Parler d’arbres
04/07/2006
- Opinión
« Vraiment, je vis une sombre époque. Le mot innocent est folie. Un front lisse une marque d’insensibilité. Celui qui rit, c’est qu’il n’a pas encore entendu la terrible nouvelle. Elle n’est pas arrivée jusqu’à lui. Qu’est-ce que cette époque où avoir une conversation sur les arbres est presque un crime parce quelle fait silence sur tellement de méfaits ! ».
Bertolt Brecht écrivait depuis l’exil. C’était en 1938, mais ce pourrait être aujourd’hui. Pendant que des paysans, des indigènes et d’autres victimes du soi-disant « progrès » protestent pour défendre leurs droits les plus élémentaires - droits à leurs terres et territoires, à leurs semences, à leurs ressources, à vendre leurs produits dans un espace public-, ceux d’en haut répondent avec cynisme et une violence inhabituelle, comme si ces revendications étaient une insulte. Comme si les paysans et les indigènes ne faisaient pas partie du « public » des espaces publics. Des personnages qui rappellent un hybride d’enfants riches avec des dictateurs du cône Sud se pavanent dans les médias affirmant que ce sont les habitants qui exercent la « violence », et pas les milliers d’effectifs armés qu’ils lancent contre eux. De nouveau, comme du temps de Brecht, ceux qui parlent de paix veulent parler de guerre.
Aujourd’hui parler d’arbres - ou de fleurs - c’est énoncer des traîtrises. Surtout quand les forêts et les ressources naturelles sont convoitées par les grandes entreprises d’exploitation forestière, pétrolières, minières et qu’elles sont sur les territoires des peuples originaires ou de communautés locales qui les préservent depuis des décennies ou des siècles.
Le 29 avril, des dizaines d’indiens taromenane, de la nation huaorani, furent massacrés sur leur propre territoire dans le Parc national Yasuni, en Equateur, par des marchands de bois qui exploitent leurs forêts. Selon l’organisation Acción Ecológica, « l’exploitation forestière violente et intense dans le Parc national Yasuni s’est faite pendant des années au vu et au su de la police, des fonctionnaires de l’environnement et des militaires. Les camions chargés de bois parcourent impunément les voies fluviales et terrestres et traversent le camp militaire. Les massacres et les morts sont répétitifs. En 2003 des dizaines de taromenane ont été assassinés. Tout désigne la main des intérêts forestiers. Depuis rien n’a été fait d’opportun et de pertinent pour éviter ce génocide ». Jusqu’au mois de mai de cette année il n’y avait qu’une réponse des marchands de bois demandant « une protection » contre les agressions indigènes et des subsides pour leurs activités, qu’ils qualifient de « durables », avec l’aval de grandes ONG de protection de l’environnement.
Le 11 mai, Juan Patricio Marileo, mapuche prisonnier au Chili pour avoir défendu le droit à son territoire ancestral, a été transféré de la prison d’Angol à un hôpital dans un état critique parce qu’il fait une grève de la faim depuis 60 jours avec trois autres combattants mapuches. Ils ont été condamnés à 10 ans de prison sous la loi anti-terroriste, instaurée du temps de Pinochet, dont les gouvernements suivant ont profité pour frapper les indiens et les paysans en favorisant l’invasion des entreprises forestières et des entreprises hydroélectriques sur leurs territoires. Les manifestations de solidarité avec les prisonniers politiques mapuches ont été brutalement réprimées. Le même jour, 14 manifestants, membres du Front de lutte mapuche et paysan ont été arrêtés à Santiago de Chile. [1]
Le 11 toujours, en Colombie, la police anti-émeutes a chargé sur les indigènes, les afro-descendants et les paysans qui manifestaient pacifiquement à Cali. Elle en a arrêté huit et blessé beaucoup d’autres. Leur crime : protester contre les conditions de vie misérables qu’ils subissent depuis qu’ils ont été déplacés de leurs territoires à cause de la construction du barrage Salvajina. Les promesses qu’on leur avait faites n’ont jamais été tenues. Aujourd’hui ce sont des criminels parce qu’ils demandent l’application des accords signés par les autorités.
