Le Développement, c’est Maintenant

14/05/2015
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« Tant que les Lions n’auront pas leur Historiens, les histoires de chasse tourneront toujours à la gloire du Chasseur. » Didier Awadi

 

« Why had hundreds of millions of dollars in international economic aid directed at a country no larger than the state of Maryland failed to reverse Haiti’s headlong plunge into deepening poverty ? [1]

 

De Riyad à la Jamaïque, ou encore de Riyad à Cuba, tous les chemins vont de Riyad à Cuba. Dans ce concert de ballet diplomatique à donner le vertige depuis le début de l’année 2015, il n’est pas anodin de commencer avec deux réflexions faisant allusion à l’histoire et au développement, car ces deux disciplines sont intimement liées au regard de l’évolution des Amériques et de la Caraïbe et au-delà du continent. En un mot, il est question ici de partager une réflexion autour du débat de la dette qui ne peut plus attendre, car le développement, c’est bien maintenant !

 

Cinq ans depuis le séisme en Haïti (2010-2015), cent ans depuis le début de l’occupation états-unienne (1915-2015) qui continue sous une autre forme [2], et bientôt plus de deux siècles (au XIXe) siècle) depuis que la France se soit constituée créancière quasi-exclusive d’Haïti, par suite de la dette coloniale contractée, et relayée par des emprunts successifs dans lesquels le pays s’engage, la diplomatie française en Haïti reposait alors sur le théorème de la mécanique de la dette extérieure [Péan, 2000 : 523].

 

« Quand je viendrai à Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons » (dixit Président François Hollande, au mémorial ACTe, Guadeloupe, 10-05-2015).

 

En réalité, cette déclaration fait penser au « je vous ai compris » du président français de Gaulle en Algérie. Que de malentendus et de frustrations n’ont cessé, sachant que « l’Algérie a donné à la France vingt fois plus de médecins et de professeurs d’université formés en Algérie que la France n’en a jamais formés pendant toute la colonisation » (Boutaleb, K, 2011 de l’Université de Tlemcen, colloque migration et territoires à la Martinique). Par conséquent il ne saurait être question aujourd’hui pour le seul pays du continent qualifié « pays moins avancé » (PMA) qu’est Haïti, de prêter son flanc à l’ambigüité. La rente coloniale allait servir à alimenter des spéculations financières et à accroître l’accumulation du capital en France. Ce point est rarement souligné, à une époque où l’on traite de « la fatalité du sous-développement » [Blancpain, 2001] alors qu’il ne s’agit ni de fatalité ni de malédiction mais d’une mémoire et d’une histoire qui méritent de « dialoguer avec courage ». La députée de la Guyane, Christiane Taubira, avait pourtant abordé cette question, en 2002, à l’Assemblée Nationale française : « La dette de décolonisation payée à la France n’est pas la seule cause des retards économiques et sociaux d’Haïti. Mais il est incontestable qu’elle a constitué une ponction financière considérable, handicapant et limitant durablement l’accumulation du capital et la modernisation de l’appareil productif, tout en contribuant, par ces versements, à l’accumulation du capital en Europe que la colonie la plus productive du monde, alors appelée perle des Antilles, avait déjà stimulé dès le XVIIIe siècle ».

 

Il nous semblait nécessaire de remonter le fil pour mieux contextualiser les attentes tout comme les exaspérations des uns et des autres, de Karukera (l’île aux belles eaux ou Guadeloupe) à l’île d’Ayiti (Haïti). La question épineuse du surendettement touche plus d’une douzaine de pays de la région et représente un des facteurs explicatifs de la vulnérabilité de l’économie fort dépendante des remises [Skelton, 2004 : 44], tout en continuant à faire face à un sous-développement entretenu.

 

Un sous-développement entretenu : où commence et où s’arrête la dette coloniale ?

 

La question de « restitution et réparation », déjà débattue à la Conférence de Durban en 2001, continuera de ‘polluer’ la vie politique du pays, à la veille du Bicentenaire de son indépendance en janvier 2004. Aujourd’hui, à l’heure où de nouvelles coopérations en particulier Sud-Sud se nouent, de Cuba au Brésil, du Brésil à l’Arabie, la question de l’indemnisation ne peut plus être occultée. Elle doit correspondre à la perte économique résultant du fait illicite mais aussi, éventuellement, au préjudice moral relatif aux atteintes aux personnes. Réparation n’est pas un « gros mot », mais simplement un outil parmi d’autres pour casser avec un sous-développement entretenu depuis plus de deux siècles. Par la réparation, on peut en effet éponger « la dette morale » une fois pour toute. Non ! L’assistance, composée de personnages venant du Sénégal, de Mali, du Bénin et au-delà, a bien entendu et garde espoir qu’il ne peut y avoir de « confusion » comme la presse tente de faire croire depuis moins de 24 heures à présent.

