Interview de René Naba au journal espagnol La Vanguardia

Iran – Nucléaire

20/08/2015
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Laurent Fabius se rendra le 29 juillet 2015 à Téhéran pour une prise de contact avec les dirigeants iraniens, quinze jours après l’accord international sur le nucléaire iranien. En prévision de ce déplacement, l’Iran a adressé deux messages codés au ministre français des affaires étrangères, qui s’était targué de faire preuve de «fermeté constructive» lors des négociations.

 

Le premier message codé:

 

Téhéran a réservé son premier accueil à l’Allemagne, rival économique de la France et chef de file de l’Union Européenne, en la personne du vice chancelier allemand chargé de l’économie, Segmar Gabriel;

 

Le second message codé:

 

Téhéran a réservé son second accueil à Staffan Di Mistura, émissaire spécial de l’ONU pour la Syrie, déjà en possession du document adopté par le Congrès fondateur de l’opposition démocratique syrienne, au Caire (8-9 juin), en vue d’une transition politique en Syrie.

 

Bon nombre d’observateurs trépignent d’impatience à l’idée de savoir si Laurent Fabius osera répéter sa bravade faite devant un parterre de ses supplétifs du temps de la splendeur de la diplomatie française se croyant conquérante en Syrie, à savoir «Jabhat An Nosra fait du bon travail en Syrie».

La Vanguardia

 

 

Interview de René Naba au journal espagnol La Vanguardia. Propos recueillis par Rafael Poch De Féliu, correspondant de La Vanguardia à Paris.

 

  • La France passe pour être la grande perdante de la redistribution régionale, malgré les propos soporifiques de son ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius. Dans ses deux versions néo gaullistes et socialistes, elle a assumé une fonction de mercenaires auprès des pétromonarchies soutenant inconditionnellement leurs positions même les plus dangereuses pour la sécurité de la France à long terme (Libye, Syrie).

  • L’accord sur le nucléaire iranien constitue un coup de semonce indirect aux deux trublions de la zone, Israël et l’Arabie Saoudite, et vise à réduire à néant leur capacité de chantage.

  • Le fait que l’Iran ait accédé au rang « de puissance du seuil nucléaire » brise, au niveau du Monde musulman, le monopole de l’arme atomique jusque-là détenu par les sunnites (Pakistan).

 

LV : Quel était l’intérêt des États-Unis de parvenir à un accord avec l’Iran ?

 

RN – 1er intérêt avancé comme prétexte officiel : Prévenir une prolifération nucléaire et une course à l’armement atomique dans la zone. L’argument ne tient pas la route car les Occidentaux ont été les principaux pollueurs atomiques de la planète tant par l’usage directe de la bombe atomique en zone de conflits au Japon en 1945 (Hiroshima et Nagasaki) que du fait de leur expérience atomique à ciel ouvert du désert de Mexique à Reggane en Algérie), que par leur aide à l’équipement nucléaire d’Israël, de l’Afrique du sud du temps de l’Apartheid, de l’Inde et du Pakistan.

 

2ème intérêt qui constitue un « véritable non dit de la stratégie internationale » : Empêcher quiconque de se doter de l’arme atomique hors la caution occidentale et sans la technologie occidentale, dont il devra rester éternellement dépendant et donc sous contrôle. Cette position est constante depuis l’effondrement du bloc soviétique.

 

L’Iran, hors de la sphère d’influence occidentale, et surtout rival de l’Arabie saoudite, le principal partenaire arabe des États-Unis, en accédant à la bombe atomique sans l’accord des Occidentaux et leur concours, aurait réduit à néant la valeur dissuasive de la stratégie occidentale.

 

3ème intérêt : L’accord sur le nucléaire iranien revêt un double avantage :

 

– Le fait que l’Iran ait accédé au rang « de puissance du seuil nucléaire » brise, au niveau du Monde musulman, le monopole de l’arme atomique jusque-là détenu par les sunnites (Pakistan). L’accord est valable dix ans. Au-delà, l’Iran pourrait servir de contrepoids tant à Israël qu’au Pakistan happé par la tentation talibane. L’accord ouvre le jeu au niveau régional qui se ne réduit plus à un binôme mais ouvre la possibilité à d’autres combinaisons d’alliance, ponctuelles, sur des dossiers précis.

 

LV : Comment cet accord va affecter la consolidation régionale et mondiale de l’Iran ?

 

RN – Dans l’ordre subliminal, tout en les noyant sous un flot d’assurances, l’accord constitue un coup de semonce indirect aux deux trublions de la zone, Israël et l’Arabie saoudite, et vise à réduire à néant leur capacité de chantage.

 

Au-delà des objectifs annoncés, l’accord répond à deux objectifs :

 

  • Premièrement, faire baisser en intensité la capacité de nuisance d’Israël et de l’Arabie saoudite, en réduisant leur marge de manœuvre. Le fait que les États-Unis soient alliés des deux parmi les grands États voyous (Rogue state) de la zone, l’Arabie saoudite et Israël, porte en lui les germes du dépérissement du crédit moral de l’Amérique et partant de son leadership. Cette extraordinaire tolérance de l’Amérique à l’égard de ces deux pays la tire vers le bas. Un arrangement entre les États-Unis et l’Iran, sur le modèle de la réconciliation entre les États-Unis et le Vietnam, constituerait un moyen de pression indirect sur les deux grandes théocraties que sont l’Arabie saoudite et Israël pour les amener à se conformer avantage aux normes internationales.

