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Décélération de la croissance, l’Argentine choisit le contre-cyclique

21/08/2012
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La décélération de la croissance en Argentine n’est pas un tabou mais peut être une opportunité ! A condition de prendre des mesures contre-cycliques adéquates. Et de ne pas se laisser intoxiquer par les fantasmes inflationnistes. Au risque encore d’aller à l’encontre des dogmes de l’orthodoxie y compris sur le rôle de la Banque Centrale.
 
La croissance argentine ralentit, c’est un fait. Pas une fatalité. Et surtout cela ne doit pas devenir un tabou. Alors que le ralentissement de la croissance argentine est premièrement assez logique, deuxièmement pas catastrophique ni inéluctable, troisièmement doit être une source d’inspiration pour mieux rebondir. La question de fond n’est-elle pas : quelle croissance ? Et pourquoi faire ? La croissance n’est pas une finalité en soi mais elle est bien un vecteur.
 
Le rapport semestriel de la BCRA (Banque Centrale argentine), daté de juillet, admet cette décélération sur fond de conjoncture internationale, pour ce second trimestre. En 2012, le rythme de croissance a diminué. « Alors que durant les premiers trois de l’année le Produit a progressé de 5,2% par rapport à la même période de 2011, les indicateurs avancés de l’activité montrent une modération de la croissance au second trimestre » explique-t-on.
 
En cause, la diminution des exportations de produits agricoles due à la sécheresse, même si elle est compensée en partie par la hausse des prix, et la diminution de la demande externe de produits industriels due au ralentissement économique global, notamment au Brésil ce qui a eu un effet notable sur l’industrie argentine. Faut-il rappeler qu’en 2011, 21% des exportations argentines sont allées au Brésil, les seules exportations de voitures représentant 9%. Des produits qui ont une forte corrélation avec le cycle économique. Il y a quelques jours, la ministre du commerce extérieur reconnaissait que depuis un mois et demi la situation se dégradait, la concurrence extérieure devenant très dure mais que l’excédent commercial de 10 000 millions de dollars cette année, est atteignable.
 
Avec un processus de forte croissance depuis 2003, l’Argentine s’est habituée à afficher les deux excédents budgétaire et commercial. La consommation argentine a affiché ces dernières années des taux de croissance que certains ont jugés insolents. Tant mieux ! Le pays avait besoin de ce dynamisme et de reprendre ainsi confiance en lui. Automobiles, électroménager, vêtements ... les secteurs ont fait le plein au fur et à mesure que le pouvoir d’achat soutenu par des politiques gouvernementales permettait aux argentins de sortir la tête de l’eau, et réalimentaient ainsi le marché interne.
 
Le consommateur argentin de classe moyenne qui a retrouvé son statut, perdu il y a plus de dix ans, fait une pause. Selon l’Indec, la croissance a été de 2,5% au premier semestre, par rapport à l’an dernier sur la même période. Plusieurs indicateurs statistiques comme la production industrielle (en baisse sur trois mois consécutifs, notamment la production automobile) ou la vente d’automobiles marquent le pas au 1er semestre ; mais les centres commerciaux ont vu toutefois leurs ventes en valeur en progression de 23,5%.
 
En revanche, les éléments sur les investissements sont plus contradictoires. Or, un niveau jugé faible d’investissement devient vite un souci. Reste à savoir si les plans d’acquisition de logements, ou les nouvelles politiques de crédits en faveur des entreprises, lancés par le gouvernement, prendront suffisamment le relais. Coté emploi, le chômage n’a pas augmenté, à 7,1% mais d’aucuns soulignent que les heures supplémentaires ont tendance à baisser.
 
