La question agraire et les défis actuels
- Opinión
Article publié en espagnol dans la revue Revista América Latina en Movimiento No. 541: Por la tierra y derechos campesinos: CLOC 25 años 09/05/2019 |
Au fil de l’histoire, la transformation progressive de la production agricole se base sur la lutte pour la terre. Celle-ci vise à changer radicalement la structure productive, c’est pourquoi la question agraire est fondamentale pour la vie commune de l’humanité et elle a été assumée par les classiques de la lutte sociale.
Dans ce contexte, la réforme agraire a pris comme point de départ des idées économiques libérales ,telles que les ventes volontaires de terres aux paysans pauvres ; ce n’est qu’au dernier siècle qu’elle est devenue un concept basé sur la coercition du pouvoir de l’État, on pourrait dire qu’il s’agit d’une tâche inachevée du capitalisme. En conséquence, c’est au mouvement des paysan.ne.s et indigènes de mettre au centre le problème de notre lutte contre le système régnant.
Il est essentiel de réactiver une agriculture avec les paysan.ne.s pour refroidir la planète et résoudre ainsi le problème de la faim dans le monde. D’après les études du Groupe d’action sur l’érosion, la technologie et la concentration (ETC Group), l’agriculture paysanne produit 70 % des aliments de la planète en utilisant 25 % des terres, alors que l’agro-négoce se sert de 75 % des terres pour produire 25 % des aliments.
Cette recherche démonte les mythes de l’agriculture industrielle et transgénique. Cette étude affirme que si les gouvernements veulent éradiquer la faim et freiner le changement climatique, ils doivent appliquer des politiques publiques pour encourager l’agriculture paysanne.
Tout le monde se souvient du jalon historique qui a changé le monde moderne : la conquête espagnole de l’Abya Yala, accompagnée par la spoliation des ressources des colonies africaines et asiatiques. Et c’est ainsi que dans les nouvelles colonies s’établit une concentration de terres sans précédent. Les mouvements indépendantistes focalisent alors leur attention sur ce phénomène.
De cette manière, au fil de notre histoire ont lieu des jalons mémorables tels que la Révolution artiguiste (José Gervasio Artigas) qui, en Argentine, entre 1811 et 1820 engage un processus de distribution des terres, interprété par quelques historiens comme une « réforme agraire » radicale et populaire.
Simón Bolivar et Francisco Morazán ont fait de même en octroyant des terres à ses troupes, puis Emiliano Zapata et Pancho Villa (1912 – 1917) ont repris l’ancienne consigne russe des populistes Narodnik : « Terre et liberté » et enfin, pendant la deuxième moitié du dernier siècle, il prend corps la lutte pour la Réforme agraire.
Cette lutte est toujours en vigueur étant donné l’actuelle intensification de la concentration de la terre, qui se fait à l’aide d’anciennes méthodes, avec de nouveaux noms tels que : accaparement, extractivisme, monoculture et agro-négoce.
L’accaparement des terres et de la vie
Les origines du latifundium et de la propriété agraire remontent à l’arrivée des Espagnols en Amérique, avec l’imposition d’un système colonial qui a massacré, réduit les populations autochtones à l’esclavage et usurpé leurs larges et riches territoires.
Face à une telle exploitation, au Mexique, Pancho Villa et Emiliano Zapata se soulèvent et prennent les armes ; ces deux révolutionnaires ont renversé Porfirio Dïaz et ont réorganisé la propriété du pays. Ils ont ainsi encouragé la première réforme agraire du continent.
Ce processus révolutionnaire a montré la voie qu’ont suivie après la Révolution bolivienne en 1952 et la Révolution cubaine en 1959.
Pendant qu’en 1917 le Mexique favorisait sa réforme agraire avec le cri paysan « Terre et liberté » en Europe, la Révolution russe a produit de grandes transformations économiques, sociales et politiques, donnant lieu à un changement du système de propriété et du régime foncier de la terre.
Le processus de réforme agraire de la Révolution russe s’est étendu par plusieurs pays de l’Europe, tels que l’Autriche, l’Allemagne, la Pologne, entre autres. En 1949, la Révolution de la Chine populaire encourage une réforme agraire radicale avec l’idée de nationaliser tous les moyens de production et la terre.
En 1961, les États-Unis commencent une contre-campagne pour arrêter la mobilisation sociale existante dans le continent. Le président John F. Kennedy lance l’Alliance pour le progrès et convoque les pays du continent à Punta del Este à une réunion pour promouvoir la distribution de la terre dans les républiques de l’Amérique.
L’Alliance pour le progrès visait à diminuer les grandes propriétés foncières par le biais de la distribution équitable de la propriété. En adoptant la réforme agraire, les gouvernements poursuivaient plusieurs objectifs ; y compris un taux plus élevé de croissance de l’agriculture dans le but de moderniser les propriétaires, l’industrialisation et la commercialisation d’intrants. Dans le cas contraire, si la propriété n’était pas rentable, cela menait simplement à l’expropriation.
