La faim dans le monde explose

Assiettes vides

Via Campesina affirme : "la souveraineté alimentaire - et l'agroécologie - reste la seule solution cohérente qui profite à la fois aux familles rurales et aux consommateurs et consommatrices de nos pays".

26/07/2021
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Opinión
dia_internacional_de_la_lucha_campesina.jpg
Día Internacional de la Lucha Campesina
-A +A

Plus de 800 millions de personnes dans le monde ne savent pas ce qu'elles vont manger aujourd'hui ou demain. Peut-être rien. De plus, l'année dernière, 3 milliards d’adultes et d’enfants qui n'ont pas eu accès à une alimentation saine.

 

La situation actuelle est critique. Elle est très différente de celle d'il y a six ans, lorsque la communauté internationale s'était engagée à éliminer la faim, l'insécurité alimentaire et toutes les formes de malnutrition d'ici 2030.

 

Cet échec est reconnu par les principales agences des Nations unies spécialisées dans ce domaine, comme en témoigne le rapport annuel sur la sécurité alimentaire mondiale et la nutrition, publié à la mi-juillet (http://www.fao.org/3/cb5409es/cb5409es.pdf).

 

La FAO (alimentation), le FIDA (fonds de développement agricole), l'OMS (santé), l'UNICEF (enfants) et le PAM (aide alimentaire d'urgence), corédacteurs du rapport, rappellent qu'en 2015, "nous avons compris que les défis étaient considérables, mais nous étions optimistes quant au fait que, si les bonnes approches transformatrices étaient adoptées, les progrès antérieurs pourraient être accélérés pour atteindre cet objectif". À moins d'une décennie de l'échéance de 2030, le monde n'est pas sur la bonne voie pour mettre fin à la malnutrition et à la faim. Il va même dans la direction opposée, lit-on dans leur rapport conjoint.

 

Cette étude montre que l'affaiblissement de l'économie mondiale, à la suite des mesures prises pour lutter contre la COVID-19, a entraîné l'une des plus fortes augmentations de la faim depuis des décennies. Celle-ci a touché presque tous les pays à revenu faible ou intermédiaire.

 

La pandémie n'est que la partie émergée de l'iceberg. Plus inquiétant, elle a mis en évidence les faiblesses des systèmes alimentaires de ces dernières années, résultant de conflits, de conditions climatiques extrêmes et de ralentissements et crises économiques. Ces facteurs se produisent de plus en plus fréquemment dans de nombreux pays.

 

Des chiffres infâmes

 

En 2020, selon les organisations des Nations unies, entre 720 et 811 millions de personnes souffriront de la faim dans le monde. La moyenne de ces chiffres - soit 768 millions - représente 118 millions de plus qu'en 2019.

 

La pandémie a exacerbé une tendance qui était déjà négative au cours des cinq dernières années. Dans la seule population enfantine, on estime qu'en raison de la COVID-19, 22 % (149,2 millions) des enfants de moins de cinq ans souffrent d'un retard de croissance, 6,7 % (45,4 millions) d'émaciation et 5,7 % (38,9 millions) de surpoids. En outre, avec la pandémie, le fossé entre les sexes s'est encore creusé. Au niveau mondial, on estime que 29,9 % des femmes âgées de 15 à 49 ans sont anémiées. Au total, toutes catégories d'âge confondues, 46 millions de personnes supplémentaires ont été identifiées comme souffrant de la faim en Afrique par rapport à 2019, 57 millions de plus en Asie et quelque 14 millions de plus en Amérique latine et aux Caraïbes.

 

La pandémie continue de révéler les faiblesses de nos systèmes alimentaires qui menacent la vie et les moyens de subsistance des populations du monde entier, en particulier les plus vulnérables et celles qui vivent dans des contextes fragiles, indique le rapport, qui estime que 660 millions de personnes pourraient souffrir de la faim d'ici 2030.

 

Des propositions réalisables

 

Les Nations unies appellent à la transformation des systèmes alimentaires, condition essentielle pour assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et rendre l'alimentation saine accessible à tous. Il est nécessaire de mettre en œuvre des politiques et des investissements pour y parvenir.

