Non-alignés, Tricontinentale : 60ème anniversaire (2/2)

08/01/2016
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1955 -1965 : La revanche des «damnés de la terre»

 

La bataille de Dien Bien Phu, tournant majeur de la configuration stratégique mondiale, va durer 18 mois (20 Novembre 1953-7 mai 1955) et la chute de la place forte française (5.000 morts) va coïncider avec la Conférence de Bandoeng (17-24 avril 1955), point de naissance du mouvement des Non-alignés, c’est à dire des exclus de la Charte de San Francisco, la charte fondatrice des Nations Unies.

 

  • 1955: Dien Bien PHU, première défaite d’une armée blanche contre un peuple basané, un revers stratégique majeur, marque un tournant dans les relations internationales. Le point de départ des guerres de libération nationale avec en toile de fonds, le début de la guerre d’indépendance de l’Algérie (1er novembre 1954).

 

  • 1956 -La nationalisation du Canal de Suez, première nationalisation réussie dans le tiers monde. Suivie de l’agression tripartie de Suez (France, Royaume Uni et Israël et de la révolte de Budapest (novembre 1956), ouvre la voie aux futures nationalisations des installations pétrolières de la décennie 1970 (Irak, Libye, Algérie), voire même de la firme saoudo-américaine ARAMCO.

 

  • 1er janvier 1957: l’arrivée des Barbudos à la Havane, dans la foulée de la nationalisation du Canal de Suez, et des revendications nationalistes au Maghreb (Tunisie, Maroc), galvanisées par le soulèvement algérien, pose, sur le terrain, dans l’action révolutionnaire, le trépied de la Tri continentale.

 

  • 1958 : L’union syro égyptienne entraîne une riposte militaire occidentale, avec le débarquement américain au Liban et le parachutage de troupes anglaises en Jordanie.

 

La riposte occidentale interviendra à trois niveaux :

 

  1. La mise sur pied du Pacte de Bagdad -Le CENTO-, le pacte central, groupant les états musulmans pro américains (Irak, Iran, Jordanie, Turquie, Pakistan), en un maillon intermédiaire entre l’OTAN et l’OTASE.

 

  1. Le débarquement américain à Beyrouth à l’occasion de la 1re guerre civile libanais a été doublé de l’intervention de parachutistes anglais en Jordanie, en juillet 1958, pour préserver la chasse gardée britannique constituée par la dynastie hachémite dont la branche aînée venait de chuter, avec l’abolition de la monarchie en Irak et la pendaison de Noury Saïd, l’homme des anglais par excellence. Cette double opération militaire anglo-saxonne, deux ans après Suez, a constitué la bonne preuve que l’OTAN est l’adversaire le plus résolu aux aspirations unitaires du Monde arabe : Le Cheikh Youssef Al Qaradawi, le prédicateur millionnaire devrait s’en souvenir, lui qui implorait l’Otan de bombarder la Syrie, quand le pape François priait pour la paix.

 

  1. L’invasion de la baie des Cochons pour tuer dans l’œuf la révolution cubaine, dans l’arrière-cour des États Unis (1961).

 

Afrique : L’onde de choc de Dien Bien Phu et de la guerre d’Algérie

 

Une indépendance tardive et formelle : Contrecoup de ses revers militaires au Vietnam et en Algérie, la France maquille ses défaites en victoires.

 

A son corps défendant, elle octroie l’indépendance à ses colonies d’Afrique, dans la décennie 1960, et, pour élargie sa marge de manœuvre, assume un rôle pionnier dans la reconnaissance de la Chine, le 27 janvier 1964, première brèche dans le dispositif occidental du confinement diplomatique de celui qui deviendra dès la fin du XX me siècle le géant chinois.

 

L’Afrique est le continent qui a le plus tardivement accédé à l’indépendance, particulièrement la zone subsaharienne. Le Ghana, ancienne Gold Coast, l’a été en 1957 et la décolonisation de l’Afrique noire francophone dans la décennie 1960, sans la moindre guerre de libération nationale.

