Le «partenariat Iran-Chine»

13/08/2020
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Análisis
xi_jinping_hassan_rohani.jpg
Xi Jinping et Hassan Rohani
-A +A

L’accord en voie de négociation connu sous le nom de «partenariat stratégique global Iran-Chine pour 25 ans» [début juillet 2020] a fait la une des médias persanophones à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran au cours des dernières semaines. Il doit encore être finalisé et signé, mais cela n’a pas empêché le département d’État américain – et ses alliés iraniens parmi les partisans royalistes réactionnaires de la politique de changement de régime de Trump en Iran – de faire des déclarations exagérées, et souvent totalement fausses.

 

Les partisans iraniens de Trump ont d’abord prétendu qu’il s’agissait d’un «accaparement de terres» par la Chine. Selon cette version de fausses nouvelles (fake news), les dirigeants de la République islamique d’Iran ont «cédé» à la Chine l’île de Kish, dans le golfe Persique. Bien que certaines parties du document aient fait l’objet de fuites, personne ne connaît tous les détails, mais quiconque ayant une quelconque connaissance de l’exploitation du tiers-monde au XXIe siècle sait que, de nos jours, les superpuissances ne cherchent pas à s’emparer des terres. L’exploitation des pays sous-développés consiste à se garantir des prix bas pour les ressources naturelles, y compris le pétrole, l’accès aux ports ayant une importance logistique, l’investissement industriel et l’exploitation des ressources humaines, la sauvegarde de marchés fiables, etc.

 

***

 

La Chine est le plus grand importateur de pétrole au monde: en 2019, elle a importé plus de 10 millions de barils par jour, achetés à plusieurs pays. Près de 40% proviennent du Moyen-Orient et il est clair que la sauvegarde de l’accès de la Chine au pétrole iranien à bas prix est un élément important de l’accord.

 

En fait, l’accord Iran-Chine s’inscrit dans le cadre de l’ambitieuse «initiative de la ceinture et de la route» (IRB-les nouvelles Routes de la soie) de la Chine. La propagande chinoise décrit l’IRB comme «une tentative d’améliorer la connectivité régionale et d’embrasser un avenir meilleur» à l’échelle mondiale. Les critiques l’appellent un plan de «diplomatie de la dette» chinoise, puisque la Chine fournit des milliards de dollars de financement d’infrastructures à l’Asie, à l’Europe et à l’Afrique, donnant ainsi lieu à la possibilité d’un «surendettement» dans certains pays emprunteurs. Elle prend de la sorte des garanties en termes d’accès aux ressources naturelles comme collatéral pour les prêts. Les détails de l’élaboration de cet aspect de l’accord avec l’Iran restent secrets et n’ont probablement pas été finalisés.

 

Ce que l’on sait repose sur un certain nombre de fuites assez fiables. Selon le Financial Times:

«La Chine investirait dans les aéroports et les ports, les télécommunications et les transports, les gisements de pétrole et de gaz, les infrastructures et les banques, acquérant des actifs pour répondre aux besoins d’investissement non satisfaits de l’Iran. En échange, il faudrait des livraisons massives et à prix réduit de pétrole iranien pendant ces 25 ans pour répondre à un besoin d’importation qui, l’année dernière, a atteint 10 millions de barils par jour. C’est à peu près ce que produit l’Arabie saoudite, le grand rival de l’Iran.» [1]

 

Le paiement du pétrole exporté se fera en termes d’échange de biens, de technologies et de services, mais aussi dans la nouvelle monnaie électronique chinoise, l’e-RMB – la première monnaie numérique au monde exploitée par une grande économie. Cela permettra à l’Iran et à la Chine de contourner les sanctions imposées par les États-Unis à ceux qui concluent des accords financiers ou commerciaux avec l’Iran, en contournant les contrôles états-uniens imposés sur les ventes de pétrole en dollars.

