La montée du fascisme de nouveau sous les projecteurs : les raisons

02/04/2015
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Le récent anniversaire des 70 ans de la libération d’Auschwitz a été le rappel cuisant de la barbarie fasciste, dont l’iconographie nazie reste gravée dans nos consciences. On a retenu le fascisme comme fait historique, comme un défilement saccadé d’images de chemises noires défilant au pas de l’oie, de leur sauvagerie arrogante et sans nom. Cependant, dans les sociétés libérales elles-mêmes, dont les élites décident du choix des conflits armés, où l’on nous exhorte à ne jamais oublier, le danger croissant d’un fascisme moderne est complètement occulté ; parce que c’est cela, leur fascisme.

 

« Lancer une guerre d’agression... », déclarèrent les juges du Tribunal de Nuremberg en 1946, « n’est pas seulement un crime international, c’est le crime international suprême, qui diffère des autres crimes de guerre uniquement sur un point, il personnifie le mal absolu ».

 

Si les nazis n’avaient pas envahi l’Europe, il n’y aurait pas eu Auschwitz et l’Holocauste. Si les États-Unis et leurs suppôts n’avaient pas déclenché leur guerre d’agression contre l’Irak en 2003, presque un million de personnes seraient encore en vie aujourd’hui ; et l’État Islamique, ou ISIS, ne nous aurait pas confronté à ses atrocités. Car il est le fruit du fascisme moderne, nourri de bombes, de bains de sang et de tromperies qui composent le théâtre surréaliste de ce que l’on nomme « informations ».

 

À l’instar du fascisme de la période 1930-1940, de monstrueux mensonges nous sont distillés avec une précision de métronome : grâce à l’omniprésence des médias, relayant sans cesse la même information martelée et violemment censurée par omission. Prenons l’exemple de la catastrophe libyenne.

 

En 2011, l’OTAN a effectué 9 700 « raids aériens » contre la Libye, dont plus d’un tiers sur des cibles civiles. Missiles et bombes furent largués, dont une majorité comportait des ogives à uranium appauvri ; les villes de Misurata y Syrte furent ensevelies sous les bombes. La Croix Rouge y découvrit des fosses communes, et l’Unicef fit savoir que « la plupart [des enfants assassinés] n’avaient pas dix ans ».

 

La Secrétaire d’État usaméricaine d’alors, Hillary Clinton, accueillit la sodomisation publique du président libyen Mouammar Kadhafi avec une bayonnette « rebelle » par ces mots : « Nous sommes venus, nous avons vu, et il est mort ». Son exécution, comme l’anéantissement de son pays ont été justifiés par une énorme manipulation, désormais habituelle ; il aurait projeté un « génocide » contre son propre peuple. « Nous savions que … tergiverser une journée de plus », déclara le Président Obama, « et Benghazi, une ville de la taille de Charlotte, aurait été le théâtre d’un massacre sans précédent, qui, outre des répercussions dans toute la région, aurait entaché à jamais la conscience collective. »

 

Tuyau crevé que l’on doit aux milices islamistes mises en déroute par les forces gouvernementales libyennes. Qui certifièrent à l’agence Reuters l’imminence d’« un véritable bain de sang, un massacre d’une ampleur de celui du Rwanda ». Rapportée le 14 mars 2011, cette fable va provoquer la première étincelle qui mettra le feu aux poudres et déchaînera l’enfer de l’OTAN, décrit par David Cameron comme « intervention humanitaire ».

 

Armés et entraînés secrètement par le SAS britannique, nombre de « rebelles » allaient bientôt se rallier à l’ISIS, dont la dernière vidéo montre la décapitation de 21 ouvriers chrétiens coptes capturés à Syrte, ville détruite pour le compte des islamistes par les bombardiers de l’OTAN.
Pour Obama, David Cameron et le président français (d’alors), Nicolas Sarkozy, le vrai crime de Kadhafi était de mener la Libye vers l’indépendance économique et de déclarer ouvertement vouloir cesser de vendre les plus grandes réserves de pétrole de l’Afrique en dollars américains. Le pétrodollar est l’un des piliers du pouvoir impérialiste étasunien. Mais, Kadhafi prévoyait audacieusement la création d’une monnaie africaine commune étalonnée sur l’or, la mise en place d’une banque commune à l’ensemble de l’Afrique et le développement d’une union économique entre les pays pauvres disposant de ressources précieuses. Que ces intentions soient ou non mises à exécution, l’idée en elle-même était intolérable pour les Etats-Unis d’Amérique, alors qu’ils se préparaient à « entrer » en Afrique et à acheter les gouvernements africains « associés » aux militaires.