 

Les seules guerres de libération menées ont été les guerres de libération des places, les guerres d’accaparement des palaces et des limousines. Nullement le fait de la générosité française, l’indépendance octroyée d’un trait aux 13 colonies de l’Afrique occidentale et centrale française (Sénégal, Mauritanie, Guinée, Mali, Côte d’Ivoire, Niger, Gabon, Tchad, Cameroun, Congo Brazzaville, Haute Volta, Dahomey, République Centre Africaine) répondait à des nécessités de survie démographique.

 

Bien que les statistiques ethniques soient officiellement bannies en France, elles n’en sont pas moins intégrées dans l’ordre subliminal dans les prospectives stratégiques de la nation. Les pertes de l’armée française durant la IIe guerre Mondiale (1939-1945), de l’ordre de 100.000 soldats, cumulées aux pertes françaises lors de la défaite de Dien Bien Phu, qui marqua la fin de la guerre d’Indochine dix ans plus tard, de l’ordre de 5.000 soldats, surajoutées aux pertes françaises dans la guerre d’Algérie, de l’ordre de 15.000 soldats du contingent…la blancheur immaculée de la population française risquait de pâtir à terme de la pigmentation de l’apport mélanoderme résultant des besoins en main d’œuvre d’un pays en phase de reconstruction.

 

Le lestage de l’empire français s’est opéré sous couvert d’une Grande Communauté Franco Africaine, permettant à la France de concéder une indépendance formelle à ses anciennes colonies, tout en maintenant sous contrôle ses anciennes possessions. Du beau travail d’équilibriste.

 

La décapitation des figures emblématiques : «Il y a quelqu’un de pire qu’un bourreau, son valet» Mirabeau.

 

Toutes les figures emblématiques du combat pour l’indépendance ont été limogées par leurs compatriotes, sous-traitants des anciens colonisateurs, quand ce n’est par le colonisateur lui-même qui s’en est chargé, comme ce fut le cas avec Félix Moumié, le dirigeant nationaliste du Cameroun (UPC) empoisonné par l’homme en charge du dossier Afrique sous la présidence du Général Charles de Gaulle (1959-1969) Jacques Foccart en personne.

 

Il en a été ainsi de Modibo Keita (Mali) par le lieutenant Moussa Traoré, de Thomas Sankara (Burkina Faso) par son frère d’armes Blaise Compaoré, de Patrice Lumumba par le sergent Joseph Désiré Mobutu, agent de la CIA, d’Amadou Aya Sanogo contre l’ordre républicain de son pays. le Mali. Aucun putschiste n’a payé son forfait et Dakar et Abidjan tendent à devenir le lieu d’échouage des anciens éléphants de la France-Afrique : Hissène Habré (Tchad), Amadou Toumany Touré (Mali), Blaise Compaoré (Abidjan).

 

Tous les potentats se sont assuré une police de survie en alimentant la classe politique française de djembés et de mallettes de Félix Houphouët Boigny (Côte d’Ivoire), à Omar Bongo (Gabon), à Joseph Désiré Mobutu (Congo Kinshasa) à Denis Sassou Nessos (Congo Brazzaville). Une pratique qui perdure près de 60 ans après l’indépendance, alors que l’Afrique a fait l’objet de la plus forte dépossession de l’histoire, de la plus forte spoliation de l’Histoire.

 

La France, vassale de l’Amérique, rescapée parmi les grands vainqueurs de la 2me guerre mondiale, dote le régime d’Apartheid d’Afrique du sud de l’arme nucléaire. Elle favorise la sécession de la région pétrolière du Biafra et soutient Jonas Savimbi, l’agent de la CIA en Angola, dans sa lutte contre les nationalistes angolais en guerre d’indépendance contre le colonialisme portugais en Angola et au Mozambique. En réplique, Cuba dépêchera dans la décennie 1960 un corps expéditionnaire en soutien aux nationalistes angolais en guerre d’indépendance contre le colonialisme portugais en Angola et au Mozambique.

 

Penser Global agir local : la Tri continentale, contrepoint de la Trilatérale (Etats-Unis, Europe, Japon) et du groupe de Bilderberg, le cénacle des cosmocrates de la planète.

 

1965-1975 : La décapitation de la tricontinentale avec l’élimination de Mehdi Ben Barka, de Che Guevara (1967) et la neutralisation de Nasser (1967), sur fond de fournaise américaine dans la guerre du Vietnam (52.000 soldats américains tués), dix ans après Dien Bien Phu.

