"Traduire les discours en mobilisations concrètes"
Une nouvelle phase du Forum Social Mondial
13/01/2005
- Opinión
Entretien avec Antonio Martins, membre du " groupe fondateur " du FSM
Le Forum social mondial (FSM) est en bonne santé, il se renforce et
poursuit ses avancées. 2700 activités ont déjà été enregistrées pour les
deux premières rencontres de 2006, qui rassembleront les mouvements
sociaux de janvier à mars à Caracas (Venezuela) , Bamako (Mali), et
Karachi (Pakistan). " Ce chiffre dépasse celui de 2005 à Porto Alegre et
représente le double des activités réalisées à Mumbai en 2004, lorsque
pour la première fois le FSM a quitté le Brésil ", explique Antonio
Martins. Agé de 44 ans, ce Journaliste –un de fondateurs de CIRANDA- et
commentateur averti milite au sein de ATTAC-Brésil et représente cette
organisation au comité d'organisation qui a fondé le FSM en l'an 2000. A
l'occasion de cet entretien, Antonio Martins aborde divers thèmes, tels
que les défis, les risques et les potentialités de cette confluence
« altermondialiste ».
Q : Que représente aujourd'hui le Forum social mondial ?
R : Le FSM continue d'être un point de référence énorme pour ceux et
celles qui luttent, dans le monde entier, pour dépasser la logique d'une
société de marché à l'échelle mondiale. La nouvelle logique, née en 2001
à Porto Alegre, a déjà conquis un espace important. Je pense notamment à
l'organisation horizontale et non-dirigiste, intéressée à articuler
l'unité dans la diversité, sans sujets sociaux " principaux " et imposés
; où l'on ne discute pas les virgules d'un document final et où les
décisions prises en commun sont basées sur l'adhésion spontanée et le
consensus. Cette proposition bouge et grandit. Parmi beaucoup d'autres
initiatives, elle a été capable en 2003 de promouvoir les plus grandes
mobilisations politiques de l'histoire.
Traduire les discours en actes
Q: Vous parlez d'une logique politique structurée autour du FSM.
Qu'est-ce que ça signifie ?
R : Le FSM a brisé la logique de la " pensée unique " : après Porto
Alegre 2001, il n'était plus possible de prétendre que le marché et le
capitalisme représentent la seule option sur cette planète. Le chantage
pseudo-intellectuel de Margaret Thatcher a volé en éclats. Les
institutions adeptes du " consensus de Washington " - comme la Banque
mondiale et le Fonds monétaire international - ont commencé à reconnaître
l'existence de certaines réalités, telles que la pauvreté. La seconde
phase a consisté à présenter des possibilités de résistances et
d'alternatives générales. Cela s'est produit à Porto Alegre en 2002 et
2003, lorsque les forums ont permis d'articuler, par exemple, la
campagne continentale contre l'ALCA (Accord de libre-échange des
Amériques) et que se sont multipliées les résistances aux initiatives de
l'OMC (Organisation mondiale du commerce). Dans ce même cadre, surgit
aussi l'idée que l'accès à l'eau est un droit inaliénable.
On peut prévoir maintenant une nouvelle étape, où ces propositions
généreuses - parfois un peu abstraites - se traduisent par des
mobilisations concrètes. Le moment n'est peut-être pas loin où, toujours
sur la base d'adhésions volontaires et d'une grande coordination
horizontale, nous pourrons impulser des actions telles que le boycott de
certaines transnationales - une proposition faite par Arundhati Roy, en
2004, à Mumbai - ; une campagne internationale pour réduire la journée de
travail ou pour obtenir la gratuité des médicaments contre le SIDA,
opération qui pourrait être financée par une taxe prélevée sur les
bénéfices des transnationales.
Je crois donc qu'il est possible de penser à des actions internationales
pour contester, de manière concrète, la domination du capital, en le
contraignant à céder sur certaines questions sociales. L'effet didactique
serait énorme, car il démontrerait la possibilité d'une logique sociale
post-capitaliste. Il est nécessaire de proposer des alternatives
concrètes qui disputent au capital des espaces de pouvoir et qui
démontrent à de nombreuses personnes la possibilité et la viabilité d'un
autre type d'organisation.
