Le chômage et la pauvreté augmentent. La récupération est très lente.

La pandémie fera reculer l’Amérique latine d’une décennie

14/10/2020
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La pandemia causa perdidas devastadoras en México
Foto: Naciones Unidas
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La pire crise économique en un siècle

 

L’Amérique latine et la Caraïbe constituent déjà la région du monde la plus affectée pour ce qui est de l’économie et de l’emploi. Conséquence de la pandémie de Covid-19, 44 millions de postes de travail seront perdus. Fin 2020, la pauvreté retrouvera le niveau de 2005 et le produit intérieur brut (PIB) régional chutera de 9,4%.

 

Lorsqu’on analyse les données provenant de neuf pays du continent, concentrant 80 % de la population active et pour lesquels on dispose d’une information actualisée – Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Mexique, Pérou, Paraguay et Uruguay – le coup de massue infligé par la pandémie est clair. Ces chiffres sont issus de la seconde édition du rapport Le point sur le travail au temps du COVID-19 : conséquences sur le marché du travail et sur les revenus en Amérique latine et dans les Caraïbes, (https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---americas/---ro-lima/documents/publication/wcms_756694.pdf), publié début octobre par l’Organisation internationale du travail (OIT).

 

A-t-on déjà touché le fond de la crise économique et sanitaire ? Le rapport relève que « à partir du 3e trimestre 2020, les niveaux d’activité économique se sont un peu améliorés ». Ces chiffres reflètent une relance initiale de l’emploi et le retour en activité d’un certain nombre de travailleurs.

 

Ces indices préliminaires de relance sont une nouvelle positive, mais l’impact du Covid-19 sur l’emploi est énorme, et le chemin à parcourir est long. Vinicius Pinheiro, directeur régional de l’OIT pour l’Amérique latine, envisage l’avenir immédiat : « Nous affrontons un défi sans précédent, celui de reconstruire les marchés du travail régionaux, ce qui implique d’aborder les failles structurelles qui se sont accentuées avec la pandémie ». Parmi ces failles, la faible productivité, le niveau élevé du secteur informel ainsi que l’inégalité des ressources et des opportunités de travail décent.

 

Et de lancer le pari politique fondamental consistant à « renforcer les mécanismes de dialogue social pour la concertation de pactes ou d’accords nationaux, allant vers une relance accompagnée d’une transformation productive, d’une formalisation et d’une universalisation de la protection sociale, d’une transition juste vers des modèles de développement plus soutenables et inclusifs ».

 

L’emploi, quasi en ruines

 

Le rapport signale que, durant le 1er trimestre 2020, le taux de l’emploi se situait à 51.1 %, soit une diminution de 5,4 % par rapport à la même période de l’année antérieure et qu’il représente « une valeur historique minimale ».

 

Dans le monde, l’Amérique latine et la Caraïbe constituent la région comportant la plus grande contraction des heures de travail, avec une réduction estimée à environ 20,9 % pour les trois premiers trimestres de 2020. Elle affiche ainsi le double de la moyenne mondiale (11,7 %). Les revenus du travail se sont contractés de 19,3 %, également très au-dessus du taux mondial de 10,7 %. Vu que les revenus du travail représentent en moyenne 70-90 % du total des revenus familiaux, ces réductions ont impliqué de grandes pertes pour de nombreux foyers, avec des impacts significatifs sur les taux de pauvreté, affirme l’OIT.

 

Les travailleurs les plus touchés par la crise se trouvent dans les secteurs les plus pauvres de la population, avec des emplois informels ou dans une situation précaire. Les femmes et les jeunes (en-dessous de 24 ans) sont particulièrement vulnérables et les plus touchés durant les neuf premiers mois de l’année en cours.

 

Le PIB à terre

 

Le continent est le plus affecté au niveau mondial en matière de réduction d’heures travaillées et de revenus du travail. Le second trimestre constitue jusqu’ici le pire épisode, avec 33,5 % d’heures perdues. Pour le 3e trimestre, la chute est moins intense et représente 25,6 %.

 

En Amérique latine et dans la Caraïbe, la pandémie a provoqué une récession économique d’une ampleur et d’une extension sans précédents. Le Fonds monétaire international (FMI) projette une contraction du PIB régional de - 9,1 % pour 2020. Soit des chutes de - 11 % au Mexique ; - 9,1 % au Brésil ; - 9,9 % en Argentine ; - 7,5 % au Chili ; - 7,8 % en Colombie et - 13,9 % au Pérou. L’actualisation élaborée en septembre par l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) pour les pays du G20 péjore le tableau de l’Argentine, avec une chute prévue de - 11,2 % et suggère une perspective moins pessimiste pour le Brésil (- 6,5 %) et le Mexique (- 10,2 %). Elle prévoit pour le continent une croissance de 3,7 % en 2020, significativement plus basse que celle observée en 2010 (6,3 %), après la crise de 2008/2009, lorsque l’économie réussit à se relancer d’une manière plus solide.