 

L’Indonésie, préfiguration du Plan Condor.

 

Auparavant, l’Indonésie, pays hôte de la conférence de Bandoeng, sera noyée dans un bain de sang, en 1964, à la veille du 10me anniversaire de la conférence actant le réveil des peuples colonisés. Le président Ahmad Soekarno est renversé par un coup d’état. Son substitut, Suharto, déclenche une vague de répression entraînant la décapitation du principal parti communiste du Monde musulman, avec l’assassinat de près de trois millions de communistes indonésiens. Préfiguration de l’opération Phoenix au Vietnam, en 1966, et du plan Condor, en Amérique latine, dix ans plus tard, sous l’égide du secrétaire d’état américain Henry Kissinger. La chasse aux communistes indonésiens, banc d’essai des futures campagnes d’épuration, a été menée sur la base de listes établies par l’ambassade américaine à Djakarta actualisées par les relevés quotidiennes de la presse indonésienne des déclarations anti-américaines des opérateurs locaux.

 

1965 : Conséquence de l’engagement massif des Américains dans la 2me Guerre du Vietnam et de son enlisement au plus fort de la rivalité soviéto-américaine, l’épreuve de force se répercute, en Amérique latine, non seulement par le blocus de Cuba qui a suivi la crise des Missiles, mais aussi par la destruction du MR-8, le Mouvement Révolutionnaire Brésilien par le général Medici (1964).

 

Deux ans plus tard, en 1967, les conseillers américains au Vietnam, au nombre de 30.000, sont remplacés par un corps expéditionnaire de 500.000 soldats en vue d’endiguer le déferlement communiste.

 

En application du principe «Penser global agir local» Che Guevara et Nasser en seront les deux victimes collatérales de ce mot d’ordre impérialiste.

 

En prévision de la première confrontation directe entre Américains et communistes, qui culminera en janvier 1968 avec l’offensive communiste victorieuse du Têt, les Etats Unis s’emploient à «assécher le marigot» de leur arrière-cour. La Guerre de juin 1967 contre Gamal Abdel Nasser, dix ans après Suez, châtie le chef charismatique du nationalisme arabe de son soutien aux indépendantistes du Sud Yémen et conduit l’Égypte à se désengager de la Péninsule arabique, zone névralgique du système énergétique mondial. Nasser laisse de ce fait les mains libres à l’Arabie Saoudite pour assurer, à des prix compétitifs, et en toute quiétude, le ravitaillement de la Vème (Golfe-Océan Indien) et la VIIème flotte américaine (Pacifique) en opération au Vietnam. Les États Unis alignaient alors une force de frappe de 3 porte-avions, 500 avions de combats, sans compter les hélicoptères, les chars et blindés et les transports de troupe.

 

La relève nassérienne sera assurée par la guérilla palestinienne pendant quatorze ans (1968-1982), de la bataille de Karameh, en 1968, à la perte du sanctuaire libanais des Palestiniens, en 1982, dans la foulée de la première invasion israélienne du Liban. Le combat palestinien en sortira exsangue, tant par les coups de butoirs répétitifs de ses ennemis, le trône hachémite avec le septembre noir jordanien 1970, la guerre de dérivation du Liban pour en faire une «patrie de substitution» aux Palestiniens (1975-1983) que par ses dérives de type mafieuses.

 

Le FLN vietnamien faisait usage des bordels de Saigon comme source de revenus, les Palestiniens des lupanars de Beyrouth, les lieux de leurs propres débauches.

 

Sur le flanc sud des États Unis, Che Guevara est assassiné quatre mois plus tard en Bolivie, en octobre 1967, provoquant un coup d’arrêt brutal à la guérilla transaméricaine.

 

Au plus fort de la guerre froide soviéto-américaine (1945-1990), alors que la religion était instrumentalisée par les États-Unis comme arme de combat contre l’athéisme marxiste, notamment dans les pays arabes et musulmans, l’Amérique latine forgera un concept novateur «la théorie de libération» pour justifier au nom de cette même religion le combat contre l’hégémonie nord-américaine.