 

Selon ceux qui ont étudié les versions divulguées de l’accord, plus de 5000 experts chinois superviseront plus de 100 projets communs de construction d’aéroports et de chemins de fer à grande vitesse, ainsi que l’infrastructure d’un réseau de télécommunications 5G.

 

Il est fait référence aux projets de la Chine de développer des zones de libre-échange à Maku, dans la province iranienne d’Azerbaïdjan, qui est proche des frontières russes et turques, à Abadan, près du golfe Persique, et sur l’île de Qeshm dans le golfe Persique. Sur le plan stratégique, la Chine assurera l’accès à un certain nombre de ports iraniens, dont celui de Jask, dans le golfe d’Oman, très proche du très stratégique détroit d’Ormuz, par lequel transitent de gros volumes de pétrole. En 2018, sa moyenne quotidienne était de 21 millions de barils, soit l’équivalent d’environ 21% de la consommation mondiale.

 

Selon le New York Times:

«Le projet d’accord avec l’Iran montre que, contrairement à la plupart des pays, la Chine estime être en mesure de défier les États-Unis, suffisamment puissante pour résister aux sanctions états-uniennes, comme elle l’a fait dans la guerre commerciale menée par le président Trump.» [2]

 

Le déclin des Etats-Unis

 

L’une des conséquences prévisibles de la pandémie de Covid-19 et de la crise économique mondiale qui s’ensuit a été le regain d’intérêt pour le thème du déclin des États-Unis. Bien sûr, il n’y a rien de nouveau à ce sujet et, comme l’écrit Noah Smith, professeur adjoint de finance à l’Université de Stony Brook:

 

«Le déclin des États-Unis a commencé avec des petites choses auxquelles les gens se sont habitués. Les Etatsuniens passaient devant des chantiers de construction vides et ne se demandaient même pas pourquoi les ouvriers ne travaillaient pas, puis se demandaient pourquoi les routes et les bâtiments mettaient si longtemps à être terminés. Ils se sont habitués à éviter les hôpitaux en raison des factures imprévisibles et énormes qu’ils recevaient.» [3]

 

Cependant, même ceux qui avaient écrit de cette manière n’auraient jamais pu imaginer l’ampleur de la réaction désastreuse de la puissance états-unienne face à la pandémie. L’incapacité totale de l’État et de ses agences à contrôler le taux d’infection signifie que les États-Unis étaient dans une position bien pire que la plupart des pays du monde, même avant la pression de Trump pour rouvrir l’économie sans mesures de protection adéquates.

 

En plus de tout cela, la brutalité policière et le meurtre de George Floyd ont dramatiquement mis à nu les divisions de classe et de race. Selon George Will, écrivant dans le Washington Post:

«Sous la direction de la personne la plus écervelée qui ait jamais occupé la plus haute fonction d’une grande nation, celle-ci est dans une spirale descendante. Cette spirale n’a pas atteint son nadir, mais au moins elle a atteint un point où le pire est utile, car on peut s’attendre à ce que le pire soit attendu avec confiance. [Il y a eu] 4 184 011 cas confirmés d’infection aux États-Unis, avec 150 000 décès causés par la maladie.» [4]

 

Qui plus est, «le gouvernement national en difficulté est maintenant administré par un régime de gangsters».

 

Il n’est pas étonnant que dans de telles circonstances, nous ayons été témoins de l’échec total des États-Unis à mener une réponse mondiale à la pandémie. Contrairement aux crises précédentes, allant des suites de la Seconde Guerre mondiale à la crise économique de 2008-2009, les présidents des États-Unis se sont toujours présentés comme des sauveurs, ralliant des alliés à leur cause et prenant des mesures pour sauver le capitalisme mondial. Ils l’ont fait non seulement pour maintenir la position du pays en tant que puissance hégémonique, mais aussi en sachant que la prospérité des États-Unis repose sur de solides alliés européens et asiatiques.

