Rien ne sert de courir...
- Opinión
« Il n’y a rien à faire de ces élections que de les annuler »
"Le temps perdu ne se rattrape jamais", "rien ne sert de courir, il faut partir à point". Pour avoir ignoré ces enseignements qui se vérifient presque toujours, le Président haïtien est aujourd’hui un homme stressé. Michel Martelly ne sait pas ce qu’il n’aurait pas donné pour que les prochaines échéances électorales puissent se tenir à temps. Pris de court, et sans évaluer les risques de revenir une fois de plus sur une décision arrêtée, sorte de marque de l’administration Martelly, le Chef de l’État, avant que la Commission d’Évaluation ait remis son rapport, avait le 1er janvier, aux Gonaïves, annoncé qu’il convoquera le peuple dans ses comices, le 17 janvier 2016. Rien n’est moins certain...
C’est paradoxal, car c’est ce même Martelly qui a ignoré les exigences constitutionnelles quant au renouvellement des institutions et à la continuité de l’État et qui a joui en voyant deux fournées de Sénateurs et toute la 49ème Législature s’en aller pour qu’il ait la prérogative de diriger par décrets.
Mais le temps est souvent une arme à double tranchant. Après le 7 février 2016, Michel Martelly ne sera qu’un ancien Président et c’est l’histoire qui le jugera pour ses actes.
En janvier 2016, il n’y a aucune probabilité que des élections puissent se tenir dans le délai pour que nous ayons un Parlement fonctionnel au deuxième lundi du mois et qu’un nouveau Président soit investi le 7 février.
Avec la même rigueur implacable qui a valu aux Sénateurs et aux Députés de partir à la fin de leur mandat suivant les dispositions de la Constitution Amendée (articles 92-1-95), l’on appliquera sans concession l’article 134-2 quant à la fin du mandat de M. Martelly. Car si les Parlementaires n’étaient pas responsables de la fin de leur mandat sans que le peuple ait été convoqué dans ses comices, Michel Martelly, quant à lui, est pleinement responsable du retard observé dans le respect des cycles électoraux. Nous entendons déjà les échos des chants des manifestants pour signifier à Michel Martelly, à l’approche du 7 février 2016, "vle pa vle fö’l ale"...
Ceci dit, l’issue la plus probable quant à l’avenir de notre pays, c’est un vide institutionnel. Après le départ de Michel Martelly sans l’accomplissement des exigences constitutionnelles, à savoir, passer le pouvoir à un Président issu d’élections, Haïti se trouvera dans une situation de fait, non prévue par la Constitution. Les prévisions de l’article 149 de la Constitution amendée ne traitent pas de ce cas de figure. On n’est plus dans l’interprétation élastique de l’article 149 de la Constitution du 29 mars 1987 avant son amendement. Il était libellé de cette façon : " En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, le Président de la Cour de Cassation de la République ou, à son défaut le Vice-Président de cette Cour ou à défaut de celui-ci, le Juge le plus ancien et ainsi de suite par ordre d’ancienneté, est investi provisoirement de la fonction de Président de la République par l’Assemblée Nationale dûment convoquée par le Premier Ministre"...
Dans la Constitution amendée en mai 2011, l’article 149 se lit désormais comme suit :" En cas de vacance de la Présidence de la République soit par démission, destitution ou en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée, le Conseil des Ministres, sous la présidence du Premier Ministre exerce le Pouvoir Exécutif jusqu’à l’élection d’un autre Président.
Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République pour le temps qui reste à courir a lieu soixante (60) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance, conformément à la Constitution et à la loi électorale.
Dans le cas où la vacance se produit à partir de la quatrième année du mandat présidentiel, l’Assemblée Nationale se réunit d’office dans les soixante (60) jours qui suivent la vacance pour élire un nouveau Président Provisoire de la République pour le temps qui reste à courir."
L’article 149 du texte non amendé offrait plus de flexibilité et l’on a en mémoire le débat entre les démocrates et les putschistes, suite au coup d’État du 30 septembre 1991 dans le cadre du choix du remplacement du Président renversé. Les partisans zélés du coup d’État appuyaient leur argumentaire sur la générosité de la formulation "En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit"... Le coup d’État, selon le camp constitutionnaliste n’étant pas prévu par la Constitution ne devait pas selon eux entrer dans ce fourre-tout !
