Un coup d’œil sur le tarif douanier des voisins

Le commerce des autres

14/07/2013
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Opinión
-A +A
Introduction
 
Le grand capital -c’est-à dire les transnationales et les principales puissances capitalistes avec les EEUU en tête- a exigé, à partir des années 1980, une ouverture totale des marchés, notamment des pays du Sud. Nous savons, tous, les résultats de telles impositions dans l’augmentation sensible de la pauvreté.
 
Partout, les peuples, les organisations de travailleurs, les paysans, les fractions plus avancées des bourgeoisies locales se sont levées contre ces programmes destructeurs.
 
Le cas emblématique en Amérique Latine fut celui de l’Argentine, des années 1890, avec le président Carlos Mennen et sa politique de privatisation sans contrôle et de baisse tarifaire. Par la suite, la lutte acharnée du peuple argentin dans ses principales composantes a permis de redresser la barre.
 
Aujourd’hui, ce pays a renoué avec la croissance au profit notamment des couches fortement pénalisées au temps de l’expérience Mennen. Le taux de chômage avait reculé de 40% en Argentine entre 2000 et 2008.
 
En Haïti, à partir de 1986, le plan de libéralisation fait des ravages avec des baisses tarifaires inédites, une politique de privatisation tous azimut et un ensemble de politiques publiques funestes pour l’agriculture, l’industrie locale, la santé et l’environnement. Il s’agissait selon le ministre des Finances Lesly Delatour, de moderniser l’économie haïtienne !
 
Le ministre du commerce Fresnel Germain, saluera lui aussi la baisse des tarifs douaniers opérés à partir de 1995-1996, notamment sur le sucre et le clairin.
 
Mais, les planteurs et les distillateurs de Léogâne avaient une toute autre lecture de la situation et en signe de protestation « les producteurs de canne à sucre et les distillateurs sont sortis avec des machettes pour bloquer la route aux chargements d’éthanol en provenance de la République Dominicaine », rappelle un article du Nouvelliste daté d’avril 2012.
 
En 2002, un document du ministère de l’économie et des finances soulignera ce qui suit : « aujourd’hui le tarif douanier haïtien est d’une simplicité exemplaire. Il se résume à 4 (quatre) taux : 0- 5- 10- et 15… Seule la gazoline (est à) 57,8%. ». Pour ajouter plus loin : « La pauvreté touche encore 80% de la population ».
 
En Haïti, la production de bananes chutera de 1991 à 2004. Passant de 505 000 TM à 340 000TM. Celle de poulet de chair qui était de six millions d’unités aux environs de 1988 s’effondrera après l’ouverture totale des années 1995-1996, touchant à un moment donné, le plancher de 100,000.
 
Une certaine reprise est observée, à partir de 2008, avec les mesures adoptées pour empêcher l’introduction d’œufs et de poulets dominicains contaminés.
 
Par contre, certains pays ont défendu leur économie du bec et des ongles.
 
Dans ces cas-là, les concessions faites au libéralisme ont été partielles. Ces sociétés ont louvoyé, négocié, contourné les mesures dictées par la haute finance, pour protéger des secteurs clés de leur économie. Souvent, ces pays ont décidé unilatéralement -pour défendre leur production- de relever les tarifs qui leur étaient préjudiciables. Ce, à l’encontre des règlements de l’Organisation mondiale du commerce (Omc).
 
Quant aux grandes puissances, elles jouent avec ces mesures au gré des intérêts des groupes capitalistes les plus importants. Elles possèdent d’ailleurs la plupart des leviers économiques et politiques en mains, compte tenu notamment de leur développement technologique et scientifique.
 
Elles adoptent, selon leurs besoins, des comportements fortement protectionnistes, tout en prêchant le contraire aux pays les plus pauvres. Et ce sont elles qui décident ce qui est bon pour la planète, c’est-à-dire pour les plus riches.
 
C’est d’ailleurs le cas des EEUU d’Amérique du Nord qui n’ont pas hésité à relever leurs tarifs douaniers sur les pneumatiques en 2009, faisant passer la position tarifaire de ce produit de 4% à 39%, pour protéger ce secteur menacé par les importations chinoises. Et dire que nous parlons de la première puissance économique mondiale !!!!!!!!!!!!!!!!!!
 
Trois exemples que les Haïtiens devraient retenir
 
Le premier c’est celui de la République Dominicaine, notre voisine.
 
Selon une analyse de la politique commerciale de ce pays, il a été établi que l’État dominicain a adopté une libéralisation sélective de son commerce extérieur.
 
Cela signifie, que les autorités ont analysé, secteur par secteur, les impacts des ouvertures, avant d’adopter ou de moduler des baisses, ou, au contraire, pour éviter une quelconque libéralisation qui provoquerait un éventuel effondrement.
 
Le tarif douanier de la République dominicaine comporte 12 taux allant de 0 à 40% ; 13 taux allant de 5 à 99% ; 53 lignes tarifaires se situant entre 40 et 99%. Près des 2/3 des tarifs se situent autour de 40%.
 