 

Après l’attaque de l’OTAN, bien à l’abri derrière une résolution du Conseil de Sécurité, « Obama, relata Garikai Chengu, a confisqué 30 billions de dollars à la Banque Centrale de Libye, que Kadhafi destinait à la création d’une Banque Centrale Africaine, ainsi que l’or devant servir à soutenir la nouvelle monnaie : le dinar-or ».

 

La « guerre humanitaire » contre la Libye a été menée selon un schéma cher aux cœurs des libéraux occidentaux, particulièrement dans les médias. En 1999, Bill Clinton et Tony Blair envoyèrent l’OTAN bombarder la Serbie, sous le fallacieux prétexte du « génocide » commis par les serbes contre l’ethnie albanaise dans la province sécessionniste du Kosovo. David Scheffer, ambassadeur extraordinaire chargé des questions relatives aux crimes de guerre [sic], déclara qu’au moins « 225.000 hommes d’ethnie albanaise, entre 14 et 59 ans » pourraient avoir été assassinés. Tant Clinton que Blair rappelèrent l’Holocauste et « l’esprit de la Seconde Guerre Mondiale ». Dans cette histoire, les héroïques alliés de l’Occident n’étaient autres que les forces de l’Armée de Libération du Kosovo (UÇK en Albanais), dont les antécédents criminels furent volontairement négligés. Le ministre des Affaires Étrangères, Robin Cook, leur avait dit qu’ils pouvaient l’appeler à n’importe quelle heure sur son mobile.

 

Suite au bombardement de l’OTAN, une grande partie des infrastructures de la Serbie avaient été détruites, de même que les écoles, les hôpitaux, les monastères et la station de télévision nationale ; des équipes médicaux-légales furent donc dépêchées au Kosovo pour rechercher des preuves de l’« holocauste ». Le FBI ne put découvrir une seule fosse commune et s’en retourna, bredouille. L’équipe médico-légale espagnole fit de même, son responsable, furieux, allant jusqu’à dénoncer « une pirouette sémantique des machines de propagande de guerre ». Un an plus tard, un tribunal des Nations Unies spécifique à la Yougoslavie rendit publique le décompte final des morts au Kosovo : 2788. Ce chiffre incluait les combattants des deux bords ainsi que des serbes et des gitans assassinés par l’UÇK. Aucune trace de génocide. L’« holocauste » était pure invention. L’attaque de l’OTAN avait été illégitime.

 

Mais, derrière la fable, se cachait une volonté délibérée. La Yougoslavie était en effet une fédération unique indépendante et multi-ethnique qui avait joué le rôle de « trait d’union » politique et économique pendant la Guerre Froide. La majeure partie de ses activités et les plus grandes entreprises appartenaient au secteur public. Inacceptable pour la Communauté Européenne en développement, surtout pour l’Allemagne fraîchement réunifiée, qui avait entamé des approches vers l’est pour capter son « marché naturel » dans les provinces yougoslaves de Croatie et de Slovénie. En 1991, au moment où les européens se réunirent à Maastrich pour discuter et mettre sur pied la désastreuse zone euro, un accord secret avait déjà été passé ; l’Allemagne reconnaîtrait la Croatie. L’arrêt de mort de la Yougoslavie était signé.