 

Mais pas cette fois-ci. On se souviendra de la crise actuelle comme d’une époque où la seule préoccupation de l’administration états-unienne était sa propre économie. Elle a eu recours à la piraterie pour voler des équipements de protection destinés à d’autres pays. Elle a tenté de soudoyer les entreprises pharmaceutiques pour obtenir le seul droit d’accès aux vaccins.

 

En revanche, le principal rival mondial des États-Unis, la Chine, semble, du moins pour le moment, avoir mieux géré la propagation de la maladie, grâce à une combinaison d’interventions de l’État et de mesures répressives. Bien sûr, il est très probable que la pandémie – l’un des nombreux facteurs de l’accélération actuelle du déclin américain – a effectivement débuté en Chine, et selon toute vraisemblance, la deuxième puissance économique mondiale a supprimé les informations à son sujet et a été lente à admettre l’existence et les dangers de la maladie. Pourtant, en tant que dictature d’un État-parti, elle a réussi à contenir la propagation de la maladie. En janvier, les autorités chinoises ont pris des mesures sans précédent pour stopper les mouvements à l’entrée et à la sortie de Wuhan, le centre de l’épidémie, et de 15 autres villes de la province du Hubei. En février 2020, grâce à des mesures de confinement extrêmes, quelque 760 millions de personnes étaient confinées chez elles. Selon le New York Times:

 

«La Chine a inondé les villes et les villages de bataillons de quartier, de volontaires en uniforme et de représentants du Parti communiste pour mener l’une des plus grandes campagnes de contrôle social de l’histoire.

 

L’objectif: tenir des centaines de millions de personnes à l’écart de tout le monde, sauf de leurs proches. La nation lutte contre l’épidémie de coronavirus avec une mobilisation de base qui rappelle les croisades de masse de style Mao que l’on n’a pas vues en Chine depuis des décennies, confiant essentiellement la prévention des épidémies de première ligne à une version exacerbée de surveillance de quartier.» [5]

 

Il est sans doute encore beaucoup trop tôt pour prédire comment la pandémie affectera les vies dans les prochains mois. Une deuxième vague de la maladie semble en cours en Chine et le triomphalisme des autorités du pays pourrait être prématuré. Cependant, il ne fait aucun doute que la pandémie a renforcé la confiance des dirigeants chinois et accentué la rivalité entre les deux principales puissances économiques mondiales.

 

La rivalité entre les États-Unis et la Chine

 

Dans un livre récent, Capital Wars (Palgrave Macmillan), Michael Howell discute de la nature de la relation «déséquilibrée» entre les États-Unis et la Chine, les deux principales puissances mondiales. Bien entendu, les États-Unis représentent 22 à 23% de l’économie mondiale et le dollar reste la monnaie mondiale dominante. Et, si la Chine a bénéficié d’une productivité et d’une croissance élevées, ses marchés financiers restent sous-développés. Son excédent commercial a entraîné une énorme accumulation de réserves de change, dont la plupart ont été investies dans d’autres pays, explique Howard, y compris les États-Unis. Il s’agit d’une «situation bizarre» qui laisse «les deux grandes économies en concurrence agressive l’une avec l’autre, tout en restant interdépendantes» [6].

 

Pendant de nombreuses années, le régime de Xi Jinping a clairement indiqué que la Chine avait l’intention d’atteindre l’autosuffisance dans les technologies stratégiques, telles que les technologies de pointe de l’information, la robotique et l’aérospatiale, les véhicules verts et la biotechnologie. Pendant toute cette période, malgré tous les efforts déployés par la Chine pour copier les puces électroniques américaines, contourner les lois sur les droits d’auteur et les brevets et utiliser des versions douteuses de logiciels scientifiques, le pays est resté à la traîne par rapport aux États-Unis.