En fait, c’est surtout l’inflation qui auto-alimente d’éventuelles craintes liées à cette décélération. La décélération constatée n’est pas un anathème, et il est sans doute regrettable que le gouvernement argentin n’ait pas mieux communiqué plus en amont, il y a plusieurs mois sur cette double réalité, alors même qu’il mettait en place un contrôle sur l’achat de devises. L’indice des prix est l’objet de tous les fantasmes. Dans une fourchette comprise entre les 10% officiels et les 23 % brandis -mais non étayés- par les détracteurs de la politique actuelle. Selon le rapport de la BCRA, l’indice des prix a réduit sa croissance annuelle au premier trimestre mais celui des prix à la consommation a progressé sur un taux semblable à la fin 2011.
 
En finir avec la paranoïa sur l’inflation
 
Décélération et risque inflationniste, le cocktail peut susciter des inquiétudes. Mais l’inflation est largement auto-entretenue par des comportements inflationnistes de certains agents économiques en Argentine. D’ailleurs Joseph Stiglitz, prix Nobel d’Economie, ancien patron de la Banque Mondiale, n’a t-il pas lors d’une récente conférence devant l’Université de Buenos Aires (UBA) (voir El Correo) réaffirmé qu’il fallait cesser avec la paranoïa sur l’inflation. « Elle n’est pas un problème en soi. Ce qui compte ce sont ces conséquences sur la croissance, la distribution du revenu et la pauvreté » et de rappeler « qu’elle est certes basse aux USA et en Europe, où on regarde seulement les prix mais on a ignoré la bulle financière.... ». « Quant aux statistiques, elles sont souvent sources de controverses sur leur construction...  » a-t-il ajouté.
 
Toutefois, comme l’admettait récemment Aldo Ferrer, économiste reconnu et ambassadeur de la République d’Argentine en France dans une déclaration à la presse, « l’Argentine a un niveau d’inflation plus important que ce qu’il convient » (...) « mais cela dans le cadre d’une économie équilibrée, qui progresse de façon soutenue et qui ne présente pas de risque divagation inflationniste ».
L’inflation « importée » ajoutée à l’effort de distribution et à une concentration dans les secteurs formant les prix sont les principaux facteurs qui expliquent la hausse des prix soulignait le 17 août dernier Mercedes Marco Del Ponte, à la tête de la BCRA, lors du congrès de l’AEDA (
http://www.pagina12.com.ar/diario/e...).
 
Mais surtout, c’est la perception d’un éventuel risque inflationniste, d’un moindre excédent commercial et d’une moindre croissance qui ont eu un rôle dans le jeu des prix. On entre là dans la partie moins rationnelle de l’économie, le facteur psychologique qui explique en grande partie les tiraillements dans lesquels se trouve l’économie argentine, alimentés largement par une opposition qui adore souffler sur les braises.
 
A cela s’ajoute la variable des changes. Comme la BCRA l’explique, « une partie des agents économiques argentins ayant une capacité d’épargne ont intensifié leur propension traditionnelle à maintenir une proportion significative de leur richesse financière en monnaie étrangère, principalement en dollars ».
 
Le pari tenu du remboursement de la dette
 
Or de façon générale, dans un contexte où s’installe des perceptions négatives au sein des agents locaux –comme une crise internationale qui peut empirer – l’achat d’une monnaie étrangère – en l’occurrence le dollar- est un réflexe qui alimente les craintes. Les mesures de restrictions sur l’achat de dollars décidées par le gouvernement argentin –afin de protéger sa capacité de remboursement de la dette à l’échéance prévue- ont indirectement alimenté la posture psychologique de moindre confiance de certains épargnants argentins mais aussi un certain type d’inflation.
 
L’Argentine a fait et tenu le pari de rembourser sa dette extérieure. En dédiant ses réserves à ces remboursements, et la politique de devises était entièrement axée sur cet objectif. « Attribuer les dollars disponibles a l’usage le plus efficient » comme le rappelle la BCRA.
 
Un objectif d’intérêt général qui dépasse la somme des intérêts particuliers, c’ est en quelque sorte le message lancé à l’égard de ceux qui, face à un contexte de crise international, veulent dollariser davantage leur épargne. Paradoxal, car résident là aussi les germes d’une inflation dangereuse –tant décriée par ceux dans l’opposition- qui l’alimentent ainsi à travers une spéculation douteuse souvent synonyme d’évasion fiscale.
 