 

Depuis Washington, les États-Unis d’Amérique s’aperçurent alors que la laborieuse économie yougoslave refusait les prêts de la Banque Mondiale. L’OTAN, vestige de la Guerre Froide qui s’achevait, prit donc une nouvelle dimension, celle d’exécutant des ordres de l’empire. Lors d’une conférence en 1999 sur le Kosovo « pour la paix », à Rambouillet, en France, les serbes furent d’ailleurs victimes de son audacieuse statégie. En effet, l’accord de Rambouillet incluait une Annexe B secrète, ajoutée à la dernière minute par la délégation étasunienne, qui stipulait l’occupation militaire de toute la Yougoslavie – pays encore stigmatisé par l’occupation nazie – et la mise en œuvre d’une « économie de marché » comme la privatisation de tous les actifs du gouvernement. Aucun État souverain n’aurait pu signer un tel « accord ». Le couperet ne tarda pas à tomber ; les bombes de l’OTAN furent larguées sur un pays sans défense. Préfigurant les évènements d’Afghanistan et d’Irak, de Syrie, Libye et Ukraine.

 

Depuis 1945, plus d’un tiers des membres des Nations Unies - 69 pays – ont enduré certaines, voire toutes les exactions du fascisme moderne américain : territoires envahis, gouvernements renversés, mouvements populaires réprimés, élections truquées, populations bombardées sans oublier l’économie dépouillée de toute protection, les sociétés soumises à l’assaut paralysant des « sanctions ». L’historien britannique Mark Curtis évalue le nombre de morts à des millions. Et dans tous les cas, on a exploité un mensonge éhonté.

 

« Ce soir, pour la première fois depuis le 11 septembre, notre mission de combat en Afghanistan est terminée ». Tels furent les mots de l’allocution d’Obama début 2015 sur l’état de l’Union. En réalité, quelques 10 000 soldats et 20 000 pourvoyeurs sous contrats militaires (mercenaires) sont encore en poste en Afghanistan pour une mission indéterminée. « La guerre la plus longue de l’histoire des États-Unis est en passe de trouver une solution raisonnable », a dit Obama. De fait, en 2014, plus de civils y ont trouvé la mort que n’importe quelle autre année depuis que l’ONU tient des registres. La plupart ont été assassinés - civils et militaires – pendant le mandat d’Obama.

 

La tragédie afghane rivalise avec les inconcevables crimes perpétrés en Indochine. Dans son ouvrage encensé et très largement cité « Le Grand Échiquier : l’Amérique et le reste du monde », Zbigniew Brzezinski, le parrain des politiques étasuniennes de l’Afghanistan aux évènements actuels, écrit que si les Etats-Unis doivent contrôler l’Eurasie et dominer le monde, ils ne peuvent soutenir une démocratie populaire, car « la poursuite du pouvoir n’est pas un objectif qui déchaîne les passions populaires…La démocratie est l’ennemie de la mobilisation impériale. » Il a raison. Comme WikiLeaks y Edward Snowden l’ont révélé, un État policier d’espionnage est en train de remplacer la démocratie. En 1976, Brzezinski, alors Conseiller à la Sécurité Nationale du président Carter, a prouvé la véracité de ce propos en portant l’estocade à la première et unique démocratie en Afghanistan.

 

Qui se souvient de cette période cruciale ?

 

Dans les années 1960, une révolution populaire balaya ce pays, le plus pauvre de la planète, et réussit finalement à éradiquer les dernières traces du régime aristocratique en 1978. Le Parti Populaire d’Afghanistan (PDPA) forma un gouvernement et annonça un programme de réformes qui englobait l’abolition du féodalisme, la liberté de droits de culte, l’égalité des femmes en matière de droits et la justice sociale pour les minorités ethniques. Plus de 13 000 prisonniers politiques furent libérés et les archives de la police brûlées en place publique.

 

Le nouveau gouvernement garantit la gratuité des soins médicaux aux plus pauvres ; on abolit le servage, un programme d’alphabétisation de masse fut lancé. On ne connaissait pas les fruits que pourraient en récolter les femmes. À la fin des années 1980, la moitié des étudiants à l’université étaient des femmes, elles représentaient presque la moitié du corps médical, un tiers de la fonction publique et la majorité des enseignants. « Toutes les filles », se souvient Saira Noorani, femme chirurgien, « pouvaient intégrer l’enseignement secondaire et l’université. Nous pouvions aller où nous voulions et nous habiller comme nous l’entendions. Souvent le vendredi, nous allions prendre un verre ou au ciné voir le dernier film indien ou encore écouter la musique à la mode. Tout a commencé à aller mal lorsque les moudjahidines ont commencé à prendre le dessus. Ils tuaient les enseignants et brûlaient les écoles. Nous étions terrorisés. Penser que c’étaient de telles personnes que l’Occident avait choisi de soutenir a été à la fois d’une grande ironie et d’une immense tristesse. »

