Equateur : vers une assemblée constituante ?

15/11/2005
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La proposition présidentielle relative à la convocation d’une assemblée nationale constituante, agite de nouveau la fourmilière politique et met face à face les forces sociales qui souhaitent des changements profonds dans le pays, et la dénommée « classe politique » qui aspire au maintien du statu quo pour conserver ses privilèges.

 

Le président Alfredo Palacio, au pouvoir depuis l’insurrection populaire d’avril 2005 qui a mis en déroute le régime du colonel Lucio Gutierrez [1], a remis au Tribunal suprême électoral un projet de décret pour demander au peuple s’il est d’accord ou non pour que soit convoquée une assemblée constituante, dans laquelle seraient représentés les partis politiques pour 50% et la société civile pour les autres 50%. Il se base pour cela sur l’article 104 de la Constitution qui l’autorise à consulter le peuple sur « des questions d’importance transcendantale pour le pays ».

 

Avec une célérité jamais constatée dans d’autres cas, cinq des sept membres du Tribunal suprême électoral, composé des représentants des partis politiques, ont rejeté le projet de consultation de l’exécutif en le qualifiant d’« irrecevable » et non conforme à la Constitution.

 

Le Parti social chrétien (de droite), la Gauche démocratique (social-démocrate), le Parti du renouveau institutionnel action nationale (populiste), le Parti roldosista équatorien (populiste), le Mouvement populaire démocratique (de gauche) ont voté contre la proposition de Palacio, alors que les représentants des mouvements Pachakutik - Nuevo Pais [2] ont voté en faveur de la consultation sur la constituante.

 

Remis en cause par la population, les partis politiques ont serré les rangs et ont rejeté clairement la possibilité d’une assemblée constituante, qui assumerait tous les pouvoirs et pourrait relever de leurs fonctions non seulement les parlementaires mais aussi le président lui-même.

 

 Devant la pression des mobilisations des habitant(e)s de Quito qui exigent « qu’ils s’en aillent tous », le président du Congrès national, Wilfredo Lucero (Gauche démocratique) a proposé à Palacio la convocation d’une consultation pour « établir une assemblée constitutionnelle (non constituante) durant deux mois, ayant pour but uniquement de réformer la constitution politique en vigueur, et que tous ceux qui souhaitent en faire partie soient soumis aux mêmes exigences et aux mêmes conditions ».

 

Le caudillo du Parti social chrétien (PSC), Léon Febres Cordero, s’est prononcé dans le même sens. Palacio n’a pas lâché prise, et, soutenu par quelques groupes sociaux, s’est à nouveau prononcé pour la convocation d’une assemblée constituante.

 

Le bras de fer avec le Congrès continue, et la crise institutionnelle que vit l’Equateur s’aggrave, d’autant plus que, depuis sept mois, le pays n’a plus de Cour suprême de justice ni de Tribunal constitutionnel. Dans la matinée du 27 octobre, le Congrès, par un vote favorable de 68 législateurs sur 79, a approuvé un accord dans lequel il est demandé à l’Organisation des Etats américains (OEA) « d’agir immédiatement, en activant le mécanisme d’action collective en défense de l’ordre constitutionnel et démocratique de l’Equateur ».

 

En même temps, le Congrès « a rendu le gouvernement responsable des effets que pourrait générer l’incitation publique au chaos et à la violence de la part du chef de l’Etat ».

 

 Une convocation pour faire diversion ?

 

La décision de Palacio d’impulser l’Assemblée constituante est une sorte d’ « appel désespéré pour s’appuyer sur quelque chose qui lui permette de se maintenir au pouvoir », affirme le professeur d’université Milton Benitez.

 

Le gouvernement s’est soumis au chantage des groupes de pouvoir et recourt maintenant aux revendications des journées d’avril pour gagner une assise sociale, ajoute Benitez. Le Palacio de la fin octobre n’est plus le Palacio d’avril qui offrait de refonder le pays et de convoquer une assemblée constituante.

 

Pendant cette courte période, il a pris soin de se réconcilier avec Bogota et Washington. Il a ouvertement pactisé avec la Gauche démocratique, et en catimini avec le Parti social chrétien. Bien loin sont les politiques qui remettaient en cause les recettes de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), la déclaration de neutralité face au conflit colombien, la priorité de la dépense sociale sur le paiement de la dette externe.