 

Mais certains signes indiquent que la situation va changer en 2020. Pour commencer, le développement des puces Intel a plus ou moins atteint ses limites. Jusqu’en 2018, la taille des transistors microscopiques à l’intérieur des puces de silicium était réduite de moitié chaque année, et les coûts en étaient également réduits de moitié. Cette période s’est achevée vers 2018 et le délai est devenu plutôt de 18 mois. Ceci était le résultat de limites techniquement prévisibles concernant ces progrès.

 

Les limites de la puce Intel ont conduit à un développement plus rapide d’autres processeurs, notamment les unités de traitement graphique (GPU) de type Nvidia et, bien sûr, l’informatique quantique – les progrès de la Chine dans ces deux domaines sont indéniables. L’entreprise Zhaoxin, basée à Shanghai, vend des processeurs x86 destinés au marché chinois depuis plusieurs années, mais au printemps 2020, elle a dévoilé son nouveau processeur graphique autonome, qui pourrait jouer un rôle important dans les efforts de la Chine pour rattraper les États-Unis. Il en va de même pour les technologies quantiques, où la Chine est actuellement en avance sur certains aspects de cette technologie, bien qu’elle soit toujours à la traîne des États-Unis en ce qui concerne l’informatique quantique elle-même. Néanmoins, étant donné le niveau d’investissement du gouvernement chinois dans ce secteur, nous pouvons nous attendre à ce qu’il rattrape les États-Unis dans les 10 à 15 prochaines années.

 

Rien de tout cela ne peut nuire à la supériorité des États-Unis en matière de puissance aérienne et d’armement nucléaire. Ceux-ci leur permettront de rester la puissance hégémonique mondiale pendant encore une ou deux décennies au moins et, bien qu’il soit difficile de prédire l’issue de la rivalité actuelle entre la Chine et les États-Unis ou combien de temps il faudra attendre avant la fin de la phase concurrentielle actuelle, des accords tels que celui qui existe actuellement entre l’Iran et la Chine ne peuvent être évalués que dans le cadre de cette rivalité.

 

Je ne doute pas que la République islamique d’Iran aurait préféré continuer à conclure des accords économiques avec les gouvernements occidentaux et les institutions mondiales, comme elle l’a fait depuis la fin de la guerre Iran-Irak en 1989. Mais elle a été la cible de nouvelles sanctions globales imposées par l’administration américaine pendant la présidence du Trump, ainsi que de l’incapacité totale des pays européens à contourner ces sanctions et à maintenir un niveau d’interaction industrielle et financière avec l’Iran. Tout cela a joué un rôle central pour pousser une République islamique isolée et appauvrie à rechercher un accord avec la Chine.

 

Ce que l’accord Iran-Chine nous apprend, c’est que, ironiquement, les politiques isolationnistes de Trump, sous le slogan «Making America great again», ont pu jouer un rôle important dans la stimulation des ambitions économiques et politiques de la Chine.

 

Article publié sur le site Weekly Worker, en date du 6 août 2020; traduction rédaction A l’Encontre

 

- Yassamine Mather, responsable de la revue Critique, Journal of Socialist Theory. Elle est chercheuse à l’Université d’Oxford et spécialisée dans la recherche avancée en informatique auprès du St Antony’s College, Université d’Oxford.

 

 

  1. https://www.ft.com/content/defa9de2-d4cd-4f7e-b987-4a8b6038bd37 .

  2. https://www.nytimes.com/2020/07/11/world/asia/china-iran-trade-military-deal.html

  3. com/opinion/articles/2020-06-29/coronavirus-brings-american-decline-out-in-the-open.

  4. com/opinions/this-is-what-national-decline-looks-like/2020/07/14/ef499fd4-c5f0-11ea-b037-f9711f89ee46_story.html.

  5. com/2020/02/15/business/china-coronavirus-lockdown.html.

  6. Howell, Global Wars: the rise of global liquidity, London 2020.

 

13 août 2020

http://alencontre.org/ameriques/americnord/usa/le-partenariat-iran-chine.html

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/208440?language=en

Del mismo autor

Pandemia

S'abonner à America Latina en Movimiento - RSS