 

Le gouvernement du PDPA était soutenu par l’Union Soviétique, même si, comme l’admettrait plus tard l’ex secrétaire d’État Cyrus Vance, « il n’existait aucune preuve d’une quelconque accointance soviétique [avec la révolution] ». Effrayé par l’affirmation croissante des mouvements de libération de par le monde entier, Brzezinski décida que si l’aventure afghane était menée à bien sous la houlette du PDPA, l’indépendance et l’évolution du pays deviendraient « la menace d’un exemple prometteur ».

 

Le 3 juillet 1979, la Maison Blanche autorisa en secret un protocole de soutien aux groupes tribaux "fondamentalistes" connus sous le nom de moudjahidines, programme qui se monta à plus de 500 millions de dollars US par an en armement et logistique. Avec pour but le renversement du premier gouvernement laïc, réformiste d’Afghanistan. En août 1979, l’ambassade US à Kaboul annonça que « les intérêts suprêmes des États-Unis… seraient servis par la disparition du [gouvernement PDPA], malgré le léger contretemps que cela occasionnerait aux futures réformes sociales et économiques en Afghanistan ».

 

Les moudjahidines étaient les précurseurs de al-Qaïda et de l’État islamique. Et parmi eux, se trouvait Gulbuddin Hekmatyar, qui reçut des dizaines de millions de dollars en cash des mains de la CIA. Dont la principale activité était le trafic d’opium et la mutilation des femmes, en leur jetant de l’acide au visage, qui se refusaient à porter le voile. Reçu à Londres, il fut accueilli par le premier ministre Thatcher comme un « combattant de la liberté ».

 

De tels fanatiques auraient pu continuer d’évoluer dans leur monde tribal si Brzezinski n’avait pas été à l’origine d’un mouvement international encourageant le fondamentalisme islamique en Asie Centrale pour saper la libération politique séculière et « destabiliser » l’Union Soviétique, amorçant, de son propre aveu autobiographique, « une poudrière chez les musulmans, grâce à quelques agitateurs ». Son dessein recoupait les ambitions de domination de la région du dictateur pakistanais, le général Zia ul-Haq. En 1986, la CIA et l’agence du renseignement pakistanaise, l’ISI (Inter-Services Intelligence) commencèrent à recruter dans le monde entier et à s’unir au djihad afghan. Le multimillionnaire saoudien Osama Ben Laden faisait partie des nouveaux adeptes. Les exécutants qui allaient rejoindre les talibans et al-Qaïda, furent recrutés dans une université islamique de Brooklyn, New York, et reçurent un entraînement paramilitaire dans un camp de la CIA, en Virginie. Cette mise en œuvre prit le nom d’ « Opération Cyclone ». Son succès fut total en 1996, lorsque le dernier président PDPA d’Afghanistan, Mohammed Najibullah, qui s’était rendu devant l’Assemblée Générale de l’ONU pour demander de l’aide, fut pendu à un réverbère par les talibans.

 

L’ « envers de la médaille » de l’Opération Cyclone et de la « poudrière musulmane » culmina le 11 septembre 2001. L’Opération Cyclone devint la « Guerre contre le Terrorisme », dans laquelle un nombre incalculable d’hommes, de femmes et d’enfants perdraient la vie dans l’ensemble du monde musulman, de l’Afghanistan à l’Irak, en passant par le Yemen, la Somalie et la Syrie. Le message des exécutants était et reste très clair : « Vous êtes avec nous ou contre nous ».

 

Le dénominateur commun du fascisme, passé et présent, est l’assassinat de masse. L’invasion étasunienne du Vietnam eut ses « zones de feu à volonté », « décompte des corps » et « dommages collatéraux ». Dans la province de Quang Ngai, alors que je couvrais les évènements, des milliers de civils (« faces de citron ») furent victimes des troupes US ; pourtant, on ne se souvient que du massacre de My Lai. Au Laos et au Cambodge, le bombardement aérien le plus important de l’histoire a instauré une époque de terreur, dont les vestiges, gigantesques cratères des bombes accolés les uns aux autres, ressemblent, vus du ciel, à de monstrueux colliers. Le bombardement donna au Cambodge son propre ISIS, sous la férule de Pol Pot.