 

Que des prêtres aient pu prôner une «Théologie de la Libération» vingt siècles après l’avènement du Christianisme, sur l’une des terres d’élection de la chrétienté, l’Amérique latine du Che Guevara, donne la mesure des frustrations accumulées par les ravages d’un capitalisme effréné. Ce mot d’ordre révolutionnaire va retentir dans le contexte exacerbé de la guerre froide soviéto-américaine comme un mot d’ordre subversif pour les tenants de l’ordre établi, que cela soit au sein de la hiérarchie cléricale ou parmi les latifundiaires et leurs alliés les dirigeants des conglomérats américains de l’industrie agro-alimentaire «United Fruit», de l’industrie minière «Anaconda» ou des télécommunications IIT (International Telephone and Telegraph), qu’ils combattront comme tel.

 

Le Plan Condor

 

Tous les grands pays seront en proie à la déstabilisation. Les dictatures militaires, souvent installées en sous-main par la CIA, la centrale américaine du renseignement, noieront dans le sang toute velléité revendicatrice.

 

Du Guatemala (1954), au Nicaragua (1980), en passant par le Brésil (1964), la Bolivie (1967), le Chili (1973), et l’Argentine, toutes passeront à la postérité pour leur macabre bilan. Le plus élaboré des plans concertés de répression collective, le plan Condor de sinistre mémoire, offre l’édifiant bilan suivant :

 

De 1975 à 1983, de la chute de Saigon, bastion de la présence militaire américaine en Asie, au démantèlement du sanctuaire palestinien à Beyrouth, la vaste et impitoyable chasse aux opposants aux dictatures latino-américaines est lancée sur l’ensemble du Cône sud. A l’instigation du secrétaire d’état Henry Kissinger, avec la collaboration des dictateurs du Paraguay, Alfredo Stroessner, et du Chili, Augusto Pinochet, fera plusieurs dizaines de milliers de victimes dans six pays d’Amérique latine : Argentine (30.000), Bolivie (350), Brésil (288), Chili (3.000), Paraguay (2.000) et Uruguay (178).

 

La répression n’épargnera pas non plus le clergé catholique : L’Amérique latine a aussi produit des figures mythiques dans l’ordre religieux, de véritables icônes modernes du continent, tels Camillo Torres, le prêtre colombien, -l’ami de l’Abbé Pierre, parrain des déshérités français-, l’animateur du «Frente Unido». Une autre figure mythique du clergé militant a été Don Helder Camara, Archevêque de Recife, «l’évêque rouge» des bidonvilles et pourfendeur de la course aux armements ou encore le père Rutilo Grande, tué le 12 mars 1977 par un mystérieux escadron de la mort l’année de l’intronisation de son ami, Mgr Oscar Roméro, l’archevêque de San Salvador, qu’ils assassineront trois ans plus tard.

 

La chasse aux prêtres-guérilleros débordera même de dix ans la période du plan Condor tant la religion peut paraître corrosive aux yeux d’une population croyante.

 

Sur le plan condor :

 

En Asie, l’Indonésie, déjà précitée, le plus grand pays musulman, tombera dans l’orbite américaine au terme d’une sanglante opération de déstabilisation entraînant le massacre de 3 millions de personnes et la destitution du président Ahmad Soekarno, un des plus actifs participants à la Conférence de Bandoeng, et le démantèlement du PC indonésien, le 3me parti communiste par ordre d’importance au Monde après ceux de l’URSS et de Chine.

 

Dans le Monde Arabe, Mehdi Ben Barka, une des figures de l’opposition du Tiers monde, cheville ouvrière de la tricontinentale, le fer de lance des non-alignés, est assassiné dans de ténébreuses conditions, dans une opération conjuguée mêlant le MOSSAD, la CIA et les services français, le 29 octobre 1965, alors qu’il préparait la tenue de la 2me conférence de la tricontinentale prévue en Janvier 1966 à la Havane.

 

Le Maroc, membre du SAFARI CLUB (France, Arabie saoudite, Maroc), chargé de la protection des dictateurs africains pro occidentaux (Mobutu Zaïre, Eyadema Togo, Bongo Gabon) faisait office de base de repli au commandement politique et militaire français en cas d’effondrement de la France face à une poussée soviétique.

