7 février 2017, une autre phase de la crise politique en Haïti ?
- Opinión
Les questions de vérité et impunité électorales se retrouvent, une fois de plus, au cœur du processus politique en Haïti, qui a pu finalement boucler une élection présidentielle et parvenir presqu’au bout des scrutins législatifs et locaux, suite à un premier tour, tenu le 20 novembre dernier.
Le second tour a lieu dans une ambiance de polarisation, caractérisée par de multiples contestations, quoique moins nombreuses que dans les processus précédents.
Dans ce pays, miné par la crise politique et socio-économiquement très affaibli, Jovenel Moïse du Parti haïtien tèt kale (Phtk, de l’ancien président Joseph Michel Martelly), a remporté la présidence dès le premier tour, avec 55.60 % des suffrages exprimés, suivant les résultats définitifs, publiés par le Conseil électoral provisoire (Cep) le 3 janvier 2017.
Dans ces élections, reprises un an après avoir été annulées pour cause de « fraude massive » établie par une commission d’évaluation indépendante, Moïse a obtenu 590,927 voix sur environ 1 million de votants, alors que la population en âge de voter s’élève à 6,2 millions de personnes – Près de 80% d’abstention.
Il est suivi, loin derrière, de Jude Célestin, de la Ligue alternative pour le progrès et l’émancipation haïtienne (Lapeh), proche de la mouvance démocratique, avec 207, 988 voix, soit 19.57 % des suffrages.
Arrivent en 3e et 4e positions respectivement : Jean-Charles Moïse, de la plateforme Pitit Dessalines, qui se revendique de gauche, avec 117,349 votes, soit 11.04 % des suffrages ; Maryse Narcisse du parti politique Fanmi Lavalas, de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide (populiste) avec 95,765 votes, soit 9.01 % des suffrages.
La victoire au premier tour de Jovenel Moïse a fait l’effet d’une bombe dans quelques milieux sociaux, dès que les résultats préliminaires ont été connus le 28 novembre 2016. Surtout qu’ils n’ont pas été signés par 3 des 9 conseillers.
Tout de suite, une bulle de rumeurs et même d’intoxication apparente, accompagnée de violentes manifestations isolées de partisans Lavalas, a commencé à se former. Le doute s’est installé à propos des résultats préliminaires, formellement contestés par les trois poursuivants de Jovenel Moïse. Une fois de plus, l’exigence de vérification paraîssait s’imposer, pour tenter d’établir la vérité électorale et, peut-être, sanctionner, s’il y a lieu, d’éventuels fraudeurs et leurs complices.
Journée électorale réussie
Le processus électoral de 2016 est pourtant considéré satisfaisant, au plan organisationnel, contrairement aux élections chaotiques des années précédentes. Les organisations nationales d’observation électorale ont exprimé globalement leur satisfaction, à propos du déroulement du premier tour. Un défi, relevé par une institution électorale formée il y a seulement 9 mois (mars 2016).
Pour la Coalition d’observation électorale, composée de 6 organisations sociales, institutions et réseaux, le scrutin est « acceptable ». Elle a relevé que les taux d’incidents, liés aux fraudes, violences et problèmes divers, enregistrés dans la journée électorale, sont respectivement évalués à 6.45%, 7.87% et 27.4%.
Selon la Coalition, le personnel électoral, dont les Agents de sécurité électorale (Ase), les Superviseurs des Centres de Vote et les Membres des bureaux de vote (Mbv) étaient bien formés. Ce qui a grandement facilité le déroulement de la journée électorale.
Le Cep a pris en compte la participation des femmes dans la composition des bureaux de vote, s’est réjoui la Coalition. Elle estime que 40 % des Membres des bureaux de vote étaient des femmes.
L’Observatoire citoyen pour l’institutionnalisation de la démocratie (Ocid), un consortium regroupant 3 organismes de la société civile, a, pour sa part, salué les efforts du Cep, du gouvernement et de ses partenaires, pour apporter des améliorations sensibles au processus électoral, comme le renforcement de la formation des membres des bureaux de votes.
Il a même relevé des innovations encourageantes, notamment les normes et procédures établies pour le fonctionnement du Centre de tabulation (Ctv / centre de comptabilisation des procès verbaux des bureaux de vote), pour le contentieux électoral et la gestion des mandataires des partis politiques, celle-ci ayant causé d’énormes problèmes lors des élections de 2015, entachées de fraudes.
Plusieurs entités de la communauté internationale ont adressé des félicitations à Haïti pour des élections déroulées dans le calme et sans irrégularités majeures. Les Nations Unies, l’Organisation des États Américains (Oea) et le Core Group (composé d’ambassadeurs des principaux pays partenaires d’Haïti) ont salué les efforts déployés pour la réalisation des scrutins.