 

Aujourd’hui, la plus grande des campagnes de terreur passe par l’exécution de familles entières, d’invités lors de mariage, de cortèges funéraires. Voilà quelles sont les victimes d’Obama. Si l’on en croit le New York Times, Obama choisit ses cibles à partir d’une « liste noire » de la CIA qu’on lui soumet tous les mardis dans la salle de crise de la Maison Blanche. Sans une once de justification légale, il décide alors de qui vivra ou de qui va mourir. Son « bras armé » est le missile Hellfire (feu de l’enfer) transporté par un engin aérien sans pilote ou « drone » ; qui rôtit ses victimes et éparpille leurs restes alentours. Chaque « succès » est enregistré sur un lointain écran de console comme un « Bug Splat ». [1].

 

L’historien Norman Pollock écrit : « Le pas de l’oie a été remplacé par la militarisation apparemment la plus inoffensive de la culture. Quant au leader grandiloquent, nous avons à présent la figure du réformateur, qui travaille, planifie et exécute, dans la joie et sans cesser de sourire ».

 

Ce qui relie également l’ancien et le nouveau fascisme, c’est aussi le culte de la supériorité. « Je crois en l’exceptionnalisme américain de toutes les fibres de mon être », dit Obama, déclaration qui n’est pas sans évoquer le fétichisme national des années 1930. Comme le soulignait l’historien Alfred W. McCoy, c’est à Carl Schmitt, fidèle d’Hitler, que l’on doit la remarque suivante : « Le souverain est celui qui décide de l’exception ». Voilà qui résume bien l’américanisme, idéologie mondiale dominante. Qu’il se perpétue sans être identifié en tant qu’idéologie prédatrice résulte d’un lavage de cerveau tout aussi éprouvé. Insidieux, sournois, astucieusement présenté comme la lumière dans les ténèbres, sa vanité envahit la culture occidentale. Personnellement, j’ai grandi, gavé de cinéma à la gloire américaine, dans la plupart des cas soumise à distorsion. Je n’avais pas la moindre idée que c’était l’Armée Rouge qui avait détruit une grande partie de la machine de guerre nazie, payant le prix fort de plus de 13 millions de soldats. En revanche, les pertes humaines étasuniennes, y compris dans le Pacifique, s’élevèrent « seulement » à 400 000 hommes. Mais Hollywood passa par là et inversa tout.

 

La différence de nos jours c’est que les spectateurs, dans les salles, sont incités à s’apitoyer sur la « tragédie » des psychopathes usaméricains qui doivent aller tuer dans des endroits lointains – tout comme le fait le Président lui-même. La personnification de la violence hollywoodienne, l’acteur et réalisateur Clint Eastwood, a été nominé cette année pour son film, « American Sniper », qui traite d’un assassin patenté et cinglé. Le New York Times l’a décrit comme un « film patriotique, pro-famille, qui a battu tous les records d’audimat dès ses premiers temps à l’affiche ».

 

Aucun film héroïque ne traite des liens US avec le fascisme. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Etats-Unis (et la Grande Bretagne) entrèrent en guerre contre les grecs qui avaient lutté héroïquement contre le nazisme et résistaient à la montée du fascisme grec. En 1967, l’aide de la CIA permit d’amener une junte militaire fasciste au pouvoir, à Athènes –comme ce fut le cas au Brésil et sur la majeure partie du continent sud-américain. Les allemands et européens de l’est qui s’étaient rendus complices de l’agression nazie et de crimes contre l’humanité trouvèrent refuge, eux, aux USA ; et un grand nombre y furent chouchoutés et récompensés. Wernher von Braun, par exemple fut aussi bien le « père » du terrifiant missile V-2 que du programme spatial des États-Unis.

 

Dans les années 1990, tandis que quelques ex républiques soviétiques, l’Europe de l’Est et les Balkans devenaient des postes militaires de l’OTAN, en Ukraine, on donna leur chance aux héritiers du mouvement nazi. Responsable de la mort de milliers de juifs, polonais et russes pendant l’invasion nazie de l’Union Soviétique, le fascisme ukrainien fut remis au goût du jour et sa « nouvelle vague » acclamée par les exécutants comme « nationalistes ».