Au Brésil, les 37 membres de Via Campesina qui ont arraché des plants de la méga-entreprise de cellulose Aracruz continuent d’être traités comme des criminels [2]. L’entreprise, de son côté, ne craint pas les accusations pour avoir détruit avec des bulldozers deux villages de communautés indigènes un mois auparavant, blessant de nombreuses personnes. Après tout, Aracruz défendait ses plantations sur des territoires indigènes ancestraux et ça, ce n’est pas de la violence pour les autorités.
Les forêts de tout le continent pleurent en silence devant tant de traîtrises. C’est pourquoi des représentants de 26 peuples indiens du Mexique, réunis les 5 et 6 mai, ont transformé ce sanglot en voix fière, en déclarant : « De tous les coins du pays notre coeur bat et depuis San Pedro Atlapulco, dans ce IV Congrès national indigène, nous réprouvons de toute notre énergie et de toute notre rage la répression, l’assassinat et l’emprisonnement contre nos communautés et de nos peuples par simple et vil intérêt de prendre nos ressources, de nous déposséder de nos territoires et de nous convertir en ouvriers salariés et éloignés de nos propres communautés pour être des fantômes sans futur dans les villes. San Salvador Atenco [3] est un miroir. Ses problèmes sont nos problèmes. Eux aussi sont en train de défendre leur terre, eux aussi sont des paysans, eux aussi défendent leurs semences, eux aussi sont engagés dans la défense de leur vie et de leur droit, de leur raison et de leur destin contre les grandes entreprises qui veulent nous achever ».
« Mais nous renforçons aussi nos assemblées, nos autorités agraires et traditionnelles, la lutte pour la défense de nos maïs, la défense de nos forêts et de notre eau, la lutte contre la certification de nos terres et les services environnementaux, exerçant une éducation toujours plus autonome. C’est ce que nous faisons pendant que nous luttons contre les compagnies minières, les forestières, les accapareurs de la terre, contre les grands entrepreneurs accapareurs d’aliments comme la chaîne Wal-Mart, contre la privatisation de nos eaux, contre les lois de l’Etat qui veulent légitimer la contre-réforme de 2001 [4] ».
Vaste est la carte de la dévastation. Mais les fleurs continuent de briser l’asphalte.
NOTES:
[1] [NDLR] Consultez le dossier « Résistances mapuches » sur RISAL.
[2] [NDLR] Dans la rigueur des faits, les 37 personnes inculpées n’étaient même pas toutes présentes sur les lieux de l’action en question.
[3] [NDLR] Le mercredi 3 mai et le jeudi 4 mai, une violente répression s’est abattue sur la population de la ville de San Salvador Atenco, au Mexique dans l’État de Mexico. Depuis plusieurs semaines, les autorités du Parti de la Révolution démocratique (parti de centre gauche auquel appartient également Andrés Manuel Lopez Obrador, le favori de l’élection présidentielle de juillet) essayaient d’empêcher les nombreux vendeurs ambulants du marché de Texcoco (près de San Salvador Atenco, nombre de ces vendeurs ambulants viennent de cette ville) d’exercer leur activité. Alors que dans le même temps ces mêmes autorités municipales se proposent d’octroyer un vaste espace à Wal-Mart pour construire un centre commercial qui va ruiner tous les petits commerces. Projet auquel s’oppose une large partie de la population. Plus d’info sur cette répression et les manifestations de solidarité sur le site http://cspcl.ouvaton.org/.
[4] [NDLR] Par contre-réforme, il est fait référence à la loi « indigène » adoptée par le Congrès mexicain après l’historique marche des zapatistes. Cette loi ne correspond pas aux revendications des mouvements indigènes.
Traduction : Cathie Duval, pour le RISAL (www.risal.collectifs.net).
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RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
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