Produisons de la richesse et répartissons équitablement ses fruits
16/06/2013
- Opinión
Nous avons osé être libres, osons l’être par nous-mêmes et pour nous-mêmes.
Jean-Jacques Dessalines
…Pour éviter la catastrophe, nous n’avons pas d’alternative. Nous devons nous mettre immédiatement au travail et reconstruire un nouveau type d’économie dont la forme et la fonction soient déterminées d’abord par la nature intrinsèque du sol et la topographie générale de la République…
Anthony Lespès (1944)
N’allons pas chercher au ciel ce qui existe sur terre et sachons tirer profit d’abord et avant tout de nos propres ressources.
Savez-vous que depuis 1986, la BANQUE MONDIALE et LE FMI, ont exigé au pays, une ouverture criminelle de son commerce extérieur qui a emporté des branches entières de son industrie locale et secoué la production agricole dans ses fondements. D’ailleurs dès 1988, la BM dans un document d’évaluation se réjouissait de cette situation en disant qu’il fallait s’attendre au démantèlement de l’industrie haïtienne après l’ouverture adoptée. En contrepartie, les haïtiens allaient pouvoir manger à très bon marché. Hélas !!!
L’une des principales conditions du retour du Président Jean-Bertrand Aristide en 1994, fut le démantèlement complet de ce qui restait de droits de douane d’une certaine importance en plus d’un vaste programme de privatisation. Ainsi fut consacrée l’ouverture totale et complète du commerce extérieur d’un pays aux ressources limitées. Soi-disant pour que le peuple puisse manger à bas prix. En réalité, pour offrir aux grandes puissances des parts substantielles du marché haïtien, au mépris du droit élémentaire des peuples à la vie, à l’alimentation et à l’autodétermination.
C’est dans ce contexte de jeu de dupes, que les grandes puissances ont affaibli chaque fois plus l’Etat Haïtien totalement dépouillé des quelques moyens financiers dont il disposait autrefois. L’ouverture inconsidérée des marchés et l’invasion de produits tels le riz, le maïs, les ailes de poulets, les oreilles de cochons, le lait, l’huile, les œufs, le sucre… ont renvoyé des milliers de paysans mains vides et ventre creux. On a estimé à plus de 800, 000 agriculteurs sur dix ans, les victimes des politiques d’ouverture criminelle pratiquée par les gouvernements haïtiens.
Et pourquoi les Seigneurs de la Pauvreté font-ils semblant de s’apitoyer sur l’augmentation de la misère ? Pince sans rire, le Président de la Banque Mondiale a honoré de sa présence le Forum sur la Pauvreté Extrême, organisé du 6 au 9 novembre 2012. Une manière de nous dire que la pauvreté est encore acceptable, et qu’il faut se concentrer sur la diminution de l’extrême pauvreté. Il est vrai que le ridicule ne tue pas !
En fait, les grandes puissances et leurs bras financiers essaient de nous faire avaler la pilule amère, en se présentant comme Nos Amis. Et après nous avoir dépouillés de la Minoterie, de la Cimenterie, après avoir vidé la Téléco de sa substance au profit de certains copains coquins, aujourd’hui milliardaires, les amis d’Haïti acceptent de nous faire des dons- ô générosité- pour combattre l’extrême pauvreté. Extrême pauvreté construite et entretenue dans une bonne mesure par ces Seigneurs, nos bons amis.
Entretemps, la facture du riz s’élève à US$ 200 millions, celle du lait à US$ 50 millions, celle des œufs à US$ 20 millions, celle des morceaux de poulets à US$ 12. 5 millions, pour ne citer que ceux-là.
Pour votre gouverne voilà quelques tarifs douaniers en cours :
· Riz ------------------------------------------------------ 3%
· Farine de blé ----------------------------------------- 0%
· Sucre ------------------------------------------------- 0%
· Maïs --------------------------------------------------- 15% (semences)
· Maïs --------------------------------------------------- 5%
· Banane------------------------------------------------ 0%
· Sorgho ------------------------------------------------ 0%
· Pois ------------------------------------------------- 5%
· Viande de porc ---------------------------------------- 5%
· Viande de poulet -------------------------------------- 5%
· Œufs ------------------------------------------------------ 0%
· Lait ---------------------------------------------------------0%
· Huile ----------------------------------------------------- 0%
La majorité de ces tarifs se situaient à 50%, jusqu’au démantèlement exigé par le FMI et la Banque Mondiale, sous dictée du PLAN AMERICAIN POUR HAITI après 1986.