 

Sur l’implication du Mossad dans l’assassinat de Mehdi Ben Barka

 

 

Soekarno, Ben Barka, Guevara, les Palestiniens anéantis en Jordanie lors du «septembre noir» de 1970, Nasser qui décédera dans la foulée, un mois plus tard, le PC communiste soudanais avec ses chefs mythiques Abdel Khaleq Mahjoub et Hachem Al Atta, décapités avec l’aide du libyen Kadhafi en tandem avec les Anglais, puis Salvador Allende, au Chili en 1973, les Sandinistes au Nicaragua…Le neutralisme paraît déstabiliser par l’élimination brutale de ses figures emblématiques.

 

1975-1985 : Le triomphe du néo conservatisme du Tandem Reagan-Thatcher

 

1973- L’intermède de Salvador Allende, la destruction de la ligne Bar Lev et l’arme du pétrole

 

Face à une défaite prévisible au Vietnam, les États Unis vont durcir la répression dans leur pré carré. Salvador Allende est assassiné le 11Septembre 1973, et un mois plus tard, Anouar Al Sadate opère un changement d’alliance, lâche Moscou au profit de Washington et se lance dans la guerre d’octobre 1973 pour la récupération du Sinaï.

 

L’usage de l’arme du pétrole par l’Arabie saoudite fait basculer le centre de gravité du Monde arabe des rives des Républiques populeuses et frondeuses des rives de la Méditerranée à la zone d’abondance du Golfe. Des pays du champ de bataille contre Israël à la zone sous protectorat occidental. Le mot d’ordre UNITE ARABE cède la place au nouveau mot d’ordre SOLIDARITE ISLAMIQUE.

 

La chute de Pnom Penh et de Saigon, le 30 mars 1975, est suivie 15 jours plus tard du déclenchement de la guerre civile libanaise, première guerre civile interurbaine de l’époque contemporaine, précurseur des guerres d’épuration ethnique de la décennie 1990 en Bosnie Bosnie-Herzégovine et de la mise en œuvre de la théorie des combats de chiens. Plus connue sous le vocable scientifique de « théorie de la dissension sociale », elle a été conceptualisée par Peter Galbraith, le fils de l’économiste James Kenneth Galbraith, et interface de la pakistanaise Benazir Bhutto pour le compte de la CIA.

 

Venger la défaite des armes américaines au Vietnam, l’obsession d’Henry Kissinger, va ravager le Moyen Orient.

 

Sur fond d’une guerre inter-factionnelle, à combustion régionale, à propulsion internationale, la guerre du Liban (1975-1990) va dégager la voie à une mutation progressive du dialogue euro arabe en une alliance islamo atlantiste, d’abord un dialogue Europe Conseil de Coopération du Golfe, puis dialogue euro-méditerranéen, de manière à y inclure Israël.

 

L’instrumentalisation de l’Islam comme arme de combat contre l’athéisme soviétique, matérialisée par la guerre anti soviétique d’Afghanistan (1980-1989), va déporter le combat principal des Arabes, le combat pour la Palestine, à cinq mille km du champ de bataille, à Kaboul.

 

Cinquante mille (50.000) combattants vont s’engager dans cette bataille pendant dix ans, contre le principal fournisseur d’armes aux pays du champ de bataille (OLP, Syrie, Égypte, Irak, Libye, Soudan, Algérie, Somalie et Yémen), sans tirer le moindre coup de feu en faveur de la Palestine. Pire, sur le plan israélo-arabe, l’Égypte signe la paix avec Israël, en 1979, mais le Monde arabe ne tire pas profit du basculement de l’Iran dans le camp anti occidental, avec la chute du Shah. Au contraire, les pétromonarchies, simultanément à la guerre anti soviétique d’Afghanistan, finance via l’irakien Saddam Hussein contre la Révolution islamique iranienne (1980-1989).

 

Deux des pays contestataires à l’hégémonie occidentale vont être ainsi neutralisés : l’Iran et l’Union soviétique. L’OLP, dans un grand isolement arabe, perd son sanctuaire militaire du Liban, en 1983.

 

Mais cette décennie 1975-1985 va sanctionner le triomphe du néo conservatisme du tandem Reagan-Thatcher, sur le plan économique avec la consécration de l’ultralibéralisme de l’École de Chicago de Milton Friedman, et l’élaboration du consensus de Washington. Sur le plan militaire, la défaite argentine des Malouines, en 1982, mettant fin à la dictature de Jorge Rafael Videla (1976-1983), dix ans après l’assassinat d’Allende, débouche en Europe sur le démantèlement du Mur de Berlin (1989), symbole de la démarcation entre deux Mondes, conséquence de l’implosion de l’Union Soviétique du fait de la guerre d’Afghanistan.

