«Se libérer de la dictature de la finance est possible»

« Dans le système de la dette, les peuples sont les perdants »

12/07/2019
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Le système de la dette est une partie intégrante du système capitaliste mondial. Mais il ne s’agit pas seulement d’une opposition entre le Nord et le Sud de la planète.

 

Dans chaque pays existent des classes capitalistes locales intéressées à imposer le système de la dette. « C’est pourquoi l’opposition se trouve à l’intérieur du système, entre les classes dominantes et le peuple », affirme l’historien et politologue Éric Toussaint. Porte-parole du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM), une association fondée en Belgique au début des années 1990 et ayant actuellement des comités dans plus de 30 pays du monde. Il est intervenu lors du séminaire « Le système de la dette. Simplement de l’argent prêté ou un système d’oppression internationale ? », organisé le 18 juin 2019 au siège de l’agence de presse DIRE. A cette occasion, Toussaint a présenté son livre (en italien), Il Sistema : Storia del debito sovrano e del suo ripudio, paru le mois passé chez la maison d’édition Bordeaux à Rome. « Mon texte se centre sur l’explication et l’interprétation, sous l’angle de la dette souveraine, des deux derniers siècles de l’histoire de l’humanité. J’ai voulu montrer que la hiérarchie existant dans le monde est intimement liée à la manière dont les pays se sont endettés et quelle fut la logique de cet endettement. J’explique comme les puissances financières et les gouvernements ont utilisé l’arme de la dette ‘odieuse’ pour soumettre les pays et les peuples. « Leur libération », relève Toussaint, « requière l’annulation périodique de la dette illégitime ».

 

Mais, pour le politologue, « la dictature de la dette n’est pas inévitable. Par le passé », conclut Toussaint, « plusieurs États ont annulé avec succès leurs obligations envers les créanciers ».

 

Au cours de la conférence de presse de présentation du livre d’Éric Toussaint, le père Alex Zanotelli affirme : « Les finances mondiales se comportent comme la Camorra, un moratoire est urgent ». Et d’ajouter : « La dette devient odieuse lorsqu’elle appauvrit les personnes ».

 

« Je vois peu de différence entre la Camorra et le système mondial. C’est un système absurde qui ne met pas au centre l’économie, mais les finances. Ce système permet à 1 % de la population mondiale de posséder la même richesse que le 99 % restant », a dénoncé le père Alex Zanotelli. « 10 % de la population mondiale » - poursuit ce missionnaire, membre de la congrégation catholique Missionarii Comboniani Cordis Iesu - « consomment 90 % des biens produits sur cette planète. Ceux qui possèdent tout doivent s’armer pour permettre au système de continuer. L’année passée, dans le monde 1,8 billions de dollars furent dépensés en armements, c’est-à-dire 5.000 millions de dollars chaque jour pour permettre au 1 % qui contrôle les ressources mondiales de perpétuer le système. La dette devient odieuse en raison du manque de bénéfices pour la population et de la complicité des créanciers ».

 

Selon Zanotelli, parmi les mesures nécessaires pour sortir du piège de la dette, on trouve : « un moratoire du paiement de la dette, la suspension des plans d’austérité, l’interdiction des transactions avec les paradis fiscaux, la lutte contre l’évasion fiscale et un impôt sur les transactions financières ». Enfin, le religieux suggère « un mouvement de base efficace, au travers duquel les citoyens puissent se faire entendre ».

 

En direct, Cristina Quintavalla (CADTM-Italie) : « La dette, une politique de l’Union européenne qui asphyxie l’Afrique ». Et d’ajouter : « Nier les ressources à la communauté nous met aux portes d’une nouvelle crise ».

 

« La dette est la structure autoporteuse d’un mécanisme garantissant la dictature des marchés financiers et obligeant les États à servir les intérêts des grands investisseurs privés. Et cela émane d’institutions comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM) ou la Banque centrale européenne (BCE), qui imposent des politiques de ‘sauvetage’ selon les conditions établies par ces institutions », affirme Cristina Quintavalla, représentante du comité italien du CADTM.

 

Et cette dernière de poursuivre : « Je pense au rôle joué par la BCE dans le « sauvetage » de peuples et de pays au nom des dettes héritées par ceux-ci. Ce ‘chantage’ a imposé le bradage de secteurs complets et les droits de toute la communauté à l’usage de ses ressources et de ses biens ont été niés ».