« Les perspectives sont utilisées pour générer des prophéties qui s’auto-réalisent et pour atteindre une dévaluation. C’est pourquoi, l’Argentine a décidé qu’en plus de contrôler les flux de capitaux venant de l’extérieur, il fallait aussi contrôler les siens » a expliqué Mercedes Marco Del Ponte, rappelant « La fuite des capitaux est une tendance structurelle et culturelle, produit des crises récurrentes de l’ Argentine par le passé ». Certes, les restrictions à l’achat de devises à des fins d’épargne pour limiter la fuite des capitaux ont généré une hausse mais le taux reste compétitif.
 
Miser sur l’investissement productif
 
Croire en son pays, c’est aussi y croire en y investissant. Or, le crédit bancaire à long terme pour financer l’investissement productif est bas en Argentine. Pourtant, il est essentiel dans cette période de décélération de la croissance pour prendre le relais avec des mesures contre-cycliques. Là aussi, il y a une responsabilité partagée, qui s’inscrit dans l’intérêt général. 77% du total des prêts en 2011 étaient sur une échéance de 6 mois et seuls 5,5% correspondaient à des crédits à plus de trois ans. Une nouvelle ligne de crédit destinée aux investissements productifs a été lancée ; les plus grandes entités financières et celles liées à l’Etat devant consacrés plus de 5% de leurs ressources à financer l’achat de biens ou la constructions d’installations à un taux inférieure à 15% et à plus de 36 mois, la moitié de ces prêts devant aller aux pme. La BCRA cherche donc à inverser la tendance en canalisant une plus grande partie de l’épargne vers des activités productives.
 
Du rôle de la Banque Centrale dans des mesures contre-cycliques
 
Mais justement des critiques s’élèvent sur le « nouveau rôle » de la Banque centrale qui aussi fut l’instrument indirect du paiement de la dette, le gouvernement pouvant disposer des réserves. Nouveau rôle définit par la nouvelle « Carta Orgánica » qui élargit son mandat incluant comme objectifs de politique la stabilité financière, l’emploi et le développement économique avec une équité sociale.
 
Elle donne ainsi à la BCRA des possibilités et des outils concrets pour intervenir en matière de crédit. Mais aussi pour développer le transfert de ressources au Trésor dans des situations exceptionnelles comme celle d’une crise. Un rôle qui rompt avec l’orthodoxie. Et qui va plus loin que la seule question liée au concept d’autonomie d’une banque centrale par rapport à une politique financière gouvernementale.
 
Pour la dirigeante de la BCRA, « ni un plus grand financement du Trésor, ni l’usage des réserves de change pour payer la dette externe, deux politiques dénoncées par l’orthodoxie, n’affectent la capacité de manœuvre de la BCRA ou son équilibre ». Au contraire, cette réforme a permis de déployer des instruments concrets pour développer des politiques contre-cycliques dans une période de décélération, d’orienter le crédit vers l’investissement productif.
 
Et si cette année le secteur public présente un déficit, elle justifie le fait d’utiliser « dans des moments de décélération cette marge pour mener des politiques contre-cycliques », considérant ce déficit comme « raisonnable ». « La pensée orthodoxe veut installer l’idée que l’équilibre budgétaire est un objectif en soi, au-delà de ce qui se passe dans l’économie réelle » dénonce-telle.
 
D’ailleurs lors de sa conférence à l’UBA, Joseph Stiglitz a bien souligné que le temps était venu d’en finir avec les économistes orthodoxes dont le seul dogme repose sur des mesures d’austérité qui aggravent la situation . C’est pourquoi les gouvernements doivent pouvoir intervenir dans l’économie, la question n’est pas selon lui s’ils doivent ou pas intervenir, « mais quand ils doivent le faire ! » avait-il conclu.
 
- Estelle Leroy-Debiasi pour El Correo, Paris, le 19 août 2012
 
https://www.alainet.org/fr/articulo/160440?language=es

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