2013] par le président de la Fed, Ben Bernanke, a eu un impact sur la sortie de devises des économies émergentes, obligeant les banques centrales à intervenir pour freiner la dépréciation de leurs monnaies face au dollar avec une perte de réserves estimées autour 81 milliards de dollars selon la Societé Génerale.[7]
 
Il faut se rappeler qu’en plus des programmes de la Fed de soutien au dollar, ce sont les programmes de la banque d’Angleterre d’appui à la Livre, de la BCE d’appui à l’Euro et de la banque du Japon d’appui au Yen. Ce dernier crée récemment en mars, a la même vitalité que le celui des Etats-Unis et a donné comme résultat une reprise de la croissance économique japonaise au deuxième trimestre de l’année 2013. Pour cette raison, Christine Lagarde, du FMI, pendant son intervention[8] lors du Symposium annuel sur la politique monétaire à Jackson Hole, la troisième semaine d’août a signalé : « en comparaison de la politique monétaire traditionnelle, les politiques monétaires non conventionnelles des dernières années ont été plus ambitieuses et plus vastes. Grâce à ces mesures exceptionnelles, le monde ne s’est pas précipité vers une autre Grande Dépression », et elle a ajouté : « les autorités mondiales — toutes, dans les pays et entre des pays — ont la responsabilité de mettre en place l’ensemble des mesures nécessaires pour rétablir la stabilité et la croissance, et pour réduire les déséquilibres ». Les injections massives de liquidité constituent une arme à double tranchant. En même temps qu’elles ont réussi à éviter un scénario mondial de dépression avec déflation, il n’est pas évident qu’elles permettent de résoudre le problème de manque d’emplois en général [9] et le niveau élevé de concentration de capital dans le secteur financier. Le total des actifs des dix plus grandes banques US est passé de 8 100 milliards à 10 959 milliards entre 2007 et 2013 selon la FDIC.[10]
 
Cinq ans après la faillite de Lehman Brothers (le 15 sept 2008), l’économie mondiale reste sans reprise soutenue dans le G7 (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Allemagne, Japon, Italie et Canada) et maintenant on observe une décélération dans les économies émergentes.
 
Le 18 septembre la Fed a réduit sa prévision de croissance de l’économie US pour 2013 à un niveau entre 2 et 2.3 %, au lieu de 2.3 et 2.6 % prévus en juin, tandis que l’inflation se maintient en dessous de l’objectif fixé de 2 %. Dans un coup de barre, Bernanke a annoncé qu’il va maintenir sa stimulation monétaire et en prévision de ce virage, on a observé entre la mi août et la mi septembre, un changement de tendances des flux de capitaux de court terme vers les économies émergentes qui pourrait reverdir en partie le processus de dépréciation des changes [11] et pousser à nouveau le prix des commodities. Il est clair que l’on ne peut pas espérer que la Fed injectera des liquidités de manière ininterrompue. Au contraire, il y a même une certitude qu’elle arrêtera de le faire. Mais : quand ? Les effets sur les économies émergentes ont déjà été mis en évidence. C’est sans doute ce qu’il y a derrière le retrait de la candidature du partenaire de Wall Street et ultra orthodoxe Larry Summers à la présidence de la Fed. La rumeur dit que Janet Yellen, disciple de Joseph Stiglitz, sera la relève pour ce poste à partir de janvier 2014. Ses options sont les mêmes, ses temps sont différents.
 
C’est le moment des définitions mondiales. En prenant comme référence la taille de l’économie combinée du BRICS de 14 000 milliards de dollars (et qui pourrait dépasser les Etats-Unis d’Amérique vers 2015 si la tendance se maintient) [12]et sa contribution de 50 % à la croissance du PIB mondial en 2012 conformément aux calculs du FMI [13] ; il semble raisonnable que le président russe Vladimir Poutine aspire à le transformer en « un mécanisme de coopération stratégique complète, qui permet de chercher conjointement des solutions à des problèmes clefs de la politique mondiale ». [14]Cependant, les bonnes intentions semblent insuffisantes par des temps de difficultés croissantes dans l’économie mondiale. L’axe de la coopération devait être orienté à resserrer les liens de complémentarité intra-BRICS de façon accélérée pour faciliter une plus grande élasticité du bloc, face aux coups de roulis du dollar gérés depuis la Fed. L’expérience de Manmohan Singh (actuel Premier ministre de l’Inde) comme directeur exécutif du « South Centre » dans les années quatre-vingt et auteur intellectuel du rapport « Le Défi au Sud »[15] publié en 1990 contribuera à aller en grande partie vers cet objectif.
 
- Oscar Ugarteche, Économiste péruvien, travaille dans l’Institut de Recherche économique de l’UNAM, au Mexique. Membre du SNI/Conacyt. Coordonnateur de l’ « Observatoire Économique de l’Amérique Latine->http://www.obela.org] » (OBELA) et president d’ ALAI 
 
- Ariel Noyola Rodríguez est membre du projet « Observatorio Económico de América Latina » (OBELA), d’IIEC-UNAM.
 
(Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi)
 
El Correo. Paris, le 24 septembre 2013.


[1] Voir « Brics : rétour à la case crise », Le Monde Diplomatique. Date de publication : 02-09-2013.
[2] Consulter « OANDA » pour plus d’information sur des taux de change.
[3] Oscar Ugarteche et Ariel Noyola Rodríguez, en esp : « Reserva Federal : ultimátum indefinido y factura global », dans la Red del Tercer Mundo. Date de publication : 05-07-2013.
[4] Voir en esp « G20 : Los BRICS acuerdan crear las alternativas al FMI y al Banco Mundial » dans Russia Today. Date de publication : 05-09-2013.
[5] Oliver Stuenkel. «  The Politics of the BRICS Contingency Reserve Arrangement (CRA)  » dans le Post-western World. Date de publication : 12-05-2013.
[6] Sargon Nissan. «  Guest post : Brics without mortar  » dans le Financial Times. Date de publication : 05-09-2013.
[7] Cité par Barry Grey. «  Turmoil in Emerging Economies : A Symptom of a Global Crisis  », dans Research Global. Date de publication : 27-08-2013.
[8] Voir un discours intégral « Le calcul mondial des monétaires politiques non conventionnelles ». Date de publication : 23-08-2013.
[9] Noureddine Krichene. «  Bernanke : Maestro of misery  », en Asia Times. Date de publication : 29-08-2013.
[10] Cité par Carla Zepeda. « El final del túnel aún no está cerca », chez El Financiero (l’édition imprimée). Date de publication : 13-09-2013.
[11] Voir «  EM currencies feel benefit of Fed inaction  », dans le Financial Times. Date de publication : 20-09-2013.
[12] Jim O’Neill. «  To take on the dollar, Brics must develop their own Markets first » dans The Telegraph. Date de publication : 06-09-2013.
[13] Cité par The Economist. « Emerging economies : When giants slow down  ». Date de publication : 27-07-2013.
[14] Cité par Pepe Escobar. « Les BRICS brisent leurs chaînes  » en Asia Times (Traduction El Correo). Date de publication : 26-03-2013.
[15] « The Challenge to the South : The Report of the South Commission ». Oxford University Press : GB, 1990.
https://www.alainet.org/fr/articulo/79737?language=en
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