 

L’experte explique aussi que l’accord d’association entre l’Europe et l’Afrique « a de terribles effets, comme l’abolition des droits de douane. Nous sommes face à une nouvelle crise, à l’échelle mondiale. La dette des pays pauvres a augmenté de 50 % en 2016, avec un impact sur leur produit intérieur brut (PIB), si l’on considère aussi les intérêts, qui oscillent, dans certains cas, entre 22 % et 42 %. Tout cela génère davantage de conflits internes, de guerres, de flux migratoires, de cherté et de dommages à l’environnement ».

 

Dans la mire du CADTM-Italie, se trouvent aussi les dépenses militaires : « Nous sommes en présence d’une militarisation forcée, impulsée par l’OTAN avec la complicité de l’Union européenne pour imposer des restructurations macroéconomiques dans des pays considérés comme des cibles. Ce n’est pas un hasard si l’Europe est traversée par environ trente corridors stratégiques et le TAV (train à grande vitesse) est l’un d’entre eux. » conclut l’experte.

 

Le père Janvier Yameogo déclare : « Notre Sankara fut assassiné pour avoir rejeté la dette ». Le prêtre burkinabé ajoute : « La Bible interdit ce capitalisme, c’est de l’usure ».

 

Thomas Sankara « fut assassiné par la convergence de toutes les forces, intérieures et extérieures, à son pays, lesquelles ne désiraient pas qu’il poursuive sa très forte dénonciation de l’injustice et du caractère odieux de la dette pour les pays pauvres ». Rappelant les mois qui ont précédé l’assassinat du président du Burkina Faso, le père Janvier Yameogo (également originaire de ce pays) n’a pas de doutes sur ce qui s’est passé. Hôte de l’agence Dire pour cette rencontre sur la dette, Yameogo travaille au ministère de communication de l’État du Vatican, mais il intervenait à titre personnel et rappelle : « En juillet 1987, avant sa mort, Sankara dit que la dette ne pouvait être payée, parce qu’elle était d’origine coloniale » Voir https://www.youtube.com/watch?v=e8PCuwBnhtk . « Sankara dit à ses collègues de l’Organisation pour l’unité africaine (OUA) – ayant précédé l’actuelle Union africaine - : ‘Je propose de fonder le club d’Addis Abeba pour dire tous ensemble non à la dette, parce que si je dis seulement que mon pays, le Burkina Faso, ne paiera pas, je ne serai pas avec vous la prochaine fois. Évitons qu’ils nous assassinent’. Les chefs d’État présents ont ri, mais nous savons parfaitement que, le 15 octobre 1987, Sankara fut assassiné ». Et Yameogo de conclure : La Bible, comme le Coran, interdit ce type de capitalisme qui, comme le dit aussi le pape François, est usuraire ».

 

Éric Toussaint : « Salvini conclura un accord favorisant les banques. Il pourrait interrompre le paiement de la dette à la BCE, mais je ne crois pas qu’il le fasse ».

 

« La Banque centrale européenne possède 360.000 millions d’euros en titres italiens. Si Salvini voulait réellement lutter contre Bruxelles, comme il l’affirme, il pousserait le gouvernement à cesser de rembourser les titres publics italiens possédés par la BCE. On pourra me démentir, mais je ne crois pas qu’il le fera, vu que dans le cas contraire il entrerait en contradiction avec les banquiers italiens et les institutions financières », répondit l’économiste et politologue Eric Toussaint à une question sur la situation italienne.

 

« En Italie, le travail du CADTM peut être crucial pour sensibiliser la population au thème de la dette injuste. Mais je ne crois pas que le gouvernement actuel interviendra pour refuser la dette. Salvini arrivera à un accord avec la Commission européenne, favorisant les banquiers italiens. On doit dénoncer l’illégitimité d’une partie de la dette et dire que nous voulons un gouvernement populaire et légitime faisant respecter la justice en matière de dette ».

 

En direct, Vittorio Lovera (CADTM-Italie) : « Il existe le risque d’une bulle financière avant 2021. Et en Italie, avec la réforme fiscale la plus inégale ».