 

Sachant que la part d’ombres de la Francophonie semble emporter le pas sur la part de lumière, sachant que dans le même temps la coopération de proximité avec Cuba peut faire pâlir de grandes capitales, le temps est venu de saisir cette visite dite « historique » pour engager un débat franc sur la dette et les formes de réparations possibles. Faire de la promotion de la diversité culturelle un thème de coopération entre États serait pertinent, en exploitant le lien entre émigration et francophonie dans la mesure où les migrants d’origine haïtienne à leur échelle participent d’un espace francophone multiple (Hexagone, Antilles françaises, Afrique francophone, Québec). Cet espace dynamique ne cesse de produire ailleurs des richesses matérielles et immatérielles bénéfiques au développement du pays d’accueil. Alors pourquoi le pays d’origine n’arrive-t-il toujours pas à articuler une politique dépassant l’aide au développement classique qui a servi plus à « Celui qui donne que Celui qui reçoit ? » (Moyo, 2009). Enfin, au-delà de la séquence « bals/kanaval » (Anglade), un « travail de ressaisissement national » dont la société haïtienne d’histoire, de Géographie et de Géologie (SHHG) appelle de ses vœux en 2015, nécessite un croisement des regards à différentes échelles (régionale, locale, internationale) pour formuler des partenariats stratégiques utiles au développement, car la Connaissance exige une recherche documentée avec rigueur et probité intellectuelle.

 

* Clara Rachel Eybalin Casséus, Ph.D. géographie politique, MPA Strategic Public Policy, MA sociologie des conflits, est chercheur indépendant spécialiste de migrations internationales (Caraïbe, pays du Golfe GCC). http://seminars.wcfia.harvard.edu/f... .

 

………….

 

Quelques références

 

Anglade, Georges (fév.2008) Les métamorphoses d’un Carnaval…, l’Hebdo, Haïti Le Nouvelliste Badie, Bertrand et al. (2014) Le temps des Humiliés. Pathologie des relations internationales. Paris : Odile Jacob, 246 p.

 

Eybalin Casséus, Clara Rachel (2014) Mission Rapport mandatée par the Islamic Bank of Development (BID), Jeddah, Arabie Saoudite, 28p.

 

Gaillard, Gusti Klara (1990) L’expérience haïtienne de la dette extérieure (1875-1915), Port-au-Prince : Deschamps, 175 p.

 

Guérin, Daniel (1956) les Antilles Décolonisées, préface de Aimé Césaire (auteur de « Discours sur le colonialisme »). Paris : Présence africaine, 188 p.

 

Le Glaunec, Jean-Pierre (2014) L’armée indigène. La défaite de Napoléon en Haïti, préface de Lyonel Trouillot. Québec : Lux Editeur, 279p.

 

Moyo, Dambisa (2009) L’aide fatale, Paris : JC Lattès, 280 p.

 

Péan, Leslie (2000) Économie politique de la corruption (de Saint-Domingue à Haïti 1791- 1870), Port-au-Prince : Éditions Mémoire, 523 p.

 

Traoré, Aminata Dramane (2014) La gloire des imposteurs. Lettres sur le Mali et l’Afrique.

 

Toussaint, Hérold (2009) Haïti et la France 2003-2004 un débat escamoté, CUCI, 115p.

 

Verschave, François-Xavier (2004) De la Françafrique à la Mafiafrique. Bruxelles : Ed. Tribord, 69p. http://ldh-toulon.net/Gilles-Mancer...

 

[1] Ces propos sont au cœur d’un rapport sur l’impact de l’aide internationale au développement d’Haïti [Josh de Wind, 1988 : 39].

 

[2] Les missions de paix de l’Onu en Haïti vont de 1993 (MINUHA) à 2004 (MINUSTAH) et cela continue. Pour aller plus loin dans la réflexion, à consulter « An Encounter with Haiti. Notes of a Special Adviser » de l’ambassadeur Reginald Dumas (2008)

 

Source AlterPresse: 14 mai 2015

http://www.alterpresse.org/spip.php?article18221#.VVS8PPB1yyc

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/169619

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