Voilà pourquoi le but économique subjacent de la réforme agraire était d’accélérer le processus d’industrialisation des pays. La portée de la réforme agraire en Amérique Latine a énormément varié, en ce qui concerne la quantité de terres expropriées ainsi que dans la quantité de paysans qui en ont tiré profit.
En tout cas, face aux phénomènes globaux du réchauffement climatique, de la pauvreté, de la centralisation de la richesse, de l’accaparement de terres, des politiques agraires, des processus de transformation et réinvention des secteurs productifs, voilà les points qui doivent être travaillés de manière urgente et engagée.
Les mouvements paysans sont une force sociale qui promeut des alternatives économiques de conscience pour garantir la survie de la planète et la qualité de vie de millions de personnes dans le monde.
Égalité d’accès à la terre
L’égalité d’accès à la terre pour hommes et femmes est un objectif fondamental pour surmonter la discrimination, les impositions du système machiste et patriarcal qui a rendu invisible la femme à la campagne pendant des siècles, en la reléguant à un rôle simplement reproductif. On soutient que pour une vraie émancipation des femmes, elles doivent être protagonistes de la redistribution de la terre, ayant une participation pleine et en intégrant tous les processus de développement des systèmes et formes des vie à la campagne.
Pareillement, tout au long de l’histoire, la femme a été récolteuse, gardienne des semences, protectrice, promotrice de la biodiversité, garante de la souveraineté alimentaire et des savoirs ancestraux, c’est pourquoi on soutient la réforme agraire intégrale et inclusive pour le bien-vivre.
Défis
Premier défi : transformer la lutte pour la terre et le territoire ; ce n’est pas qu’un lieu de travail, celle-ci doit être prise comme un besoin collectif, comme un endroit d’organisation collective de la classe paysanne, comme un lieu de résistance contre le capital.
Deuxième défi : la construction d’un nouveau modèle propre de production agricole, nous avons besoin d’un programme stratégique qui aille au-delà des besoins immédiats.
Comment allons-nous utiliser nos terres ? Quelle fonction sociale donnerons-nous à la terre ?
Il faut remarquer qu’on va se concentrer sur une nourriture saine basée sur l’agroécologie pour la souveraineté alimentaire. Ce concept doit être partagé, popularisé et assumé par toutes les organisations.
Il faut aussi créer une nouvelle matrice technologique, avec des techniciens spécialisés permettant de multiplier et de produire en harmonie avec la nature.
Troisième défi : conquérir des politiques publiques en concordance avec les propositions des mouvements paysans dans tous les territoires : agriculture, logement, éducation, infrastructure, culture, etc.
Quatrième défi : développer des processus permanents de formation politique et idéologique, vue la faiblesse de formation existante dans les mouvements de gauche au niveau international. En tant qu’organisations, nous avons le défi de construire des processus et des espaces de formation politique liés aux luttes de nos organisations, nous permettant ainsi de créer des espaces autonomes pour les femmes, les jeunes et les différentes identités sexuelles.
Cinquième défi : construire des moyens de communication populaire propres pouvant atteindre les peuples. Ils doivent montrer à la société les différents projets existants, aborder des différents sujets tels que le dialogue de nos propres bases et notre société. Il s’agit d’un dispositif pour remporter l’adhésion des cœurs et des esprits.
Sixième défi : construire une alliance avec d’autres secteurs de la campagne et des villes, avec d’autres organisations qui luttent dans les territoires telles que les peuples indigènes, tout en identifiant nos meilleurs alliés.
Septième défi : des mobilisations communes à niveau international contre nos ennemis, ainsi que des actions dans des dates stratégiques.
Huitième défi : renfoncer la solidarité internationaliste militante en cherchant des manières créatives de pratiquer cette solidarité, dans le but de mobiliser la capacité d’indignation. De même, si l’on parvient à ressentir de l’indignation face à n’importe quelle injustice subie par quiconque, où qu’il se trouve dans le monde, on est donc camarades.
Neuvième défi : Promouvoir la campagne globale pour la réforme agraire populaire, étant donné que depuis 1996 cette campagne appuie les luttes locales, en intervenant contre les violations aux droits humains, en diffusant des informations des mouvements nationaux et locaux par le biais de missions de recherche et fait des tournées internationales de lobbying promouvant des observatoires de la lutte paysanne et indigène.
Au cours des derniers jours, nous avons organisé une rencontre du collectif Terre, eau et territoires. Lors de cette réunion, notre principal accord est de relancer la Campagne globale pour la réforme agraire, dans le VII congrès de la CLOC à Cuba, où nous ferons un plan d’action pour le continent afin de rendre visible la réforme agraire intégrale et populaire, qui est à la base de la souveraineté alimentaire et de l’agroécologie dans la décennie de l’agriculture familiale paysanne.
(Traduction La Vía Campesina)
Fausto Torres est Secrétaire de relations internationales de l’Association de travailleurs du camp (ATC – Nicaragua)
Elsa Nury Martinez est Présidente de la Fédération nationale syndical unitaire agropécuaire (FENSUAGRO – Colombie)
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