" Ni récupération sectaire, ni auto-suffisance"
Q : Puisque nous parlons des potentialités du FSM, il est important
aussi de connaître vos principales préoccupations pour son avenir…
R : A mon avis, le FSM court toujours les mêmes risques. Premièrement,
la tentative ou le risque d'une récupération sectaire. Le FSM exprime une
nouvelle manière de faire de la politique. Ses participants - aussi bien
les plus jeunes que les nombreux militants historiques qui poursuivent le
combat - sont toujours plus conscients du fait que la politique
transcende la simple représentation partisane ou parlementaire. Ils
veulent s'impliquer quotidiennement dans la transformation de leurs
réalités et dans celles du monde, sans se limiter aux élections. Je pense
que la gauche partisane devrait comprendre cette logique comme une
tendance positive et émancipatrice. Il y a pourtant des résistances.
Beaucoup continuent à vouloir monopoliser la représentation et tenter de
contrôler le forum. L'autre grand risque, c'est celui de l'auto-
suffisance : se borner à se réjouir de ce qui a été fait jusqu'ici, en
oubliant qu'il reste encore beaucoup à faire pour que ces nouvelles
manières de voir le monde et la politique se rencontrent, s'articulent et
se convertissent en actions pour une nouvelle société.
Q : Tout indique que la réunion de Caracas sera la plus fréquentée. N'y
a-t-il pas le risque d'un FSM " à deux vitesses " : rapide en Amérique
latine, plus lente sur d'autres continents ?
R : Je ne pense pas qu'il soit possible, pour le moment, d'aspirer au
développement homogène des luttes sociales dans le monde, ni que ce soit
avantageux. La dynamique des mouvements sociaux et les luttes citoyennes
sont en symbiose avec les réalités locales ou nationales. Je ne pense pas
que l'Amérique latine soit aujourd'hui une sorte " d'avant-garde " des
luttes sociales. Il y a des phénomènes importants. Mais que dire de
l'Europe, où se sont déroulées des mobilisations aussi massives contre la
guerre en Irak ? Ou de l'Asie où des centaines de milliers de personnes
ont protesté ?
- Sergio Ferrari
Trad. H.P. Renk
Service de presse E-CHANGER
Afrique 2007
Antonio Martins exprime de grands espoirs par rapport au FSM 2007, qui
se tiendra à nouveau de manière centralisée, cette fois-ci au Kenya. " Je
le vois comme un défi énorme et, en même temps, comme l'occasion de
franchir un nouveau pas. L'Afrique est la principale victime de la
globalisation capitaliste. Les conditions matérielles, politiques et
sociales y sont incomparablement plus difficiles. L'écrasante majorité
des pays africains subit les " ajustements structurels " dictés par le
FMI. La démocratie formelle ou les libertés civiques de base n'existent
pratiquement nulle part. Le SIDA et d'autres épidémies ont réduit, dans
de nombreuses régions, l'espérance de vie à 40 ans.
En même temps, plus de 20 pays ont organisé des forums sociaux nationaux
; l'Afrique est capable de réveiller, comme aucune autre région, la
solidarité de ceux qui luttent pour un monde nouveau. Cela sera-t-il
suffisant pour garantir le succès de Nairobi 2007 ? Je pense que c'est
possible, mais le FSM devra à nouveau changer pour y parvenir. Nairobi ne
peut se réduire à une promenade touristique. Pour déclencher la
mobilisation des sociétés civiles africaines et la solidarité
internationale, il sera nécessaire de présenter des propositions d'action
concrètes. Comme toujours, cette tâche n'incombera pas à l' "
organisation" du Forum, mais à ses participants. Par exemple, une
coalition de réseaux liés à la lutte pour le droit à l'eau pourrait
étudier quelles mesures garantiraient d'ici 10 ans l'accès de tous les
habitants de l'Afrique à des sources d'eau potable. Une démarche
similaire pourrait être faite pour la distribution gratuite de
médicaments - comme au Brésil - aux malades du SIDA. En même temps, les
secteurs qui s'intéressent au thème des finances publiques mondiales
pourraient évaluer la manière de financer de telles actions, par exemple
grâce à un impôt sur les bénéfices des multinationales.
Je pense que ce type de synergies permettra de construire Nairobi 2007.
Toujours sur la base de l'auto-organisation et de la non-directivité.
Cette méthode, j'en suis toujours plus convaincu, nous permettra de
dépasser le capitalisme et de construire un monde nouveau " (Sergio
Ferrari)
https://www.alainet.org/fr/articulo/114108?language=es
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