 

La décennie 1990 marque le début d’un monde unipolaire sous le leadership américain, contesté toutefois, par Cuba en Afrique avec la victoire de Cuito Cuanavale (1988), en Angola prélude à la décomposition du régime d’Apartheid, à l’indépendance de l’Angola et de la Namibie.

 

L’unilatéralisme atlantiste dans les relations internationales est favorisé par la décomposition de l’ancien bloc soviétique. La Russie est en état de coma éthylique avec la présidence fortement alcoolisée de Boris Eltsine (1991-1999).

 

1985-1995 : L’Adieu aux armes des Palestiniens

 

L’accord d’Oslo, le 13 septembre 1993, signe l’adieu aux armes des Palestiniens ; accord fatal en ce qu’il sanctionne une renonciation sans condition, sans contrepartie. L’OLP passera dans l’histoire comme la première organisation de libération au Monde à renoncer à la lutte armée sans être parvenue à la réalisation de ses objectifs nationaux.

 

Normalisation rampante versus annexion rampante : Normalisation rampante du côté arabe proportionnelle à la montée en puissance du mouvement du boycottage d’Israël sur le plan mondial. Alors que l’Algérie sombre dans la guerre civile à soubassement religieux, première manifestation à l’échelle arabe d’un conflit propulsé par les pétrodollars salafistes, Yasser Arafat, fragilisé par la première guerre d’Irak (invasion du Koweït en 1990), dix ans après la perte de son sanctuaire libanais, est confiné à Tunis, à des milliers de km du champ de bataille. Il retrouvera la terre de Palestine après 48 ans d’exil, sans la moindre garantie, sans la moindre perspective, à la merci de ses geôliers israéliens.

 

Prix Nobel de la Paix, Arafat finira sa vie confiné dans son complexe de Ramallah, sous la menace des soldats israéliens, preuve vivante que le Prix Nobel ne protège pas les damnés de la terre de l’impétuosité des tyrans, quand bien même son bourreau Ariel Sharon finira en légume encombrante pour le budget israélien. Dans la foulée, la Jordanie s’engouffre dans la brèche et signe un traité de paix avec Israël, en 1995.

 

La normalisation rampante des monarchies arabes va s’opérer au diapason de l’annexion rampante de la Palestine par Israël. Abou Dhabi confie la protection de ses frontières à une firme israélienne, Qatar autorise une représentation commerciale faisant office d’ambassade, sans parler du Maroc, l’allié souterrain permanent d’Israël dans la zone, dont la Reine décerne un collier de perles à Tzipi Livni, coordonnateur de la destruction de gaza, en 2008.

 

1995-2005 : Le sursaut latino-américain et le coup d’arrêt du Hezbollah à la logique de vassalité arabe.

 

Le sursaut viendra d’Amérique latine avec l’arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir, en 1998, dans un état pétrolier, première percée significative d’une modification des rapports de force dans le sous-continent

 

Un mouvement qui connaîtra son apogée avec les élections successives du syndicaliste Lula au Brésil (2003), d’Evo Morales en Bolivie (2006), de l’ancien chef des Tupamaros Pépé Mujica (Uruguay), en 2009, enfin de Michèle Bachelet, en 2013.

 

L’Amérique latine devient ainsi la première zone géostratégique engagée dans un processus spécifique de dépassement de sa dépendance antérieure par une plus grande autonomie de décision politique. Le Forum de Porte Alegre est fondé, en réplique au forum de Davos, le Brésil fait son entrée au BRICS.

 

Dans le Monde arabe, sur fond d’exacerbation du conflit latent entre Oussama Ben Laden et de ses parrains saoudiens et américains, un coup d’arrêt à la logique de vassalité intervient avec le Hezbollah libanais, qui obtient le dégagement militaire israélien, sans condition. L’antithèse, en somme des accords israélo-palestiniens d’Oslo, sans négociation, ni traité de paix, sans renoncer à ses armes. Un exploit identique à ses aînés.