Les taux les plus élevés s’appliquent au riz, à la viande de volaille et à l’ail (99%) ; aux oignons (97%), aux haricots secs (89%).
 
En d’autres termes, si vous achetez, à l’étranger, un sac de riz, qui vous coûte US $20.00 (vingt) dollars américains, vous devez payer, à la douane dominicaine, US $19.80 (dix-neuf dollars quatre vingt) de droits de douane. Ce qui élève le coût immédiat à US $ 39,80.
 
Il faut comprendre que la réforme agraire, en République Dominicaine, a visé particulièrement la production rizicole qui est passé à 327 000TM (trois cent vingt sept mille), dès 1982.
 
En plus, la République Dominicaine interdit l’importation, sur son territoire, de certains produits pour protéger la santé des personnes et des animaux, préserver ses espèces végétales et l’environnement.
 
Par exemple, la loi interdit l’importation de vêtements usagés pour raison de santé publique. Les véhicules usagés et les appareils électroniques de plus de 5 (cinq) ans sont interdits d’entrée sur ce territoire.
 
Par ailleurs, certains produits sont assujettis à une autorisation d’importation.
 
Aujourd’hui, les débats et prises de position autour du commerce des œufs et de la volaille avec la République Dominicaine, suite aux mesures conservatoires adoptées par Haïti, dans la crainte d’une épidémie de grippe aviaire, devraient constituer une excellente opportunité - comme l’a suggéré un ingénieur-agronome - de poser l’ensemble des problèmes, liés tant à l’impasse de l’agriculture haïtienne qu’au commerce avec la république voisine.
 
Une excellente opportunité aussi d’aligner, enfin, nos tarifs douaniers sur ceux de la république voisine, pour commencer à rétablir un certain équilibre.
 
Le cas de la Jamaïque
 
La Jamaïque a, elle aussi, adopté une politique de libéralisation en dents de scie. Elle protège fortement les secteurs qu’elle considère vitaux.
 
Son tarif douanier comporte 9 taux allant de 0 à 100%.
 
En 1998, elle a jugé bon d’en relever certains sur les légumes, les faisant passer de 40 à 100%. En 2004, ce pays a procédé à d’autres relèvements tarifaires. L’Omc a donc constaté que les tarifs douaniers pratiqués étaient très éloignés des prescrits de cette organisation !
 
Le taux moyen en vigueur est de 53.2%, mais il est de 97.4% pour les produits agricoles. Une forte protection est accordée aux produits de pêche, aux produits laitiers et à la viande.
 
Les plastiques et céramiques sont assujettis à un taux de 40%. Mais, les droits sur les légumes, comme la tomate, la laitue et la carotte, atteignent 260%, compte tenu d’une taxe complémentaire à l’importation. Qui dit mieux !
 
Un autre exemple intéressant : le Costa-Rica
 
Ce pays affiche des droits consolidés, dans une fourchette allant de zéro à 233%. Il applique une libéralisation à la carte, si l’on peut dire.
 
La moyenne des taux, pour les produits agricoles, est de 44.9%. Et malgré des accords de libre échange avec des pays de l’Amérique Centrale, le Costa-Rica conserve des tarifs douaniers très élevés sur son café, son sucre et son alcool, qui ne font pas partie des produits qui peuvent être librement échangés.
 
Par ailleurs, ce pays protège, très fortement, le secteur agricole et agro-pastoral, en particulier le secteur avicole, les produits laitiers, les oignons, la pomme de terre, les haricots, le blé, les huiles végétales et le secteur forestier.
 
Conclusion
 
Ceci dit, nous ne prétendons nullement que le seul tarif douanier puisse résoudre tous nos problèmes.
 
Mais, il faut reconnaître son poids important comme levier de politique économique et commerciale.
 
D’autres mesures, telles la réforme agraire, les choix judicieux d’investissements productifs, l’accès des producteurs ruraux au crédit et aux infrastructures d’accompagnement... pour ne citer que ceux-là, se révèlent indispensables à un relèvement économique de notre pays.
 
Il s’agit de prendre notre courage à deux mains !
 
…………..
 
- Myrtha Gilbert est enseignante, chercheuse
 
Bibliographie :
 
Amérique Latine : pauvreté, inégalités, chômage et orientations politiques. Juan Carlos Bossio Retondo (2010) ;
 
Haïti : Stratégie à moyen terme 2002-2006 ; Gouvernement de la République d’Haïti. Ministère de l’Economie et des Finances. (2002) ;
 
Journal Le Nouvelliste : Faux clairin 17 avril 2012 ;
 
Politiques commerciales. Analyse par mesure : The Organization of American State’s Foreign Trade Information System.- SICE.OAS.ORG.-
 
Politiques Commerciales.- Analyse par mesure : org. french.tratrop
 
 
Source: AlterPresse
https://www.alainet.org/fr/articulo/77811?language=en

Clasificado en

S'abonner à America Latina en Movimiento - RSS