 

2014 marqua le paroxysme de cette situation, lorsque le gouvernement d’Obama investit 5 billions de dollars dans un coup d’État contre le gouvernement élu. Les troupes de choc étaient composées de néo-nazis reconnus tels le Secteur Droit et Svoboda. Parmi les leaders, Oleh Tyahnybok, qui a appelé à une purge de la « mafia juive moscovite » et « autre racaille », comme les homosexuels, les féministes et les gauchistes.

 

Ces fascistes font maintenant partie du gouvernement putschiste de Kiev. Le premier vice-président du Parlement ukrainien, Andriy Parubiy, chef de file du parti au pouvoir, est également co-fondateur de Svoboda. Le 14 février, Parubiy a annoncé qu’il se rendait à Washington pour se procurer « des armes modernes de haute précision ». S’il obtenait gain de cause, la Russie l’interprèterait comme un acte de guerre.

 

Aucun leader occidental n’a abordé l’épineuse question du nouvel essor du fascisme au cœur de l’Europe – excepté Vladimir Poutine, dont le peuple a perdu 22 millions d’hommes dans l’invasion nazie par la frontière ukrainienne. Au cours de la récente Conférence de Sécurité, à Munich, la Sous-Secrétaire d’État des Affaires Européennes et Eurasiennes de l’administration Obama, Victoria Nuland, n’a cessé de fulminer contre les dirigeants européens opposés à l’aide militaire américaine apportée au régime de Kiev. Elle s’en est prise à la ministre de la Défense allemande, la qualifiant de « ministre du défaitisme ». Il faut savoir que c’est Nuland qui planifia le coup d’État de Kiev. Épouse de Robert D. Kagan, illustre leader « néo-con(servateur) » et co-fondateur du Projet d’extrême droite pour Un Nouveau Siècle Américain, elle a été la conseillère en politique étrangère de Dick Cheney.

 

Cependant, la réalisation du coup d’État planifié par Nuland n’a pas tout à fait cadré avec les prévisions. L’OTAN ne put s’emparer de l’historique et légitime base navale russe, située en eaux chaudes, en Crimée. La population majoritairement russe de Crimée – annexée illégitimement à l’Ukraine par Nikita Kruschev en 1954 – vota massivement pour le rattachement à la Russie, comme elle l’avait fait dans les années 1990. Le référendum avait été volontaire, populaire et suivi de près par les observateurs internationaux. Il n’y eut donc pas d’invasion.

 

Dans le même temps, le régime de Kiev s’en prenait violemment aux populations russophones de l’Est, sous forme de purge ethnique. Recourant à des milices néo-nazies type Waffen-SS, ils bombardèrent et assiégèrent villes et villages. Provoquant une famine de masse, coupant l’électricité, gelant les avoirs bancaires, paralysant la sécurité sociale et les retraites. Plus d’un million de réfugiés passèrent la frontière vers la Russie ; que les médias occidentaux ont dépeints comme une population fuyant la « violence » provoquée par « l’invasion russe ». Le commandant de l’OTAN, le général Breedlove – dont le nom et la conduite pourraient sortir tout droit de Docteur Folamour de Stanley Kubrick – déclara que 40 000 soldats russes étaient en train de « se rassembler ». Mais aucune preuve scientifique par satellite ne vint étayer ses dires.

 

Ces russophones bilingues d’Ukraine - un tiers de la population – ont très longtemps recherché une fédération qui reflète la diversité ethnique du pays et soit en même temps autonome et indépendante de Moscou. Pour la plupart, ce ne sont pas des « séparatistes », mais de simples citoyens qui aspirent à la sécurité de leur patrie et s’opposent à la prise de pouvoir de Kiev. Leur révolte et la formation « d’États » autonomes est en fait la réponse aux attaques qu’ils ont subies de la part de Kiev. Mais bien peu de ces éléments sont parvenus au public occidental.