 

http://www.renenaba.com/liban-diaspora-2-2/

 

En comparaison, le Viet Minh a défié les accords de Genève et a insisté pour marcher sur Saigon et unifier le pays sous son régime. Le Front de libération National (FNL) algérien a défié la direction du Parti Communiste Français de donner la priorité à la lutte de classes en France et a lancé sa lutte pour l’indépendance. Et les groupes de guérilleros cubains, en renversant la dictature de Batista, ont forcé l’Union soviétique à les aider à se défendre contre l’invasion américaine, après avoir arraché l’étiquette de Parti Communiste au groupe qui avait pactisé avec Batista.

 

Le raid du 11 septembre 2001 inaugure une décennie de «guerre contre le terrorisme» entre les anciens alliés de la guerre anti soviétique d’Afghanistan: L’Afghanistan (2001) puis l’Irak (2003) , les deux points de percussion de la collaboration saoudo-américaine dans la sphère arabo musulmane, la première contre l’Union soviétique, le second contre l’Iran, vont saper les fondements de la suprématie américaine. Tant par le coût de ses expéditions punitives que par les pertes humaines, que par l’intronisation du djihadisme planétaire comme une donnée permanente des guerres asymétriques de l’échiquier mondial, avec une alliance ambiguë des groupements takfiristes avec le bloc atlantiste, contre les anciens alliés de l’Union soviétique, à tout le moins dans la sphère arabo musulmane.

 

2005, l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, chef de file du clan saoudo américain au Moyen orient, génère un retrait syrien du Liban et la mise de damas sous pression avec l’adoption par le congrès américain de la «Syrian Accountability Act». En 2006, deuxième fait d’armes victorieux du Hezbollah, en mettant en échec une offensive israélienne contre le Liban, propulse la formation paramilitaire chiite libanaise au rang du FLN vietnamien, du FLN algérien et des Barbudos cubains.

 

Le printemps arabe et la montée en puissance du BRICS lors de la guerre de Syrie (2011-2015)

 

Le printemps arabe qui éclot en 2011, va déboucher sur la plus forte glaciation politique, intellectuelle et morale du Monde arabe avec l’entrée en force des pétromonarchies wahhabites (Arabie saoudite et Qatar), les meilleurs alliés du bloc atlantiste durant la guerre froide soviéto américaine et leur roue dentée, la Confrérie des Frères Musulmans.

 

Révolte authentiquement populaire au départ en déboulonnant les supplétifs occidentaux Zine El Abidine Ben Ali (Tunisie) et Hosni Moubarak (Égypte), les deux béquilles du projet sarkozyste de l’Union Pour la Méditerranée, le printemps arabe va être dévié de son cours pour finir par présenter cette singularité unique dans l’histoire des luttes de libération de s’attaquer exclusivement aux régimes à structure républicaine, professant une idéologie laïcisante .

 

Le Soudan, principal fournisseur d’énergie de la Chine, sera démembré, la Libye, principal fournisseur d’énergie de la Russie sera détruite, la Syrie, maillon intermédiaire du ravitaillement stratégique du Hezbollah face à Israël, sera démantelée, sans que la moindre pétromonarchie ne soit inquiétée.

 

Intervenant au terme de dix ans de guerre contre le terrorisme, dans la foulée de la crise du système bancaire américaine, qui a entraîné une perte de capitalisation boursière de l’ordre de 25 mille milliards de dollars, de la crise systémique de l’endettement européen, le printemps arabe est ainsi apparu rétrospectivement comme une guerre de prédation économique visant à affaiblir le BRICS (Brésil, Russie, Chine, Afrique du Sud) par une alliance contre nature entre les «grandes démocraties occidentales» et les pétromonarchies arabes parmi les plus répressives et les plus régressives du Monde.

 

Par quatre veto opposés par le BRICS face au bloc atlantiste au Conseil de sécurité de l’ONU, lors de la guerre de Syrie, (2011-2015), la Chine, désormais première puissance économique du Monde, la Russie, victorieuse de l’Otan en Ukraine par la récupération de la Crimée, ont mis fin à l’unilatéralisme occidental dans la gestion des affaires du Monde.

 

Épilogue 2015 : Cuba et l’Iran vainqueurs par KO technique de tous les supplétifs de la stratégie atlantiste.