 

« Toutes les données macroéconomiques nous indiquent qu’entre la fin de cette année et 2021, éclatera une nouvelle bulle financière plus grave que celle de 2007-2008. Avec la conséquence que l’inégalité augmentera de manière incontrôlable ». C’est le cri d’alarme lancé aujourd’hui par Vittorio Lovera, du CADTM-Italie.

 

« Par rapport à l’Italie, ceux qui se présentent en ‘novateurs’, promettant moins d’impôts pour relancer la consommation, conduisent en réalité le pays dans la direction opposée. Le centre d’études du CADTM a étudié à fond les effets de la réforme fiscale sur la dette italienne pour pouvoir expliquer clairement comment au lieu de diminuer l’inégalité augmentera ».

 

« De 1974 à maintenant, le manque de recettes fiscales causé par la réduction du taux d’imposition des tranches supérieures de revenu s’élève à 146 milliards d’euros que l’État récupérera en demandant de nouveaux crédits aux banques », souligne Lovera. « De cette manière, la dette en vertu de l’intérêt composé a augmenté de 295 milliards €, équivalent à 13 % de la dette publique qui, en avril de cette année, a atteint un pic de 2.373 milliards € ». Et de conclure : « Ce n’est pas certain que l’argent manque. Il y en a autant qu’on en veut. En réalité, l’Italie est un État vertueux du point de vue du Capital. Si les banques de dépôt et de prêt revenaient à leur fonction originelle d’appuyer les entités locales, nous aurions beaucoup moins de problèmes ».

 

En direct, sur la dette, Toussaint dit : « Une nouvelle crise internationale a commencé. Elle n’est pas spectaculaire comme celle de 1982. Mais nous verrons vite ses évolutions.

 

« La nouvelle crise internationale de la dette a déjà commencé : maintenant avec des caractéristiques moins spectaculaires qu’en 1982. Mais nous verrons dans les prochaines années de nouveaux développements qui nécessiteront, de la part des citoyen-ne-s européen-ne-s, de comprendre la situation pour réagir correctement. Au lieu d’attribuer la faute aux peuples de la ‘périphérie’ au sein ou à l’extérieur de l’UE, il est essentiel de comprendre que le système capitaliste lui-même et le ‘système de la dette’ qui en fait partie sont les causes fondamentales des problèmes liés à l’endettement », affirme l’historien et politologue belge Éric Toussaint, auteur du livre Il Sistema : Storia del debito sovrano e del suo ripudio (Bordeaux, 2019)

 

Dans ce livre (publié en français en 2017 http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Le_syst%C3%A8me_dette-528-1-1-0-1.html), Toussaint prévoyait l’éclatement d’une nouvelle crise de la dette à partir des pays d’Amérique latine. Deux ans plus tard, l’auteur considère que les faits confirment ses prédictions. « L’année passée, l’Argentine est entrée dans une terrible crise de la dette et a dû s’endetter auprès du Fonds monétaire international pour un montant de 57.000 millions de dollars, le crédit le plus élevé jamais consenti par le FMI depuis sa création. La monnaie argentine a perdu 50 % de sa valeur et le taux d’intérêt a atteint 45 %. Nous assistons – comme je l’indiquais en 2017 – au début d’une nouvelle crise internationale de la dette. En partie, cette crise est ralentie parce que la Réserve fédérale (la Banque centrale des États-Unis), sous la pression de Trump, n’a pas augmenté les taux d’intérêts, qu’elle avait prévus d’augmenter ». « Généralement », poursuit Toussaint, « ce sont les décisions prises par les puissances dominantes du monde capitaliste et par leurs banques centrales qui provoquent la crise dans les pays de la ‘périphérie’ ». Et de conclure : « L’année passée, ce fut le cas de l’Argentine, mais regardons l’Afrique. Le Mozambique est un cas terrible et emblématique de dette avec un peuple qui souffre. Et tant d’autres pays et de peuples africains sont directement menacés par cette nouvelle crise ».

 

- Eric Toussaint , DIRE- Agence de presse Rome , Cristina Quintavalla , Vittorio Lovera


Traduction du castillan : Hans-Peter Renk

 

- Eric Toussaint est docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est l’auteur des livres Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation,Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010..

 

28 juin 2019

http://www.cadtm.org/Dans-le-systeme-de-la-dette-les-peuples-sont-les-perdants

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/200962?language=es

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