Et comme ce sont les victimes du 30 septembre 91 qui ont amendé la Constitution, elles ont enlevé cette formulation élastique et changé la forme de la Présidence provisoire qui n’est plus assumée par les tenants de la Cour de Cassation.
La Constitution amendée telle qu’elle prévoit de remplir la vacance n’offre aucune possibilité d’acrobatie d’interprétation. Dans chaque situation avant les quatre premières années et après la quatrième année, elle indique clairement la démarche et l’instance qui comble le vide.
Mais comme rien n’est dit dans le cas où le Président boucle son terme sans réaliser d’élections pour que son successeur le remplace dans la fonction, on sera en plein dans des tractations politiciennes pour faire face à cette situation de fait.
Des élections du 25 octobre 2015
Si le rapport de la Commission d’Évaluation est mitigé et ne va pas jusqu’au bout de recommandations pertinentes et sans ambages, le travail de ladite instance, le coup d’œil de l’intérieur qu’elle a pu donner, finit par nous convaincre comme nation, qu’il n’y a rien à faire de ces élections que de les annuler. Beaucoup de gens ont voté sans carte d’identification nationale et un trop fort pourcentage n’a pas signé le registre électoral qui certifie le vote. Irrégularités et fraudes ont été la marque de ces élections. Et on ne peut pas non plus ne pas jeter un coup d’œil en profondeur sur la catastrophe électorale du 9 août 2015...
Et si nous acceptons quoi que ce soit d’autres, à l’instar de Dessalines après son passage dans le Sud et les excès dont il était pleinement conscient, nous dirions que nous ne mériterons pas que l’on nous considère comme des femmes et des hommes dignes. Dessalines disait : "... après ce que je viens de faire dans le Sud, si les citoyens ne se soulèvent pas, c’est qu’ils ne sont pas des hommes". Et nous connaissons la suite...
Il faut tout simplement annuler ces élections et en organiser de nouvelles avec un nouvel organisme électoral. Et la nation aurait dû déjà recevoir la lettre de démission de l’ensemble des membres du CEP après la publication du rapport de la Commission d’Évaluation. Mais comme la démission suite à l’échec ou à une responsabilité mal assumée ne fait pas partie des réflexes haïtiens, il va falloir renvoyer ce CEP.
La nation doit se réveiller dans un dernier sursaut et se mettre debout pour dire non à l’inacceptable. Il ne faut pas laisser l’évidence s’imposer à nous sans que nous ayons été préparés à y faire face. Nous devons, cette fois-ci établir un cahier de charges en bonne et due forme pour ne pas être pris au dépourvu. Nous devons bien préparer cette période transitoire qui semble, plus les jours passent, s’imposer à nous, pour que nous arrêtions les improvisations au cas par cas qui nous ont fait rater l’ère de trente ans de la transition démocratique. Où est-ce que nous avions péché, où a-t-on erré, identifions nos lacunes pour faire des propositions appropriées pour chaque dossier, chaque situation. Nous devons prendre les moyens, dans un délai raisonnable pour mettre les balises qui redéfinissent le cadre social, économique et politique, les réformes à entreprendre pour offrir un nouveau profil d’Haïti capable de recréer la confiance des Haïtiennes et des Haïtiens dans leur pays, mériter à nouveau le respect de nos partenaires, créer une dynamique nouvelle pour que le pays puisse se prendre en charge et cesser de dépendre de la communauté internationale et sous-traiter sa sécurité, son autonomie, sa souveraineté ou son alimentation par nos plus proches voisins.
Profitons d’une situation anormale pour prendre un nouveau départ et nous organiser ensemble, pour surprendre le reste du monde quant à notre capacité de rebondir en rupture avec une certaine perception de résilience condescendante.
- Hérold Jean-François est Directeur de Radio Ibo
Cet éditorial a été diffusé le 4 janvier 2016 au Journal de 17:00 de Radio IBO, 98.5 FM Stéréo.
Source: AlterPresse
http://www.alterpresse.org/spip.php?article19483#.Vo_27U9lGyc
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