 

Un à un, les ministres qui représentaient l’esprit du « mouvement des hors la loi » [3] sont partis, comme Rafael Correa à l’Economie et Antonio Parra aux Relations extérieures, remplacés par des fonctionnaires comme Magdalena Barreiro à l’Economie, qui a « normalisé » les relations avec les organismes multilatéraux ou comme Francisco Carrion aux Relations extérieures qui remplit la même fonction avec le gouvernement d’Uribe Velez [Colombie] et Washington.

 

Plusieurs représentants de mouvements sociaux considèrent que le gouvernement de Palacio, avec l’histoire de la Constituante, serait en train de jeter un rideau de fumée pour distraire l’attention du traité de libre-échange (TLC, sigles en espagnol) [4] avec les Etats-Unis, dont les négociations, selon les informations officielles, devraient se conclure - au plus tard - le 24 novembre prochain à Washington.

 

Dans ce but, Palacio a tenu une réunion à Quito avec Alvaro Uribe dans la matinée du 23 octobre dans un grand déploiement policier qui a réprimé les mouvements sociaux. Si le TLC est signé avec les Etats-Unis et ratifié par le Congrès, l’Assemblée constituante perd son sens puisque, comme il s’agit d’un accord obligatoire pour les parties, la nouvelle constitution procédant de l’Assemblée devrait s’adapter et approuver les exigences contenues dans le TLC. Comme nous l’avons vu, les mouvements sociaux ont accordé leur soutien conditionnel à la proposition de Palacio.

 

Luis Macas, président de la Confédération des nationalités indigènes de l’Equateur (CONAIE) [5], affirme que « l’Assemblée constituante n’est pas une nouveauté, nous en parlons dans le mouvement indigène depuis 1990, au cours des 25 dernières années de retour à la démocratie, il n’y a jamais eu l’Assemblée constituante que nous exigeons. C’est une opportunité et une nécessité, mais sous certaines conditions. Si le président de la République souhaite retrouver sa crédibilité, la meilleure façon de le démontrer est de déclarer, à travers le ministre de l’Energie et des Mines, la caducité du contrat de concession signé avec la compagnie nord-américaine Occidental [6].

 

Une autre condition est que le TLC soit inclus dans la consultation (populaire), car le traité ne peut pas en être exclus, ou bien alors le président nous fait prendre des vessies pour des lanternes, parce qu’au moment où il discute de l’Assemblée, il va signer le TLC et on va renégocier avec la compagnie OXY. La troisième condition est que la proposition d’Assemblée constituante émane de la société civile et non des partis politiques, c’est pourquoi nous disons qu’elle doit être composée à 100% de représentants de la société civile. C’est une opportunité historique de nous mettre d’accord entre tous les secteurs et pour que cette proposition soit celle du changement désiré par le peuple équatorien. C’est aussi l’opportunité d’en finir avec une des institutions délabrées et bien mal en point ».

 

NOTES:

 

 [1] [NDLR] Consultez le dossier « La trahison de Lucio Gutierrez » sur RISAL.

 

[2] [NDLR] Bras politique du mouvement social et indigène.

 

[3] [NDLR] Le 13 avril 2005, alors que la mobilisation sociale commençait à croître de façon inattendue, le président de l’époque Lucio Gutiérrez lança avec mépris l’épithète de « hors-la-loi » (« orajidos») en parlant de ceux qui s’étaient rassemblés devant son domicile. Son discrédit était déjà si grand cependant, que ce qualificatif, en étant diffusé par la presse, prit un sens positif pour générer une identité commune dans l’opposition au gouvernement : «Nous sommes tous des hors-la-loi». C’est ainsi que, du 14 au 21 avril 2005, s’est développée « la rébellion des hors-la-loi » qui mit fin au gouvernement de Gutierrez et permit à Alfredo Palacio d’accéder à la présidence.

 

[4] [NDLR] Lire Victor Quintana, Traité de libre-échange andin : entre résistance et imposition, RISAL, 7 novembre 2005.

 

 [5] [NDLR] Lire Silvia Torralba, « Notre objectif est de retrouver l’unité et notre dignité comme mouvement indigène », entretien avec Luis Macas, RISAL, 9 novembre 2005.

 

[6] [NDLR] Consultez le dossier « L’Amazonie équatorienne, butin des entreprises pétrolières » sur RISAL.

 

- Traduction : Marie-José Cloiseau, pour RISAL (www.risal.collectifs.net ).

 

 

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/113513
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