La Mission d’observation électorale de l’Organisation des États Américains en Haïti (Moe-Oea) a souligné « les améliorations apportées au déroulement du jour du scrutin ». Un processus électoral « crucial pour mettre fin au vide de gouvernance dans lequel se trouve Haïti », a souligné le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (Onu), Ban Ki Moon.
Un des éléments les plus remarqués est la transparence de ces élections.
Par exemple, les photos des procès verbaux de dépouillement des voix ont été postées, dès la soirée du 20 novembre, sur un site spécifique de l’institution électorale consacré aux résultats électoraux.
L’épine de la tabulation des votes et de la vérification
Les principaux problèmes ont commencé à apparaître au niveau de la tabulation des votes, alors que, sans attendre la publication des résultats préliminaires, le parti Fanmi Lavalas a mis dans la rue des dizaines de partisans, souvent menaçants, dénonçant ce qu’ils appellent un « coup d’État électoral ».
Quatre jours après le scrutin, les formations politiques Lapeh et Fanmi Lavalas ont exprimé leurs préoccupations, à propos d’anomalies dans le traitement des procès-verbaux au Ctv.
« De nombreux procès-verbaux, acheminés au Ctv, ont été acceptés et validés, alors que les listes d’émargement corrélatives ne portent ni signatures ni empreintes digitales des votants, seules capables de garantir l’authenticité du vote en référence à l’article 158.1 du décret électoral », écrit le candidat à la présidence de Lapeh, Jude Célestin, dans une lettre adressée au Conseil électoral provisoire (Cep).
Les procès-verbaux devaient, selon lui, être soumis au service de contrôle de conformité du Ctv, seul habilité à les examiner et à les valider.
Le Comité exécutif de Fanmi Lavalas a, pour sa part, adressé une correspondance à l’institution électorale pour dénoncer par avance un supposé « coup d’État électoral ».
Ces deux organisations politiques, ainsi que Pitit Desalin, ont été invitées, par le Cep, à exprimer leurs griefs au Bureau du contentieux électoral national (Bcen), en ce qui concerne toute vérification, liée au traitement des procès-verbaux.
Les démarches de contestation ont été entreprises dans une ambiance de suspicion, alimentée par les secteurs politiques concernés, mais aussi favorisée par quelques faiblesses institutionnelles ou des maladresses et hésitations apparentes du Cep.
La vérification de 12 % de procès-verbaux des résultats de la présidentielle a été exigée par le tribunal électoral et a débuté le 20 décembre 2016, en provoquant rapidement des controverses.
Les représentants des partis contestataires ont, eux-mêmes, quitté, le jeudi 22 décembre 2016, les lieux de la vérification, en signe de protestation contre une décision du Bcen qui les a interdits de ne plus toucher aux procès-verbaux (considérés sensibles), ni d’émettre leurs commentaires, ceux-ci devant être présentés lors d’une plaidoirie.
Quelques divergences ont même apparu parmi des organisations de droits humains, en ce qui concerne le déroulement des opérations de vérification. La directrice nationale de la Commission épiscopale (catholique romaine) Justice et paix (Ce/Jilap), Jocelyne Colas Noël, a pointé du doigt le comportement excessif des représentants des partis contestataires, qui rendent la situation plus difficile.
Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains (Rnddh), a estimé que le changement, proposé par le tribunal, devait être discuté avant le démarrage du processus de vérification.
A l’issue de la vérification, le Bcen a exigé un nouveau décompte des votes, après la mise à l’écart de 70 procès-verbaux. L’arrêt des juges électoraux, rendu public le 3 janvier 2017, signale qu’il n’y a pas eu de fraudes massives, mais des irrégularités, qui ne sauraient affecter le processus.
L’obstacle de la méfiance
Les signes de l’établissement d’une atmosphère de confiance sont loin d’être évidentes, au moment où Haïti s’apprête à mettre fin à ce trop long processus électoral, laissant un pays encore profondément divisé.
En réalité, la méfiance constitue un des éléments dominants de la crise politique, à laquelle le pays est confronté depuis des années. Les élections successives ont toujours, pour la plupart, généré des doutes. La légitimité des élus a toujours été affectée, ce qui a souvent débouché sur des crises plus aigues après les élections.
D’autre part, la vérité électorale devrait permettre de jauger les réels rapports des forces politiques sur le terrain, même s’il faut reconnaître que l’élite économique a jeté tout son poids dans la balance pour la faire pencher en faveur d’un candidat. De même, aucun moyen, supposément déloyal et immoral, n’aurait été écarté pour obtenir des votes, même en les achetant !