  • Deuxièmement, une phase de pré-détente entre l’Iran et le Bloc atlantiste pourrait favoriser une convergence de fait dans le traitement des points brûlants de l’actualité régionale notamment le combat contre le djihadisme takfiriste (Da’ech), une éventuelle stabilisation de la situation en Syrie prélude à un règlement négocié etc.

 

LV : Quel regard portez-vous les négociateurs iraniens ? Comment jugez-vous la qualité de leur prestation ? D´où cela provient-il ?

 

RN – L’équipe de négociateurs iraniens a été formée dans les universités américaines, notamment Jawad Zarif, ministre des Affaires étrangères, et surtout Ali Salehi, diplômé en physique nucléaire de la prestigieuse université américaine Massachusetts Institute of Technology (MIT), la plus importante université scientifique au Monde.

 

Leur expertise est doublée d’une ardente obligation de servir leur pays et d’une farouche volonté d’indépendance. L’équipe iranienne constitue dans les faits, la négation du comportement des zombies médiatiques arabes qui sont succédé sur les écrans de télévision à l’occasion du mal nommé « printemps arabe » de Bourhane Ghalioune, premier président de l’opposition syrienne off-shore, et sa porte-parole Basma Kodmani, qui faisaient office de supplétifs syriens de l’administration française dont ils étaient les salariés… pour diriger la révolution en Syrie… depuis la France.

 

LV : Pourquoi la France a-t-elle une attitude si belliqueuse envers la Syrie et l’Iran ?

 

RN – La France, dans ses deux versions néo gaullistes et socialistes, assume une fonction de mercenaires auprès des pétromonarchies soutenant inconditionnellement leurs positions même les plus farfelues, même les plus dangereuses pour la sécurité de la France à long terme (Libye, Syrie).

 

De surcroît, cobelligérante de l’Irak dans sa guerre contre l’Iran, dans la décennie (1979-1989), un des principaux pollueurs atomiques de la planète, équipementier nucléaire du régime d’apartheid d’Afrique du sud et d’Israël, de même que l’Iran impériale via le consortium Eurodif, la France passe pour être la grande perdante de la redistribution régionale, malgré les propos soporifiques de son ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius.

 

L’Iran vient de lui adresser un message limpide à l’effet de calmer ses ardeurs, en recevant dimanche 19 juillet, le vice chancelier allemand chargé des finances pour la première visite d’une délégation occidentale en Iran, depuis l’accord sur le nucléaire, soit cinq jours après sa conclusion. Le ministre allemand est accompagné d’une importation délégation du patronat et de scientifiques. Tout un programme qui se passe de commentaires.

 

LV : Que connaît-on de l’aide français à Jabhat an Nosra, la franchise d’Al-Qaïda en Syrie, dénoncé par certains députés de la droite a Paris ?

 

RN – Laurent Fabius, le plus capé des hiérarques de gauche, a été le seul chef de diplomatie d’une grande puissance occidentale, à avoir donné un quitus favorable à Jabhat an Nosra en Syrie.

 

« La phrase, célèbre, est passée à la postérité : Jabhat An Nosra fait du bon travail en Syrie ». Cela a pu être interprété comme un feu vert au djihad de la part de ses compatriotes français et la France paie le prix de cette légèreté.

 

La phrase pèse lourd et demeurera longtemps présente dans la mémoire des peuples, notamment en France parmi les sympathisants de « Charlie hebdo » dont il a commandité le massacre de son équipe rédactionnelle. En France, comme chacun sait, nous sommes « responsables pas coupables ».

 

LV : Le 14 Juillet, François Hollande a dit que l’accord avec l’Iran est important « parce que si Téhéran aurait l’accès à la bombe atomique Israël (et la Arabie Saoudite) voudrait aussi l’accès.» Le Président peut ignorer la réalité qu’Israël dispose d’un arsenal nucléaire depuis la décennie 1960 avec la collaboration de la France ?

 

RN – Visiblement François Hollande n’a pas fini de cuver le vin qu’il a bu en compagnie de Benyamin Netanyahu dans la cuisine du dirigeant le plus xénophobe de l’histoire d’Israël.

 

En fait François Hollande a associé Israël à l’Arabie Saoudite dans un artifice de langage pour ne pas donner l’impression de se faire exclusivement l’interprète des craintes de l’Arabie saoudite, l’incubateur absolu du djihadisme planétaire et à ce titre indéfendable auprès de larges segments de l’opinion publique française. L’enrober d’Israël, « l’unique démocratie du Moyen Orient » et « sentinelle du Monde libre face à la barbarie arabo-musulman » permet, dans son esprit, de faire mieux avaler la couleuvre aux téléspectateurs.

 

 

- Rafael Poch De Féliu, correspondant de La Vanguardia à Paris, est titulaire d’un double diplôme d’histoire contemporaine de Barcelone et de Berlin Ouest. Natif de Barcelone (1965), il a été en poste successivement à Moscou (1988-2002), Pékin (2002-2008) et Berlin (2008-2014). Auparavant, il a été correspondant tournant en Europe centrale pour l’agence de presse allemande DPA, avec Hambourg pour base.

 

La Vanguardia est un journal édité à Barcelone, publié en deux éditions parallèles : espagnol et catalan. Son premier exemplaire est sorti le 1er février 1881, ce qui en fait l’un des plus vieux périodiques d’Espagne.

juillet 22, 2015

 

http://www.lavanguardia.com/pr/internacional/20150720/54433490666/rene-naba-francia-gran-perdedora-acuerdo-iran.html

 

Le texte complet de l’interview en version espagnole : http://www.pressreader.com/spain/la-vanguardia/20150720/281672548631381/TextView

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/171867

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