 

Dans cette perspective, l'organisation propose six recommandations adressées aux décideurs politiques, à mettre en œuvre en fonction de chaque réalité nationale. La première est directement liée aux situations de conflit et de guerre. Elle demande d'intégrer les stratégies humanitaires de développement et de consolidation de la paix aux mesures de protection sociale, afin d'éviter que les familles ne vendent leurs maigres biens pour se nourrir.

 

La crise climatique n'est pas moins préoccupante, selon le rapport de l'ONU. Il recommande de renforcer la résilience des systèmes alimentaires au changement climatique, en offrant aux petites exploitations agricoles un large accès à l'assurance contre les risques climatiques et à des financements fondés sur des données scientifiques.

 

En référence à la crise sociale croissante dans de nombreuses régions, l'ONU appelle à renforcer la capacité d'adaptation de la population la plus vulnérable, par le biais de programmes d'aide en nature ou en espèces, afin de réduire les effets de la pandémie ou de la volatilité des prix alimentaires.

 

Elle propose d'intervenir dans les chaînes d'approvisionnement, afin de réduire le coût des aliments. Cela peut se faire en encourageant la plantation de cultures biologiques ou en facilitant l'accès au marché pour les producteurs et productrices de fruits et légumes. Elle suggère également de s'attaquer à la pauvreté et aux inégalités structurelles, en stimulant les chaînes de valeur alimentaires dans les communautés appauvries, par le biais de transferts de technologie et de programmes de certification. Enfin, elle propose de promouvoir des changements dans le comportement des consommateurs et consommatrices, par exemple en éliminant les graisses industrielles et en réduisant la teneur en sel et en sucre des aliments, ou encore en protégeant les enfants des effets négatifs de la commercialisation de certaines denrées.

 

Sommet "de la faim"

 

Pour relever les défis en cours, les Nations unies fondent de grands espoirs sur le sommet sur les systèmes alimentaires qu'elles prévoient d'organiser plus tard dans l'année (https://www.un.org/es/food-systems-summit). L'organisation aspire d'impliquer des millions de personnes de milieu rural, dans ce qu'elle qualifie de "processus ambitieux de participation publique".

 

Face à cette proposition nébuleuse - peu de progrès ont été réalisés jusqu'à présent sur la manière de définir cette méthodologie participative - les principaux mouvements sociaux continuent leurs critiques à l'égard du cadre politique de la convocation du sommet.

 

En avril dernier, à l'occasion de la Journée internationale des luttes paysannes, Via Campesina a dénoncé les tentatives des grandes entreprises - par le biais du Forum économique mondial – « d'organiser et de détourner » le sommet. La principale organisation rurale internationale affirme que "les multiples crises auxquelles le monde est confronté ne sont pas nouvelles". Elle fait valoir que les crises alimentaire, climatique, environnementale, économique, démocratique et sanitaire - qui atteignent leur paroxysme avec la pandémie - montrent clairement à l'ensemble de l'humanité qu'une transformation du modèle agricole et alimentaire actuel est indispensable. Chaque crise - qu'elle soit sanitaire ou alimentaire - nous a montré l'importance et la résilience des systèmes alimentaires locaux que le néolibéralisme continue à éroder et à exploiter.

 

Il ne s'agit pas d'une question de bonne volonté, affirme Via Campesina, mais d'un changement radical de modèle de production dans les campagnes, à l'échelle planétaire. Elle ajoute que "la souveraineté alimentaire - et l'agroécologie - reste la seule solution cohérente qui profite à la fois aux familles rurales et aux consommateurs et consommatrices de nos pays".

 

- Sergio Ferrari est Journaliste

 

traduction Rosemarie Fournier

 

_____________________________________

 

Multinationales in, ONG out

 

Sergio Ferrari et Benito Perez

 

Dès 2019, les Nations unies ont affirmé vouloir impliquer dans le futur Sommet des millions de personnes de milieu rural, dans ce qu’elle qualifie de «processus ambitieux de participation publique». Mais à quelques mois du Sommet cette proposition nébuleuse demeure sans traduction concrète et les principaux mouvements sociaux et citoyens de la planète se montrent de plus en plus critiques. Car les multinationales, elles, ont d’ores et déjà pignon sur rue.