 

Un recul de 10 ans

 

La dernière étude annuelle pour 2020 de la Commission économique pour l’Amérique latine et la Caraïbe, CEPAL (https://www.cepal.org/es/comunicados/la-recuperacion-la-transformacion-economias-sustentables-sociedades-inclusivas-se ), présentée le mardi 6 octobre à Santiago du Chili, est formelle : la région est en train de vivre « sa pire crise économique en un siècle ». Elle prévoit qu’à la fin de l’année le niveau du PIB par tête sera égal à celui de 2010, c’est-à-dire « qu’il y aura un recul de dix ans, qui se traduira par une forte augmentation de l’inégalité et de la pauvreté ».

 

Elle présage la fermeture de 2,7 millions d’entreprises en 2020, alors que le chômage touchera 44 millions de personnes, soit un bond de 18 millions par rapport au niveau de 2019, la plus grande augmentation depuis la crise financière globale.

 

Se basant sur ces paramètres économiques, la CEPAL prévoit que la pauvreté pourrait atteindre les mêmes niveaux que ceux observés en 2005, soit un recul de 15 ans. Elle toucherait 231 millions de personnes, alors que la pauvreté extrême égalerait les niveaux de 1990, soit un recul de 30 ans, concernant 96 millions de personnes.

 

La chute est-elle freinée ?

 

Bien que l’évolution de l’activité économique et de l’emploi, ainsi que l’impact de la pandémie, ces prochains mois, soient difficilement prévisibles, on perçoit, en milieu d’année, le début d’un processus de relance, avec des variantes nationales.

 

« Il semble qu’on peut observer un point d’inflexion dans cette dynamique de contraction et le début d’un processus de relance durant les mois de mai ou de juin, selon les pays », indique le rapport de l’OIT. Il explique néanmoins que les données de juin-juillet sont inférieures aux niveaux du début 2020, relativisant ainsi le processus de relance.

 

Pour la CEPAL, la récupération de la crise économique sera « très longue et lente » et pourrait durer 2 à 3 trois ans. Elle propose donc quelques pistes « macro » aux niveaux fiscal et monétaire. « Nous devons nous préparer à une relance qui ne va pas se faire en 2021, ni probablement en 2022 ou 2023 », a souligné Alicia Bárcena, directrice de la CEPAL, en présentant son étude à Santiago du Chili. Cela implique « des politiques macroéconomiques et actives pour relancer la croissance et promouvoir un agenda de transformation structurelle ».

 

L’étude signale que, pour maintenir une politique fiscale active dans un contexte de plus grand endettement, il faut que les pays latino-américains et caraïbes augmentent la ponction fiscale.

 

Parallèlement, il est fondamental de « combattre l’évasion et la soustraction fiscales, qui atteignent 6,1 % du PIB régional, de consolider l’impôt sur la fortune des personnes physiques et des entreprises, d’étendre le niveau des impôts sur le patrimoine et la propriété, d’instaurer des impôts sur l’économie digitale et des correctifs comme ceux sur l’environnement et en rapport avec la santé publique ».

 

Quant au thème toujours actuel de la dette, le rapport relève que « l’allégement et la restructuration de la dette pour des pays vulnérables, devant assumer la haute charge du paiement des intérêts, est nécessaire pour étendre leur espace politique ».

 

« Dans le monde, il y a de l’argent, mais il est mal distribué », souligne la directrice de la CEPAL. « Dans ce cadre, on doit capitaliser les institutions de crédit multilatérales pour élargir leur capacité de financement et de liquidité, tant dans la conjoncture qu’avec une vision plus large ».

 

L’Amérique latine d’aujourd’hui affronte – comme d’autres régions du monde – sa pire situation en un siècle. On parle peu, pour le moment, de la nécessité d’une véritable intégration continentale pour trouver des issues communes à la crise. Cela supposerait une position unique, par exemple, sur des thèmes essentiels comme la dette du continent, l’évasion des capitaux, les politiques d’imposition des grandes fortunes et des secteurs exportateurs, etc. Et l’on entend peu, jusqu’ici, la voix des mouvements sociaux et de la société civile continentale, des acteurs clés pour toute proposition viable relativement à l’après-pandémie.

 

Traduction de l’espagnol : Hans-Peter Renk

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/209316
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