Pour une Convention Internationale dans le cadre de l’ONU

Plus de sécurité pour un journalisme réellement indépendant

20/03/2019
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  • La Fédération internationale des journalistes prend l’initiative
  • Plus de 2.469 professionnel-le-s des médias tué-e-s depuis 1990
  • Contre l’impunité

 

Chaque jour, assurer l’information devient une activité à haut risque dans de nombreuses régions du monde. Un droit humain de base menacé systématiquement. Depuis 1990, plus de 2.469 professionnel-le-s des médias ont été tué-e-s, dont plus de 600 journalistes au cours des six dernières années. L’impunité règne, puisque neuf cas sur dix non élucidés.

 

Des centaines de journalistes sont emprisonnés et quotidiennement attaqués, battus, détenus, harcelés et menacés. Des informations émanant de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), qui regroupe 600.000 professionnel-le-s des médias organisé-e-s dans 187 syndicats et associations, répartis dans plus de 140 pays. De plus, les cyberattaques, le piratage informatique, le harcèlement en ligne (visant plus particulièrement des femmes journalistes), menacent de plus en plus la sécurité numérique, créant ainsi une crise réelle de la sécurité pour les professionnel-le-s de l’information.

 

Une réalité mondiale qui a motivé la FIJ à présenter aux Nations Unies, le mardi 19 mars, à Genève, une proposition de Convention Internationale sur la sécurité et l’indépendance des travailleurs de l’information. Entretien avec Anthony Bellanger, secrétaire général de la FIJ.

 

Q : De l’analyse de la FIJ, peut-on déduire que l’exercice de la profession est toujours plus grave et complexe pour les travailleurs de l’information.

 

Anthony Bellanger (AB) : Effectivement, la situation des journalistes est de plus en plus difficile, d’année en année. Toujours trop de journalistes et de travailleurs des médias sont assassinés (97 en 2018) ; toujours trop de journalistes sont harcelés, menacés ou emprisonnés. Plus de 400 actuellement dans le monde sont derrière les barreaux, dont près de 160 en Turquie.

 

La FIJ, la plus grande organisation de journalistes, à la différence des ONG, est d’ailleurs la seule à avoir un tel recul sur la protection et la sécurité des journalistes. Et de fait, seule la FIJ, en tant qu’organisation mondiale, pouvait porter aujourd’hui ce projet de Convention internationale devant l’Assemblée générale des Nations Unies. Nous avons fait un long chemin depuis son lancement public à Tunis fin 2017 et sa présentation à New York en octobre 2018 car toutes les fédérations mondiales représentatives d’employeurs et de propriétaires de médias la soutiennent aussi maintenant.

 

Q: Cette nouvelle initiative de la FIJ implique-t-elle de constater que le droit international actuel n’est pas suffisant? 

 

AB : La Convention ne vient pas concurrencer la Plan d’action des Nations Unies (PANU). Mais il est clair que nous devons faire plus et prendre des mesures complémentaires. L'hypothèse qui sous-tend le PANU est que le droit international dispose déjà de garanties appropriées et suffisantes pour les droits des journalistes et que les efforts devraient se concentrer sur la mise en œuvre. Mais d'importantes faiblesses subsistent dans le régime juridique international existant, et la FIJ entend donc promouvoir cet instrument spécifique à la situation des journalistes pour assurer une application plus efficace du droit international. Dans le cadre juridique international actuel, il n'existe pas de normes contraignantes établissant des garanties pour les travailleurs des médias en particulier.

 

En principe, les journalistes travaillant dans les zones de conflit bénéficient des mêmes protections que celles que le droit international humanitaire confère aux civils.

 

Cependant, c'est un ensemble de lois qui ne reconnaît pas que les journalistes font face à de plus grands risques en comparaison avec les autres civils. Il y a un avantage stratégique à cibler les médias - pour ce que l'ancien rapporteur spécial de l'ONU sur la liberté d'expression, Frank La Rue, a décrit comme « le souci des belligérants de gagner la guerre des images ». Ceux qui souhaitent empêcher la diffusion de l'information et le contrôle international ciblent délibérément les journalistes. 

 

La proximité délibérée des journalistes avec tout conflit les rend particulièrement vulnérables.

 

Q : Après avoir présenté cette proposition au Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, quels seront les prochains pas ? Attendez-vous une ratification par chaque Etat ?

 

AB : Après Genève, la FIJ sera présente avec une importante délégation à la prochaine session de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2019. L’objectif est double : assurer que le groupe des Amis de la Convention de la FIJ, -groupe que nous allons constituer ici à Genève-, prenne en main notre initiative puis la fasse suivre directement aux états membres de l’assemblée générale. Je sais aussi que le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a reçu personnellement un exemplaire du document et que ce sujet est pour lui une priorité.

 

Q : Comment voyez-vous l’application de la Convention après son passage devant l’Assemblée générale des Nations Unies ?

 

AB : En termes d’application, nous proposons la création d'un Comité sur la sécurité des journalistes. Notre option serait la mise en place d'un groupe d'experts indépendants (plutôt que des représentants des États) d’une quinzaine de membres, spécifiquement chargé de surveiller le respect du nouvel instrument. Il serait similaire aux comités conventionnels établis en vertu de plusieurs conventions des Nations Unies comme le Comité contre la torture.  

 

Cet organe devrait idéalement avoir la compétence obligatoire pour recevoir des plaintes individuelles ou collectives, pour mener des enquêtes et émettre des décisions motivées. Les principaux avantages d'un organe spécialisé seraient de permettre une procédure plus rapide en cas de violations présumées et d'éviter la perte de la pression politique résultant de la fragmentation des voies de recours internationales.

 

Q :  De quelle manière, non seulement les Etats, mais la société civile internationale peuvent-ils contribuer à renforcer la sécurité et l’indépendance de l’exercice du journalisme ?

 

AB : Vous avez raison, la sécurité des journalistes est l’affaire de tous car sans sécurité, sans protection, le journaliste ne peut être indépendant, ne peut remplir sa fonction d’informer. Et sans liberté d’informer, il n’y a plus de démocratie. Il ne faut plus aller très loin en Europe aujourd’hui pour constater des atteintes aux droits fondamentaux : la Turquie bien entendu, mais aussi la Hongrie ou plus récemment l’Italie. La plateforme du conseil de l’Europe pour la protection et la sécurité des journalistes, alimentée essentiellement par la FIJ et son groupe régional européen, la FEJ, en est une preuve irréfutable. Rien que pour cela, nous devons tous nous mobiliser.

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/198821?language=es
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