 

En 60 ans, tous les supplétifs de la stratégie atlantiste ont péri de mort violente : Noury Saïd, l’incitateur de l’agression tripartite de Suez contre Nasser et le Roi Faysal d’Irak (1958), l’homme du septembre noir Wasfi Tall (Jordanie-1972), Anouar Al Sadate, l’homme de la normalisation avec Israël, (Égypte-1981), le phalangiste Bachir Gemayel (président éphémère du Liban 1982), Rafic Hariri (Liban-2005), Benazir Bhutto (Pakistan-2007), un tandem situé aux deux extrémités de l’axe visant à l’avènement du Grand Moyen Orient, Wissam Al Hassan (Liban 2012), la dague sécuritaire du clan saoudo américain au Liban. De même, qu’une fois leur forfait commis, Saddam Hussein (Irak) contre l’Iran (1979-1989) et Mouammar Kadhafi (Libye), le livreur aux anglais des secrets de la coopération nucléaire interarabe.

 

En contrechamps, les deux pays soumis au blocus occidental, et absent du premier congrès fondateur des Non-alignés en 1955, -Cuba (54 ans de blocus) et l’Iran (33 ans d’embargo), désormais puissance du seuil nucléaire-, sont activement courtisés par les États Unis en vue d’une normalisation, en 2015, date commémorative du 60e anniversaire de la conférence de Bandoeng.

 

En apothéose au 60 me anniversaire du lancement du Mouvement des Non Alignés, le Vietnam, vainqueur à la fois des États Unis et de la France, est reçu en grande pompe le 7 juillet à la Maison Blanche en la personne du chef du parti communiste vietnamien, le fer de lance du combat anti-atlantiste, et Cuba est promu, le 1er juillet 2015, au rang de premier pays au monde à avoir éliminé la transmission du virus du Sida (VIH) et de la syphilis de la mère à l’enfant, un des grands accomplissements en matière de santé publique, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

 

Soixante ans après le lancement du Mouvement des Non lignés, et comme pour saluer l’événement, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), réuni pour son sixième sommet annuel à Fortaleza, au Brésil, ont acté le 15 juillet 2015, la création d’une banque de développement et d’une réserve de change commune.

 

Une contribution importante pour la reconfiguration de la gouvernance économique mondiale, en ce que la Banque des BRICS vise à créer un système alternatif aux institutions dominées par les nations occidentales, Fonds monétaire international (FMI) et Banque mondiale.

 

La Banque de Développement, basée à Shanghai, aura pour objectif de financer de grands projets d’infrastructures dans les pays concernés. Sa capitalisation de départ sera de 50 milliards de dollars, apportés par les cinq participants. A terme, sa force de frappe pourra atteindre les 100 milliards de dollars. Surtout, elle n’assortira pas ses prêts de conditionnalités contraignantes.

 

Moralité : Le combat contre l’impérialisme maintient vivace l’ardeur militante, vivante la revendication, en même temps qu’il vertèbre le militant en le maintenant en posture verticale et non reptile, et force le respect de ses adversaires. Telle pourrait être la principale leçon de cette séquence historique.

 

Références bibliographiques

 

  • «Média et Démocratie, la captation de l’imaginaire, un enjeu du XXI me siècle» par René Naba – Golias 2013 -«La propagande culturelle au service des Affaires», Herbert Schiller, professeur à l’Université de Californie à San Diego, in Manière de voir n°47 (Cinquante années qui ont changé notre Monde), avril -mai 2004.

 

  • -Révélation$ par Denis Robert et Ernest Backes, Les Arènes éd., 2001. Who paid the piper par Frances Stonor Saunders, productrice de documentaires historiques pour la BBC, Granta Books éd., 1999. Version française : Qui mène la danse ? La CIA et la guerre froide culturelle, Denoël éd., 2003.

 

  • -Holocaust and Collective Memory par Peter Novick, Bloomsbury Publishing Ed. 2001. Version française : L’Holocauste dans la vie américaine, Gallimard éd., 2001.-«Evangelized foreign policy?» par Howard LaFranchi, The Christian Science Monitor, 2 mars 2006. Version française : «Quand les évangéliques dictent la politique étrangère américaine», Le Courrier International, n°803 du 23 mars 2006
https://www.alainet.org/fr/articulo/174631
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