Un tel parcours, permettrait-il de parvenir à un minimum de stabilité ?
Ce serait, du moins, un pas important. Bien entendu, si tout nouveau dirigeant comprenait la nécessité d’aborder le pouvoir avec humilité, sens de la mesure, esprit de responsabilité, volonté d’apaisement, respect des libertés, des normes et des institutions, caractérisées par une faiblesse chronique.
Parallèlement, il faudrait aussi que les partis politiques puissent dégager un espace pour pouvoir se construire ou grandir, en se rapprochant des attentes de la société.
Dans un milieu, où l’autoritarisme et le clientélisme ont fait leur lit, il y a là un vrai défi.
Il s’agit d’un travail patient de régénérescence de la conscience politique des citoyennes et citoyens, dans un contexte hostile, marqué par la précarité accrue et une avancée inquiétante de réseaux criminels et mafieux, dont les tentacules s’étendent inexorablement. Malgré la présence dans le pays d’une force militaire onusienne en mission de stabilisation depuis 12 ans.
Les appréhensions sont d’autant plus justifiées qu’une partie des prochains élus sera formée de repris de justice et de délinquants notoires, qui ont pu se faufiler dans la course électorale en 2015, à la faveur de la présidence de Michel Martelly, la complaisance de l’ancien Conseil électoral et l’indifférence citoyenne.
Or, le nouveau personnel politique aurait à prendre des décisions capitales pour l’avenir du pays, aussi bien au plan démocratique qu’économique.
Par exemple, il y aura à remplacer l’ensemble des juges de la Cour de cassation, plus haute cour de justice du pays et mettre en place désormais un Conseil électoral permanent, prévu par la Constitution de 1987 – près de 30 ans !
L’état des forces en présence permettra-t-il que les opérations, liées à la construction institutionnelle, se passent dans la transparence, le respect des principes démocratiques et de l’intérêt commun ?
Pourra-t-on, dans la sérénité, mettre en œuvre des formules appropriées pour arrêter la dégringolade de la monnaie haïtienne, la gourde, passant, en 5 ans, de 40.00 à 68.00 gourdes pour 1 Usd ? Adresser, entre autres, des problèmes économiques et sociaux, aiguisés par le passage du puissant ouragan Matthew, qui a détruit le Sud du pays et aggravé la crise environnementale ?
Que restera-t-il de ce processus ?
Les élections en cours sont financées à hauteur de 55 millions de dollars par le trésor haïtien, suite au refus des bailleurs de fonds internationaux de soutenir la reprise des élections de 2015, entachées de fraudes. Cet effort, qui tend à affirmer une certaine autonomie haïtienne, est bien accueilli par les Haïtiennes et Haïtiens, qui voudraient que l’image de dépendance absolue de leur pays, vis-à-vis de la communauté internationale, change.
Sur cet élan, le nouveau Conseil électoral en a profité pour opérer des réformes, qui ont amené plus de rationalité et de transparence dans cette machine, perçue comme un instrument de fabrication d’élections. Il est même parvenu à valoriser la participation et la présence des femmes, par des mesures inédites concrètes, au niveau des statistiques électorales, et une démarche de sensibilisation accrue de la gent féminine, suite au constat de l’absence totale de femmes dans l’actuel parlement, qui doit être complété.
La décantation du vote par sexe a montré que celui des femmes représente 37.9% contre 62.1% pour les hommes.
Globalement, l’actuel processus électoral est, de loin, moins excluant que les précédents, ayant offert la possibilité aux organisations politiques et aux associations de la société civile de se rapprocher davantage de la machine, par le maintien d’un flux constant d’informations et l’aménagement d’espaces d’échanges.
Ce serait quand-même dommage que la réforme électorale, entamée par l’actuel Conseil, et les sacrifices consentis par l’exécutif provisoire, dirigé par l’ancien sénateur Jocelerme Privert, pour appuyer le processus dans des conditions économiques éprouvantes pour le pays, s’évanouissent dans les prochains mois, sans ouvrir la voie à une stabilité démocratique.
- Gotson Pierre est Journaliste, Éditeur de l’agence en ligne AlterPresse, du Groupe Médialternatif
Analyse parue dans le magazine FalMag, de l’organisme France Amérique Latine, numéro de décembre 2016 [1], sous le titre : « Les dernières élections, mettront-elles fin à la crise politique en Haïti ? »
[1] http://www.franceameriquelatine.org/falmag/
6 février 2017
http://www.alterpresse.org/spip.php?article21263#.WJuO3H-Xl_k
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