 

Le 2 mai 2014, à Odessa, 41 de ces russophones furent brûlés vifs dans la « maison des syndicats » sous les yeux d’une police impassible. Le leader de Secteur Droit, Dmitro Yarosh, a salué le massacre comme « un autre jour de gloire dans notre histoire nationale ». Les médias étasuniens et britanniques ont relayé l’information d’une « obscure tragédie », résultat « d’affrontements » entre « nationalistes » (néo-nazis) et « séparatistes » (qui recueillaient des signatures pour un référendum sur une Ukraine fédérale).

 

Le New York Times enterra l’histoire, après l’avoir considérée comme élément de propagande russe sur les politiques fascistes et antisémites des nouveaux clients de Washington. The Wall Street Journal a même blâmé les victimes - « Les morts dans l’incendie en Ukraine probablement victimes des agissements des rebelles, dit le gouvernement ». Obama, quant à lui, félicita la Junte de sa « retenue ».

 

Si Poutine tombe dans le jeu de la provocation et leur vient en aide, son rôle de « paria » prédéfini par l’Occident justifiera la mystification selon laquelle la Russie est en train d’envahir l’Ukraine. Le 29 janvier, le Haut Commandant militaire en Ukraine, le général Viktor Muzhemko, a mis à mal, presque par inadvertance, la base même des sanctions étasuniennes et européennes à l’encontre de la Russie, en déclarant très solennellement au cours d’une conférence de presse : « l’armée ukrainienne ne se bat pas contre des unités de l’Armée régulière russe ». Il y avait « des citoyens » membres de « groupes armés illégaux », mais pas d’invasion russe. Aucune nouvelle information. Vadym Prystaiko, vice-ministre des Affaires Étrangères de Kiev, a appelé à une « guerre totale » contre la Russie dotée d’armes nucléaires.

 

Le 21 février, le sénateur James Inhofe, républicain d’Oklahoma, soumit un projet de loi qui autoriserait les États-Unis à fournir des armes au gouvernement de Kiev. Inhofe étaya sa présentation au Sénat par des photos montrant de soit-disant troupes russes pénétrant en Ukraine, lesquelles ont été depuis reconnues pour être des faux.

 

Le procédé n’est pas sans rappeler l’histoire des photos truquées d’une installation soviétique au Nicaragua, à l’ère Reagan, ou les fausses preuves d’armes de destruction massive en Irak produites par Colin Powell devant l’ONU.

 

La virulence de la campagne de diffamation contre la Russie et la représentation de son président en « méchant de la pantomime » sont très éloignées de tout ce que j’ai connu en tant que reporter. Robert Parry, l’un des journalistes d’investigation les plus en vue aux États-Unis, qui révéla le scandale Iran-Contra, écrit récemment : « Aucun gouvernement européen, depuis l’Allemagne d’Adolf Hitler, n’a jugé adéquat d’envoyer des troupes d’assaut nazies mener une guerre contre une population nationale, mais le régime de Kiev l’a fait, et l’a fait délibérément. Pourtant, au travers des médias, spectre politique de l’Occident, tout a été fait pour maquiller cette réalité au détriment de faits avérés…Si vous vous demandez comment le monde pourrait s’engager dans une troisième guerre mondiale – tout comme il l’a fait il y a un siècle – il vous suffit de considérer l’aura de folie qui entoure l’Ukraine, imperméable aux faits et à la raison ».

 

En 1946, le procureur du Tribunal de Nuremberg se prononça en ces termes sur les médias allemands : « L’usage fait par les conspirateurs nazis de la guerre psychologique est bien connu. Avant chaque agression majeure, à quelques exceptions près basées sur les circonstances, ils lançaient une campagne de presse destinée à discréditer leurs victimes et à préparer psychologiquement le peuple allemand à l’attaque… Dans le système de propagande d’Hitler, la presse quotidienne et la radio étaient les armes les plus importantes ». Dans Le Guardian du 2 février, Timothy Garton-Ash appelle, en effet, à une guerre mondiale : « Poutine doit être arrêté », clame le titre. « Et parfois, seules les armes peuvent arrêter les armes ». Il concédait que la menace de la guerre pourrait « alimenter une paranoïa russe d’encerclement » ; mais que c’était correct. Il passa ainsi en revue le matériel militaire nécessaire et assura à ses lecteurs que « les États-Unis possédaient le meilleur kit ».