Saviez vous que :
· En 1940 nous exportions plus de 3 millions de régimes de bananes, cultivés par les petits agriculteurs et plus de 7 millions de régimes en 1947.
· Jusqu’en 1970, Haïti importait à peine 10% de produits alimentaires.
· Selon la FAO, la production de fruits est estimée à 796 650TM (2005). La transformation de ces fruits jusqu’ici demeure insignifiante. On risquerait de manquer de bras pour leur transformation en jus, confiture, marmelade, compote etc.
· La production de mangues est estimée à 250 000-400 000 TM (USAID). Vous vous imaginez les dizaines de PME qui pourraient se charger de la mise en boîte du jus de mangues aux mille saveurs, en plus des mangues séchées mises en sachets ?
· La Commune de Gros-Morne exporte près du tiers des mangues francisques, mais les producteurs tirent peu de profits de ce commerce.
· Le marché national de clairin est estimé à 3milliards de gourdes (Paul duret 2010) et pourrait se multiplier par trois avec des investissements adéquats. Aujourd’hui, cet important secteur qui fait travailler au moins 130 000 personnes est mis en péril par l’importation d’éthanol vendu en contrebande par de gros importateurs. Avec des investissements adéquats, et une protection judicieuse, le secteur peut facilement augmenter à 300 000 le nombre de travailleurs. Une maîtrise de la production d’énergie à partir de la bagasse appuierait certainement le développement de ce formidable potentiel.
· Selon l’agronome Paul Duret, la variété igname Martinique est très demandée à Porto-Rico. Avec des investissements de US$ 6 160= on peut obtenir douze (12 TM) à l’ha, et des bénéfices de US$ 4 000. Multiplions les producteurs bien rémunérés.
· Le pays possède environ 700 000 vaches pouvant produire plus de 100 000TM de lait, alors que grâce au tarif zéro, nous importons du lait pour 50 millions de dollars américains. Nous devrions implanter au moins 30 (trente) laiteries par département. Et au fur et à mesure, on installerait des beurreries et des fromageries artisanales. Ce sont des milliers d’emplois qui seraient créés dans tout le pays. A condition que l’on remette en vigueur un tarif d’au moins 40%. En plus, la création de tanneries comme autrefois, aiderait au développement des métiers liés au travail des peaux : la maroquinerie, la cordonnerie, la tapisserie, etc., encore d’autres milliers d’emplois.
· L’Agriculture du pays, selon le récent recensement du MARNDR fait travailler 4,386,439 personnes. La majorité vit dans la pauvreté au milieu d’un potentiel extraordinaire de création de richesses. Ce sont des producteurs pas des parasites urbains. Investissons dans les jardins ruraux et dans le monde rural.
· Certains Départements du pays pourraient donner à manger au pays tout entier.
Alors, sommes-nous pauvres ? Si nous le sommes, les raisons d’une si lamentable situation crèvent les yeux. Ne cherchons pas des solutions qui viendraient du ciel, ou d’ailleurs ; elles sont là, sur cette terre d’Haïti.
- Myrtha Gilbert, Professeur et chercheur
Sources :
Colloque National sur la problématique des micros, petites et moyennes entreprises du secteur agro-industriel en Haïti. 11-12 mai 2007.
Marc Dufumier, Les conditions économiques et sociales de la production agricole en Haïti. Revue Conjonction 1991.
Politique de Développement agricole 2010-2025. Joanas Gué, MARNDR
Potentiel de la frontière haïtienne, Nuestra frontera. Org. Paul Duret 2010
Recensement Général Agriculture Nationale. Statistiques agricoles, MARNDR, 30 octobre 2012.
Myrtha Gilbert, SHADA : Chronique d’une extravagante escroquerie, 2012.
*Texte envoyé aux organisateurs du Colloque National sur la Lutte Contre la Pauvreté Extrême en Haïti. 6- 9 novembre 2012, légèrement remanié.
https://www.alainet.org/fr/articulo/76833
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