 

Par le biais du Forum économique mondial, elles sont en effet devenues parties prenantes des préparatifs du Sommet qui doit se tenir cet automne. Ce qui a fait dire à Via Campesina en avril dernier que les acteurs privés du commerce mondial ont obtenu de «détourner» un processus d’élaboration reposant jusque-là essentiellement sur les organisation internationales et les gouvernements.

 

Agroécologie

 

Pour la principale organisation rurale internationale, «les multiples crises auxquelles le monde est confronté ne sont pas nouvelles». «Les crises alimentaire, climatique, environnementale, économique, démocratique et sanitaire – qui atteignent leur paroxysme avec la pandémie – montrent clairement à l’ensemble de l’humanité qu’une transformation du modèle agricole et alimentaire actuel est indispensable. Chaque crise – qu’elle soit sanitaire ou alimentaire – nous a montré l’importance et la résilience des systèmes alimentaires locaux que le néolibéralisme continue à éroder et à exploiter». «Il ne s’agit pas d’une question de bonne volonté, affirme Via Campesina, mais d’un changement radical de modèle de production dans les campagnes, à l’échelle planétaire.»

 

Plusieurs organisations helvétiques abondent dans ce sens. Souveraineté alimentaire, paysannerie et agroécologie ont démontré la plus grande efficacité dans la réponse aux crises alimentaires, sociales et écologiques, rappelaient ainsi en mai Action de Carême, Agriculture pour le Futur, EPER, Greenpeace, Pain pour le prochain, Public Eye, Swissaid et Uniterre. Dans un communiqué, elles disaient l’importance de «s’engager en faveur d’une agriculture visant le respect du droit à l’alimentation, libérée de la dépendance aux engrais chimiques et aux pesticides qui rendent les sols stériles à moyen terme et mettent en danger l’environnement et la santé», soulignant que «des études scientifiques et d’innombrables paysan·ne·s, au Sud comme en Suisse, ont prouvé que des formes d’agriculture agroécologiques sont efficaces. Ces alternatives restent néanmoins dans l’ombre en raison de mauvaises conditions-cadre politiques.»

 

Contre-sommet

 

Or, il est «frappant de constater, d’une part, le peu (voire l’absence) de place réservée aux solutions agroécologiques – pourtant reconnues comme absolument centrales par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) – et, d’autre part, l’absence criante des ONG, de la société civile, des populations autochtones, et aussi et surtout des 800 millions de petits producteurs qui, de fait, nourrissent le monde en produisant environ 80 % de toutes les denrées alimentaires», alerte Carla Hoinkes, de l’ONG suisse Public Eye. «De véritables solutions ne pourront être trouvées qu’avec leur collaboration, en alliant les connaissances scientifiques aux savoirs locaux traditionnels. Si leur voix est ignorée, le sommet risque de se concentrer sur des solutions uniformes, imposées depuis le haut et axées uniquement sur les intrants et technologies commercialisables.»

 

Pour les ONG suisses, «le sommet à venir illustre bien la tendance générale: les multinationales ont une influence grandissante dans les processus décisionnels de l’ONU, au détriment des droits humains et de la justice sociale et donc également de la communauté internationale et de la société civile. «L’ONU perd en légitimité. Il est préoccupant de constater que ses agences confient la résolution des problèmes actuels des systèmes alimentaires aux entreprises qui ont contribué à les causer», affirme Simon Degelo, responsable semences et biodiversité chez Swissaid.

 

Décidées à prendre cette parole qu’on leur refuse, quelque 300 organisations de la société civile ont ouvert ce dimanche un contre-Sommet à Rome et sur le web. On peut y assister et rejoindre le mouvement jusqu’au 28 juillet sur les sites foodsystems4people.org/et csm4cfs.org.

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/213220?language=en
S'abonner à America Latina en Movimiento - RSS