 

En 2003, Garton-Ash, professeur à Oxford, reprit la propagande qui conduisit au massacre en Irak. Saddam Hussein, écrit-il, « a stocké, comme [Colin] Powell l’a illustré, de nombreuses armes chimiques et biologiques, et dissimule ce qu’il en reste ; il tente toujours de se procurer l’arme nucléaire ». Il salua également Blair comme « interventionniste libéral chrétien gladstonien ». En 2006, il observe : « Il est temps d’affronter la prochaine épreuve majeure de l’Occident après l’Irak : l’Iran ».

 

Ces débordements - ou comme le dit si bien Garton-Ash, cette « ambivalence libérale torturée » - n’ont rien d’atypique dans l’élite libérale transatlantique qui a pactisé avec le diable. Blair, le criminel de guerre est son leader perdu. Le Guardian, où parut l’article de Garton-Ash, publia une publicité pleine page pour un bombardier furtif US. Au bas de la photo menaçante du monstre de Lockheed Martin, la légende : « Le F-35. GÉNIAL pour l’Angleterre ». Ce « kit » usaméricain coûtera 1,3 billions de livres sterling aux contribuables britanniques, sachant que ses prédécesseurs du modèle F, sont responsables d’atrocités sur toute la surface du globe. Dans la même ligne que sa publicité, un article du Guardian exigeait des crédits supplémentaires pour le budget militaire.

 

Une fois encore, derrière tout cela, se trame un plus noir dessein. Les dirigeants mondiaux ne veulent pas seulement l’Ukraine comme base de missiles ; ils veulent s’emparer de son économie. La nouvelle ministre des Finances de Kiev, Nataliwe Jaresko, est un ancien haut fonctionnaire du Département d’État étasunien chargée des « investissements » à l’étranger. À qui on a accordé la nationalité ukrainienne à toute vitesse. L’Ukraine est la cible de toutes les convoitises pour l’abondance de son gaz naturel ; le fils du vice-président Joe Biden fait partie du conseil d’administration de la plus grande compagnie pétrolière, gazière et de « fracking » d’Ukraine. Les fabriquants d’OGM, tels que l’abjecte Monsanto, ont besoin de la riche terre agricole d’Ukraine.

 

Mais, par-dessus tout, ils veulent avoir la main mise sur son puissant voisin, la Russie. Pour la balkaniser ou la démembrer afin d’exploiter la plus grande source de gaz naturel au monde. Comme la banquise de l’Arctique fond peu à peu, ils cherchent à prendre le contrôle de l’Océan Arctique, de ses richesses en énergies et de la longue frontière terrestre avec la Russie. Et, si leur homme de paille à Moscou, Boris Yeltsin, ivrogne notoire, avait bradé l’économie de son pays à l’Occident, son successeur, Poutine, a rétabli la souveraineté de la nation russe ; tel est son crime.

 

La responsabilité qui nous incombe à nous autres est claire. Identifier et dénoncer les impudents mensonges des va-t-en guerre et ne jamais nous faire leurs complices. Raviver les grands mouvements populaires qui ont fragilisé les États impérialistes modernes. Et le plus important, ne pas nous laisser nous-mêmes séduire, conserver notre âme, notre humanité, notre dignité. Si nous restons silencieux, leur victoire est assurée, et nous permettrons un holocauste qui pointe déjà.

 

- John Pilger est un journaliste, scénariste et réalisateur australien. Il a été correspondant de guerre au Viêt-nam, au Cambodge, en Égypte, en Inde, au Bangladesh et au Biafra. Pilger a obtenu de nombreux prix de journalisme et d’associations des droits de l’Homme (le Prix Sophie en 2003), dont, deux fois, le prix britannique du « Journalist of the Year ». Cet activiste anti-guerre n’a de cesse de rappeler la responsabilité de ceux qui savent, des « intellectuels », aux misères et aux violences du monde. En outre, John Pilger possède son propre site web où il communique ses idées et ses craintes.
Consulter : johnpilger.com. twitter @johnpilger

 

(Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Florence Olier-Robine)

 

 

 
https://www.alainet.org/fr/articulo/168667?language=en
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